Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : P. G. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 730

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1863

ENTRE :

P. G.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION INTERLOCUTOIRE DU TRIBUNAL DE LA
SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Pierre Vanderhout
Représentant de la requérante : Steven Yormak
Date de la décision : Le 20 août 2020

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Décision

[1] La décision initiale de la division générale (DG), la décision complète de la division d’appel (DA) et l’enregistrement de l’audience initiale de la DG devraient tous faire partie du dossier d’appel initial. Les autres documents produits au cours de l’instance devant la DA ne devraient pas faire partie du dossier d’appel initial. Cependant, les parties pourraient demander l’ajout de ces documents, et la ou le membre de la DG aurait alors à décider s’ils doivent faire partie du dossier.

Aperçu

[2] L’historique de la présente affaire est relativement long. La DG du Tribunal a rendu une décision après une audience. La requérante a interjeté appel de cette décision à la DA du Tribunal. La DA a accueilli l’appel de la requérante de la décision initiale de la DG et a renvoyé l’affaire à la DG aux fins de réexamen par une ou un autre membre de la DG. Normalement, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG aurait alors accès à la fois au dossier antérieur de la DG et aux documents présentés à la DA. Ceci inclurait les observations, tout nouvel élément de preuve et les deux décisions de la DG et de la DA.

[3] Cependant, la requérante a également demandé à la DA d’imposer des conditions quant aux parties du dossier documentaire que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG pourrait prendre en considération. La requérante ne voulait pas que le nouveau membre de la DG (moi‑même) ne voie aucun élément de preuve qui n’ait pas été porté à la connaissance du membre de la DG. La requérante ne voulait pas non plus que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG voie la décision initiale de la DG ou la décision complète de la DA, ou écoute l’enregistrement de l’audience initiale de la DG.

[4] La DA a refusé de se prononcer sur la demande de la requérante. Au lieu de cela, la DA a demandé au nouveau membre de la DG d’examiner la requête de la requérante à titre de question préliminaire.

[5] La présente décision interlocutoire traite de cette question préliminaire importante.

Procédure d’appel

[6] En raison de la demande de la requérante, le Tribunal a constitué un dossier spécial avant de me le confier. Même si j’ai accès aux documents qui ont été déposés avant l’audience initiale de la DG, je n’ai pas de copie de la décision initiale de la DG. Je n’ai pas non plus d’enregistrement ou de transcription de l’audience initiale de la DGNote de bas de page 1.

[7] Je n’ai pas non plus de parties du dossier de la DA, excepté des parties des paragraphes 32 à 37 de la décision de la DA (directives de la DA). Ces directives donnent seulement des consignes pour l’examen par la DG de la question préliminaire. Voici ces consignes dans leur intégralité :

[traduction]

[32] La Loi sur le MEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder lorsqu’elle intervient. Cela peut entre autres consister à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou à renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. L’avocat de la requérante demande que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue. En fait, l’avocat soutient que chaque fois que la division d’appel renvoie l’affaire à la division générale, une audience entièrement nouvelle devrait être tenue et qu’aucune preuve qui n’a pas été présentée devant la division générale durant la première instance ne devrait être examinée. Il fait valoir qu’à moins de procéder de cette façon durant la nouvelle audience, il ne s’agit pas d’une audience de novo, et le ou la membre de la division générale semblera être influencé par les décisions précédentes rendues par la division générale et la division d’appel.

[33] Cependant, la Loi sur le MEDS n’exige pas qu’un appel soit nouvellement instruit ou instruit de novo s’il est renvoyé devant la division générale. Selon la Loi sur le MEDS, « la division d’appel peut […] renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées […] ». Cela accorde à la division générale le pouvoir discrétionnaire d’ordonner une nouvelle audience si cela est approprié ou d’ordonner que l’appel soit réexaminé sans qu’une audience entièrement nouvelle soit tenue. Cela permet aussi à la division générale de donner des directives sur la preuve écrite ou sonore que la division générale doit examiner, y compris les décisions précédentes de la division générale, la décision de la division d’appel et l’enregistrement de l’audience précédente devant la division générale. Rien dans la Loi sur le MEDS ne restreint le pouvoir discrétionnaire de la division d’appel lorsqu’elle renvoie une affaire à la division générale.

