Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : HB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 928

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-87

ENTRE :

H. B.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Shannon Russell
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 25 août 2020
Date de la décision : Le 14 septembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante est admissible à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) payables à compter de juillet 2018.

Aperçu

[2] La requérante est âgée de 58 ans. Elle a cessé de travailler en tant que préposée aux services de soutien à la personne en mars 2018 pour des raisons médicales. Elle a présenté une demande de prestations d’invalidité en janvier 2019. Dans sa demande, elle a précisé qu’elle était incapable de travailler à cause de ses vertiges, de ses étourdissements et de sa perte d’équilibre. Le ministre a rejeté la demande initialement et après révision. La requérante a interjeté appel de la décision découlant de la révision au Tribunal de la sécurité sociale.

Conditions d’admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC

[3] Pour être admissible aux prestations d’invalidité du RPC, la requérante doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, la requérante doit être réputée invalide au sens du RPC au plus tard à la date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). La PMA est calculée selon les cotisations de la requérante au RPC. J’estime que la PMA de la requérante prendra fin le 31 décembre 2020.

[4] Une invalidité est définie comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. Toute personne doit prouver que, selon la prépondérance des probabilités, son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Autrement dit, si elle ne satisfait qu’à un seul volet, la personne n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Question en litige

[5] Je dois décider si la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

Analyse

Invalidité grave

La requérante a des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travail

[6] La preuve révèle que la requérante a des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travail.

[7] La requérante a déclaré qu’elle s’était réveillée tôt un matin en mars 2018 avec des vertiges, des étourdissements et des vomissements. Ses symptômes étaient si graves que sa petite-fille de 7 ans (qui passait la nuit chez elle) a appelé le 911. La requérante a dit que sa vie avait changé ce jour-là.

[8] Depuis mars 2018, la requérante a constamment des vertiges, des étourdissements, une perte de l’équilibre, des nausées et des vomissements. Elle a aussi l’impression d’avoir le cerveau embrumé. Elle sent que ses symptômes se sont aggravés depuis mars 2018 : ses crises sont devenues plus fréquentes et plus graves. Elle s’est déjà blessée en tombant à cause de ses symptômes. Par exemple, le 1er août 2020, elle a fait une chute et s’est blessée aux côtes.

[9] La requérante a expliqué que certains jours sont mieux que d’autres. La nature imprévisible de son état lui fait peur, car elle ne sait jamais quand une crise peut survenir.

[10] La requérante est limitée dans ses activités. Son nouveau petit fils de 10 mois vient de s’ajouter à la famille, mais elle ne peut pas prendre soin de lui. Elle a besoin d’aide pour s’occuper d’elle même. Elle quitte rarement sa demeure par crainte d’avoir une crise. Elle avait l’habitude d’être surnommée [traduction] « H. B., le boute-en-train », mais maintenant, elle essaie juste de survivre.

[11] Je vais maintenant me pencher sur la preuve médicale. Celle-ci appuie l’existence de limitations fonctionnelles qui nuisent à la capacité de travail de la requérante.

[12] En octobre 2018, la requérante a dit à son médecin de famille de l’époque, Dre Mana Jahromi, qu’elle éprouvait des symptômes tous les jours. Elle n’arrivait pas à regarder vers le haut et vers le bas, ni à s’asseoir sans avoir des étourdissements, des vomissements et des vertiges. Elle avait également du mal à garder l’équilibre. La Dre Jahromi a discuté avec la requérante au sujet de sa conduite automobile, et la requérante a promis de ne pas prendre le volant avant d’en savoir plus sur son état de santéNote de bas de page 2.

[13] Le 30 octobre 2018, la Dre Jahromi a rapporté qu’en raison de ses étourdissements, de ses vertiges et de sa perte d’équilibre, la requérante a de la difficulté à accomplir ses tâches quotidiennes et à dormirNote de bas de page 3.

