Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : JL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 733

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-831

ENTRE :

J. L.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 16 juillet 2020
Date de la décision : Le 20 juillet 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Il est toutefois admissible à la prestation d’invalidité après-retraite (PIAR); ses paiements peuvent commencer à être versés en mai 2019.

Aperçu

[2] En 1988, le requérant s’est blessé au dos lors d’un accident de travail. Il a de la douleur constante au dos depuis ce moment. En juin 2017, il a commencé à toucher la pension de retraite du RPCNote de bas de page 1. En avril 2018, il a présenté une demande de pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 2. Il a travaillé pour la dernière fois comme animateur de séances d’exercices pour les personnes âgées. Dans son questionnaire sur l’invalidité, il a mentionné qu’il avait arrêté de travailler en décembre 2017 en raison de la douleur, du stress et de son incapacité à continuer de faire les exercices. Il a aussi mentionné avoir arrêté de travailler comme instructeur de iPad, de iPhone et de langue espagnole pour les personnes âgées en juin 2017. Il a précisé qu’il était incapable de travailler en raison de plusieurs problèmes de santé, notamment une blessure au bas du dos, de la douleur à la hanche, au genou et au pied, la goutte, l’arthrite et des migrainesNote de bas de page 3.

[3] Le ministre a traité la demande du requérant non seulement comme une demande de prestations d’invalidité du RPC, mais aussi comme une demande de PIAR, laquelle est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Le ministre a rejeté la demande initialement et après révision. Le requérant a fait appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] Aux fins de l’invalidité du RPC et de la PIAR, une invalidité est une incapacité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 4. L’invalidité du requérant est grave si elle le rend incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. Son invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.

[5] Pour être admissible à la pension d’invalidité du RPC, le requérant doit prouver qu’il est plus probable que le contraire qu’il est devenu invalide au plus tard à la fin du mois précédant le début de sa pension de retraite. Il en est ainsi parce qu’il ne peut pas toucher la pension d’invalidité du RPC et la pension de retraite du RPC en même tempsNote de bas de page 5. Étant donné que le requérant a commencé à toucher la pension de retraite anticipée en juin 2017, il doit démontrer qu’il est devenu invalide avant la fin de mai 2017.

[6] Cependant, pour être admissible à la PIAR, le requérant doit prouver qu’il est plus probable que le contraire qu’il est devenu invalide avant l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA)Note de bas de page 6. Sa PMA, soit la date avant laquelle il doit prouver qu’il était invalide, est le 31 décembre 2020. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 7. Puisque cette date se situe dans l’avenir, je dois évaluer l’état de santé du requérant en date de l’audience.

Questions en litige

  1. Les problèmes de santé du requérant l’ont-ils rendu régulièrement incapable de détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice avant la fin de mai 2017
  2. Si tel n’est pas le cas, ses problèmes de santé l’ont-ils rendu régulièrement incapable de détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice maintenant?
  3. Si tel est le cas, son invalidité est-elle d’une durée longue, continue et indéfinie?

Analyse

Le requérant n’est pas admissible à la pension d’invalidité du RPC

[7] L’employabilité est le principal élément de mesure du caractère grave de l’invalidité au titre du RPCNote de bas de page 8.

[8] La question principale dans les causes du RPC n’est pas la nature ou le nom du problème de santé, mais ses répercussions sur la capacité de travailler de la partie requéranteNote de bas de page 9. C’est la capacité de travailler de la partie requérante, et non le diagnostic de sa maladie, qui détermine la gravité de son invalidité au titre du RPCNote de bas de page 10.

[9] La difficulté à laquelle fait face le requérant est la suivante : pour être admissible à la pension d’invalidité du RPC, il doit établir qu’il était gravement invalide à la fin de mai 2017. Cependant, il a continué à détenir une occupation véritablement rémunératrice jusqu’en décembre 2017.

[10] Pendant l’année 2017, il a occupé deux emplois. Jusqu’en décembre 2017, il animait des séances d’exercices pour les personnes âgées. Il animait cinq à six séances d’une demi heure par jour, cinq jours par semaine. Il travaillait environ quinze heures par semaine. Jusqu’en juin 2017, il a aussi enseigné, dans le cadre de programmes du soir pour les personnes âgées, comment utiliser un iPad et un iPhone. Il enseignait aussi l’espagnol pour le voyage. Il travaillait deux à trois soirs par semaine à raison de dix heures par semaine. Il gagnait 15 $ de l’heure à chacun de ces emplois.