[34] De plus, si une affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen, les parties sont libres de présenter à la division générale toute preuve supplémentaire qu’elles choisissent de présenter. Cela pourrait comprendre l’enregistrement audio d’une audience précédente devant la division générale. Il reviendrait alors au membre ou à la membre de la division générale procédant au réexamen de déterminer si cette preuve doit être acceptée et, si tel est le cas, le poids qu’il faut lui accorder. La division générale pourrait aussi évaluer les arguments concernant toute partialité perçue qui pourrait résulter de l’écoute de cet enregistrement.

[35] En l’espèce, il est approprié de renvoyer l’appel à la division générale pour réexamen. [Le reste du paragraphe est caviardé.]

[36] La requérante demande que la décision originale de la division générale, son enregistrement et la présente décision soient retirés du dossier et ne soient pas pris en compte par le ou la membre de la division générale qui réexaminera l’affaire. Je ne traiterai pas de ces arguments maintenant. Les parties devraient présenter leurs arguments à la division générale au moment du réexamen pour qu’une décision préliminaire soit rendue sur cette question.

[37] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

[8] Je ne connais pas le fondement de la décision de la DA sur le bien-fondé de l’appel de la requérante auprès de la DA. Je ne sais pas non plus si la DA a tenu une audience orale ou fait un enregistrement de l’instance. Enfin, j’ignore si les directives de la DA contiennent toutes les parties de la décision de la DA qui sont pertinentes à la question préliminaire. Je sais seulement qu’aucune des parties n’a soulevé d’objections à propos des directives de la DA.

Cadre législatif du renvoi de la DA à la DG

[9] La DA rend des décisions conformément à la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). La DA a quatre options lorsqu’elle se prononce sur un appel de la DG. Elle peut :

  1. 1) rejeter l’appel;
  2. 2) rendre la décision que la DG aurait dû rendre;
  3. 3) renvoyer l’affaire à la DG pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées;
  4. 4) confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la DGNote de bas de page 2.

[10] La troisième option s’applique en l’espèce, puisque la DA a renvoyé l’affaire à la DG pour réexamen avec des directivesNote de bas de page 3.

Questions en litige

[11] Cet appel soulève les questions suivantes :

  1. L’instance actuellement devant la DG est-elle une affaire de novo?
  2. La nouvelle ou le nouveau membre de la DG peut-elle ou peut-il consulter les décisions précédentes de la DG et de la DA?
  3. L’enregistrement de l’audience précédente de la DG devrait-il faire partie du dossier porté à la connaissance de la nouvelle ou du nouveau membre de la DG?
  4. Comment devrais-je traiter les autres éléments de preuve, observations et décisions dans le cadre de la présente affaire?

Analyse

[12] Je vais examiner chacune des questions ci-dessus dans l’ordre. Je commencerai par déterminer si la nouvelle instance devant la division générale devrait être de novo.

1) La nouvelle instance devant la DG n’est pas une affaire de novo

[13] La requérante a cité de nombreuses sources à l’appui de l’argument selon lequel la DG devrait tenir une nouvelle audience, ou audience de novo. Afin de préserver l’intégrité de la nouvelle audience, la requérante a affirmé que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG ne pouvait avoir accès à aucun élément qui n’a pas été porté à la connaissance du membre initial de la DG au moment de la première audience de la DG. La requérante a fourni des définitions du terme « de novo » et a dit que le nouveau membre de la DG devait [traduction] « effacer l’ardoise », comme si aucune audience précédente n’avait eu lieuNote de bas de page 4.

[14] En l’espèce, la loi (la Loi sur le MEDS) parle de renvoi pour « réexamen » par la DG et n’utilise pas l’expression « de novo »Note de bas de page 5. Dans ses directives, la DA reconnaît que la requérante souhaitait une audience entièrement nouvelle. La DA reconnaît aussi que la requérante voulait que le nouveau membre de la DG ne voie que ce que le membre initial de la DG a vu au moment de l’audience initiale afin que la nouvelle audience soit véritablement de novoNote de bas de page 6.