[14] En novembre 2018, la requérante a consulté le Dr Robertson, otorhinolaryngologiste. Lors de cette consultation, la requérante a expliqué que ses vertiges se déclenchaient par des changements de position sporadiques, comme lorsqu’elle se levait ou se couchait, se penchait ou regardait vers le haut. La requérante a aussi constaté des problèmes d’intolérance aux mouvements avec la tête et un déséquilibre généralisé, surtout lorsqu’elle descendait les escaliers ou essayait de grimper une échelle. La requérante a décrit des sensations de rotation, de perte d’équilibre, d’ivresse, de nausée et de brouillard mentalNote de bas de page 4.

[15] En février 2019, la Dre Jahromi a dirigé la requérante vers le Dr Jason Archibald, otorhinolaryngologiste, pour un examen de ses vertiges chroniques. Dans sa lettre de recommandation, la Dre Jahromi a expliqué que les symptômes de la requérante étaient [traduction] « débilitants » et que la requérante ne travaillait et ne conduisait pas. Elle a aussi expliqué que la requérante avait d’autres symptômes, dont des nausées, lorsqu’elle tentait d’attraper un objet au-dessus de sa têteNote de bas de page 5.

[16] En avril 2019, la requérante a dit à la Dre Jahromi que ses vertiges [traduction] « apparaissaient tout d’un coup ». Elle a rapporté avoir des maux de tête, une sensation d’avoir la tête pleine, une perte de l’équilibre, des troubles de l’humeur, une sensation de tristesse et de la peurNote de bas de page 6.

Les examens objectifs ne sont pas des facteurs déterminants

[17] Le ministre soutient que les examens objectifs de la requérante n’appuient pas une conclusion d’invalidité totale. À titre d’exemple, le ministre renvoie à une imagerie par résonnance magnétique (IRM) de la tête de la requérante, réalisée en mai 2018, qui ne révèle aucun signe de lésion, d’anomalie structurelle ou de blessure aiguëNote de bas de page 7.

[18] Je reconnais que l’IRM n’a rien révélé d’extraordinaire, mis à part une petite hétérogénéité de l’hypophyseNote de bas de page 8. Toutefois, ce n’est pas une raison pour conclure que l’invalidité de la requérante n’est pas grave. Les conclusions objectives ne permettent pas de mesurer toutes les invalidités. Qui plus est, aucun des spécialistes de la santé au dossier n’a laissé entendre que la requérante exagérait ou feignait ses symptômes ni que ceux-ci ne correspondaient pas à une maladie otorhinolaryngologique.

La requérante n’a pas pu se permettre certains médicaments

[19] Le ministre soutient que les problèmes de santé de la requérante peuvent être traités et que la requérante peut suivre un traitement pour améliorer son état. À ce propos, le ministre souligne que le Dr Lam a recommandé des exercices de rééducation vestibulaire à la requérante pour ses vertiges. Il a expliqué que le meilleur traitement pour la décompensation vestibulaire est la physiothérapie et la rééducation de l’équilibreNote de bas de page 9.

[20] J’ai demandé à la requérante si elle avait essayé la physiothérapie et la rééducation de l’équilibre, et elle a dit que non. Elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas se permettre les programmes. J’estime que cette explication est valable. La requérante m’a dit qu’elle vivait seule et qu’elle ne percevait donc aucun autre revenu de ménage. Elle m’a également dit que ses finances étaient telles qu’elle avait dû déménager de son condo pour s’installer dans un appartement et qu’elle avait dû vendre son véhicule. En ce qui concerne la vente de son véhicule, la requérante a expliqué qu’elle avait cessé de conduire (pour des raisons liées à son invalidité) et qu’il n’était plus logique de continuer à payer une assurance-automobile.

[21] La requérante a déclaré qu’elle avait essayé les exercices que lui avait recommandés le Dr Lam, mais ceux-ci ne l’ont pas aidée. Elle a également joint un groupe de soutien en ligne pour les personnes atteintes de la maladie de Ménière, et elle a essayé les exercices que lui ont recommandés les membres du groupe. Toutefois, ceux-ci n’ont rien donné non plus.

