Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 987

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-530

ENTRE :

M. M.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Virginia Saunders
Date de l’audience par téléconférence : Le 13 octobre 2020
Date de la décision : Le 26 octobre 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant, M. M. est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). La pension doit lui être versée à compter de juillet 2018. La présente décision explique pourquoi j’accueille son appel.

Aperçu

[2] Le requérant a 53 ans. Après le secondaire, il a été joueur de hockey professionnel pendant une quinzaine d’années. La majeure partie des emplois qu’il a occupés par la suite étaient de nature physique. Il a subi de nombreuses blessures, le forçant à subir des opérations aux dos, aux épaules, aux sinus, au bras et au coude. Il souffre de douleur chronique et de fibromyalgie.

[3] En mars 2018, le requérant s’est blessé en posant son pied maladroitement sur le trottoir pour éviter une voiture. Sa douleur s’est aggravée, et il est parti en congé de maladie. Il n’a jamais réintégré son poste.

[4] En septembre 2018, le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 1. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. Selon lui, le requérant possédait des compétences transférables ou pouvait se recycler dans un emploi convenant davantage à ses limitationsNote de bas de page 2. Le requérant a porté cette décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’audience du requérant avait été prévue pour août 2020. En juillet, il a commencé une formation pour un nouvel emploi. J’ai ajourné l’audience, comme ce délai permettrait de savoir comment il se débrouillait. Lorsque l’audience a été tenue, le 13 octobre, la preuve était suffisante pour trancher définitivement l’appel.

Ce que le requérant doit prouver dans cet appel

[6] Pour avoir gain de cause, le requérant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée, au plus tard en date de l’audienceNote de bas de page 3.

[7] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 4.

Motifs de ma décision

[8] Je conclus que le requérant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis mars 2018. Je suis arrivée à cette décision après avoir considéré les questions qui suivent.

L’invalidité du requérant est-elle grave?

Le requérant a des limitations fonctionnelles nuisant à sa capacité de travail

[9] Pour décider si l’invalidité du requérant est grave, je ne me suis pas basée sur un diagnosticNote de bas de page 5. J’ai plutôt cherché à savoir si des limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 6. Je dois considérer son état de santé global et l’effet possible de ses affections sur sa capacité de travailNote de bas de page 7.

[10] Le requérant affirme qu’il est incapable de travailler, en raison de la douleur qu’il éprouve au quotidien, de faiblesse, de problèmes nerveux, d’une amplitude de mouvement restreinte, et de spasmes musculaires au dos, aux hanches et aux jambes. À cause de ses symptômes, il a de la difficulté à rester assis et debout et à marcher, ainsi qu’à faire toute activité physique simple qui nécessite d’étirer le bras ou de se pencher. Il a des problèmes de concentration et de mémoire à cause de la douleur et du stressNote de bas de page 8. Il a déjà souffert d’une dépression dans le passé. Cela dit, il m’a confié qu’il ne suivait plus de traitement et qu’il ne croyait pas que la dépression nuise à sa capacité de travail.

[11] La preuve médicale confirme que le requérant a des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travail. Il souffre d’arthrite au cou et aux épaulesNote de bas de page 9. Sa colonne lombaire présente aussi de l’arthrose et une sténose du canal lombaireNote de bas de page 10. Son médecin de famille, le docteur Wong, a inscrit que le requérant souffrait depuis 2008 d’une douleur chronique au dos, accompagnée d’une amplitude de mouvement limitée, d’une perte de force et d’une fatigue extrême. Il était incapable de rester assis ou debout de façon prolongée, et ne pouvait pas soulever un poids excédant 15 livres de façon répétitive, sur une base régulière. Il avait aussi une blessure chronique aux deux épaules. Ses problèmes étaient récurrents et permanentsNote de bas de page 11.

[12] La docteure Shuckett, rhumatologue, a vu le requérant en 2014. Elle l’a aussi réévalué en septembre 2020 par télésantéNote de bas de page 12. La docteure Shuckett a noté la présence d’arthrose dégénérative à de nombreux endroits, attribuable à des blessures à la colonne et aux articulations. Elle a aussi fait état d’une fibromyalgie comprenant une sensibilisation centrale. Il avait des problèmes aux genoux, aux épaules, au cou et au bas du dos. Il avait été capable de recommencer à travailler après une opération, quelques années auparavant; cependant, il avait rechuté après l’incident de mars 2018, et [traduction] « son dos avait sérieusement décompensé ». Elle a affirmé que le requérant remplissait les critères du diagnostic de la fibromyalgie compte tenu de sa douleur généralisée, de ses graves troubles du sommeil et de sa douleur au bas du dos de type mécanique. Il avait mal partout et dormait difficilement la nuit en raison de la douleur musculosquelettique. Il était donc peu reposé au réveil et était fatigué et embrouillé durant la journéeNote de bas de page 13.