[15] Cependant, les directives de la DA font référence à la Loi sur le MEDS et affirment qu’un appel renvoyé à la DG n’a pas à être entièrement instruit à nouveau (de novo). La DA a dit qu’elle pouvait renvoyer l’affaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience si elle le jugeait approprié. La DA a affirmé qu’elle pouvait donner des directives sur la preuve écrite ou sonore que la division générale doit examiner, y compris les décisions précédentes de la division générale, la décision de la division d’appel et l’enregistrement de l’audience précédente devant la division généraleNote de bas de page 7. Les directives de la DA précisent que la requérante souhaitait que tous ces documents soient retirés du dossier. À part me demander de rendre une décision préliminaire concernant la demande de la requérante, les directives de la DA ne contenaient aucune autre consigneNote de bas de page 8.

[16] La responsabilité de la nouvelle ou du nouveau membre de la DG est de suivre les orientations énoncées dans la loi habilitante et les directives données par l’organe d’appel ayant renvoyé l’affaire à la DG. La loi habilitante ne fait nulle part référence à une nouvelle audience ou à l’exclusion d’éléments de preuve produits au cours de l’instance précédente devant la DG. Elle ne parle que d’un « réexamen » d’une affaireNote de bas de page 9. Les directives de la DA n’exigent pas non plus une nouvelle audience. En fait, les directives de la DA confirment explicitement que le MEDS n’exige pas une nouvelle audience lorsqu’une affaire est renvoyée à la DGNote de bas de page 10. Au lieu de cela, la DA a confié au nouveau membre de la DG la tâche de rendre une décision préliminaire sur la question de savoir ce qui devrait faire partie du dossierNote de bas de page 11. Cela est entièrement conforme au pouvoir légal de la DA de renvoyer l’affaire à la DG conformément aux directives qu’elle juge indiquéesNote de bas de page 12. Ainsi, je ne trouve pas que les diverses définitions ou interprétations du terme « de novo » soient utiles.

[17] En m’appuyant sur la Loi sur le MEDS et les directives de la DA, je conclus que mon mandat n’est pas nécessairement limité à une audience de novo.

[18] Cela est conforme à une décision antérieure de la Cour d’appel fédérale. Bien qu’elle découle d’une affaire liée à l’assurance-emploi instruite par le prédécesseur de ce Tribunal, la décision dans l’affaire Francella a confirmé qu’un « réexamen » n’était pas nécessairement de novo. Cela dépend de l’équité procédurale et des modalités de la décision rendue en appel. Les considérations en matière d’équité varient d’une affaire à une autreNote de bas de page 13. Bien que je n’aie pas à m’appuyer sur l’arrêt Francella, il est conforme à ma conclusion concernant la question de l’audience de novo.

[19] Je vais maintenant déterminer si les décisions précédentes devraient faire partie du dossier.

2) La nouvelle ou le nouveau membre de la DG devrait-elle ou devrait-il pouvoir consulter les décisions précédentes de la DG et de la DA dans leur intégralité?

[20] Le cadre législatif appuie l’accès du membre de la DG aux décisions antérieures. Cela est particulièrement vrai dans le cas de l’exigence selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que l’équité et la justice naturelle permettent. Cela réduit également le risque de mal interpréter les décisions et les directives de la DA, ou de commettre les mêmes erreurs que le membre initial de la DG. La requérante n’a porté aucune allégation de partialité contre la nouvelle ou le nouveau membre de la DG, et la jurisprudence contraignante établit que l’intégrité et l’impartialité de la nouvelle ou du nouveau membre de la DG se présument. Je vais maintenant examiner ces conclusions de façon plus détaillée.

[21] Au minimum, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG doit voir les directives découlant de la décision de la DA. Toutefois, je m’inquiète sérieusement du fait que le Tribunal ne fournisse seulement à la nouvelle ou au nouveau membre de la DG une décision de la DA lourdement caviardée ou censurée. Selon cette approche, une personne devra transformer la décision complète de la DA en directives claires et exactes qui ne sont pas [traduction] « entachées » par les conclusions de la membre de la DA concernant d’autres aspects de l’affaire. Si la membre de la DA ne rédige pas ces directives, cela pourrait entraîner toutes sortes d’erreurs potentielles. Il est illogique de ne pas faire suffisamment confiance à la nouvelle ou au nouveau membre de la DG pour lui permettre de consulter la décision complète de la DA, mais de se fier à une autre personne inconnue pour en tirer les bons extraits. Il n’est pas non plus pratique pour la membre de la DA de rédiger de multiples décisions : une pour les parties devant la DA, et une autre condensée pour la nouvelle ou le nouveau membre de la DG. Cela ajoute des délais, de la complexité et des frais. Tout comme la DG, la DA doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 14.