L’accent n’est pas mis sur le diagnostic médical

[22] Le ministre soutient que le problème de santé de la requérante (maladie de Ménière) provoque des symptômes tout à fait aléatoires et ne rend pas la requérante totalement invalide et incapable d’occuper [traduction] « tout type d’emploi ». Le ministre ajoute que le principal problème avec la maladie de Ménière concerne la sécurité. Par conséquent, même si la maladie peut empêcher la requérante d’occuper certains types d’emploi, elle ne l’empêcherait pas de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[23] Il y a deux choses qui me posent problème avec l’argument du ministre.

[24] Premièrement, l’argument du ministre semble être axé sur le diagnostic. Ce n’est pas la bonne approche pour décider si l’invalidité est grave. C’est la capacité de travailler d’une partie demanderesse et non le diagnostic qui détermine la gravité de l’invaliditéNote de bas de page 10. De plus, le spécialiste de la requérante (Dr Archibald) a expliqué que les effets de la maladie de Ménière ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Il a précisé que la maladie couvre un large éventail de possibilités en ce qui concerne la gravité des symptômes, la fréquence des crises et le pronosticNote de bas de page 11.

[25] Deuxièmement, le ministre a utilisé une définition plus stricte du terme « grave » que celle énoncée dans le RPC. Une partie requérante n’est pas tenue de montrer qu’elle est incapable d’occuper [traduction] « tout type d’emploi ». Elle n’est pas non plus tenue de montrer qu’elle ne peut pas détenir [traduction] « une occupation véritablement rémunératrice ». Le critère consiste plutôt à savoir si la partie requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

La requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice

[26] Il y a probablement certains jours où la requérante pourrait être en mesure de travailler. Toutefois, il y a aussi des jours où cela ne serait pas possible.

[27] Malheureusement, les symptômes de la requérante sont imprévisibles. Cela signifie que la requérante ne peut pas prédire les bonnes et les mauvaises journées. Il s’agit d’un problème du point de vue de l’employabilité, car la requérante ne pourrait pas assurer à l’employeur toute l’assiduité dont il aurait besoin.

[28] L’incapacité de travailler de la requérante est aussi constanteNote de bas de page 12. Il ne s’agit pas d’un cas où, par exemple, la partie requérante ne présente aucun symptôme d’étourdissements, de vertiges et de perte d’équilibre pendant de longues périodes. Toute capacité de travail résiduelle serait constamment interrompue par une invalidité.

[29] Je dispose d’une preuve médicale pour appuyer une conclusion selon laquelle l’invalidité de la requérante la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[30] En juillet 2020, le Dr Archibald a rapporté que la requérante est aux prises avec une maladie de Ménière présumée du côté gauche depuis mars 2018 et qu’elle a des [traduction] « crises invalidantes régulières » de vertiges depuis l’apparition de la maladie. Il a expliqué que les épisodes surviennent aux deux semaines, qu’ils durent pendant des heures et qu’ils sont accompagnés de nausées et de vomissements. Il a ajouté que les crises provoquent souvent des symptômes persistants de perte d’équilibre et d’instabilité pendant quelques jours. Plus important encore, le Dr Archibald a conclu que la maladie de la requérante est la cause de son [traduction] « invalidité majeure » et que le caractère imprévisible de ses vertiges l’empêche de travaillerNote de bas de page 13.

[31] Il convient d’accorder du poids à l’avis du Dr Archibald. Premièrement, il est un médecin spécialiste dans le domaine lié à l’invalidité de la requérante. Deuxièmement, aucun autre rapport au dossier ne contredit l’avis du Dr Archibald.

[32] Le ministre souligne que le Dr Archibald a rapporté que la requérante avait une dose élevée de bétahistine (Serc) de prescrite, ce qui a récemment permis de soulager ses symptômes. Le ministre soutient que cela signifie que les problèmes de santé de la requérante sont traités et gérés de manière efficace.