[13] Une évaluation de ses capacités fonctionnelles a été faite en juin 2019. L’évaluation a révélé que le requérant avait les limitations physiques suivantesNote de bas de page 14 :

  • Soulever une charge maximale de 20 livres du plancher à la taille de façon occasionnelle;
  • Soulever une charge maximale de 30 livres de la taille aux épaules de façon occasionnelle;
  • Transporter un poids maximal de 30 livres de façon occasionnelle;
  • Pousser et tirer une charge de catégorie légère à moyenne, et seulement de façon occasionnelle;
  • Rester assis seulement de façon occasionnelle;
  • Rester debout seulement de façon occasionnelle;
  • Marcher seulement de façon occasionnelle;
  • Monter des escaliers seulement de façon occasionnelle;
  • Se courber ou se pencher et s’accroupir seulement de façon occasionnelle;
  • S’agenouiller – incapacité;
  • Étirer le bras au niveau de l’épaule ou plus bas seulement de façon occasionnelle;
  • Agripper avec les mains fréquemment.

[14] L’évaluateur a conclu que le requérant était capable de faire des tâches ménagères et des activités récréatives de catégorie légère. Cependant, il ne pensait pas qu’il puisse reprendre son ancien emploi ou en occuper un autre, que ce soit à temps plein ou à temps partielNote de bas de page 15.

Le requérant n’a pas de capacité de travail

[15] Compte tenu de ces limitations, il serait impossible que le requérant reprenne son emploi d’ouvrier du transport dans l’industrie cinématographique, ou fasse un autre emploi manuel. D’un point de vue réaliste, je ne peux l’imaginer capable de faire régulièrement un emploi rémunérateur, même si cet emploi était sédentaire ou ne supposait que des tâches légères.

[16] La majorité des emplois du requérant ont été des emplois physiques. À part avoir joué au hockey, il a été ouvrier, portier dans une boîte de nuit, cascadeur, et opérateur de presse à imprimer. Ces postes ne lui ont procuré aucune compétence transférable.

[17] Le requérant a une certaine expérience grâce à laquelle il serait employable, en théorie. Il a terminé ses études secondaires. Il y a une dizaine d’années, il avait travaillé pendant trois ans comme préposé à la clientèle et gérant adjoint dans l’industrie automobile. Toutefois, ses études et son expérience de travail ne compensent pas ses limitations importantes. Il est incapable de rester assis et de faire une majorité d’activités, à part de façon occasionnelle. À cause de sa douleur, il ne peut pas occuper un poste lui permettant d’alterner les positions assise et debout et de bouger. Il doit tout faire lentement et ressent ensuite de la douleur.

[18] Pour décider que le requérant était incapable de travailler, j’ai tenu compte de ses efforts actuels pour travailler. Il a commencé un nouvel emploi en juillet 2020. Il suit une formation de technicien pour une compagnie se spécialisant dans l’auscultation du béton et l’exploitation de géoradars. Il a trouvé cet emploi grâce à un ami. Il avait parlé au propriétaire et lui avait expliqué sa situation. Le propriétaire l’a engagé et lui a fourni un ordinateur portable pour lui permettre de suivre la formation en ligne. Durant les six semaines qui ont suivi, le requérant a passé entre six et huit heures par jour en formation. Il allait à l’occasion au bureau, mais restait surtout à la maison. Il trouvait difficile de rester assis. Il avait de la difficulté à apprendre et à mémoriser l’information. Il lui fallait beaucoup de temps.

[19] En septembre, le requérant a commencé à se rendre sur les chantiers avec des techniciens chevronnés. Il y avait peu de travail à faire à cause du mauvais temps. La semaine précédant l’audience, le requérant avait travaillé un peu moins de trois heures. Il estimait avoir travaillé entre trois et six heures par jour au cours de semaines précédentes, mais il ne travaillait jamais deux ou trois jours de suite. Il trouve le travail difficile parce qu’il lui doit bouger beaucoup. Il doit notamment s’étirer et être sur ses genoux et ses mains. Son dos et son cou se coincent. Une fois rentré chez lui, il doit se reposer, utiliser de la glace, faire des exercices pour le tronc et prendre des antidouleurs. La docteure Shuckett a noté que le requérant avait seulement travaillé une heure, le jour où elle lui avait parlé, et qu'il était épuiséNote de bas de page 16.

[20] Le requérant gagne 23 $ l’heure, ce qui dépasse le seuil établi par le RPC pour une occupation rémunératriceNote de bas de page 17. En formation, il recevait 1 700 $ aux deux semaines. Maintenant que sa formation est terminée, il gagne beaucoup moins d’argent, comme il y a peu de travail à faire. Cependant, la quantité de travail disponible n’a pas d’importance. Ce qui compte est de savoir si le requérant est régulièrement capable de faire une occupation véritablement rémunératrice.