[22] Même si les membres de la DA rédigeaient des versions [traduction] « condensées » de leurs décisions, cela ajoute un autre niveau de séparation avec la décision complète de la DA et augmente la probabilité d’incohérence. Il est inapproprié d’avoir plusieurs décisions sur une même question. Des circonstances et des directives importantes pourraient être omises ou erronées, et la nouvelle ou le nouveau membre n’aurait aucune idée que ces problèmes existent. Bien que le Tribunal ait dû créer une [traduction] « décision de la DA condensée » en l’espèce, j’estime que cela ajoute de la complexité, des frais, des retards et le risque de directives erronées.

[23] Je vois d’autres raisons impérieuses de permettre à la nouvelle ou au nouveau membre de la DG d’avoir accès non seulement à la décision de la DA, mais aussi à la décision précédente de la DG.

Considérations en matière d’équité et d’efficacité

[24] L’accès aux décisions précédentes est aussi compatible avec une administration de la justice équitable et efficace. La justice n’est pas mieux servie si la nouvelle ou le nouveau membre de la DG commet les mêmes erreurs que le membre initial de la DG, tout simplement parce qu’il ou elle n’a pas pu consulter la décision initiale de la DG ou l’explication de la DA sur les raisons pour lesquelles cette décision ne pouvait pas être maintenue. Comme c’est le cas pour la DA, la DG doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 15. Ne pas examiner les décisions précédentes, en particulier lorsqu’une erreur a été commise auparavant, pourrait en soi constituer un manquement aux principes de justice naturelle. Je note en outre que toutes les décisions de la DA sont publiées et qu’elles sont donc accessibles au public de toute façon. Il est difficile de comprendre pourquoi le public devrait avoir accès à la décision de la DA, mais pas la nouvelle ou le nouveau membre de la DG.

[25] Dans une décision récente, la DA a affirmé qu’une conclusion défavorable à une partie en particulier ou même une série de conclusions défavorables à cette partie n’est pas en soi une preuve de partialité. La DA a affirmé que cela s’appliquait même si la ou le membre initial(e) de la DG avait rendu la décision après que la DA lui ait renvoyé l’affaire. Il peut y avoir d’autres explications justifiant la conclusion défavorable, dont la possibilité que la cause de la partie soit sans fondementNote de bas de page 16. Bien que la DG ne soit pas liée par les décisions de la DA, l’avis de la DA est néanmoins cohérent avec l’accès aux décisions précédentes.

[26] La seule considération contradictoire que je constate est l’observation de la requérante selon laquelle la consultation des décisions antérieures pourrait influencer la nouvelle ou le nouveau membre de la DG.

La nouvelle ou le nouveau membre de la DG serait-elle ou serait-il partial(e) après la consultation des décisions précédentes?

[27] La requérante a fait beaucoup d’observations à propos de la partialité qui pourrait survenir si la nouvelle ou le nouveau membre de la DG était autorisé(e) à consulter les décisions précédentes. La requérante laisse entendre qu’en consultant le raisonnement adopté par une ou un autre membre du Tribunal, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG serait tenté(e) d’adopter le même raisonnement (ou au moins le même résultat) que celui de la décision précédente. Selon la requérante, cela aurait une incidence négative sur les personnes qui demandent des prestations.

[28] Je n’accepte pas cet argument.

[29] La partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat. Le seuil d’établissement d’une conclusion de partialité est élevé, et il revient à la partie d’affirmer qu’il existe. Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, la Cour suprême du Canada a déclaré que le critère à appliquer pour déterminer la présence de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratiqueNote de bas de page 17 ». De simples soupçons ne suffisent pas. On doit démontrer une réelle probabilitéNote de bas de page 18. En l’espèce, il n’y a aucune allégation précise de partialité, autre qu’un soupçon concernant toute nouvelle ou tout nouveau membre potentiel(le) de la DG. Cela ne répond pas au critère de l’arrêt Committee for Justice and Liberty.

