Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : CP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 965

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-760

ENTRE :

C. P.

Appelant

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Valerie Hazlett Parker
DATE DE LA DÉCISION : Le 9 novembre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appel est renvoyé à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[3] C. P. (requérant) a travaillé comme conducteur de chariot à fourche pendant de nombreuses années. Il a cessé de travailler en raison d’un trouble de santé mentale causé par du harcèlement au travail. Le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, affirmant être invalide à cause de son trouble de santé mentale et de ses limitations physiques.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. Il a décidé que l’invalidité du requérant n’était pas grave. Le requérant a appelé de cette décision au Tribunal. La division générale du Tribunal a aussi décidé que l’invalidité du requérant n’était pas grave. Le requérant a appelé de cette décision à la division d’appel du Tribunal. Cet appel est traité séparémentNote de bas de page 1.  

[5] Le requérant a demandé l’annulation ou la modification de la décision de la division générale parce qu’il y avait un fait nouveau et essentiel, à savoir un rapport psychiatrique produit pour la compagnie qui lui fournit une assurance-invalidité de longue durée. La division générale a examiné cette demande. Elle a décidé que le requérant ne répondait pas au critère juridique des faits nouveaux et essentiels et elle a rejeté la demande. La permission d’appeler de cette décision à la division d’appel du Tribunal a été accordée parce que la division générale avait possiblement fondé sa décision sur une erreur de fait importante. La présente décision porte sur cet appel.

[6] J’ai maintenant examiné tous les documents déposés à la division d’appel. J’ai lu la décision de la division générale, écouté l’enregistrement audio de son audience et lu le rapport psychiatrique. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante et a commis une erreur de droit. Les renseignements contenus dans le rapport psychiatrique constituent un fait nouveau et essentiel. L’appel est renvoyé à la division générale pour réexamen.

Question préliminaire

[7] Le requérant a appelé à la division d’appel du Tribunal de la décision de la division générale de rejeter sa demande de pension d’invalidité et de la décision de rejeter sa demande d’annulation ou de modification de la décision de la division générale. La division d’appel du Tribunal a accordé la permission d’en appeler pour les deux appels.

[8] Une conférence préparatoire réunissant l’avocat du requérant et la représentante du ministre a eu lieu. Les parties ont discuté de la façon dont les appels seraient traités, y compris la question de savoir s’il serait préférable de les joindre ou de les instruire ensemble. Les parties ont convenu que l’appel concernant la demande d’annulation ou de modification de la décision de la division générale irait de l’avant en premier. Le résultat de cette cause pourrait déterminer la façon de procéder de l’autre appel. 

Questions en litige

[9] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de fait importante concernant la possibilité de découvrir le rapport psychiatrique?

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en imposant au requérant l’obligation positive de demander l’ajournement de l’audience?

Analyse

[11] Les décisions rendues par la division générale sont finales et susceptibles d’un appel seulement à la division d’appel du Tribunal. Un appel à la division d’appel du Tribunal n’est pas une nouvelle occasion de débattre de la demande originale. En fait, la division d’appel peut seulement décider si la division générale :

  1. a mené une procédure inéquitable;
  2. a omis de statuer sur une question qu’elle aurait dû trancher ou a statué sur une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. a commis une erreur de droit;
  4. a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[12] La division générale peut aussi annuler ou modifier sa décision si on lui présente des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience de la division générale, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnableNote de bas de page 3. Le présent appel porte sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a décidé qu’il aurait été possible d’obtenir le rapport psychiatrique pour l’audience grâce à l’exercice d’une diligence raisonnable.

Question en litige n1 : Erreur de fait importante

[13] Un moyen d’appel que la division d’appel peut prendre en considération est la question de savoir si la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante. Pour avoir gain de cause sur ce fondement, le requérant doit prouver trois choses :

  1. une conclusion de fait était erronée (fausse);
  2. la conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale;
  3. la décision est fondée sur cette conclusion de faitNote de bas de page 4.

