Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – Incapacité – Incapacité d’exprimer l’intention de présenter une demande –
La mère du requérant a d’abord demandé une pension d’invalidité du RPC au nom de son fils en 2000, mais le ministre a refusé cette demande. En 2017, le frère du requérant a présenté une nouvelle demande en son nom. Cette fois, le ministre a accepté la demande au motif que le requérant était devenu invalide en décembre 1997. Le ministre a également établi que le requérant satisfaisait au critère relatif à l’incapacité et a réputé sa demande comme présentée en juillet 2013. Le requérant a fait appel de cette décision du ministre devant la division générale (DG) pour contester la date à laquelle il rencontrait le test d’incapacité. La DG a accueilli l’appel et établi que le requérant était devenu invalide en juin 2000. Elle a également réputé sa demande comme présentée en 2013, car selon la preuve médicale, il était incapable à ce moment-là. Les deux parties ont interjeté appel devant la division d’appel (DA).

La DG a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le requérant était devenu invalide en 2000, plus de deux ans après sa période minimale d’admissibilité (PMA). Il s’agit d’une erreur car on ne peut pas toucher une pension d’invalidité si on devient invalide après sa PMA.

La DG a également eu tort de limiter son analyse à la preuve médicale lorsqu’elle a établi le moment auquel le requérant a satisfait au critère d’incapacité. Un requérant n’a pas à continuer à consulter des médecins ou à demander des traitements pour un problème de santé qui ne peut pas être amélioré. L’ensemble de la preuve démontre que le requérant était incapable de faire la plupart de ses activités à la fin des années 1990. Il ne pouvait ni prendre de rendez-vous, ni faire des appels téléphoniques, ni conduire une voiture, ni obtenir du travail ou gérer ses finances. Sa famille a présenté une première demande de pension d’invalidité en 2000. Par conséquent, la DA a accueilli l’appel et conclu que le requérant était incapable à ce moment-là. Elle a réputé la demande comme ayant été présentée en 2000 et ordonné le paiement en fonction de cette date.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c K. K., 2020 TSS 795

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-691

ENTRE :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Appelant

et

K. K.

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Valerie Hazlett Parker
DATE DE LA DÉCISION : Le 21 septembre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La décision que la division générale aurait dû rendre est rendue. Le requérant était invalide en 1997. Il était incapable de façon continue de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à compter de juin 2000. La demande de pension d’invalidité est réputée avoir été présentée à ce moment-là.

[3] Le versement de la pension d’invalidité commence en juillet 1999.

Aperçu

[4] K. K. (requérant) a subi un traumatisme crânien en 1971 lors d’un accident de motocyclette et un autre traumatisme crânien en 1978. Malgré cela, il a occupé des emplois non qualifiés jusqu’en 1996. Il réside aujourd’hui dans un établissement de soins de longue durée.

[5] La mère du requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada au nom du requérant en 2000. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (appelé ainsi à partir de la date de la décision) a rejeté la demande.

[6] Le frère du requérant a présenté cette demande de pension au nom du requérant en 2017. Le ministre a accueilli cette demande au motif que le requérant était devenu invalide en décembre 1997. Il a également décidé que le requérant répondait au critère relatif à l’incapacité du Régime de pensions du Canada et a considéré la demande comme ayant été présentée en juillet 2013.

[7] Le requérant a fait appel de la décision du ministre concernant la date à laquelle il a satisfait au critère relatif à l’incapacité devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a accueilli l’appel. Elle a décidé que le requérant était devenu invalide en juin 2000 et a considéré sa demande comme ayant été présentée en février 2013 parce qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande à ce moment-là.

[8] Les deux parties ont présenté une demande de permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler a été accordée parce que l’appel avait une chance raisonnable de succès au motif que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que le requérant était devenu invalide en 2000.

[9] J’ai maintenant lu les observations écrites des parties et entendu les arguments relatifs à l’appel. J’ai également lu les documents présentés au Tribunal et écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale. L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le requérant était devenu invalide en septembre 2000. Elle a également commis une erreur de droit en analysant uniquement la preuve médicale pour décider du moment où le requérant a satisfait au critère relatif à l’incapacité. La décision que la division générale aurait dû rendre est rendue. Le requérant est devenu incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en juin 2000. La demande est réputée avoir été présentée à ce moment-là.