[21] Ce n’est pas ce que démontre son travail. Il arrive à peine à faire quelques heures de travail par jour. Il ne peut pas être assis longtemps. Il n’a aucune compétence en informatique. À 53 ans, il est peu probable qu’il en acquiert beaucoup. Le fait qu’il a pu faire à la maison une formation de quelques semaines spécifique à un emploi ne veut pas dire qu’il s’en sortira dans un milieu de travail concurrentiel.

[22] Durant l’audience, le requérant m’a confié qu’il était très inquiet de ne pas pouvoir faire son travail une fois que ses heures auront augmenté. La docteure Shuckett doute qu’il en soit capable. La personne ayant évalué ses capacités fonctionnelles l’estimait incapable de faire tout type de travail. Par conséquent, je juge improbable que le requérant puisse, de façon prévisible et fiable, se lever le matin, aller au travail et conserver une occupation véritablement rémunératrice. Je ne pense pas qu’il faille le pénaliser pour ses efforts actuels, alors que toutes les autres preuves révèlent qu’il est improbable qu'il puisse garder son emploi.

[23] Le ministre m’a indiqué une décision judiciaire selon laquelle la capacité régulière d’une personne à effectuer un emploi rémunérateur est [traduction] « précisément le contraire d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 18 ». Je suis d’accord, mais ce n’est pas la situation du requérant. Il est peut-être capable de faire une occupation rémunératrice pendant quelques jours ou quelques semaines. Par conséquent, je suis convaincue qu’il est régulièrement incapable de le faire.

Le requérant a suivi les recommandations des médecins

[24] Le requérant doit faire des efforts raisonnables pour suivre les conseils médicauxNote de bas de page 19. C’est ce qu’il a fait. Il a subi de nombreuses opérations, a fait de la physiothérapie et a été traité par des chiropraticiens. Il fait des exercices à la maison. Il prend ses médicaments comme prescrit. Il a expliqué qu’il avait refusé de subir une opération à l’épaule en septembre 2018, parce qu’il craignait qu’elle ait un impact sur sa douleur au dos et au cou. La docteure Shuckett a dit que son choix était compréhensible.Note de bas de page 20

[25] Le requérant n’a pas reçu les injections échoguidées que son chirurgien orthopédiste, le docteur Regan, avait prévues pour novembre 2018Note de bas de page 21. Il m’a dit qu’il avait été malade la semaine où elles devaient avoir lieu. Il ne se souvenait plus de ce qui s’était passé par la suite, mais il est certain qu’il en aurait discuté avec le docteur Wong. D’après les notes de 2019 du docteur Wong, celui-ci n’avait pas poursuivi cette option pour le requérantNote de bas de page 22. Je ne crois pas qu’il incombait au requérant de faire un suivi à cet égard.

[26] Selon le ministre, le fait que le docteur Wong n’avait pas fait subir d’autres traitements au requérant et qu’il ne l’avait pas dirigé vers des spécialistes en 2019 signifie que sa prise en charge était suffisante. Je ne crois pas du tout que ce soit le cas. Les notes du docteur Wong révèlent que le requérant se plaignait continuellement d’un mal de dos et d’autres problèmesNote de bas de page 23. Les examens et les traitements effectués jusqu’à cette date n’avaient pas aidé le requérantNote de bas de page 24. Je pense que le docteur Wong croyait probablement que rien d’autre ne l’aiderait non plus. De toute façon, il avait fini par recommander le requérant à la docteure Shuckett et à une clinique de traitement de la douleur. Le requérant n’a toujours pas eu de nouvelles de cette clinique.

L’invalidité du requérant est-elle prolongée?

[27] L’invalidité du requérant est prolongée. Le ministre a affirmé à juste raison que le requérant était capable de travailler avant 2018. Par contre, il ne sera pas forcément capable de travailler pour toujours. Il avait persévéré en dépit de ses blessures. Toutefois, ses problèmes sont chroniques et ils s’aggravent. L’incident d’apparence mineure de mars 2018 avait exacerbé sa douleur et diminué ses capacités fonctionnelles. Son état ne s’est pas amélioré depuis.

[28] Le requérant a commencé à prendre de la gabapentine en septembre 2020 sur prescription de la docteure Shuckett, qui avait dit que la dose pouvait être augmentée. Elle croyait que le médicament pourrait aider à diminuer sa douleur. Par contre, elle n’a aucunement laissé entendre que ses capacités fonctionnelles s’en trouveraient grandement améliorées, pour l’aider potentiellement à reprendre le travail. En date de l’audience, le médicament n’avait procuré aucun bénéfice au requérant. La possibilité d’augmenter la dose de gabapentine ne veut pas dire que l’invalidité du requérant n’est pas prolongée.

Début du versement de la pension

[29] L’invalidité du requérant est devenue grave et prolongée en mars 2018, quand il s’est de nouveau blessé au dos. Une période d’attente de quatre mois doit être observée avant de verser la pension d’invaliditéNote de bas de page 25. La pension est donc payable à compter de juillet 2018.

Conclusion

[30] J’accueille l’appel.

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