Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : MP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 810

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-280

ENTRE :

M. P.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : George Tsakalis
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 5 août 2020
Date de la décision : Le 8 septembre 2020

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Décision

[1] M. P. est le requérant dans la présente affaire. Il a demandé une pension d’invalidité du Régime de pension du Canada (RPC) le 11 juin 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social du Canada a accueilli sa demande. Le ministre lui a accordé une pension d’invalidité avec la date maximale de rétroactivité pour le début de son invalidité, qui était en mars 2018. Le requérant a commencé à recevoir des versements de sa pension d’invalidité à compter de juillet 2018Note de bas page 1.

[2] Le requérant fait appel de la date de début du versement de sa pension d’invalidité. Il affirme qu’il est frappé d’incapacité au titre du RPC depuis juillet 2010, date à laquelle il a été jugé non criminellement responsable en raison de troubles mentaux pour diverses infractions au Code criminel qu’il a commises en juillet 2009. Le requérant souhaitait une date de début de versement de sa pension d’invalidité en 2010. Il soutient qu’il était incapable de faire une demande de pension d’invalidité du RPC avant juin 2019.

[3] Je rejette l’appel du requérant. Je suis convaincu qu’il est atteint d’un grave trouble de santé mentale, mais je conclus qu’il n’a pas été frappé d’incapacité au titre du RPC avant juin 2019.

Question en litige

[4] Le requérant était-il incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande d’invalidité avant le 11 juin 2019?

Analyse

[5] Pour répondre au critère d’incapacité du RPC, les parties requérantes doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles n’avaient pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestationsNote de bas page 2. La capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations est semblable à la capacité de former ou d’exprimer une intention en ce qui concerne d’autres choix de vieNote de bas page 3.

[6] La capacité doit être considérée à la lumière du sens ordinaire du terme puis déterminée en fonction de la preuve médicale et des activités de la personne visée. La disposition du RPC en matière d’incapacité est précise et ciblée. Elle n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations, mais seulement la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas page 4. Je dois tenir compte de la capacité du requérant à prendre des décisions.

[7] Ainsi, il me faut examiner la preuve médicale ainsi que les activités du requérant, entre la date où il prétend ne plus avoir eu la capacité de présenter une demande et la date à laquelle il a réellement présenté sa demande de pension d’invalidité, afin d’appréhender la capacité qu’il possédait, au cours de cette période, de former et d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations d’invaliditéNote de bas page 5.

[8] Dans la présente affaire, la période d’incapacité qui doit être prise en compte est de juillet 2010 (lorsque l’incapacité présumée du requérant a commencé) à juin 2019 (lorsque le requérant a demandé une pension d’invalidité du RPC).

[9] Les dispositions relatives à l’incapacité du RPC exigent également de la part du requérant qu’il démontre que, durant toute la supposée période d’incapacité, il avait été, sans discontinuer, incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande d’invalidité du RPCNote de bas page 6.

Le requérant n’a pas réussi à prouver qu’il était frappé d’incapacité au titre du RPC de juillet 2010 à juin 2019.

[10] Le requérant a déclaré qu’il a travaillé dur quand il était jeune. Il est né en 1984. Il a travaillé de 2004 à 2007 en tant que technicien informatique, en tant que responsable de l’assistance technique sur Internet et en tant que représentant commercialNote de bas page 7. Il a cependant commencé à avoir des problèmes de drogue. Il était atteint de dépression et de schizophrénie. Il a commencé à entendre des voix et à voir des choses. Il ne pouvait pas se concentrer, regarder la télévision ou lire un livre. Il a essayé de retourner à l’école après juillet 2010, mais il a trouvé cela très difficile. Il avait besoin de mesures d’adaptation de la part de ses professeurs pour réussir ses cours.