[14] Décider s’il est possible de découvrir un fait nouveau et essentiel, c’est tirer une conclusion de faitNote de bas de page 5. La division générale a tiré la conclusion de fait que le rapport psychiatrique aurait pu être découvert et elle a motivé sa décisionNote de bas de page 6. Son explication inclut les motifs suivants :

  1. Le psychiatre a été embauché par la compagnie d’assurances.
  2. Le requérant est allé voir le psychiatre, qui lui a dit qu’un rapport serait transmis à la compagnie d’assurances.
  3. L’avocat savait que l’évaluation avait eu lieu.
  4. Le requérant et son avocat ne savaient pas si le rapport avait été rédigé et n’en connaissaient pas le contenu.
  5. Le requérant n’avait pas le droit de recevoir une copie du rapport ni d’en connaître le contenu.
  6. Les demandes de renseignements faites par l’avocat à propos du rapport ne contenaient aucune promesse de divulgation – on lui a dit qu’il [traduction] « aurait des nouvelles quand il y aura des nouvelles ».

[15] La conclusion de fait de la division générale selon laquelle le rapport pouvait être découvert est erronée. Le psychiatre a peut-être dit au requérant qu’il rédigeait un rapport, mais ni le requérant ni son avocat ne connaissaient le contenu du rapport et ils ne savaient pas si on leur en transmettrait une copie. Ils n’avaient pas le droit d’en demander une copie. La compagnie d’assurances n’était pas obligée de le leur montrer ni de divulguer les conclusions du psychiatre.  

[16] Ce n’est pas une affaire où le requérant ou son avocat a pris la décision tactique de ne pas déposer le rapport ou a omis de demander l’ajournement de l’audience tout en sachant que la rédaction du rapport était en cours.

[17] La décision de la division générale a été rendue sans tenir compte de la preuve montrant que le requérant ne pouvait pas exiger la divulgation du rapport. La décision est fondée sur cette conclusion de fait.  

[18] Par conséquent, la division d’appel doit intervenir pour ce motif.

Question en litige n2 : Erreurs de droit

[19] Le requérant affirme que la division générale a commis une autre erreur de droit relativement à la question de savoir si le rapport psychiatrique constituait un fait nouveau et essentiel. Pour qu’un élément constitue un fait nouveau et essentiel, il faut qu’il ait existé au moment de l’audience de la division générale sans qu’on ait pu le découvrir par l’exercice d’une diligence raisonnable.   

a) Le fait doit exister au moment de l’audience

[20] La première chose à considérer est la question de savoir si le fait existait quand l’audience de la division générale a eu lieu. Le rapport psychiatrique n’existait pas à ce moment-là. L’audience de la division générale s’est déroulée le 4 juin 2019. Le rapport est daté du 11 juin 2019Note de bas de page 7.

[21] Toutefois, les faits dont traite le rapport, ou l’essentiel du rapport, existaient au moment de l’audienceNote de bas de page 8. Le rapport mentionne que le requérant avait des symptômes liés à un trouble de santé mentale depuis des années. Ses symptômes ont été mal diagnostiqués comme étant une réaction de stress post-traumatique et un trouble de stress post-traumatique par différentes praticiennes et différents praticiens de la santé mentale. Cet élément suffit à établir que le fait en question existait au moment de l’audience de la division générale.  

[22] Ainsi, la division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le fait existait au moment requis.

b) Le fait ne pouvait pas être découvert par l’exercice d’une diligence raisonnable

[23] La deuxième chose à considérer est la question de savoir s’il était possible de découvrir le fait en exerçant une diligence raisonnable à l’époque de l’audience de la division générale. La décision de la division générale mentionne qu’exercer une diligence raisonnable voulait dire de demander à la division générale d’ajourner l’audience pour que le requérant puisse tenter d’obtenir une copie du rapport psychiatriqueNote de bas de page 9 et que comme il n’a rien fait, il n’a pas exercé une diligence raisonnableNote de bas de page 10.

[24] Cependant, la Cour d’appel fédérale a décidé que :  

[traduction]
le critère permettant de dire s’il y a ou non des faits nouveaux devrait être appliqué d’une manière qui soit suffisamment souple pour mettre en équilibre d’une part l’intérêt légitime du ministre dans le caractère définitif des décisions et la nécessité d’encourager les requérants à mettre toutes leurs cartes sur la table dès que cela leur est raisonnablement possible et, d’autre part, l’intérêt légitime des requérants, qui sont en général autoreprésentés, à ce que leurs réclamations soient évaluées au fond, et d’une manière équitable. Selon moi, ces considérations requièrent en général une approche libérale et généreuse lorsqu’on se demande s’il y a eu diligence raisonnable et si les faits nouveaux sont de nature substantielleNote de bas de page 11.

