Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : J. P. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 791

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-666

ENTRE :

J. P.

Appelant
(Requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé
(Ministre)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Neil Nawaz
DATE DE LA DÉCISION : Le 18 septembre 2020

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] Le requérant est un ancien opérateur d’équipement lourd qui travaillait dans les champs pétrolifères de l’Alberta jusqu’à ce qu’il subisse une blessure au dos en 2014. Il a tenté de réintégrer son emploi régulier à plusieurs reprises, mais ne se sentait plus en mesure d’effectuer du travail physique. X, son employeur, lui a donné un emploi de bureau, mais il a continué à se sentir inconfortable malgré ses médicaments antidouleurs. Il a éventuellement décidé de retourner vivre dans sa province d’origine, au Nouveau-Brunswick, où il a tenté de travailler notamment comme cuisinier, comme traiteur et comme réparateur d’ordinateurs.

[3] En juin 2016, le requérant a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), prétendant qu’il ne pouvait plus travailler en raison de douleurs chroniques au dos et de la dépression. Le ministre a rejeté sa demande parce qu’à son avis, le requérant n’avait pas montré qu’il avait une invalidité « grave et prolongée » pendant sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui a pris fin le 31 décembre 2016.

[4] Le requérant a porté en appel la décision du ministre de rejeter sa demande devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. En juillet 2018, la division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel, concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves médicales démontrant que le requérant était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la fin de sa PMA. Plus précisément, la division générale a conclu que le requérant n’avait pas prouvé que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été vaines en raison de son état de santéNote de bas de page 1.

[5] Le requérant a porté cette décision en appel devant la division d’appel du Tribunal, soutenant que la division générale avait commis diverses erreurs. Une de mes collègues de la division d’appel a accordé la permission d’en appeler parce qu’à son avis, la division générale n’avait pas adéquatement analysé les mois de travail de bureau qu’avait fait le requérant pendant qu’il était toujours en Alberta. Elle a ensuite examiné la preuve au dossier et a remplacé la décision de la division générale par la sienne, concluant que le requérant était invalide en date du 31 décembre 2016.

[6] Le ministre s’est tourné vers la Cour d’appel fédérale et lui a demandé d’examiner la décision de la division d’appel. Le 29 mai 2020, la Cour a conclu que la décision de la division d’appel n’était pas raisonnable et a ordonné de l’annuler. La Cour a renvoyé l’affaire à la division d’appel aux fins de réexamen.

[7] Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une autre audience pour discuter des questions soulevées par le requérant lorsqu’il a initialement présenté sa demande de permission d’en appeler. Maintenant, après avoir entendu les observations des deux parties, j’ai conclu que la décision de la division générale doit être maintenue.

Questions en litige

[8] Le requérant soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a rendu sa décision :

  • Elle a omis de tenir compte de ses problèmes de santé dans leur ensemble. Bien que la division générale ait tenu compte de la preuve liée à son diagnostic de dépression et de trouble de l’adaptation, elle n’a pas tenu compte de ces problèmes de santé en combinaison avec ses maux de dos.
  • Elle n’a pas adéquatement examiné son travail de bureau chez X et a conclu de façon erronée qu’il n’avait pas tenté d’occuper un emploi sédentaire.

[9] Je dois déterminer si ces allégations sont fondées.

Analyse

[10] Il n’existe que trois moyens d’appel devant la division d’appel. Une partie requérante doit montrer que la division générale a agi de façon inéquitable, qu’elle a mal interprété la loi ou qu’elle a fondé sa décision sur une importante erreur de faitNote de bas de page 2.

[11] J’ai conclu qu’aucun des motifs invoqués par le requérant pour son appel ne justifie d’infirmer la décision de la division générale. Voici mes motifs.

Question en litige n1 : La division générale a-t-elle omis de tenir compte de l’état de santé du requérant dans son ensemble?

[12] Le requérant soutient que la division générale a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’impact cumulatif de ses symptômes et déficiences, allant à l’encontre des orientations de la Cour d’appel fédérale dans une affaire appelée BungayNote de bas de page 3. Le requérant reconnaît que la division générale a fait référence aux principes soulevés dans Bungay dans sa décision, mais il soutient qu’elle a ensuite évalué ses problèmes de santé physique et psychologique séparément, plutôt que d’examiner leurs effets combinés sur sa capacité à travailler.

[13] J’ai attentivement examiné les observations du requérant. À mon avis, l’approche adoptée par la division générale en analysant la preuve était cohérente avec Bunguay.

