Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : DM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1071

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-777

ENTRE :

D. M.

Demandeur

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Défendeur


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


Décision relative à une demande de
permission d’en appeler rendue par :
Kate Sellar
Date de la décision : Le 9 octobre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille la demande de permission d’en appeler. Voici pourquoi.

Aperçu

[2] D. M. (requérant) est atteint d’un trouble de la personnalité schizoïde avec des traits de personnalité évitante. Il est incapable de travailler ou de fonctionner dans un cadre professionnel ou social. En 1990, le contrat militaire du requérant a expiré. Il n’a pas demandé un autre contrat de service. Il ne pouvait pas supporter d’être entouré de gens. Son dernier jour de travail a eu lieu en janvier 1990. Il est retourné vivre chez ses parents. Il vivait de ses économies, et a tenté de retourner à l’université en 1990. Il s’est inscrit avec une charge de cours très légère. Il a expliqué qu’il était juste [traduction] « en pilote automatique » et qu’il n’avait :

[traduction]

[…] aucun intérêt pour quoi que ce soit, et je ne supportais toujours pas d’être entouré de gens, alors j’ai fini par arrêter d’aller à mes cours. J’ai échoué à l’université et dans la vie. J’avais 23 ansFootnote 1.

[3] Il est retourné vivre chez ses parents et a dit être devenu un [traduction] « reclus » en 1991. Il s’est décrit comme ayant toujours été solitaire, même lorsqu’il travaillait ou allait à l’école.

[4] Vers 1998 ou 2000, le requérant a reçu un diagnostic de trouble de la personnalité schizoïde. Il a reçu un soutien financier. Il n’a pas travaillé depuis 1990 et il n’est pas allé à l’école depuis 1991. Il peut faire face au quotidien seulement lorsqu’il est seul dans son appartement. Son isolement n’est pas un choix. Vers 2016, le requérant a eu des démêlés avec le système de justice pénale.

[5] Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) du requérant le 29 novembre 2017. Le ministre a rejeté la demande initialement et après révision. Lors de la révision, le ministre a mal calculé la période minimale d’admissibilité (PMA) du requérant. Le requérant a fait appel de la décision de révision au Tribunal. La division générale a décidé que la PMA du requérant avait pris fin le 31 décembre 1990 et qu’il n’était pas admissible à une pension d’invalidité.

[6] Le requérant demande la permission d’appeler de la décision de la division générale. Je dois établir si l’on peut soutenir que la division générale a commis une erreur prévue par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) qui justifierait d’accueillir la demande de permission d’en appeler du requérant.

[7] On peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit. J’accueille donc la demande de permission d’en appeler.

Questions préliminaires

[8] Le requérant a fourni de nouveaux éléments de preuve à la division d’appel à l’appui de sa causeFootnote 2.

[9] Toutefois, la division d’appel ne tient généralement pas compte de nouveaux éléments de preuveFootnote 3. L’objectif de la division d’appel est de décider si la division générale a commis une erreur. Dans la plupart des cas, les nouveaux éléments de preuve ne sont pas pertinents dans ce contexte.

[10] Je ne tiendrai pas compte des nouveaux éléments de preuve dans le présent appel.

Question en litige

[11] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi elle a accordé si peu de poids à l’avis de la conseillère en santé mentale et en toxicomanie sur l’état de santé du requérant?

Analyse

Examen des décisions de la division générale

[12] La division d’appel ne donne pas aux parties l’occasion de présenter pleinement leur position à nouveau dans le cadre d’une nouvelle audience. La division d’appel examine plutôt la décision de la division générale afin de décider si elle contient une erreur. Cet examen est fondé sur le libellé de la Loi sur le MEDS, qui établit les moyens d’appel qu’il est possible d’invoquerFootnote 4. Ces trois raisons de faire appel surviennent lorsque la division générale omet de fournir une procédure équitable, commet une erreur de droit ou commet une erreur de fait.

[13] À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la partie requérante doit démontrer que l’appel a une chance raisonnable de convaincre la division d’appel que la division générale a commis une erreur révisableFootnote 5. Pour satisfaire à cette exigence, la personne n’a qu’à démontrer qu’il existe un motif défendable qui confère à l’appel une chance de succèsFootnote 6. Il s’agit d’un critère facile à satisfaire.

