Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : WL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1188

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1773

ENTRE :

W. L.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Carol Wilton
Représentante de la requérante : Krystal Lee
Date de l’audience par téléconférence : Le 22 juillet 2020
Date de la décision : Le 15 septembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] La requérante avait 56 ans lorsqu’elle a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC en mars 2019. Le dernier emploi qu’elle a occupé (2010-2019) était celui d’adjointe administrative dans un hôpital. En février 2017, elle s’est blessée à la cheville droite alors qu’elle installait un plafonnier à la maison. Elle a déclaré avoir été incapable de travailler depuis janvier 2019 en raison d’une douleur chronique aigüe à la cheville droite. Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. La requérante a porté en appel la décision issue de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Le ministre soutient que la requérante a conservé une capacité de travailler et qu’elle n’a pas tenté de trouver un autre emploi.

[4] Au sens du RPC, une personne est invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une personne a une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle dure vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinie.

[5] Pour que la requérante ait gain de cause, elle doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle soit devenue invalide avant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Sa PMA, la date à laquelle elle doit prouver qu’elle était invalide, est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 2. Elle prendra fin le 31 décembre 2021. Étant donné que cela est après la date de l’audience, je dois décider si elle était invalide à la date de l’audience.

Questions en litige

[6] Les problèmes de santé de la requérante ont-ils entraîné une invalidité grave, de sorte qu’elle soit régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice?

[7] Dans l’affirmative, son invalidité est-elle d’une durée longue, continue et indéfinie?

Invalidité grave

[8] Pour décider si les problèmes de santé d’une personne sont graves, je dois examiner chaque problème qui pourrait avoir une incidence sur son employabilitéNote de bas de page 3.

[9] Pour avoir gain de cause, une partie requérante doit fournir des éléments de preuve médicale objective de son invalidité en date de sa PMA (dans cette affaire, la date de l’audience)Note de bas de page 4.

L’invalidité de la requérante nuit à sa capacité de travailler

Le témoignage de la requérante

[10] La requérante a déclaré qu’elle a toujours de la douleur. Le niveau de douleur est toujours de 7-10/10, où 10 est la plus grande douleur imaginable. Son état de santé a continué de se détériorer.

[11] En raison de douleur névralgique, elle est incapable de marcher pendant plus de vingt minutes. Si elle porte son attelle, elle ne peut pas marcher aussi loin parce qu’elle lui donne des douleurs au genou. Elle peut déplacer son poids vers le côté gauche de son corps, mais elle développe une sciatique après quelques heures. Elle doit monter les escaliers de côté, une marche à la fois. Lorsqu’elle est active, elle ressent une douleur au pied qui se projette vers le haut de la colonne vertébrale jusqu’aux tissus cicatriciels sous son bras. De là, la douleur descend de son bras jusqu’au coude, et si elle est trop active, elle est incapable de mettre du poids sur son pied par la suite. Elle doit rester au lit pendant des jours. Cela s’est produit trois fois lorsqu’elle travaillait encore. Maintenant, elle connaît les signes et limite ses activités.

[12] La requérante a déclaré que lorsqu’elle s’assoit, elle doit garder son pied surélevé. Elle est incapable de s’asseoir dans une chaise de bureau, même ergonomique, pendant plus d’une demi-heure, car cela lui donne mal aux bras et elle doit s’allonger. Elle est généralement allongée ou assise sur un fauteuil inclinable avec des coussins pour obtenir du support. Elle ne peut pas conduire plus d’une vingtaine de minutes avant d’avoir une sensation de brûlure. Elle a des rampes dans sa cabine de douche pour pouvoir garder l’équilibre.

