Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : LP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 812

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1124

ENTRE :

L. P.

Requérante

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Patrick O'Neil
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 19 août 2020
Date de la décision : Le 24 août 2020

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Décision

[1] La requérante est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) payable à compter de septembre 2017.

Aperçu

[2] Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité de la requérante le 21 août 2018. Le ministre a rejeté cette demande initialement et après révision. La requérante a interjeté appel de la décision issue de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, une partie requérante doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du RPC à la date d’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou à une date antérieure. Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations de la requérante au RPC. J’estime que la PMA de la requérante a pris fin le 31 décembre 2019.

Questions en litige

[4] Les problèmes de santé de la requérante ont-ils entraîné chez elle une invalidité grave, c’est-à-dire qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en date du 31 décembre 2019?

[5] Le cas échéant, l’invalidité de la requérante s’est-elle étendue sur une période longue, continue et indéfinie en date du 31 décembre 2019?

Analyse

[6] Une partie requérante est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une partie requérante est réputée avoir une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès. Une partie requérante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est atteinte d’une invalidité qui satisfait aux deux parties du critère. La requérante ne sera donc pas admissible à une pension d’invalidité si elle ne satisfait qu’à une seule partie du critère.

Invalidité grave

L’invalidité de la requérante était grave au 31 décembre 2019.

[7] La requérante avait 54 ans à l’échéance de sa PMA. Elle est titulaire d’un baccalauréat en arts et d’une maîtrise (en épidémiologie). Du 31 mai 2000 au 14 mars 2016, elle a travaillé au gouvernement fédéral comme conseillère principale en politiques. Elle n’a pas repris le travail depuis. Elle a cessé de travailler en raison d’une grave anxiété, d’une dépression et de l’épuisement des aidants, avec pour conséquence de la fatigue, de l’insomnie, des crises de panique et des difficultés cognitives. Depuis lors, son état ne s’est pas amélioré de manière significative, voire pas du tout. Auparavant, elle travaillait comme assistante de recherche dans un hôpital.

[8] La requérante a commencé à souffrir d’anxiété et de dépression en 2007, suite à la naissance de sa fille, au diagnostic de démence de sa mère et aux longues absences du travail de son mari. Elle n’a pas pu continuer à travailler à plein temps. Son employeur lui a permis de réduire ses jours de travail en les faisant passer de cinq à quatre, puis à trois, et l’a autorisée à travailler à partir de son domicile.

[9] Les symptômes de la requérante, notamment les crises d’anxiété quotidiennes, les multiples crises de larmes, l’épuisement physique et mental et l’insomnie, ont commencé à s’aggraver progressivement en 2014. Elle était la seule à s’occuper de ses parents âgés, et de sa fille, qui a commencé à avoir des problèmes de santé mentale en 2014 - 2015. En décembre 2015, elle n’a pas pu continuer à travailler en raison de la gravité de ses symptômes. Elle a obtenu un congé. Elle a repris le travail au début du mois de mars 2016. Elle n’a pas pu continuer à travailler au-delà du 14 mars 2016 en raison d’insomnie, de fatigue, de dépression, d’anxiété avec crises de panique et de difficultés cognitives. Elle souffre d’incontinence urinaire depuis 2016. Elle doit toujours se trouver à proximité de toilettes. Il lui est souvent arrivé de ne pas se rendre à temps aux toilettes. Aussi porte-t-elle des protège-slips.

[10] Depuis que la requérante a cessé de travailler, son traitement comprenait des médicaments contre l’anxiété, la dépression et le manque de sommeil – sans donner pour autant de résultat, mais avec des effets secondaires graves – une psychothérapie, une thérapie naturopathe, du counseling et de l’acupuncture, tout cela sans résultat notable, voire aucun. Depuis mars 2016, elle continue à souffrir d’insomnie, de fatigue et d’épuisement, de difficultés cognitives, de crises de larmes et d’incontinence urinaire. Elle était bouleversée et pleurait pendant l’audience.

[11] La requérante n’a pas travaillé ni cherché de travail, depuis son dernier jour de travail, le 14 mars 2016. Elle ne l’a pas fait, car la gravité des multiples symptômes qu’elle éprouvait au moment où elle a cessé de travailler ne s’est pas atténuée de manière significative, voire pas du tout depuis lors, malgré le suivi des recommandations du traitement. Avant qu’elle n’arrête de travailler, son employeur de longue date lui a permis de travailler selon un horaire réduit, de travailler à domicile et il lui a accordé un congé. Malgré ces aménagements, ses symptômes ont persisté, ce qui l’a empêchée de travailler en mars 2016, ou d’occuper tout emploi depuis cette date.