[30] Dans une affaire intitulée Gale, la Cour d’appel fédérale a parlé de la présomption d’intégrité et d’impartialité dont jouit le décideurNote de bas de page 19. Cette présomption existe même si des décisions précédentes impliquant les parties ont été rendues. En fait, la présomption existe même si le décideur a déjà instruit l’appel initial. La présomption demeure valable si rien ne suggère qu’il y ait partialité ou crainte raisonnable de partialitéNote de bas de page 20. Il s’agit d’une présomption qui va bien au-delà de ce qui est nécessaire dans l’affaire qui concerne la requérante. En l’espèce, une nouvelle ou un nouveau membre de la DG instruira le présent appel, et rien ne suggère qu’il y ait partialité ou crainte raisonnable de partialité.

[31] De façon plus générale, je signale que la plupart des nouvelles affaires traitées par la DG découlent du rejet par le ministre de la demande d’une partie requérante. C’est habituellement la décision découlant d’une révision qui est portée en appel à la DG. Cela signifie que la demande d’une partie requérante a habituellement été rejetée deux fois par le ministre avant que la DG n’en prenne connaissance pour la première fois. Si j’acceptais le fait qu’une ou un membre de la DG est partial(e) ou influencé(e) après avoir consulté des décisions précédentes, alors aucun membre de la DG ne serait jamais en mesure d’intervenir dans un dossier : le simple fait de voir le rejet du ministre entraînerait un [traduction] « vice ».

[32] La requérante cherche à distinguer Gale de la présente affaire en disant que le principe du « résultat inéluctable » empêche son application au présent appel. La requérante affirme que Gale établit le principe selon lequel un appel échouera (même s’il y a eu une violation fondamentale de procédure) si le résultat final est le même malgré la correction de la violation. La requérante laisse entendre qu’il n’y a pas de « résultat inéluctable » dans le présent appel. Je suis d’accord avec ce point. Je suis également d’accord avec le fait que la Cour d’appel fédérale a examiné le principe du « résultat inéluctable » dans l’arrêt GaleNote de bas de page 21. Je ne vois cependant pas comment cela influe sur la conclusion, qui figure ailleurs dans l’arrêt Gale à propos d’une question différente, selon laquelle l’impartialité et l’intégrité d’un décideur se présumentNote de bas de page 22.

[33] D’autres décisions contraignantes confirment cette présomption. En 2011, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il était peu probable que les juges ou les tribunaux aient lieu de se récuser simplement parce qu’ils ont déjà examiné une affaire précédemment. Il faut quelque chose de plus pour établir la partialité. La Cour a trouvé difficile de croire que des juges ou des tribunaux se déclareraient partiaux simplement parce qu’on leur demande de réexaminer une affaire ou de statuer à nouveau sur une affaireNote de bas de page 23. La Cour suprême du Canada a affirmé que la confiance du public dans notre système de justice prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle celles et ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorteNote de bas de page 24. Il en découle qu’il serait très peu probable que le fait de voir la décision d’une ou d’un autre membre de la DG crée un préjugé chez la nouvelle ou le nouveau membre de la DG.

[34] J’en conclus que le principe de la présomption d’impartialité et d’intégrité établi dans l’arrêt Gale est contraignant pour moi et qu’on ne peut établir de distinction entre cet arrêt et la présente affaire.

Décisions dans le contexte de l’immigration

[35] Dans le contexte de l’immigration, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée précisément sur la question de savoir si les arbitres peuvent voir équitablement des décisions antérieures dans le cadre de la même instance. Dans l’arrêt Lahai, la Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

« […] il n’y a, à mon avis, rien de mal à ce que le commissaire présidant à la deuxième audience lise la décision antérieure. Je suis d’accord avec le juge des requêtes qu’une personne avertie qui a examiné l’affaire d’une manière réfléchie, réaliste et pratique ne pourrait pas conclure que le commissaire qui a tenu la seconde audition ne pouvait pas procéder avec un esprit ouvert seulement parce qu’il avait lu la première décision. Le commissaire qui a tenu la seconde audience était pleinement conscient que la première décision était fondée sur des renseignements incomplets et il a permis à l’appelant de produire tout autre élément de preuve qu’il désirait.