[10] Le versement de la pension d’invalidité commence en juillet 1999.

Questions en litige

[11] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit ou omis d’assurer un processus équitable lorsqu’elle a décidé que le requérant était devenu invalide en 2000?

[12] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’analysant pas les éléments de preuve, y compris ceux relatifs aux activités du requérant, lorsqu’elle a décidé du moment où il est devenu invalide?

[13] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur au moins une des erreurs de fait importantes suivantes :

  1. Elle n’a pas reconnu qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le requérant présentait une incapacité en 2000.
  2. Elle a déduit qu’une absence de traitement des problèmes cognitifs signifiait que le requérant n’avait pas d’incapacité;
  3. Elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve médicale non contestée à l’appui d’une incapacité.

Analyse

Un appel devant la division d’appel du Tribunal n’est pas une nouvelle audience de la demande initiale. La division d’appel doit plutôt décider si la division générale a :

  1. négligé d’offrir un processus équitable;
  2. omis de trancher une question qu’elle aurait dû trancher ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. commis une erreur de droit;
  4. fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

Les moyens d’appel des parties sont examinés ci-dessous dans ce contexte.

Date de début de l’invalidité

[14] Pour être invalides au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), une personne doit prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée avant la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). La date de fin de la PMA du requérant est le 31 décembre 1997. Cependant, la division générale a décidé que le requérant était invalide en 2000, soit plus de deux ans après la fin de sa PMA.

[15] Il s’agit d’une erreur de droit. Une personne ne peut pas recevoir une pension d’invalidité si elle devient invalide après la fin de sa PMA.

[16] L’appel doit être accueilli pour ce motif.

Analyser uniquement la preuve médicale

[17] Les articles sur l’incapacité du RPC prévoient que lorsqu’une demande de prestation est faite et que le ministre est convaincu que la personne était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, le ministre peut réputer cette demande avoir été faite à une date antérieureNote de bas de page 2.

[18] La Cour d’appel fédérale a décidé que la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à une requérante ou à un requérantNote de bas de page 3. De plus, les rapports médicaux et la preuve des activités du requérant sont essentiels pour tirer une telle conclusionNote de bas de page 4.

[19] Cela est exposé correctement dans la décision de la division généraleNote de bas de page 5. Celle-ci indique que la mère du requérant a présenté une demande de pension d’invalidité au nom de celui-ci en 2000, mais qu’elle n’a pas fait appel du rejet du ministre en raison de la stigmatisation qu’elle craignait être associée au fait de recevoir cette pensionNote de bas de page 6. Cette conclusion ne porte pas sur le critère juridique relatif à l’incapacité.

[20] La décision résume également les éléments de preuve concernant les activités quotidiennes du requérant, notamment les faits suivants :

  1. le requérant a travaillé jusqu’en 1996; il a travaillé dans une ferme et sur un terrain de golf, sous étroite surveillance, en accomplissant des tâches qui ne nécessitaient pas d’indépendance d’esprit;
  2. le requérant n’a pas conduit après 1971;
  3. le requérant n’avait pas de compte bancaire et n’était pas en mesure de gérer ses finances;
  4. le requérant éprouvait de la difficulté à utiliser une télévision avant 2013;
  5. Le requérant pouvait répondre au téléphone, mais il n’était pas en mesure de faire un appel téléphonique;
  6. Le requérant ne pouvait pas sortir seul, y compris pour se rendre à ses rendez-vous médicaux;
  7. La sœur du requérant a rempli les formulaires pour lui afin qu’il puisse obtenir des prestations d’invalidité de l’OntarioNote de bas de page 7.