[11] Le requérant est interné dans des hôpitaux psychiatriques depuis juillet 2010. Il a déclaré qu’il n’avait pas respecté le traitement. Sa maladie s’est aggravée. Il a été transféré d’un hôpital psychiatrique de sécurité moyenne à un hôpital de sécurité maximale, où il a rencontré un bon médecin et où sa santé s’est améliorée. Il est devenu capable de faire une demande de pension d’invalidité du RPC et il a finalement été transféré dans un hôpital psychiatrique de sécurité minimale. Il a déclaré qu’il n’a pas pu faire une demande de pension du RPC avant juin 2019 en raison de sa mauvaise santé mentale. Il a également éprouvé des maux de dos après un accident de voiture.

[12] Le requérant a déclaré qu’il faisait peu de choses en termes d’activités de la vie quotidienne lorsqu’il était en mauvaise santé. Le personnel faisait sa lessive et préparait ses repas. Il était souvent confiné dans sa chambre par le personnel. Il se rasait et prenait sa douche tout seul. Des documents au dossier montrent qu’il avait fait une demande au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) en 2011, mais il n’a pas souvenir d’avoir fait cette demande. Un travailleur social a rempli la demande pour lui. Cela fait plus de dix ans qu’il ne conduit plus en raison de son état de santé. Il a été autorisé à vivre dans la communauté avec sa mère à certains moments. Cependant, il ne vit plus seul ou de façon indépendante depuis juillet 2010. Le personnel de l’hôpital psychiatrique a surveillé attentivement ses activités en lui rendant de fréquentes visites. Il ne fournissait à sa mère qu’un petit coup de main pour le ménage lorsqu’il restait chez elle. Il était autorisé à se rendre dans la communauté pour faire ses courses et s’entrainer au gym, mais uniquement sous surveillance. Il comptait sur sa mère pour gérer son argent. Il ne pouvait pas non plus consentir lui-même à un traitement. Il comptait sur sa mère pour faire les choix de traitement médical à sa place.

[13] Toutefois, je ne pense pas que les éléments de preuve présentés lors de l’audience du requérant aient démontré qu’il était frappé d’incapacité au titre du RPC de juillet 2010 à juin 2019. Certains des éléments de preuve qu’il a fournis ont permis de conclure qu’il était capable de prendre lui-même des décisions.

[14] Le requérant a déclaré qu’il avait fait appel de son internement à l’hôpital psychiatrique auprès de la Commission ontarienne d’examen. Il a affirmé qu’il délirait lorsqu’il a pris cette décision et qu’il avait été mal guidé par ses pairs lorsqu’il a fait ce choix. Toutefois, je trouve que cet incident a démontré qu’il avait la capacité de prendre des décisions.

[15] Le requérant a également obtenu son certificat d’équivalence d’études secondaires (GED) après juillet 2010. Il y est parvenu avec difficulté et grâce à des mesures d’adaptation importantes. Je pense cependant que sa présence à l’école a démontré une certaine capacité à prendre des décisions.

[16] Le requérant a également travaillé très brièvement en 2015 pour une entreprise de marketing avec l’autorisation de l’hôpital psychiatrique. Il n’a pas pu exercer ce travail en raison de son état de santé et n’a travaillé que quelques jours. Je crois cependant que cela a démontré que le requérant avait une certaine capacité à prendre des décisions.

Les dossiers médicaux ne permettent pas de conclure que le requérant a été frappé d’incapacité au titre du RPC de juillet 2010 à juin 2019.

[17] Le requérant a fourni au Tribunal des dossiers médicaux détaillés. Après avoir examiné les dossiers médicaux, je reconnais que le requérant est atteint d’une maladie mentale débilitante depuis au moins juillet 2010. La maladie mentale du requérant a eu un effet dévastateur sur sa vie. Je reconnais qu’il y a eu des moments où le requérant délirait à cause de la schizophrénie. Les délires du requérant ont affecté sa capacité à prendre des décisions à certains moments. Cependant, les dossiers médicaux ne démontrent pas que le requérant a toujours été incapable de prendre des décisions. Je suis d’accord avec les observations du ministre selon lesquelles les dossiers médicaux n’ont pas démontré que le requérant était continuellement incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande avant le jour où il a effectivement présenté la demande de prestations d’invalidité du RPCNote de bas page 8.