[13] La requérante a déclaré qu’elle avait essayé la physiothérapie, mais que sa couverture d’assurance était limitéeNote de bas de page 5. Elle a consulté un chirurgien orthopédiste, qui lui a recommandé une botte plâtrée. Elle n’a pas été capable de la tolérer longtemps. Elle a consulté un chiropraticien. Rien n’a amélioré l’état de sa cheville, et son pied a aussi commencé à lui faire mal. Elle a développé une douleur névralgique. Elle a essayé le Lyrica (pour la douleur névralgique), mais elle a dû cesser d’en prendre à cause d’effets secondaires indésirablesNote de bas de page 6. La requérante a déclaré qu’en général elle est intolérante aux analgésiques. En juillet 2017 et en juillet 2018, elle a refusé des analgésiques oraux recommandés par des spécialistesNote de bas de page 7. Elle prend un relaxant musculaire (Robaxacet) et utilise un onguent topique. En août 2020, la Dre Jarratt a signalé que la requérante obtenait un soulagement partiel avec des [traduction] « analgésiques réguliersNote de bas de page 8 ».

[14] La requérante a déclaré qu’elle n’avait pas essayé d’utiliser un dispositif d’aide à la mobilité, comme un fauteuil roulant ou un triporteur. Dans un cas comme dans l’autre, il faudrait qu’elle s’assoie et qu’elle fasse entrer et sortir l’appareil de son véhicule, ce qui serait difficile. Elle n’utilise ni canne ni marchette, et rien n’indique dans la preuve médicale qu’un professionnel de la santé lui ait recommandé de tels dispositifs d’aide à la mobilité.

[15] La requérante a déclaré qu’elle se réveille de dix à vingt fois par nuit à cause d’une sensation de brûlure. Elle se lève et prend un médicament qui cause de la somnolence pour pouvoir se rendormir. Elle est toujours fatiguée. Elle a de la difficulté à se concentrer sur des tâches difficiles. Elle est irritable et pleure facilement.

[16] La requérante a déclaré que sa capacité d’accomplir les tâches ménagères est limitée. Son mari fait la plupart d’entre elles, y compris la majorité de l’épicerie. Elle arrive parfois à faire une brassée de lavage. Son mari prépare les ingrédients pour le souper et elle prépare le repas, mais après une demi-heure debout, elle doit s’asseoir avec un sac de glace. Elle ne fait rien qui l’oblige à être active pour le reste de la soirée. Ses amis ont cessé de l’inviter à leurs activités parce qu’elle ne sait jamais si elle se sentira assez bien pour y aller. Sa vie se limite à gérer sa douleur.

La preuve médicale n’appuie pas entièrement le témoignage de la requérante

[17] Personne ne conteste le fait que la requérante a des douleurs chroniques à la cheville droite. La Dre Mary Jarratt, médecin de famille de la requérante, et deux physiatres ont tous conclu la même choseNote de bas de page 9. Jusqu’au début de 2020, la preuve médicale portait sur la douleur au pied et à la cheville de la requérante. Par exemple, en février 2020, la Dre Bossé a signalé que la requérante décrivait sa douleur comme étant principalement localisée sur le talon et au côté extérieur de son pied. Elle se projetait aussi dans sa cheville. Lors d’un examen, elle avait une amplitude de mouvement normale dans sa cheville, mais une certaine sensibilité à cet endroit et dans son pied. Elle n’a signalé aucune douleur au bas du dos. La Dre Bossé était d’avis que la requérante avait une blessure aux tissus mous à la cheville droite et qu’elle continuait d’avoir de la douleur chroniqueNote de bas de page 10.

[18] Toutefois, en août 2020, la Dre Jarratt a indiqué que, depuis 2017, la douleur de la requérante avait progressé et s’était propagée à différentes parties de son corps. Elle avait développé une sciatique qui s’étendait vers le haut du dos jusqu’à son cou et à ses épaules, et qui descendait le long de ses bras. La requérante avait maintenant de la difficulté à utiliser ses bras, ses jambes et le haut de son dosNote de bas de page 11.