[12] La Dre Brisson, médecin de famille, a rédigé le rapport médical initial daté du 15 août 2018Note de bas de page 2. Elle a diagnostiqué chez la requérante un trouble dépressif majeur et une anxiété généralisée. Les antécédents médicaux pertinents comprennent un congé de travail en décembre 2015, un retour au travail au début du mois de mars 2016, une augmentation de l’anxiété et des crises de panique, et un arrêt de travail le 14 mars 2016. Malgré la psychothérapie et la pharmacothérapie, les symptômes ne se sont pas atténués. Elle ne dort pas bien, se sent épuisée, est incapable de se concentrer sur des tâches, même petites, se sent dépassée et son anxiété reste élevée. Son humeur est instable. Elle devient facilement émotive. Tous ses symptômes la rendent incapable de travailler et de se concentrer sur son travail. Elle a essayé plusieurs médicaments en 2016, sans succès. Elle n’a pas pu tolérer les effets secondaires. Étant donné la durée de sa maladie, il est peu probable que son état s’améliore de manière significative et qu’elle puisse à nouveau travailler.

[13] Le dossier clinique de la Dre Brisson concernant la visite de la requérante le 21 août 2018Note de bas de page 3 indique qu’elle pleurait lors de sa consultation, qu’elle se sentait toujours épuisée et qu’elle était incapable de travailler. Sa note clinique datée du 15 octobre 2019Note de bas de page 4  indique qu’elle pleurait dans le cabinet, et qu’elle avait du mal à s’en sortir. Elle souffre plus fréquemment d’incontinence urinaire et doit porter des protège-slips.

[14] Le Dr Dy, le médecin de famille de la requérante à l’époque, a rempli une déclaration du médecin traitant datée du 5 août 2016Note de bas de page 5. Il a recommandé qu’elle cesse de travailler le 14 mars 2016. Les symptômes pertinents comprenaient une aggravation de l’anxiété, la tristesse, l’insomnie, l’incapacité à se concentrer et le manque d’énergie, qui avaient un effet négatif sur son rendement au travail. Les symptômes se sont progressivement aggravés depuis 2015. Elle avait ressenti des symptômes similaires en décembre 2013. Elle avait alors demandé des aménagements de travail pour lui permettre de travailler à domicile. Son état la rend fatiguée, distraite et anxieuse, avec un sentiment de stress incontrôlé, des difficultés à effectuer des tâches et à interagir avec les autres. Le Dr Dy a diagnostiqué un trouble de l’adaptation, un éventuel trouble affectif grave en évolution et de l’hypertension. Elle est responsable des soins pour ses parents malades et âgés et pour son enfant. Elle a consulté un psychothérapeute pour du counseling. Elle se conforme aux recommandations de traitement. Elle aime son travail, mais n’a pas actuellement la capacité physique et émotionnelle d’exercer son travail de manière responsable.

[15] Le Dr Dy a rempli un questionnaire des troubles affectifs et psychologiques en date du 23 octobre 2016Note de bas de page 6. Des symptômes importants persistent, notamment une incapacité à se concentrer ou à rester calme, de la fatigue et des sentiments accrus de tristesse, de désespoir et de stress. La psychothérapie n’a pas été utile. La requérante est actuellement dans l’incapacité de travailler. Il a diagnostiqué chez elle un trouble affectif grave.

[16] Le rapport du Dr Dy daté du 17 février 2017Note de bas de page 7 note que les symptômes de la requérante n’ont pas changé depuis son rapport du 23 octobre 2016, et sont peut-être même pires. Son score actuel à l’évaluation globale de fonctionnement est de 35-40, un score qui indique une déficience majeure dans des domaines tels que le jugement, la pensée et l’humeur, et l’incapacité à travailler.

[17] La déclaration du médecin traitant établie par le Dr Dy le 10 mai 2018Note de bas de page 8 indique que les symptômes de la requérante n’ont pas changé depuis leur apparition au début de 2016. Le diagnostic est un trouble dépressif majeur et un trouble d’anxiété généralisée. Les complications comprennent l’absence de réponse aux médicaments et leurs effets secondaires. La requérante n’a pas encore pu consulter un psychiatre. Sa déficience psychologique est grave. Les limitations fonctionnelles comprennent l’insomnie chronique, l’anxiété grave, l’isolement, le manque d’énergie, l’incapacité à se détendre, le manque de motivation et un sentiment global de mal-être.

[18] Le Dr Dy a périodiquement signalé à l’employeur et au fournisseur d’assurance-invalidité de longue durée de la requérante qu’elle ne pouvait pas retourner au travail, notamment par des rapports datés du 13 juillet 2016Note de bas de page 9, du 28 février 2017Note de bas de page 10 et du 22 août 2017Note de bas de page 11. De nombreuses notes cliniques sur les visites de la requérante chez le Dr Dy au cours de la période du 21 janvier 2016 au 12 juin 2017Note de bas de page 12 confirment qu’elle a été vue régulièrement pour de graves symptômes d’anxiété, de dépression et de fatigue. Il a invariablement signalé qu’elle était incapable de travailler.

