Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RJ c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 988

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1248

ENTRE :

R. J.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Pierre Vanderhout
Requérant représenté par : Robert Spencer
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 16 septembre 2020
Date de la décision : Le 1er octobre 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) payable à partir de juillet 2019.

Aperçu

[2] Le requérant a travaillé en production pour une brasserie. Il a été congédié le 17 octobre 2017pour des raisons indépendantes de sa santé. Cependant, il a commencé à avoir des problèmes de vision en décembre 2017. Peu de temps après, il a reçu un diagnostic de tumeur de l’hypophyse. La tumeur a été partiellement enlevée en septembre 2018. Ses problèmes de santé ont pris de l’ampleur et comprennent maintenant maux de tête, fatigue et dépression chroniques. Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité du requérant le 1er octobre 2018. Le ministre a rejeté la demande initialement et après révision. Le requérant a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, le requérant doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, il doit être déclaré invalide au sens du RPC au plus tard à la date marquant la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). La PMA est établie en fonction des cotisations du requérant au RPC. J’estime que la PMA du requérant prend fin le 31 décembre 2020. Afin que l’appel soit accueilli, le requérant doit être jugé invalide à la date de l’audience ou avant celle-ci.

Question préliminaires

[4] Le ministre n’a présenté le document GD4 que le 1er septembre 2020, soit environ deux semaines avant l’audience. Cependant, le document GD4 n’était qu’une version mise à jour des cotisations du requérant au RPC. Ce document confirmait que le requérant n’avait pas versé de nouvelles cotisations et que sa PMA demeurait inchangée. Le requérant a eu la possibilité d’examiner le document GD4 avant l’audience et ne s’y est pas opposé. Par conséquent, j’ai décidé d’ajouter le document GD4 comme élément de preuve.

Questions en litige

[5] Le requérant était-il atteint d’une invalidité grave au moment de l’audience ou avant celle-ci?

[6] Dans l’affirmative, l’invalidité du requérant était-elle également prolongée à la date de l’audience?

Analyse

[7] Une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeFootnote 1. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. La partie requérante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité répond à ces deux critères. Cela signifie que si la partie requérante ne satisfait qu’à l’un des critères, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Le requérant était-il atteint d’une invalidité grave au moment de l’audience?

[8] Pour les raisons énoncées dans les paragraphes qui suivent, j’estime que le requérant était atteint d’une invalidité grave depuis mars 2019.

[9] Je dois évaluer l’état de santé du requérant dans sa totalité, ce qui signifie que je dois tenir compte de toutes les déficiences possibles, et non pas uniquement de celles qui sont les plus importantes ou les principalesFootnote 2. Cela est important, car le requérant a des inquiétudes quant à sa santé physique et mentale.

[10] Je dois également évaluer le volet du critère relatif à la gravité dans un contexte réalisteFootnote 3. Ainsi, pour décider si l’invalidité du requérant est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. Le requérant avait 57 ans à la date de l’audience. Il a terminé une douzième année et s’exprime parfaitement en anglais. Il a travaillé en production pour une brasserie pendant près de dix ans. Il devait veiller à ce que les chaînes de production soient alimentées en bouteilles vides. Avant cela, il a travaillé pendant environ 18 ans sur des chaînes de production exigeantes sur le plan physique chez un fabricant de roues de camion, et six ans dans un entrepôt pour une entreprise de vêtements. Il y a très longtemps, il a également acquis de l’expérience dans la cuisson de hamburgers chez A&W et du dénombrement physique des inventaires chez General Motors. Indépendamment de son état de santé, il serait apte à effectuer un travail de production ou d’entreposage modérément exigeant (mais pas hautement qualifié). Comme il a terminé ses études il y a environ quarante ans, un travail qui nécessiterait une formation importante ne lui conviendrait pas.

Capacité de travail actuelle du requérant

[11] Le requérant a déclaré qu’il n’a pas cherché de travail parce qu’il ne voit pas bien, qu’il a des maux de tête et qu’il est fatigué à cause de ses problèmes de testostérone.

[12] Bien que l’œil droit du requérant soit fonctionnel depuis l’opération, il ne peut voir que de façon périphérique de l’œil gauche. Comme il sollicite son œil droit davantage que son œil gauche, il souffre de maux de tête et d’engourdissement au visage. Ses maux de tête sont constants et peuvent atteindre une intensité de 5/10. Il est sensible à la lumière (en particulier aux ampoules DEL) et porte des lunettes de soleil. Fermer les yeux l’aide également à soulager ses maux de tête. Lorsque la douleur s’intensifie, il a du mal à faire certaines choses. Il perd sa concentration et se laisse distraire. Il retrouve sa concentration lorsque la douleur s’estompe.