[11] Son travail était véritablement rémunérateurNote de bas de page 11. Sa rémunération totale était d’environ 28 000 $Note de bas de page 12. Ce montant était bien au-delà du montant véritablement rémunérateur de 15 763,92 $ établi pour 2017Note de bas de page 13.

[12] Il était capable de travailler régulièrement. Il ne travaillait pas pour des employeurs bienveillants. Un questionnaire de l’employeur rempli le Victorian Order of Nurses précisait qu’il avait travaillé comme animateur/instructeur d’exercices et de mise en forme du 14 juillet 2014 au 2 décembre 2017. Son assiduité était bonne, la qualité de son travail était satisfaisante, il n’avait pas besoin de services, d’équipement ou d’arrangements spéciaux, et il était capable de composer avec les exigences de l’emploiNote de bas de page 14. Un questionnaire de l’employeur rempli par la Ville précisait qu’il avait travaillé comme instructeur de programme du 3 janvier 2012 à octobre 2017. Il travaillait comme employé occasionnel à temps partielNote de bas de page 15.

[13] Le requérant a affirmé qu’il n’aurait pas pu continuer à travailler après décembre 2017. Il [traduction] « composait » avec sa douleur parce qu’il avait besoin d’argent. Il avait géré sa douleur pendant 35 ans et il avait appris à [traduction] « vivre avec elle ». Il prenait plus de Tylenol 3. Il avait plus de nuits sans sommeil. Il n’aurait pas été capable de continuer à travailler même si son emploi n’avait pas pris fin.

[14] Je reconnais que le requérant avait de la douleur chronique. Cependant, le fait que la douleur chronique existe ne suffit pas; la douleur doit l’avoir empêché de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 16. La douleur chronique du requérant ne l’a pas empêché de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la fin de mai 2017, lorsqu’il a été admissible pour la dernière fois à la pension d’invalidité du RPC.

[15] Étant donné que le requérant était capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice après mai 2017, il n’est pas nécessaire que j’adopte l’approche du « contexte réaliste ». Pour déterminer son admissibilité à la pension d’invalidité du RPC, je n’ai pas besoin de tenir compte de facteurs comme son âge, son instruction, ses aptitudes linguistiques, et ses expériences de travail et de vieNote de bas de page 17. Il n’est pas logique d’examiner le « contexte réaliste » si cela ne fait aucune différence sur le résultatNote de bas de page 18.

[16] Le requérant n’a pas réussi à démontrer qu’il était atteint d’une invalidité grave conformément aux exigences du RPC à la fin de mai 2017.

[17] Puisque le requérant n’est pas admissible à la pension d’invalidité du RPC, je dois déterminer s’il est admissible à la PIAR. Pour les raisons décrites ci-dessous, j’ai déterminé qu’il y est admissible.

Prestation d’invalidité après-retraite

Invalidité grave

Les problèmes de santé du requérant nuisent à sa capacité de travailler

[18] Je dois évaluer l’état de santé du requérant dans son ensemble et tenir compte de toutes les incapacités qui ont touché son employabilité, et non seulement considérer les plus importantes ou les principalesNote de bas de page 19. Je dois aussi concentrer mon attention sur son état de santé en date de l’audience.

Douleurs au dos

[19] Le problème incapacitant le plus important du requérant est sa douleur au bas du dos qui irradie jusqu’à sa hanche droite et descend jusqu’à son genou. La douleur est constante. Ses jambes deviennent faibles et semblent vouloir céder après qu’il s’est tenu debout pendant une demi-heure. Après s’être assis pendant une demi-heure, ses genoux s’engourdissent. Dans le questionnaire d’invalidité de février 2018, il a mentionné qu’il avait vraiment une capacité limitée pour s’asseoir, se tenir debout, marcher, soulever, porter ou atteindre des objets, et se pencherNote de bas de page 20.

[20] Le Dr Remus, chirurgien orthopédique, traite le requérant depuis 1988. Ses rapports confirment que l’état du dos du requérant s’est détérioré. Un rapport de son physiothérapeute confirme également une détérioration.