À notre avis, la simple lecture d’une décision antérieure défavorable à l’appelant ne peut donner lieu à une crainte raisonnable de partialité […]Note de bas de page 25 »

[36] Cela semble tout à fait pertinent et contraignant pour moi. C’est entièrement conforme à la déclaration de la Cour suprême du Canada concernant la partialité dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty. En réponse à l’arrêt Lahai et à plusieurs autres affaires citées par le ministre, la requérante soutient que le Tribunal ne peut pas appliquer des décisions de la Cour d’appel fédérale découlant de décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). La requérante affirme que les décisions de la CISR émanent d’un cadre législatif complètement différent. La requérante affirme également que les décisions de la CISR découlent d’audiences [traduction] « continues », où les éléments de preuve et les conclusions peuvent s’accumuler au cours d’une série d’audiences. Je ne suis pas certain que ce soit exact pour toutes les affaires dont la CISR est saisie. Par exemple, la procédure d’une audience de contrôle des motifs de détention (qui semble être une audience « continue ») n’est pas nécessairement la même que celle d’une audience concernant le statut de réfugié. En outre, les principes de justice naturelle s’appliquent toujours, même si le tribunal en question a des procédures différentes.

[37] En fin de compte, cependant, la question de savoir si je suis lié par l’arrêt Lahai n’a pas d’importance. Même si l’on pouvait mettre l’arrêt Lahai et d’autres affaires en matière d’immigration de la Cour d’appel fédérale dans une classe entièrement à part en raison du cadre législatif unique de la CISR, la question des pouvoirs précis conférés au Tribunal demeure. La DA n’a pas ordonné à la nouvelle ou au nouveau membre de la DG de ne pas tenir compte des décisions précédentes. La DA a laissé cette décision à la discrétion de la nouvelle ou du nouveau membre de la DG. En outre, des décisions comme l’arrêt Gale sont contraignantes en ce qui concerne le principe de la présomption d’impartialité.

[38] La requérante laisse aussi entendre que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG agirait indûment à titre [traduction] « d’organe d’appel » en ayant accès aux décisions précédentes.

La nouvelle ou le nouveau membre de la DG joue-t-elle ou joue-t-il un rôle d’organe d’appel?

[39] Je ne suis pas d’accord avec le fait que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG jouerait un [traduction] « rôle d’organe d’appel ». La requérante a renvoyé à l’article 54(1) de la Loi sur le MEDS à l’appui de cette position. Cet article prévoit que la DG peut rejeter un appel ou confirmer, infirmer ou modifier une décision rendue par le ministre. La requérante affirme cependant que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG agirait à titre d’organe appel chargé de l’examen de la décision de la DA s’il ou elle avait accès aux décisions précédentes (en particulier à la décision de la DA).

[40] Cela donne à penser que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG peut renverser ce que la DA a décidé. Toutefois, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG est en fait tenu(e) de suivre les directives de la DANote de bas de page 26. Un tribunal inférieur ne peut pas dire quoi faire à un tribunal d’appel. De plus, en revoyant l’affaire à la DG, la DA n’a pas rendu de décision sur le fond. Elle a seulement rendu une décision concernant la question de savoir si la décision initiale de la DG pouvait être maintenue. Je ne vois pas comment la nouvelle ou le nouveau membre de la DG pourrait instruire un « appel » provenant de la DA, alors que celle-ci n’a même pas rendu une décision sur le fond.

[41] L’article 54(1) de la Loi sur le MEDS ne vient pas en aide à la requérante en l’espèce. Il porte seulement sur les appels des décisions de révision rendues par le ministre. Comme mentionné ci-dessus, la DA a le pouvoir en vertu de l’article 59(1) de la Loi sur le MEDS de renvoyer des affaires à la DG aux fins de réexamen, conformément aux directives que la DA juge indiquées. Cela confirme que le rôle de la DG est subordonné à celui de la DA, plutôt que d’accorder à la DG un rôle de contrôle ou d’organe d’appel des décisions de la DA.

[42] Puisque la nouvelle ou le nouveau membre de la DG n’agit pas à titre d’organe d’appel, l’observation de la requérante n’a aucune incidence sur mes conclusions quant à l’accès aux décisions précédentes. Je vais maintenant prendre en considération l’enregistrement de l’audience initiale de la DG.

3) L’enregistrement de l’audience précédente de la DG devrait-il faire partie du dossier porté à la connaissance de la nouvelle ou du nouveau membre de la DG?