[13] Le requérant est constamment fatigué à cause de ses problèmes hormonaux, même si on lui fait des injections hebdomadaires. Dans le passé, il se sentait bien quand il était occupé, mais il ne ressent plus ce sentiment. Il n’a ni volonté ni motivation. Il peut dormir pendant neuf heures, mais il a l’impression de ne pas avoir dormi du tout. Il essaie de rester éveillé et de s’occuper. Il lui faut plus de temps pour faire les choses et il peut être amené à s’asseoir avant de pouvoir continuer. Il pense qu’il a perdu de la masse musculaire, et tout lui semble lourd. Il ressent une faiblesse particulière dans ses mains et ses bras. Bien qu’il ait perdu 25 livres depuis l’opération, il pèse encore 325 livres. Ses mains sont enflées.

[14] Le requérant essaie d’aider sa femme dans les tâches ménagères, car elle travaille également en dehors de la maison. Il est lent et ne peut pas déplacer les choses pour faciliter le nettoyage. Il s’épuise à monter ou descendre les escaliers lorsqu’il porte le linge à laver. Il va parfois faire les courses, mais il a besoin de quelqu’un pour l’aider à soulever les articles. En raison de sa fatigue constante, il ne peut pas effectuer de tâches longtemps. Il est fatigué après avoir parcouru un demi-pâté de maisons à pied. Il est mieux assis, debout ou couché. Il a du mal à se motiver pour acquérir des connaissances : il se sent engourdi et déprimé.

[15] Le Dr Vo (médecin de famille) et le Dr Van Uum (endocrinologie) ont tous deux récemment suggéré une consultation psychiatrique. Le requérant n’a pas encore reçu de counseling spécialisé. Il affirme que ses symptômes dépressifs sont toujours présents, bien qu’il ne soit pas suicidaire. Il ressent une envie de pleurer. J’ai trouvé que le requérant était assez triste et résigné lors de l’audition.

[16] Les doléances du requérant sont conformes aux rapports médicaux les plus récents. En mai 2019, le Dr Vo a déclaré qu’il avait toujours des symptômes chroniques à la tête, aux oreilles, à propos de son moral (dépression), de sa vision (perte) et de son état de santé généralFootnote 4. En mars 2019, le Dr Vo a déclaré qu’il continuait à se sentir [traduction] « physiquement et émotionnellement diminué » après l’opération. Il avait des problèmes persistants à l’œil gauche, des problèmes à l’oreille gauche, des problèmes hormonaux, des maux de tête, et se sentait mal de façon générale. Il restait préoccupé par sa récente opération. Le Dr Vo a constaté que le requérant était limité sur le plan fonctionnel en raison de ses problèmes chroniquesFootnote 5.

[17] Également en mars 2019, le Dr Ward (neurochirurgie) a déclaré que le requérant avait une vision floue de l’œil gauche, des maux de tête, un engourdissement au visage et de récentes infections de l’oreille. Le requérant a déclaré qu’il se sentait fatigué et mal la plupart du temps. Son niveau de testostérone était encore très bas, malgré un traitement hormonalFootnote 6.

[18] Sur la base des éléments de preuve et du comportement du requérant, ainsi que de la preuve documentaire la plus récente, j’estime qu’il n’avait aucune capacité pour travailler à partir de mars 2019 au moins jusqu’à la date de l’audience. La combinaison de sa fatigue, de son humeur dépressive et de ses maux de tête est incompatible avec tout effort physique soutenu. Cependant, il a besoin de faire de tels efforts dans le cadre d’un travail pour lequel il est qualifié. À mon avis, étant donné qu’il peut encore conduire, ses problèmes de vision sont moins importants. Je vais maintenant examiner à quel moment le requérant a perdu sa capacité de travail.

Quand le requérant a-t-il perdu sa capacité de travail?

[19] Le requérant ne se trouvait pas sans capacité de travail de façon continue depuis qu’il a cessé de travailler en 2017. Son congédiement semble sans rapport avec sa santé : la brasserie l’a congédié avant que son problème de vision ne se manifeste pour la première fois.

[20] Je note que le requérant a reçu des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) du 1er janvier 2018 au 19 septembre 2018Footnote 7. Lors de l’audience, il a admis avoir cherché du travail pendant cette période pour être admissible aux prestations régulières d’AE. La législation sur l’AE exige qu’une partie bénéficiaire des prestations régulières soit « capable de travailler et disponible à cette fin ». Même si le fait que le requérant a reçu des prestations régulières d’AE n’est pas déterminant en soi, je peux l’examiner avec les autres éléments de preuveFootnote 8.

[21] Les problèmes et symptômes signalés par le requérant à l’époque n’étaient pas aussi étendus qu’ils le sont aujourd’hui. Dans un questionnaire daté du 19 septembre 2018, il a déclaré que sa perte de vision était la raison pour laquelle il ne pouvait pas travailler. À cette époque, ses seules limitations fonctionnelles étaient de ne pas voir de l’œil gauche, de ne pas pouvoir soulever de charges de plus de neuf kilogrammes, de ne pas pouvoir se pencher plus bas que la ceinture et de ne pas pouvoir conduire. Il n’avait aucun problème pour s’asseoir, se tenir debout, marcher, entendre, parler, se souvenir, atteindre, se concentrer, dormir, satisfaire ses besoins personnels, respirer, assurer les travaux ménagers ou utiliser les transports publicsFootnote 9. Il n’a pas mentionné les maux de tête, les troubles de l’humeur ou la fatigue, qui contribuent tous à son manque de capacité de travail aujourd’hui.