[21] En janvier 2018, le Dr Remus a déclaré à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) que le requérant continuait d’avoir des épisodes récurrents de douleur au dos et de raideur. De récentes radiographies du rachis lombaire, du sacrum et des articulations sacro-iliaques ont révélé une maladie dégénérative multiniveau des articulations et des changements arthritiques précoces. Ces problèmes affectaient tous les types d’occupations véritablement rémunératrices qui nécessitent de se tenir debout ou de s’asseoir pendant une période prolongée, et de s’agenouiller, de s’accroupir ou de se pencher à répétitionNote de bas de page 21.

[22] Dans le rapport médical au RPC de mars 2018, le Dr Remus a posé un diagnostic de maladie dégénérative multiniveau à la suite d’une blessure au dos; de douleur chronique au bas du dos et de raideur avec douleur bilatérale à la partie antérieure de la cuisse; d’arthrose de la hanche légère à modérée; et d’arthrose bilatérale des genoux légère à modérée. Il a mentionné que l’état du requérant se détériorerait davantage avec l’âgeNote de bas de page 22. En mars 2018, il a aussi écrit à la CSPAAT que le requérant avait de la difficulté à postuler, obtenir et conserver un emploi sédentaireNote de bas de page 23.

[23] En avril 2019, le Dr Remus a écrit à l’Agence du revenu du Canada pour appuyer la demande de crédit d’impôt pour personnes handicapées du requérant. Le Dr Remus a précisé que les restrictions médicales importantes du requérant avaient commencé en 2015Note de bas de page 24.

[24] Le requérant a reçu des traitements de physiothérapie à la clinique Physiotherapy Associates de Thunder Bay pendant plus de vingt ans. Il a reçu des traitements pour son dos, son cou, ses genoux et ses bras. En juin 2019, Tony Miglizza, physiothérapeute, a mentionné qu’il y avait eu une diminution marquée de la force et de l’endurance globales du requérant. Ses muscles de posture du cou et du haut du dos s’étaient détériorés. Cela empêchait le requérant d’exercer ses activités quotidiennesNote de bas de page 25.

Autres affections

[25] Le requérant a de nombreuses autres affections. Dans son avis d’appel, il a fait état de 27 problèmes de santéNote de bas de page 26. J’ai tenu compte uniquement de ceux qui affectent de façon considérable sa capacité de travailler. J’ai résumé le témoignage du requérant au sujet de ses autres problèmes de santé ci dessous :

  • Migraines : Le requérant a des migraines depuis les années 1970. Il a habituellement une migraine tous les sept à dix jours. Elles durent de 24 à 48 heures. Lorsqu’elles surviennent, il prend une Tylenol 3 et s’étend dans le noir. Il doit parfois rester allongé pendant toute la journée. Il lui est arrivé de devoir annuler des cours ou de rentrer tôt à la maison en raison de migraines.
  • Goutte : Le requérant a la goutte depuis les années 1990. Elle survient quelques fois par mois et touche principalement son pied droit, ce qui fait qu’il est parfois incapable de marcher. Les crises durent environ deux jours. Il lui est arrivé de devoir mettre fin à ses cours en raison de la goutte.
  • Essoufflement : Ce problème s’intensifie. Il doit marcher très lentement et s’arrêter après 20 minutes. Il était souvent essoufflé quand il donnait des cours.
  • Insomnie : Il dort en moyenne seulement quatre ou cinq heures par nuit. Son sommeil est interrompu en raison de sa douleur et de son anxiété.
  • Dépression et anxiété : il se sent souvent déprimé, en colère et confus. Il a peu d’énergie et est antisocial. Son médecin de famille l’a orienté vers une travailleuse sociale. Il l’a vue environ six à huit fois. Son médecin de famille ne lui a pas prescrit de médicaments antidépresseurs ni d’anxiolytiques. Il ne l’a pas orienté vers des services de psychiatrie ou de psychologie. Le requérant a le sentiment d’être sans valeur, inutile et sans intérêt.

[26] Le requérant n’a pas cherché d’autre travail depuis que son emploi a pris fin en décembre 2017. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi, il a répondu qu’il ne pouvait pas détenir un travail sédentaire en raison de sa douleur constante au dos, à la tête et aux pieds. La douleur nuit à son sommeil. En raison de la douleur constante, il ne peut pas se concentrer sur un quelconque type d’emploi. Il ne peut pas s’asseoir ni rester debout pendant une longue période. Il ne peut pas se tourner ni se pencher. Ses médicaments le rendent somnolent et fatigué.