[43] Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’estime que la nouvelle ou le nouveau membre devrait avoir accès à l’enregistrement de l’audience précédente de la DG. Cependant, la décision de prendre en considération ou non l’enregistrement de l’audience précédente de la DG est à sa discrétion et dépendra de la situation particulière. Dans certains cas, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG peut décider de ne pas tenir compte de l’enregistrement.

[44] L’enregistrement de l’audience précédente de la DG pourrait être tout à fait pertinent. Il contient vraisemblablement des témoignages sous serment concernant la question précise que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG doit trancher. Ce serait peut‑être un gaspillage de ressources pour toutes les personnes impliquées que de refaire une audience entière, particulièrement s’il n’existait aucune préoccupation réelle concernant la première audience. D’autres avantages pourraient inclure la non-disponibilité de témoins ayant participé à la première audience. Il pourrait aussi être difficile pour les témoins de témoigner à nouveau si leurs témoignages sont délicats.

[45] La requérante ne relève aucun problème précis à propos de l’enregistrement de l’audience précédente de la DG. Cependant, elle craint que l’accès à l’enregistrement de l’audience précédente de la DG puisse être une violation de l’obligation d’équité procédurale du Tribunal. La requérante cite des jugements de la Cour suprême du Canada à l’appui de cet argumentNote de bas de page 27.

[46] Bien que les décisions de la Cour suprême du Canada lient le Tribunal, il ressort essentiellement de celles-ci qu’une partie doit avoir l’occasion de présenter pleinement sa cause. Parfois, il faut pour cela que la partie ait la possibilité de donner un témoignage de vive voix, afin que la crédibilité puisse être évaluée. Cependant, si l’enregistrement de la première audience de la DG est inclus, rien ne devrait empêcher les parties de présenter pleinement leur cause. Elles peuvent témoigner de vive voix à nouveau pour compléter ou clarifier leur témoignage antérieur. Si, pour une raison quelconque, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG choisit de trancher l’appel de la requérante sans tenir une nouvelle audience orale, cela risque de constituer le fondement d’un appel accueilli par la DANote de bas de page 28.

[47] Un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle au cours de l’audience précédente de la DG peut faire en sorte qu’il soit moins souhaitable que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG prenne en considération l’enregistrement de l’audience. Toutefois, même cela ne garantirait pas l’exclusion de l’enregistrement de l’audience précédente. L’exclusion est plus probable en cas de parti pris de la part du membre initial de la DG. Mais d’autres préoccupations en matière d’équité procédurale, comme le fait de ne pas entendre le témoignage complet d’un témoin en particulier, pourraient être réglées en acceptant l’enregistrement de la première audience et en [traduction] « comblant les lacunes » à la deuxième audience. En d’autres termes, on peut remédier aux points faibles de la première audience en complétant les éléments de preuve plutôt qu’en refaisant toute l’audience. Encore une fois, le cadre législatif et les directives de la DA appuient l’accès à l’enregistrement de l’audience précédente, même si la nouvelle ou le nouveau membre de la DG peut finalement décider de ne pas en tenir compte.

[48] L’argument de la requérante concernant l’équité procédurale suppose le pire résultat procédural : la nouvelle ou le nouveau membre de la DG ne voudra entendre aucun nouveau témoignage. Cependant, il est impossible d’empêcher le Tribunal de rendre des décisions procédurales inappropriées, à moins d’interdire au Tribunal de rendre quelque décision que ce soit. Cela va à l’encontre de l’objectif d’un tribunal administratif. Cela contredit aussi le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, qui prévoit comment les instances devant le Tribunal doivent se déroulerNote de bas de page 29.

[49] Quel que soit le résultat d’une instance devant la DG, la partie déboutée peut demander la permission d’en appelerNote de bas de page 30. Dans certaines situations, aucune permission d’en appeler n’est requise puisqu’il existe un droit d’appel automatiqueNote de bas de page 31. Je reconnais que certaines affaires à la DG peuvent être très complexes. Elles peuvent impliquer des arguments très techniques reliés à l’interprétation des lois ou soulever des questions de crédibilité difficiles. Elles peuvent comporter des différends au sujet de l’équité procédurale. Dans de tels cas, la DG ne rend pas toujours la bonne décision. Toutefois, la DG ne peut être contournée simplement parce qu’elle pourrait commettre une erreur. La DG est l’arbitre de première instance, et elle doit s’acquitter de cette tâche même dans les affaires les plus difficiles. Il est toujours possible de demander une révision à la DA, si nécessaire.