[14] Comme le souligne le requérant, les tribunaux ont confirmé que le critère pour l’invalidité au sens du RPC peut être satisfait grâce à une combinaison de détériorations physiques et psychologiques – même dans les cas où chaque problème de santé ne serait pas considéré comme étant « grave » individuellement. Bungay affirme que l’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction, mais qu’elle doit plutôt être évaluée à la lumière de l’ensemble des circonstances, y compris l’état de santé global de la partie requérante, et donc, toutes les détériorations qui pourraient avoir une incidence sur son employabilité, et pas seulement les « principales » ou les « plus importantes ».

[15] Dans sa décision, la division générale a fait allusion à ce principeNote de bas de page 4 et a ensuite analysé les rapports médicaux qu’elle considérait comme les plus pertinents. Je suis d’accord avec le requérant qu’il ne s’agit pas de faire correctement allusion à la loi et qu’il faut également l’appliquer de façon adéquate. Toutefois, en l’espèce, je ne vois aucune erreur dans l’évaluation de l’état de santé du requérant par la division générale.

[16] La division générale s’est certainement concentrée sur les douleurs au dos du requérant, mais simplement parce que la grande partie des documents au dossier étaient également centrés sur ses douleurs au dos. La majorité des preuves médicales disponibles – y compris les deux rapports orthopédiques, les nombreuses mises à jour de physiothérapie, et les nombreuses imageries par résonnance magnétique et les nombreux rayons X – concernaient exclusivement la blessure médullaire du requérant et les traitements qu’il a reçus pour ce problème de santé. Les seuls documents médicaux relatifs à la santé mentale du requérant étaient le questionnaire médical du RPC de la Dre Robichaud, qui indiquait que le requérant avait des [traduction] « symptômes de dépression associés à la perte de l’ensemble de ses fonctionsNote de bas de page 5 » et les deux rapports psychiatriques du Dr Agyapong, dans lequel il diagnostiquait un [traduction] « trouble de l’adaptation avec humeur dépressive découlant de facteurs de stress médicaux et sociaux » au requérantNote de bas de page 6.

[17] La Dre Robichaud, à titre de médecin de famille du requérant, était bien placée pour évaluer son patient dans son ensemble, et a vraisemblablement tenu compte de sa santé mentale lorsqu’elle a émis un [traduction] « faible » pronostic, invoquant le caractère chronique de son problème de santé et sa réponse limitée aux traitements. Parallèlement, le Dr Agyapong était au courant des problèmes de santé physique du requérant lorsqu’il a décrit l’humeur du requérant comme étant [traduction] « objectivement bonne » et qu’il l’a confié aux soins de la Dre Robichaud.

[18] Je conclus que, dans la mesure où la Dre Robichaud et le Dr Agyapong ont pris en considération l’ensemble de l’état de santé du requérant, la division générale l’a également fait lorsqu’elle a par la suite examiné leurs rapports. Le requérant n’est peut-être pas d’accord avec les conclusions que la division générale a tirées à partir de ces rapports, mais on ne peut pas dire qu’elle les a ignorés ou mal interprétés. La division générale, dans son rôle de juge des faits, dispose d’une certaine marge de manœuvre dans sa façon de soupeser la preuve. En l’espèce, la décision de la division générale comprend ce qui m’apparaît être un résumé raisonnablement complet du dossier médical du requérant, ainsi qu’une analyse qui aborde de façon pertinente ses problèmes de santé physique et psychologique en date de la PMA et dans le contexte de ses caractéristiques individuelles. Bref, je suis convaincu que la division générale a tenu compte de l’ensemble des caractéristiques du requérant et qu’elle n’a pas examiné ses diverses affections de façon isolée.

Question en litige n2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle le requérant n’a pas essayé d’occuper un emploi sédentaire?

[19] Les parties requérantes qui demandent des prestations d’invalidité doivent montrer qu’elles ont raisonnablement tenté de demeurer dans la population active. Selon une décision importante appelée Inclima, lorsqu’il existe une preuve de la capacité à travailler d’une personne, celle-ci doit montrer que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été vaines en raison de son état de santéNote de bas de page 7.