[19] Dans le même ordre d’idée, les rapports médicaux jusqu’au début de 2020 inclusivement décrivaient les limitations fonctionnelles de la requérante dans le contexte de ses problèmes au pied et à la cheville. En février 2020, la Dre Bossé a signalé que la requérante marchait très lentement, et boitait sur le côté droit. Celle-ci a déclaré qu’elle pouvait marcher très lentement pendant 45 minutes, par exemple pour faire l’épicerie. La requérante a également affirmé qu’elle devait s’asseoir en position inclinée à la maison, le pied bien appuyésur un tabouret ou un coussin. À cause de sa douleur au pied, elle était incapable de conduire sur de longues distancesNote de bas de page 12.

[20] En mars 2020, la Dre Jarratt a déclaré que la requérante n’avait pas de restrictions physiques particulières, mais que sa capacité physique était limitée par ses symptômes de douleur. Sa douleur l’avait empêchée de marcher sur de longues distances au travail. De plus, son syndrome de douleur chronique nuisait à la plupart des activités récréatives et des tâches courantes de la vie, comme les tâches ménagères et faire les coursesNote de bas de page 13.

[21] Toutefois, en août 2020, la Dre Jarratt a déclaré que la requérante se sentait difficilement à l’aise même en position assise ou allongée. Elle était incapable de s’asseoir à une table ou à un bureau pendant plus de quelques minutes à la fois, et sa capacité de s’occuper d’elle-même était limitée. Elle avait développé une dépression en raison du changement profond de sa qualité de vie et de la probabilité que son état ne s’améliore pasNote de bas de page 14.

[22] J’accorde très peu d’importance au compte rendu d’août 2020 de la Dre Jarratt sur l’état physique et les limitations fonctionnelles de la requérante. Le rapport de la Dre Jarratt n’indiquait pas qu’elle avait vu la requérante ou effectué un examen physique récent. Elle n’a pas déclaré avoir elle-même constaté l’aggravation de l’état de santé de la requérante depuis son rapport de mars 2020. Tout le monde sait que depuis mars 2020, la plupart des médecins de famille ont parlé à leurs patients au téléphone à cause de la COVID-19. Si ce n’était pas le cas, je me serais attendue à ce que la Dre Jarratt le dise. De plus, il n’y a aucune preuve médicale de sciatique se propageant dans les bras de la requérante, et rien n’indique qu’elle prend des médicaments contre la dépression ou qu’elle a été aiguillée vers un professionnel de la santé mentale pour un traitement. Il n’est pas évident que le rapport d’août 2020 de la Dre Jarratt soit une « preuve objective » qui reflétait un avis médical plutôt qu’un compte rendu des symptômes de la requérante.

Mes constatations

[23] Les rapports médicaux ne fournissent aucune preuve objective que la requérante a de la difficulté à rester assise et aucune preuve de douleur qui se projette dans son dos, son cou, ses épaules et ses bras. La seule preuve de troubles du sommeil est son rapport au Dr A. Alugo, spécialiste de la douleur, selon lequel elle dormait huit heures par nuit, mais que son sommeil était interrompuNote de bas de page 15.

[24] La requérante a déclaré que, pendant qu’elle travaillait encore, elle avait de la difficulté à se rendre du stationnement à son bureau sans ressentir de la douleur. Elle avait de la difficulté à garder l’équilibre en hiver. Au bureau, elle a compté sur ses collègues pour les tâches qui l’obligeaient à marcher, comme obtenir les feuilles de temps ou livrer le courrier.

[25] Je reconnais que la requérante avait des douleurs au pied et à la cheville, qui limitaient sa capacité d’effectuer des activités qui l’obligeait à soulever un poids. Je reconnais également qu’elle ne peut pas garder son pied droit au sol toute la journée, comme elle l’a dit dans sa demande de prestations du RPCNote de bas de page 16. Je conclus donc que l’état de santé de la requérante nuit à sa capacité de travailler.

La requérante n’a pas prouvé qu’elle n’a pas la capacité régulière de détenir une occupation véritablement rémunératrice

[26] L’aptitude au travail est la principale mesure de l’invalidité grave au sens du RPC Note de bas de page 17.