[50] Alors que d’autres décisions de la DG n’ont qu’une force persuasive, ma conclusion est conforme à une décision de la DG de 2017 dans une autre affaire qui a été renvoyée par la DANote de bas de page 32. Dans cette affaire, la DG a accepté que la nouvelle ou le nouveau membre de la DG procède à un réexamen en écoutant l’enregistrement d’une audience précédente, en lisant la décision antérieure de la DG et en tenant une nouvelle audience uniquement pour clarifier ou compléter les éléments de preuve qui avaient déjà été présentés. Toutefois, la DG a signalé que des questions de justice naturelle, de partialité ou d’équité procédurale pourraient interférer avec cette conclusionNote de bas de page 33. Comme mentionné, je n’ai constaté aucun problème de ce genre dans le cas présent.

[51] Je vais maintenant aborder brièvement la question des autres éléments de preuve, observations ou décisions qui n’ont pas été portés à la connaissance du membre initial de la DG, mais qui ont été déposés ou produits à la DA.

4) Je ne tire aucune conclusion en ce qui concerne d’autres éléments de preuve, observations ou décisions de la DA.

[52] Les directives de la DA n’abordent pas précisément la question de savoir si le dossier devrait contenir d’autres éléments de preuve, observations ou décisions de la DA (les « autres documents de la DA »)Note de bas de page 34. Cependant, la requérante a apparemment dit [traduction] « qu’aucun élément de preuve qui n’a pas été présenté à la division générale en première instance ne devrait être examinéNote de bas de page 35 ».

[53] Il s’agit d’un cercle vicieux. Puisque je ne peux rien voir d’autre que les brèves directives de la DA, j’ignore si la requérante a abandonné cette demande et s’est concentrée sur les décisions précédentes et l’enregistrement de la DG. Cela confirme ma conclusion précédente selon laquelle la décision complète de la DA devrait être disponible.

[54] Cette question comporte également des aspects opérationnels. La pratique actuelle au Tribunal est de tout copier (y compris les autres documents de la DA) lorsqu’une affaire est renvoyée à la DG aux fins de réexamen. Cela comprend les nouveaux éléments de preuve déposés à la DA, les observations préalables aux décisions de la DA et les décisions de la DA elles‑mêmes. Cette méthode est efficace et réduit le risque d’erreur administrative de la part du personnel du Tribunal.

[55] Toutefois, comme les directives de la DA m’ont donné des indications précises et n’ont pas fait mention des autres documents de la DA, il ne convient pas que je prenne ces documents en compte dans cette décision préliminaire. Par conséquent, je n’ordonne pas que les autres documents de la DA fassent partie du dossier de cette audience de réexamen en particulier, à ce moment précis.

[56] Cela ne doit pas être considéré comme étant une décision d’exclure les autres documents de la DA en général, ni même dans le cadre de cet appel. Je fonde ma décision de ne pas les inclure pour l’instant sur les directives précises de la DA. Si les directives de la DA m’avaient enjoint de tenir compte des autres documents de la DA, j’aurais peut-être décidé qu’ils devraient aussi faire partie du dossier.

[57] Quoi qu’il en soit, comme le soulignent les directives de la DA, les parties peuvent généralement présenter à la DG les éléments de preuve supplémentaires de leur choix. Il reviendra ensuite à la nouvelle ou au nouveau membre de la DG de décider s’il faut recevoir ces éléments de preuve. Ce faisant, la nouvelle ou le nouveau membre de la DG pourrait aussi examiner les arguments des parties concernant l’apparence ou le risque de partialitéNote de bas de page 36.

Conclusion

[58] Je conclus que la décision initiale de la DG, la décision complète de la DA et l’enregistrement de l’audience initiale de la DG devraient tous faire partie du dossier d’appel.

[59] Je ne tire aucune conclusion quant à la question de savoir si d’autres éléments de preuve, observations ou décisions découlant de l’instance devant la DA devaient faire partie du dossier. Aux fins de la présente affaire, cela signifie qu’ils ne devraient pas faire partie du dossier fourni initialement à la nouvelle ou au nouveau membre de la DG. Cela ne veut pas dire que le nouveau membre de la DG ne peut pas les recevoir plus tard, si l’une des parties souhaite les présenter.

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