Preuve médicale

[14] Lorsqu’une personne demande des prestations d’invalidité, la loi l’oblige à fournir « un rapport sur toute invalidité physique ou mentale indiquant les éléments suivants :

  1. la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité,
  2. les constatations sur lesquelles se fondent le diagnostic et le pronostic,
  3. toute incapacité résultant de l’invalidité,
  4. tout autre renseignement qui pourrait être approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les examens additionnelsFootnote 7 ».

[15] Par conséquent, lorsqu’une partie requérante présente une demande une pension d’invalidité, il peut y joindre un formulaire de rapport médical du RPC rempli et signé par une ou un spécialiste de la santé. Un formulaire dûment rempli peut très bien contenir la plupart des renseignements concernant les incapacités physiques et mentales énumérés ci-dessus.

[16] Le Tribunal est tenu de respecter certaines décisions des cours fédérales lorsqu’il rend des décisions concernant l’accès aux pensions d’invalidité du RPC. Les cours fédérales rédigent ces décisions lorsqu’une partie leur demande de décider si une décision d’un tribunal était raisonnable (c’est ce qu’on appelle le contrôle judiciaire). Par conséquent, les décisions des cours fédérales ne nous disent pas toujours tout ce que nous devons savoir sur l’application des critères d’admissibilité à une pension d’invalidité dans tous les cas. De ces décisions, nous savons ce qui suit :

  1. Les circonstances personnelles du requérant sont importantes, mais une preuve médicale est toujours nécessaire pour satisfaire aux critères d’admissibilité à la pension d’invaliditéFootnote 8.
  2. Un certain type de preuve médicale objective est nécessaire pour appuyer une demande de pension d’invaliditéFootnote 9.
  3. Les rapports médicaux ne doivent pas être rejetés d’emblée simplement parce qu’ils sont datés d’après la PMA s’ils traitent d’une invalidité présente pendant la PMAFootnote 10.
  4. Le requérant doit fournir certains documents qui confirment sa situation médicale pendant la PMAFootnote 11.
  5. Les éléments de preuve concernant l’état de santé du requérant après la PMA ne sont pas pertinents lorsque le requérant n’a pas prouvé qu’il était atteint d’une invalidité pendant sa PMAFootnote 12.

Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit?

[17] On peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi elle a accordé si peu de poids à l’avis de la conseillère en santé mentale et en toxicomanie concernant l’état de santé du requérant. La raison pour laquelle l’opinion de la conseillère en santé mentale et en toxicomanie (qui était fondée sur sa compréhension professionnelle du diagnostic du requérant et sur les antécédents déclarés par celui-ci) n’était qu’une [traduction] « hypothèse » n’est peut-être pas suffisamment claire. Le fait de ne pas fournir de motifs sur une question aussi importante que celle-ci peut constituer une erreur de droit.

[18] Le requérant n’a pas fait remplir son rapport médical du RPC par une ou un médecin lorsqu’il a présenté sa demande de pension d’invalidité. Le requérant a fourni un rapport médical qu’un médecin avait préparé pour certifier qu’il était apte à comparaître dans une affaire pénale. Cependant, le requérant a également fourni un rapport d’une conseillère en santé mentale et en toxicomanie, qui expliquait que son diagnostic était un trouble de la personnalité schizoïde avec des traits de personnalité évitante. La lettre fournissait des renseignements essentiels sur la signification de ce diagnostic, tirés du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). Dans la lettre, la conclusion suivante est tirée :

[traduction]

Selon ma compréhension professionnelle des troubles de la personnalité et compte tenu des antécédents déclarés par [le requérant], il est raisonnable d’affirmer que sa maladie mentale était probablement présente depuis l’adolescence et l’a empêché d’obtenir un emploi et d’accéder aux services et aux traitements médicaux et à la documentation médicaleFootnote 13.

[19] La division générale a décidé que le requérant devait fournir une preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle il était atteint d’une invalidité grave au plus tard à la fin de sa PMA. La division générale a reconnu qu’il n’y avait pas de preuve datant de la PMA et que « les renseignements récents ne prouvent pas, selon la prépondérance des probabilités, que le requérant est atteint d’une invalidité grave qui a commencé le 31 décembre 1990 ou avant cette dateFootnote 14 ».