[25] Aucun élément de preuve ne laisse entendre que le requérant a pris la décision stratégique de ne pas divulguer le rapport et qu’il a seulement voulu le présenter au Tribunal après que la décision de la division générale lui a été défavorable. Le requérant n’avait pas vu le rapport avant l’audience de la division générale. Il n’en connaissait pas le contenu et ignorait les conclusions du psychiatre. De plus, il n’avait aucun contrôle sur le moment de la rédaction du rapport ni sur la possibilité qu’il en reçoive une copie.  

[26] D’ailleurs, beaucoup d’appels concernant les prestations d’invalidité, comme celui-ci, impliquent des requérantes et des requérants dont les problèmes de santé évoluent et changent au fil des nouveaux diagnostics et de divers traitements. Dans de telles causes, le critère juridique des faits nouveaux et essentiels ne devrait pas s’appliquer d’une façon indûment rigide, ce qui priverait la personne d’une évaluation équitable du bien-fondé de sa demandeNote de bas de page 12. Dans la présente affaire, exiger que le requérant demande un ajournement, sans doute d’une durée inconnue, pour qu’un rapport soit produit par un tiers pour une tierce partie équivaut à appliquer le critère juridique d’une façon injustement rigide.

[27] Dans d’autres causes, la division générale a décidé que la diligence raisonnable exigeait que les requérantes demandent un ajournementNote de bas de page 13. Les faits propres à ces causes sont toutefois différents de ceux dans la présente affaire. Dans ces causes, les requérantes savaient que la rédaction d’un rapport était en cours et qu’elles en recevraient une copie. Le requérant dans la présente affaire n’en savait rien et il n’avait pas le droit de recevoir une copie du rapport.

[28] Finalement, le rapport dont il est ici question contient des renseignements très pertinents qui pourraient être déterminants pour l’examen de l’appel sur le fond de la demande de pension d’invalidité.

[29] Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit en imposant au requérant l’obligation positive de demander l’ajournement de l’audience dans le but de peut-être obtenir le rapport psychiatrique. La division d’appel doit aussi intervenir pour ce motif.

Réparation

[30] Lorsqu’elle intervient, la division d’appel peut appliquer différentes mesures de réparation. Elle peut :  

  1. rendre la décision que la division générale aurait dû rendre;
  2. renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle la réexamine;
  3. confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division généraleNote de bas de page 14.

[31] Il convient que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre sur la question de savoir si le rapport psychiatrique constitue un fait nouveau et essentiel.

[32] Voici les caractéristiques d’un fait nouveau et essentiel :

  1. Le fait existait au moment de l’audience de la division générale, mais il ne pouvait pas être découvert malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.
  2. On peut raisonnablement s’attendre à ce que le fait ait eu une incidence sur l’issue de l’audience de la division généraleNote de bas de page 15.

[33] Pour les motifs expliqués ci-dessus, le rapport psychiatrique existait au moment de l’audience de la division générale, mais il ne pouvait pas être découvert malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

[34] De plus, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il influence l’issue de l’audience de la division générale. Le rapport contient un tout nouveau diagnostic de trouble de santé mentale. Il précise que les traitements tentés auparavant étaient inefficaces parce qu’ils ciblaient la mauvaise maladie. Il mentionne aussi clairement qu’étant donné son trouble de santé mentale, le requérant ne peut pas travailler. 

[35] Par conséquent, ce document remplit le critère juridique des faits nouveaux et essentiels.

[36] Je renvoie le présent appel à la division générale pour qu’elle réexamine le bien-fondé de la demande de prestations pour les raisons suivantes :

  1. Les deux parties ont demandé que l’appel soit renvoyé à la division générale pour réexamen.
  2. Le dossier est incomplet. Les parties n’ont pas eu l’occasion de présenter la preuve portant sur le rapport psychiatrique, les traitements découlant de ses recommandations ou le résultat de ces traitements. La preuve du requérant sur le sujet n’a pas non plus été examinée par le ministre.  
  3. La fin de la période minimale d’admissibilité du requérant (la date à laquelle la personne doit prouver qu’elle est invalide pour recevoir une pension d’invalidité) surviendra dans le futur.

Conclusion

[37] L’appel est accueilli.

[38] L’appel est renvoyé à la division générale pour réexamen.

[39] À la lumière de la présente décision, les parties vont peut-être vouloir réévaluer la façon de procéder dans l’appel de la décision de la division générale sur le bien-fondé de la demande de prestations.

Date de l’audience :

Le 4 novembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

C. P., appelant

Steven Yormak, avocat de l’appelant

Susan Johnstone, représentante de l’intimé

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