Mes conclusions

[27] Dans sa demande de révision d’octobre 2018, le requérant a mentionné ce qui suit :

[traduction]

[…] Je suis en douleur pratiquement tous les jours, et ce, depuis presque 35 ans. Je prends des médicaments antidouleurs et des anti-inflammatoires depuis presque tout ce temps. […] Il y a eu des journées où j’avais de la douleur au bas du dos et aux hanches, et également une migraine, ainsi qu’une crise de goutte qui commençait, et cela pouvait durer pendant des jours. Si vous pouvez imaginer ces trois problèmes de santé survenant en même temps, ensuite imaginez-les séparément; et puis dernièrement, je peux ajouter à cela l’arthriteNote de bas de page 27.

[28] La douleur au dos du requérant, qui s’aggrave, même prise séparément, nuit sérieusement à sa capacité de travailler. De plus, ses autres affections, telles qu’elles sont décrites ci dessus, nuisent aussi à sa capacité de travailler.

[29] Compte tenu de l’effet combiné de tous les problèmes de santé du requérant, j’estime que ses problèmes de santé nuisent à sa capacité de travailler.

Le requérant a établi qu’il est atteint d’une invalidité grave

[30] Une invalidité est grave si elle rend une partie requérante incapable de détenir pendant une période durable une occupation véritablement rémunératrice. Je dois évaluer le critère de gravité dans un « contexte réaliste » et tenir compte de facteurs comme l’âge, l’instruction, les aptitudes linguistiques et les expériences de travail et de vie du requérant pour déterminer son « employabilité »Note de bas de page 28.

[31] Le ministre a reconnu que le requérant avait subi une grave blessure au dos. Il soutient toutefois qu’il a été capable de se recycler et de bien travailler jusqu’en décembre 2017. L’opinion du ministre est que la preuve ne démontre pas un état de santé qui empêche le requérant de détenir un quelconque type d’emploi.

[32] Le problème de dos du requérant, qui se détériore, signifie qu’il ne peut plus détenir un emploi exigeant physiquement. La principale question que je dois trancher est celle de savoir s’il a la capacité régulière de détenir un emploi moins exigeant physiquement.

[33] Le requérant a un excellent niveau d’instruction et détient trois diplômes d’études collégiales; il a des antécédents professionnels fort diversifiés et possède de nombreuses compétences transférables. Il parle anglais couramment et rien ne laisse entendre qu’il a un trouble d’apprentissage. Ces facteurs positifs appuieraient une conclusion selon laquelle il a la capacité de détenir un emploi sédentaire. Cependant, il est maintenant âgé de 63 ans. Il lui reste moins de deux ans avant d’atteindre l’âge habituel de la retraite. Cela appuierait une conclusion selon laquelle il n’a pas la capacité de détenir un autre emploi.

[34] Le requérant a de nombreux problèmes invalidants qui se sont détériorés depuis qu’il a travaillé pour la dernière fois en décembre 2017. Il a de la douleur constante au dos, aux hanches et aux genoux. Il a des épisodes imprévisibles de maux de tête et de goutte. Il est très limité dans sa capacité à se tenir debout, à marcher et à s’asseoir. Il a de la difficulté à dormir. Il ne pourrait pas être un employé régulier et fiable.

[35] Je suis convaincu que le requérant n’a pas la capacité régulière de détenir un quelconque emploi véritablement rémunérateur. Compte tenu de cela, il n’est pas tenu de faire des démarches pour détenir un autre emploi.

[36] J’estime que le requérant a démontré qu’il est plus probable que le contraire qu’il est atteint d’une invalidité grave selon les exigences du RPC.

Invalidité prolongée

[37] Les multiples problèmes de santé invalidants du requérant persistent depuis de nombreuses années. Malgré un traitement intensif, ils se détériorent.

[38] L’invalidité du requérant est longue et continue, et il n’existe pas de perspectives d’amélioration raisonnables dans un avenir prévisible.

[39] Je conclus donc que son invalidité est prolongée.

Conclusion

[40] Je rejette la demande d’invalidité du RPC du requérant parce qu’il n’était pas invalide avant la fin de mai 2017. Cependant, j’accueille sa demande de PIAR.

[41] J’estime que le requérant avait une invalidité grave et prolongée en janvier 2019, lorsque la PIAR est entrée en vigueur. Les versements commencent quatre mois après la date de l’invaliditéNote de bas de page 29, soit en mai 2019.

[42] L’appel est accueilli en partie.

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