[27] La requérante a déclaré qu’elle avait fait beaucoup d’efforts pour continuer à travailler après sa blessure de février 2017. Elle se couchait dès qu’elle arrivait à la maison. Elle manquait beaucoup de journées de travail. Elle a utilisé tous ses congés annuels, puis elle a pris des congés non payés. En juillet 2017, la requérante a dit à la Dre Amelia Barry, physiatre, qu’elle avait pris de plus en plus de congés lorsqu’elle était retournée au travail après sa blessure de février 2017Note de bas de page 18. Il s’agit de la seule preuve documentaire d’absences importantes du travail.

[28] La requérante a déclaré qu’elle n’avait pas essayé de trouver un autre emploi et qu’elle serait incapable de faire un travail sédentaire, même de la maison. Il lui faudrait s’asseoir dans une chaise. Elle ne pourrait pas faire suffisamment d’heures. Elle ne serait pas une employée fiable parce qu’elle ne peut pas planifier son temps. Elle ne pourrait pas occuper un emploi pour un centre d’appels à partir de chez elle parce qu’elle ne peut plus gérer des gens en colère. Elle a trop de douleur pour se concentrer sur les problèmes des autres.

[29] Afin de décider si les problèmes de santé de la requérante étaient graves, je dois adopter une approche « réaliste » et tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vieNote de bas de page 19. La requérante a 57 ans, ce qui pourrait limiter ses possibilités d’emploi. Toutefois, elle est anglophone et détient de nombreuses années d’expérience de travail à titre d’adjointe administrative. Ainsi, elle possède des compétences transférables.

[30] Les rapports médicaux appuient la conclusion selon laquelle la requérante serait en mesure d’effectuer un travail sédentaire. En mars 2019, la Dre Jarratt a déclaré que la requérante ne pouvait pas faire un travail où elle serait debout pendant plus de 25 % du temps. Elle a déclaré qu’elle ne l’avait pas mise en arrêt de travailNote de bas de page 20.

[31] En mars 2020, la Dre Jarratt a déclaré que la requérante n’avait pas de restrictions physiques particulières, mais que sa capacité physique était limitée par ses symptômes de douleur. Ces symptômes signifiaient qu’elle ne pouvait effectuer que du travail de bureau sédentaire, qui devait se faire dans un milieu très précis ou idéalement à la maison. Les perspectives de retour au travail étaient excellentes. Elle pourrait peut-être travailler si elle décidait d’utiliser un fauteuil roulant. Toutefois, les effets psychologiques d’une telle mesure seraient profondsNote de bas de page 21.

[32] En août 2020, la Dre Jarratt a déclaré que, compte tenu des limitations fonctionnelles de la requérante, elle ne voyait pas comment elle pourrait retourner au travail. Comme il a été mentionné précédemment, cette opinion ne repose pas sur des preuves médicales objectives. La Dre Jarratt a également déclaré que les problèmes de santé de la requérante étaient graves et prolongésNote de bas de page 22. Toutefois, il appartient au Tribunal, et non à une ou un médecin, d’établir si l’état de la requérante satisfait aux exigences du caractère grave du RPCNote de bas de page 23.

[33] Il existe des preuves médicales à l’appui d’une conclusion selon laquelle la requérante a conservé sa capacité de travailler. Toutefois, elle n’a pas tenté de retourner au travail ou de trouver un autre emploi depuis janvier 2019. Elle ne satisfait donc pas à l’exigence de démontrer que les efforts déployés pour obtenir et conserver un emploi ont échoué en raison de son état de santéNote de bas de page 24.

[34] Je ne suis pas convaincue que la requérante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[35] Par conséquent, je conclus que la requérante n’a pas démontré qu’il est plus probable que le contraire que son invalidité était grave.

Invalidité prolongée

[36] Puisque j’ai conclu que la requérante n’avait pas d’invalidité grave, je ne suis pas tenue de me prononcer sur le caractère prolongé de l’invalidité.

Conclusion

[37] L’appel est rejeté.

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