[19] La lettre du Dr Dy datée du 22 août 2017Note de bas de page 13 fait état du diagnostic et des symptômes de la requérante, à savoir anxiété chronique, insomnie et incapacité à travailler. Sa demande de consultation auprès du Dr O’Brien, psychiatre, datée du 31 mars 2017Note de bas de page 14, indique que la requérante est en arrêt de travail pour cause de dépression depuis mars 2016. Elle a essayé des médicaments qui se sont révélés inefficaces et mal tolérés. Elle a vu un thérapeute régulièrement. Elle souffre d’anhédonie, de manque d’énergie chronique, de crises de larmes fréquentes, de crises de panique et de manque de motivation. Elle est sur une liste d’attente pour voir un psychiatre.

[20] La requérante était un témoin crédible. J’accepte les éléments de preuve de la requérante décrivant les symptômes débilitants dont elle souffre et ses difficultés à fonctionner au quotidien depuis mars 2016. Sa déclaration ne comportait aucune indication d’exagération et les rapports médicaux n’en font pas mention non plus, ce qui, à mon avis, étaye son témoignage. Aucun de ses fournisseurs de traitement n’a suggéré que ses symptômes n’existaient pas, ou étaient exagérés, et aucun n’a suggéré qu’elle faisait de la simulation ou qu’elle était capable de travailler régulièrement depuis mars 2016.

[21] Je dois évaluer la gravité du critère dans un contexte réalisteNote de bas de page 15. Cela signifie que pour déterminer si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. La requérante était âgée de 54 ans à la date d’échéance de sa PMA; elle était donc plus jeune que l’âge normal de la retraite au Canada. Elle a un bon niveau d’instruction et maîtrise l’anglais. Elle possède des compétences transférables acquises au cours de son éducation, de ses antécédents de travail et de son expérience de vie. Je conclus que les facteurs personnels de la requérante n’ont pas affecté sa capacité résiduelle de travailler au 31 décembre 2019.

[22] Je dois évaluer l’état de santé de la requérante dans son ensemble, ce qui signifie que je dois tenir compte de toutes les déficiences possibles, et non seulement des déficiences les plus importantes ou de la déficience principaleNote de bas de page 16. Les éléments de preuve démontrent qu’elle souffrait de troubles physiques et mentaux graves et débilitants, notamment l’anxiété, la dépression, l’épuisement des aidants, l’insomnie, la fatigue, l’incontinence urinaire et de difficultés cognitives, avant d’arrêter de travailler en mars 2016. Elle s’est conformée aux recommandations du traitement, sans constater d’amélioration significative, voire aucune. Je suis convaincu que l’effet cumulatif de ses multiples troubles physiques et mentaux l’a rendue régulièrement incapable d’exercer une occupation véritablement rémunératrice depuis mars 2016. Je conclus que son invalidité est grave à partir de cette date.

[23] Lorsqu’il existe une preuve de capacité de travailler, une personne doit montrer que les efforts qu’elle a déployés pour obtenir et conserver un emploi ont été infructueux en raison de son état de santéNote de bas de page 17. Les éléments de preuve confirment que l’état de santé de la requérante ne s’est pas amélioré de manière significative, voire pas du tout, puisqu’elle n’a pas pu continuer à travailler, malgré les aménagements dont elle a bénéficié, en mars 2016. Je ne trouve aucun élément de preuve de sa capacité de travailler après mars 2016.

Invalidité prolongée

L’invalidité de la requérante était prolongée au 31 décembre 2019.

[24] Les éléments de preuve confirment que la requérante souffre d’anxiété, de dépression, de l’épuisement des aidants, d’insomnie, de fatigue et de difficultés cognitives depuis mars 2016, sans amélioration ni espoir d’amélioration. Je conclus que son invalidité va vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie et que par conséquent, elle est prolongée au 31 décembre 2019.

Conclusion

[25] La requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en mars 2016, date à laquelle elle était incapable de continuer de travailler à cause de ses problèmes multiples de santé, notés ci-dessus. Cependant, pour calculer la date du versement de la pension, la requérante ne peut être réputée invalide plus de 15 mois avant que le ministre n’ait reçu la demande de pensionNote de bas de page 18. La demande a été reçue en août 2018, ce qui fait que la date réputée d’invalidité est mai 2017. Les versements doivent commencer en septembre 2017, soit quatre mois après la date de début de l’invaliditéNote de bas de page 19.

[26] L’appel est accueilli.

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