[18] Une psychiatre a rempli une déclaration d’incapacité pour le ministre. La psychiatre a déclaré que l’incapacité du requérant a commencé en 2009 et s’est terminée en juin 2019. Le principal problème médical à l’origine de cette incapacité était la schizophrénieNote de bas page 9. Cependant, je n’accorde pas beaucoup d’importance à ce rapport. La psychiatre n’a commencé à traiter le requérant qu’en 2018Note de bas page 10.

[19] La psychiatre a également rédigé un rapport médical pour le ministre le 13 juin 2019. Elle a noté que lorsque le requérant ne se sentait pas bien, il devenait psychotique, ce qui était accompagné de délires et d’hallucinations. Il est également devenu physiquement agressif en raison de sa schizophrénieNote de bas page 11. Cependant, après avoir examiné la preuve médicale, je constate que le requérant n’a pas toujours souffert de délires et d’hallucinations. Il y a eu des périodes où il a démontré une capacité à exercer ses activités quotidiennes, à travailler et à prendre des décisions par lui-même. Il a pu avoir des périodes d’incapacité, mais il n’a pas été frappé d’incapacité de manière continue au titre du RPC de juillet 2010 à juin 2019.

[20] Par souci de clarté, j’examinerai la preuve médicale du requérant sur une base annuelle.

De juin au 31 décembre 2010

[21] Les dossiers médicaux ont démontré que le requérant avait la capacité de prendre des décisions pendant cette période. Il a participé à des activités comme aller au gym. Il a suivi une thérapie. Il a consulté un diététicien. Il s’entrainait et jouait au billardNote de bas page 12.

Du 1er janvier au 31 décembre 2011

[22] Les dossiers médicaux ont démontré que le requérant avait la capacité de prendre des décisions en 2011. Il a participé à des sorties à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique. Il allait au gym. Il a fait des sorties sociales telles que le bingo et le bowling. Il est allé magasiner avec l’aide de membres du personnel. Il s’est conformé aux médicaments qui lui étaient prescrits. Il a été autorisé à se rendre à des rendez-vous médicaux à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique. Il a commencé à suivre un cours d’anglais de 11e année par correspondance. Il a également exprimé le souhait de présenter une demande au POSPHNote de bas page 13. Cela a démontré que le requérant avait la capacité d’exprimer l’intention de faire une demande, ce qui signifie qu’il n’était pas frappé d’incapacité au titre du RPC.

Du 1er janvier au 31 décembre 2012

[23] La santé mentale du requérant s’est détériorée en 2012. Il ne voulait pas prendre ses médicaments. Il a été jugé incapable de consentir lui-même à des traitements en novembre 2012. Il a suivi un cours d’art dans un centre de formation pour adultes. Il a eu du mal à se concentrer, mais il a fini par réussir le coursNote de bas page 14. Le requérant semble avoir eu des périodes de mauvaise santé pendant cette période, mais rien ne me permet de croire qu’il ait une incapacité continue au titre du RPC parce qu’il est allé à l’école.

Du 1er janvier au 31 décembre 2013

[24] La preuve médicale de 2013 n’a pas démontré que le requérant avait une incapacité continue au titre du RPC. Il a pris la décision de faire appel de la conclusion de novembre 2012 selon laquelle il était incapable de consentir lui-même à des traitements. Il a eu des problèmes de comportement en 2013. Il a commencé à refuser de prendre des médicaments. Il a été arrêté pour vol présumé dans un magasin d’alcool. Il avait besoin de l’aide d’un ergothérapeute pour améliorer ses compétences en matière d’achats. Cependant, il est allé à l’école en 2013 et a finalement terminé un cours d’informatique de 11e annéeNote de bas page 15.

Du 1er janvier au 31 décembre 2014

[25] La preuve médicale de 2014 n’a pas démontré que le requérant avait une incapacité continue au titre du RPC. Sa mère a été désignée comme son mandataire spécial. Toutefois, il s’est occupé de ses activités quotidiennes de manière indépendante. Il a suivi un autre cours de 11e année et l’a terminé avec une moyenne de 98 %Note de bas page 16.