[20] Le requérant soutient que la division générale a erronément conclu qu’il n’avait pas tenté d’occuper un emploi sédentaire. Plus précisément, il n’est pas d’accord avec la conclusion de la division générale selon laquelle sa seule tentative de retourner au travail était à titre de cuisinier, un poste qui n’était pas adéquat pour ses capacitésNote de bas de page 8. Le requérant soutient qu’il s’agit d’une erreur parce qu’elle a ignoré son emploi de bureau chez X, qu’il a occupé pendant un certain temps à travailler malgré la douleur et à faire de soi-disant [traduction] « tâches modifiées ».

[21] Après avoir examiné le dossier, je considère que cette observation est sans fondement. Lorsque la Cour d’appel fédérale a accepté la demande d’examen judiciaire du ministre, elle a fourni des orientations sur la manière dont le Tribunal devait appliquer le principe d’Inclima. En l’espèce, la division générale a examiné l’emploi de bureau du requérant chez X pour évaluer ses démarches pour trouver un autre emploi, mais pas pour évaluer sa capacité résiduelle à travailler. La Cour a affirmé, contrairement à l’avis du membre de la division d’appel qui était initialement saisi de l’affaire, que le moment où la division générale a tenu compte des activités professionnelles du requérant après ses blessures n’importait peu, tant qu’elle en avait effectivement tenu compte.

[22] On ne peut pas dire que la division générale n’était pas au courant de l’emploi de bureau du requérant chez X, puisqu’elle en a fait explicitement mention dans sa décision :

[traduction]

On lui a ensuite attribué un poste « sans tâche » au bureau de X, où il faisait très peu de travail, sans travail par quart, selon des heures régulières de bureau, à raison de cinq jours par semaine. Ainsi, il n’était pas en mesure de rentrer chez lui à Moncton très souvent, ce qui nuisait à son humeur.

Selon mes observations, ce passage montre précisément ce que le requérant a dit à la division générale lors de l’audience. Il a affirmé qu’il avait cessé de prendre des médicaments antidouleurs et qu’il ne pouvait pas faire son travail de bureau chez X sans ceux-ci. Toutefois, la division générale avait la prérogative de soupeser le témoignage du requérant par rapport à la preuve des médecins. Dans sa décision, la division générale a justement fait cela, écrivant ce qui suit : [traduction] « Je reconnais le témoignage du requérant concernant ses limitations fonctionnelles. Toutefois, ses médecins ne l’empêchent pas de faire des tâches plus légères et sédentairesNote de bas de page 9. » Il n’y a pas d’erreur dans ce passage.

[23] Bien que le requérant a témoigné qu’il souffrait de douleurs même lorsqu’il était assis devant un ordinateur, il a aussi été clair quant au fait qu’il a démissionné de chez X, pas seulement en raison de sa santé, mais aussi parce que son emploi de bureau le privait d’occasions de retourner dans sa province d’origine. La division générale, comme juge des faits, était dans son droit de conclure que les tentatives du requérant d’occuper un emploi de bureau avaient été vaines pour des raisons autres que son état de santé.

[24] Le requérant soutient également que la division générale a ignoré la conclusion de la Dre Robichaud, dans sa note clinique du 24 août 2014, selon laquelle il avait essayé d’occuper un emploi de bureau, mais qu’il était incapable de rester assis pendant de longues périodes en raison de l’augmentation de ses douleurs au dosNote de bas de page 10. Bien que la division générale n’a pas explicitement fait référence à cette note clinique, comme preneuse de décision, elle est présumée avoir tenu compte de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance, et elle n’est pas tenue de faire mention de chacun des éléments de preuve en expliquant ses motifs. Cela étant dit, la division générale a en effet abordé le questionnaire médical du RPC de mai 2016 de la Dre Robichaud dans sa décision et elle savait que la Dre Robichaud était la médecin de famille du requérant depuis août 2014Note de bas de page 11. En rendant sa décision, la division générale était au courant de la déclaration de la Dre Robichaud selon laquelle la division générale [sic] avait tenté d’occuper un emploi de bureau, mais était incapable de rester en position assise pendant de longues périodes en raison de l’augmentation de ses douleurs au dos. Je ne vois aucune raison de croire que la division générale a omis de tenir compte de cette affirmation lorsqu’elle a conclu que l’invalidité du requérant n’était pas grave et prolongée.

Conclusion

[25] Pour les motifs énoncés ci-dessus, le requérant ne m’a pas démontré que la division générale a commis une erreur qui correspond aux moyens d’appel qu’il est possible d’invoquer.

[26] L’appel est donc rejeté.

Date de l’audience :

Le 2 septembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

J. P., appelant
Duncan Allison, représentant de l’appelant
Marcus Dirnberger, représentant de l’intimé

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