[20] Dans la décision de la division générale, la membre déclare ce qui suit :

Il ne suffit pas que le requérant dise se souvenir d’avoir été incapable de travailler pendant une période donnée. La loi oblige le requérant à fournir un rapport sur son invalidité physique et mentale. Le rapport doit inclure la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité, les résultats en fonction desquels le diagnostic et le pronostic ont été posés, toute limitation probable et d’autres renseignements tels que les traitements requis qui peuvent être pertinents. Il existe des exigences très claires en matière de renseignements médicaux pour appuyer la demande d’une personne requérante. D’après les rapports au dossier, il est possible que le requérant ait évité les professionnels de la santé, ce qui signifie qu’il n’y aurait aucune preuve médicale pour cette période. Cette déclaration est une hypothèse de la part de ses fournisseurs de soins de santéFootnote 15.

[21] Le requérant fait valoir que la division générale a commis une erreur en concluant qu’il n’a pas prouvé que son état était grave au plus tard à la fin de sa PMA. Le requérant a expliqué que son invalidité le pousse à éviter les situations ou les événements sociaux, à éviter de prendre des décisions et à s’isolerFootnote 16. Il soutient que sans traitement, une personne atteinte d’un trouble de la personnalité évitante peut mener une vie de quasi-isolement ou d’isolement totalFootnote 17.

[22] Le requérant a expliqué qu’il n’avait pas eu de médecin de famille depuis son enfanceFootnote 18. Il a fourni des éléments de preuve médicale datant d’après la PMA, une déclaration de son frère et son propre témoignage sur sa santé mentale pendant sa PMA. Le requérant fait valoir qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’il n’a pas prouvé le bien-fondé de sa cause, surtout à la lumière des difficultés qu’il éprouve à accéder aux soins médicaux d’une autre personne compte tenu de la nature même de son invalidité. Le requérant explique que sa propre preuve selon laquelle il est devenu un reclus en 1991 était une référence si proche de la fin de sa PMA qu’elle aurait certainement dû contribuer à démontrer qu’il répondait à la définition d’une invalidité grave au 31 décembre 1990.

[23] La division générale n’a pas besoin de traiter de l’ensemble de la preuve, des arguments, des dispositions législatives ou de la jurisprudence dans une décision, mais les motifs doivent être suffisants pour permettre aux parties de comprendre le fondement de la décision du tribunal et pour procéder à une révision ou faire appelFootnote 19. La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit :

[traduction]

La « voie » choisie par le tribunal pour rendre sa décision doit être claire selon les motifs lus dans le contexte de l’instance, mais il n’est pas nécessaire que le tribunal décrive chaque point de repère en cours de routeFootnote 20.

[24] Le fait de ne pas fournir les motifs concernant une question clé dans une situation où une explication est nécessaire peut constituer une erreur de droitFootnote 21.

[25] À mon avis, on peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit. Il s’agit d’un critère facile à satisfaire. La décision de la division générale semble indiquer que le requérant ne disposait pas de preuve médicale indiquant à quel moment son état de santé l’a probablement rendu régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. À première vue, le témoignage de la conseillère en santé mentale et en toxicomanie a fourni des renseignements détaillés sur le diagnostic du requérant, y compris sur son apparition habituelle et sur son apparition probable dans son cas compte tenu de ses antécédents.

[26] La conseillère en santé mentale et en toxicomanie semble avoir conclu que le requérant était probablement atteint de cette maladie depuis l’adolescence. Cette maladie l’empêchait de se faire soigner, de suivre un traitement et de travailler. La décision n’indique pas du tout clairement en quoi il s’agit d’une simple [traduction] « hypothèse » ni comment ou pourquoi ce rapport n’a pas satisfait aux exigences juridiques en matière de preuve médicale. En l’absence de ce type d’explication sur une question aussi essentielle, on peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit.

[27] Je n’ai pas besoin d’examiner individuellement chaque moyen d’appel, puis de les accepter ou de les rejeterFootnote 22. À l’étape suivante de l’appel, le requérant peut continuer à se fonder sur tous les arguments qu’il a présentés concernant les erreurs que la division générale a commises dans sa décisionFootnote 23.

[28] À l’étape suivante de l’appel, il serait utile pour la division d’appel d’examiner des arguments sur la question de savoir si la division générale a ignoré les éléments de preuve du requérant concernant ses limitations.

Conclusion

[29] J’accueille la demande de permission d’en appeler. Cela ne signifie pas pour autant que j’ai tranché la question de savoir si la division générale avait commis une erreur. Il s’agit de la tâche à accomplir dans le cadre de la prochaine décision à rendre dans cette affaire.

Représentant :

D. M., non représenté

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.