[33] Je reconnais que le Dr Archibald a rapporté que la requérante prend actuellement une dose élevée de bétahistine et que cela a permis de soulager ses symptômes dernièrementNote de bas de page 14. Le Dr Archibald n’a pas expliqué le genre d’amélioration que la requérante avait constaté ni ce qu’il voulait dire par « dernièrement ». Cela étant dit, je ne vois pas comment le commentaire du Dr Archibald peut laisser entendre que les problèmes de santé de la requérante sont traités et gérés de manière efficace. Comme je l’ai mentionné précédemment, le Dr Archibald a conclu que la maladie de la requérante donne lieu à une [traduction] « invalidité majeure » et que le caractère imprévisible de ses vertiges la rend incapable de travailler. De plus, j’ai demandé à la requérante quelle est sa dose actuelle de Serc, et elle m’a répondu qu’elle prend 16 mg, trois fois par jour. C’est la même posologie que ce qu’elle a rapporté en décembre 2018Note de bas de page 15. Il ne semble donc pas que la requérante ait augmenté sa dose le jour ou à peu près au moment où le Dr Archibald a rédigé son dernier rapport.

[34] Afin d’évaluer la capacité de travail de la requérante, j’ai dû examiner son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie. En tenant compte de ces facteurs, je m’assure d’évaluer le critère relatif à la gravité dans un contexte réalisteNote de bas de page 16.

[35] Je reconnais que les caractéristiques personnelles de la requérante ne sont pas susceptibles de nuire à son employabilité. La requérante est âgée de 58 ans; elle se rapproche de la retraite. Toutefois, elle maîtrise au moins une des deux langues officielles du Canada. Elle est également bien instruite : elle détient un diplôme d’études secondaires et un diplôme d’études collégialesNote de bas de page 17. Enfin, elle possède des années d’expérience en tant que préposée aux services de soutien à la personne et aide-enseignante.

[36] Malgré les atouts favorables de la requérante à l’employabilité, je suis incapable de conclure qu’elle a la capacité de travailler. La nature imprévisible et débilitante de ses crises la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Invalidité prolongée

[37] En juillet 2018, le Dr Allen Lam, otorhinolaryngologiste, a rapporté que les étourdissements de la requérante s’étaient [traduction] « énormémentNote de bas de page 18 » estompés. Cela semble impressionnant. Toutefois, cette déclaration ne devrait pas être considérée de manière isolée.

[38] Premièrement, les commentaires du Dr Lam semblent avoir été faits dans le contexte de l’expérience survenue en mars 2018, alors que la requérante avait au moins une semaine d’étourdissements constants, accompagnés de nausées et de vomissements. Deuxièmement, d’autres rapports au dossier, datés de juillet 2018, montrent que l’invalidité persiste.

[39] En octobre 2018, la Dre Jahromi a rapporté que le pronostic de la requérante était inconnu. Elle a déclaré que les symptômes de la requérante ne s’étaient pas beaucoup améliorés depuis mars 2018, date à laquelle la requérante avait été hospitalisée pour des étourdissementsNote de bas de page 19.

[40] En juillet 2020, le Dr Archibald a rapporté que le pronostic des personnes atteintes de la maladie de Ménière est imprévisible, car l’évolution de la maladie elle-même est imprévisible. Il a expliqué que la maladie peut durer assez longtemps, mais qu’elle disparaît chez la plupart des personnes au fil du temps sans traitement (dans 70 à 80 % des cas sur une période de sept ans). Il a dit qu’il appuyait la demande de prestations d’invalidité de longue durée de la requérante jusqu’à ce qu’il soit en mesure de mieux contrôler ses symptômesNote de bas de page 20.

[41] Étant donné que le Dr Archibald a rédigé son rapport plus de deux ans après l’apparition de la maladie et qu’il est incapable de prédire quand les symptômes débilitants pourraient disparaître, il est raisonnable de conclure que l’invalidité de la requérante est d’une durée longue, continue et indéfinie.

Conclusion

[42] La requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Son invalidité est devenue grave et prolongée en mars 2018, date à laquelle la requérante a cessé de travailler. Les versements doivent commencer quatre mois après la date de l’invaliditéNote de bas de page 21, soit en juillet 2018.

[43] L’appel est accueilli.

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