Du 1er janvier au 31 décembre 2015

[26] La preuve médicale n’a pas démontré une incapacité continue au titre du RPC en 2015. Le requérant a passé du temps en dehors de l’hôpital. Il a démontré qu’il avait la capacité de préparer un plan de repas en respectant un budget. Il a fait de grands progrès en matière d’achats d’épicerie. Il a terminé son GED. Il a envisagé d’aller à l’école de coiffure avant de décider de ne pas poursuivre cette option. Il a été jugé capable de gérer ses biens. Il préparait également ses propres repas et faisait ses courses avec sa mère. Il a obtenu un emploi dans une entreprise de télémarketingNote de bas page 17. Son registre des gains indiquait un faible revenu en 2015Note de bas page 18. Cependant, le fait qu’il ait travaillé démontre qu’il avait une certaine capacité au titre du RPC.

Du 1er janvier au 31 décembre 2016

[27] Le requérant a connu une année difficile en 2016. Il a été jugé inapte à la vie communautaire en dehors de l’hôpital. Il était impulsif et faisait preuve d’un mauvais jugement. Il a quitté l’hôpital sans permission en mai 2016. Il a contesté sans succès son incapacité en matière de traitement. Sa mère a finalement retiré son consentement au traitement, et le bureau du Tuteur et curateur public a commencé à prendre ses décisions en matière de traitement. Cependant, je ne pense pas que le requérant ait eu une incapacité continue au titre du RPC en 2016. Les dossiers médicaux démontrent que son état de santé mentale a fluctué. Il n’a pas toujours été délirant. Il a également été jugé capable de gérer ses propres biensNote de bas page 19.

Du 1er janvier au 31 décembre 2017

[28] La santé du requérant s’est détériorée en 2017. Il a adopté un comportement violent et imprévisible. Il a agressé un autre patient alors qu’il était dans un état délirant. Il a dû être transféré dans un établissement de sécurité maximale. Il a toutefois fait preuve d’une certaine capacité à prendre des décisions en 2017, notamment en faisant appel d’une décision selon laquelle il était incapable de gérer ses propres traitementsNote de bas page 20.

Du 1er janvier au 31 décembre 2018

[29] L’état de santé du requérant s’est amélioré en 2018. Il a finalement été jugé capable de prendre ses propres décisions en matière de traitement en septembre 2018. Il a également été jugé capable de gérer ses biens et de consentir à la divulgation de ses renseignements personnels. Il a travaillé dans le secteur des services professionnels d’un magasin de photocopies. Il a fini par travailler dans un domaine plus qualifié où les patients perfectionnaient leurs compétences informatiques et commerciales, tout en apprenant à faire fonctionner des machinesNote de bas page 21.

Du 1er janvier au 10 juin 2019

[30] La preuve médicale a démontré que le requérant avait la capacité de prendre des décisions en 2019, avant la date de sa demande. L’état de santé du requérant s’est amélioré à tel point que ses médecins n’ont pas cru qu’il devait continuer à séjourner dans un hôpital psychiatrique de sécurité maximaleNote de bas page 22.

Être jugé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux en vertu du Code criminel n’équivaut pas à avoir une incapacité au sens du RPC.

[31] Au titre du Code criminel, « [l]a responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvaisNote de bas page 23 ».

[32] Le critère permettant de conclure qu’une personne est non criminellement responsable au titre du Code criminel est un critère très précis qui est axé sur l’état mental de l’accusé au moment de l’infraction criminelle présuméeNote de bas page 24.

[33] Le fait qu’un tribunal ait jugé le requérant non criminellement responsable en juillet 2010 ne signifie pas pour autant qu’il était frappé d’incapacité au sens du RPC. La conclusion selon laquelle il était non criminellement responsable aurait été fondée sur son état mental au moment où il a commis des infractions pénales en juillet 2009. Je ne suis pas lié par cette conclusion, car je dois me concentrer sur la question de savoir si le requérant a démontré, durant toute la supposée période d’incapacité, qu’il avait été, sans discontinuer, incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. La preuve n’a pas permis de soutenir une telle conclusion.

Conclusion

[34] L’appel est rejeté.

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