Cependant, la division générale n’a pas analysé les éléments de preuve concernant les activités du requérant. Dans la décision, aucune conclusion n’est tirée de ces éléments, et aucune explication n’est donnée pour ne pas y avoir accordé de poids. En fait, dans la décision, il est écrit ce qui suit :

J’estime que la preuve médicale et documentaire a certainement démontré que le requérant avait de graves problèmes médicaux. Cependant, la preuve médicale et documentaire n’a pas démontré que le requérant avait une incapacité au sens du RPC avant février 2013Note de bas de page 8.

Le fait que la division générale n’ait pas analysé les éléments de preuve non médicale est une erreur de droit. L’appel est également accueilli sur ce motif.

Autres questions

[21] Le requérant soutient également que la division générale a fondé sa décision sur un certain nombre d’erreurs de fait importantes. Cependant, puisque j’ai décidé que la division d’appel doit intervenir pour les motifs énoncés ci-dessus, je n’ai pas besoin d’examiner ces arguments.

Réparation

[22] La division d’appel peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre lorsqu’elle accueille un appel. Il s’agit de la réparation appropriée dans ce cas-ci puisque :

  1. Le dossier est complet;
  2. La preuve ne comporte pas de lacunes;
  3. Les deux parties demandent à la division d’appel de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre;
  4. La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que le Tribunal peut décider des questions de droit et de fait nécessaires pour conclure un appelNote de bas de page 9;
  5. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale exige que l’instance se conclue de la manière la plus expéditive que l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 10;
  6. Cet appel a commencé en 2017. Un délai supplémentaire s’ajouterait si l’affaire était renvoyée à la division générale pour réexamen.

Le requérant était invalide en 1997

[23] Les parties ont convenu que le requérant était invalide en 1997 avant la fin de sa PMA.

[24] Le requérant a eu un tragique accident de motocyclette en 1971 et est resté dans le coma pendant environ trois mois. Il est retourné au travail après son rétablissement. Malheureusement, en 1978, il est tombé d’une camionnette et s’est à nouveau blessé à la tête. Après cette blessure, le requérant a habité avec sa mère jusqu’à ce qu’il soit transféré dans un établissement de soins de longue durée. Il n’a pas pu travailler après 1996, lorsque l’agriculteur qui le supervisait étroitement est décédé. Aucun autre employeur n’a voulu embaucher le requérant pour des raisons de sécurité sur les lieux de travail.

[25] Somme toute, la preuve démontre que le requérant était atteint d’une invalidité en 1997.

Le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en 2000

[26] La position juridique du requérant est qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité à partir de juin 2000 (lorsque sa mère a présenté une première demande de pension en son nom) sans interruption jusqu’à ce que la demande soit faite en 2017.

[27] Il est difficile de satisfaire au critère juridique relatif à l’incapacité. Pour être déclaré incapable, le requérant ne doit pas nécessairement être en mesure de remplir et de préparer une demande, mais il doit être incapable de former ou d’exprimer l’intention de le faire. Cette intention est la même que l’intention de faire autre chose. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner la preuve médicale ainsi que la preuve relative aux activités de la personne pendant la période pertinente.

[28] Il n’y a aucune preuve médicale concernant l’état cognitif du requérant en 2000 ou autour de cette date. Cela ne nuit pas à la cause judiciaire du requérant. Il est clair qu’il a subi deux blessures importantes à la tête. La preuve médicale déposée auprès du Tribunal concernant l’accident de motocyclette en 1971 prouve cela. L’état de santé du requérant n’était pas censé changer de manière importante avec le temps ou un traitement.

[29] Le requérant était autrement en bonne santé physiqueNote de bas de page 11. Par conséquent, il n’avait aucune raison de consulter un professionnel de la santé. Une requérante ou un requérant n’est pas tenu de continuer à demander un avis médical ou un traitement pour un problème de santé qui ne peut pas être amélioré. Par conséquent, je ne tire aucune conclusion négative de l’absence de preuve médicale au moment où le requérant dit être devenu incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande.