[22] Les éléments de preuve médicale de cette époque suggèrent également que les maux de tête, la fatigue et l’humeur étaient moins importants à ce moment-là. Alors que le rapport du 20 septembre 2018 de la Dre Saadaldeen (médecin de famille) mentionne la fatigue, son rapport évoque également l’opération du 7 septembre au futurFootnote 10. Cela suggère que le rapport de la Dre Saadaldeen n’était pas tout à fait à jour. Les rapports médicaux d’octobre font état d’une amélioration de la vision et d’une diminution de la fatigue et des maux de têteFootnote 11. En novembre, le Dr Proulx (ophtalmologie) a constaté un « remarquable rétablissement de la vision » et a estimé que le requérant pouvait reprendre le volantFootnote 12.

[23] Bien que le requérant ait fait état de ses symptômes entre novembre 2018 et mars 2019, je ne suis pas convaincu qu’il avait une absence totale de capacité de travail. Lorsqu’il a été interrogé par le ministre en janvier 2019, ses maux de tête n’étaient encore qu’occasionnels et il n’a fait aucune référence à la fatigue ou à des problèmes d’humeur. Il a fait état de problèmes de vision et indiqué qu’il [traduction] « ne se sentait pas bien »Footnote 13. Fin février 2019, le Dr Rotenberg (oto-rhino-laryngologie) a mentionné [traduction] « une certaine difficulté à s’adapter à son état postopératoire »Footnote 14, ce qui suggère une évolution vers son état actuel.

[24] Il incombe au requérant de prouver son invalidité selon la prépondérance des probabilités. Cependant, il avait probablement au moins une certaine capacité de travail à la fin du mois de février 2019Footnote 15. Cela empêche de conclure à la gravité de l’invalidité avant mars 2019. Lorsqu’il y a preuve de capacité de travail, le requérant doit démontrer que les efforts déployés pour obtenir et conserver un emploi ont échoué en raison de son état de santéFootnote 16. Le requérant a admis qu’il n’a pas cherché de travail depuis que ses prestations d’AE ont pris fin. J’estime que le requérant était atteint d’une invalidité grave à partir de mars 2019.

Le requérant était-il atteint d’une invalidité prolongée au moment de l’audience?

[25] Personne n’a suggéré que les symptômes du requérant sont susceptibles d’entraîner la mort. Cela signifie que son invalidité n’est prolongée que si elle est susceptible d’être longue et de durée indéterminée.

[26] Certains éléments de preuve médicale plus récents appuient fortement une invalidité susceptible d’être continue et de durée indéterminée. En août 2018, le Dr Duggal a averti le requérant que son intervention chirurgicale planifiée pourrait entraîner un dysfonctionnement de l’hypophyse. Le Dr Duggal a déclaré que cela nécessiterait des suppléments hormonaux à vieFootnote 17. En mai 2019, le Dr Vo a déclaré que le requérant présentait des symptômes chroniques au niveau de la tête, des oreilles, de la vision, de l’humeur et de son état de santé général. Le Dr Vo a également fait référence à des problèmes chroniques en mars 2019Footnote 18. L’utilisation du mot « chronique » est importante. Cela suggère que les symptômes vont continuer pour une longue périodeFootnote 19. Cela atténue également le manque de documents médicaux après mai 2019.

[27] J’ai demandé au requérant si son état s’était amélioré depuis son intervention chirurgicale de 2018. Il pensait que son état s’était aggravé. Il a dit que ses « affaires quotidiennes » l’épuisaient tellement qu’il avait souvent envie de pleurer. Il a dit qu’il présentait toujours les symptômes que le Dr Vo avait décrits en mai 2019. Le Dr Vo lui fait toujours des injections hebdomadaires et le requérant lui dit comment il va. Il dit qu’il veut voir une ou un psychiatre, mais la pandémie de COVID-19 affecte la disponibilité des spécialistes. Comme dans de nombreux cas de douleur chronique, les symptômes subjectifs liés à la santé mentale et à la douleur peuvent finir par supplanter le principal symptôme d’origine (la perte de vision, dans ce cas). Bien que l’on puisse espérer qu’un traitement psychiatrique spécialisé aidera le requérant à l’avenir, il serait purement spéculatif de prévoir une amélioration significative pour l’instant.

[28] Au vu des éléments de preuve ci-dessus, je suis convaincu que l’invalidité du requérant est susceptible d’être prolongée et de durer indéfiniment. J’accepte également qu’il en soit ainsi à partir de mars 2019, lorsque le Dr Vo a pour la première fois fait référence à la nature chronique des problèmes de santé du requérant. Cela signifie que l’invalidité du requérant est prolongée à partir de mars 2019.

Conclusion

[29] Le requérant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis mars 2019. Les paiements commencent quatre mois après la date de l’invalidité, soit à partir de juillet 2019Footnote 20.

[30] L’appel est accueilli.

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