[30] La majeure partie des éléments de preuve médicale déposés auprès du Tribunal concerne l’état de santé du requérant en 2013. À cette époque, le requérant présentait des troubles de la démarche, des problèmes d’incontinence et une diminution accrue de ses fonctions cognitivesNote de bas de page 12. Un traitement a été tenté, et le requérant a quitté l’hôpital pour un centre de réadaptation. Lorsque le requérant a quitté cet établissement, ses capacités physiques s’étaient améliorées dans une certaine mesure. Cependant, cela ne démontre pas que le requérant a retrouvé des capacités cognitives ni qu’il était alors capable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande.

[31] J’accorde beaucoup de poids au témoignage de D. K. Il est le frère du requérant. Il a été en contact avec son frère au fil des ans. Il a livré un témoignage franc et sans détour. Il n’a aucun intérêt direct dans l’issue de cette procédure. Le ministre n’a pas contesté sa preuve.

[32] D. K. a déclaré que les capacités cognitives du requérant ont commencé à décliner environ dix ans après l’accident, et qu’au milieu des années 1980 ou au début des années 1990, le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Il a donné des exemples des limitations du requérant, lesquelles sont énumérées précédemment.

[33] D. K. a également témoigné au sujet du travail du requérant après ses accidents. Il a affirmé que le requérant travaillait pour un membre de sa famille dans une ferme, effectuant des tâches qu’il connaissait bien pour y avoir travaillé lorsqu’il était adolescent. Ces tâches étaient simples et ne nécessitaient pas qu’il conduise ou utilise des outils électriques. Par exemple, le requérant nourrissait le bétail et pelletait le fumier. Le requérant n’était pas en mesure de faire preuve de jugement, même pour décider de la prochaine tâche à accomplir une fois la tâche terminéeNote de bas de page 13.

[34] Le travail du requérant sur la ferme a pris fin en 1996 lorsque l’agriculteur est décédé et que le propriétaire suivant n’a pas voulu superviser étroitement le requérant. Celui-ci a alors essayé d’occuper un emploi comportant des tâches non qualifiées sur un terrain de golf et de travailler dans la lutte contre les incendies. Ces postes ont été de courte durée en raison de préoccupations concernant la sécurité sur les lieux de travail, et le manque de jugement du requérantNote de bas de page 14.

[35] Les revenus du requérant, tel qu’ils figurent sur son registre des gainsNote de bas de page 15, confirment ses antécédents professionnels limités. Il a versé des cotisations minimales au régime après l’accident. Il n’a versé aucune contribution après 1996, date à laquelle il a cessé de travailler à la ferme.

[36] Lorsque l’on considère la preuve dans son ensemble, celle-ci démontre que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire la plupart des choses à la fin des années 1990. Par exemple, il ne pouvait pas prendre de rendez-vous, faire un appel téléphonique ou gérer ses finances. Il ne vivait pas de manière indépendante. Il ne conduisait pas et il ne pouvait pas se trouver un travail.

[37] Il est difficile de cerner exactement le moment où le requérant est devenu à ce point incapable. Je m’appuie sur le témoignage de D. K. selon lequel la capacité du requérant a progressivement diminué à partir d’environ dix ans après son accident. La famille du requérant a présenté sa première demande de pension d’invalidité en juin 2000. Je suis convaincue que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à ce moment-là.

[38] Aucun des éléments de preuve ne démontre que le requérant a retrouvé sa capacité à former ou à exprimer l’intention de faire une demande. Par conséquent, le requérant a été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité à partir de juin 2000 jusqu’à ce que sa famille le fasse en son nom en 2017. Par conséquent, la demande est réputée avoir été présentée en juin 2000.

Conclusion

[39] L’appel est accueilli.

[40] Le requérant était invalide en décembre 1997.

[41] La demande est réputée avoir été présentée en juin 2000. Toutefois, une requérante ou un requérant ne peut être déclaré invalide plus de 15 mois avant le dépôt d’une demande. Par conséquent, le requérant est réputé invalide à compter de mars 1999.

[42] Le versement de la pension d’invalidité commence quatre mois après que la personne soit devenue invalide. Le versement de la pension d’invalidité commence en juillet 1999Note de bas de page 16.

 

Date de l’audience :

Le 10 septembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

D. K., représentant de l’appelant

Viola Herbert, représentante de l’intimé

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