Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KD c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 963

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-700

ENTRE :

K. D.

Appelant

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Kate Sellar
Date de la décision : Le 5 novembre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] Je rejette l’appel. La division générale a commis une erreur et je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le résultat demeure le même : le requérant n’est pas admissible à une pension d’invalidité. Voici mes motifs.

Aperçu

[2] K. D. (requérant) était conducteur de camion. En janvier 2015, il a subi un accident de voiture qui lui a causé des blessures à l’épaule, au dos, au coccyx et au pied. Il s’est aussi cogné la tête et a eu des éraflures à la poitrine et au ventre. Il a expliqué qu’il était incapable de travailler depuis l’accident. Ses blessures au coccyx et au dos se sont améliorées en 2016, mais ses douleurs à l’épaule se sont aggravées. Il devra faire remplacer son épaule dans 20 ans.

[3] Le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en juillet 2018. Il devait prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée au sens du RPC en date du 31 décembre 2016. Le ministre a rejeté la demande initialement et après révision.

[4] Le requérant a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décidé que le requérant n’était pas admissible à une pension d’invalidité. Je dois déterminer si la division générale a commis une erreur aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Si la division générale a commis une erreur, je dois décider ce que je ferai pour réparer l’erreur.

[5] À mon avis, la division générale a commis une erreur. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le résultat demeure le même pour le requérant : il n’est pas admissible à une pension d’invalidité.

Questions préliminaires

[6] Devant la division d’appel, le requérant a fourni de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à la membre de la division générale à cette étape du processusNote de bas de page 1.

[7] Lors de l’audience devant la division d’appel, j’ai expliqué que les parties pouvaient demander la permission de présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande à la division générale d’annuler ou de modifier sa décision (une « demande sur le fondement de faits nouveaux »). J’ai observé que dans plusieurs de ces cas, les parties demandaient à la division d’appel de mettre leur dossier d’appel en suspens en attendant le résultat de leur demande sur le fondement de faits nouveaux présentée à la division générale. L’avocat du requérant a déclaré qu’il souhaitait procéder directement à l’appel devant la division d’appel.

[8] Puisque la division d’appel décide principalement s’il y a eu des erreurs dans la décision de la division d’appel, elle ne reçoit généralement pas de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à la division générale lorsqu’elle a rendu sa décisionNote de bas de page 2.

[9] La présente affaire doit être traitée selon la même approche. Je ne vais donc pas accepter les nouveaux éléments de preuve présentés par le requérant.

Question en litige

[10] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivants :

  1. La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en décidant que le physiothérapeute du prestataire avait déclaré qu’il était capable de faire un travail sédentaire?
  2. La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a abordé et tranché la question de l’observance du traitement du requérant?
  3. La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a décidé que le requérant n’avait pas montré que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi avaient été vaines en raison de son état de santé?
  4. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte des perspectives d’emploi du requérant dans un contexte réaliste?

Analyse

Examen des décisions de la division générale

[11] La division d’appel ne donne pas aux parties la possibilité de présenter pleinement leur position à nouveau dans le cadre d’une nouvelle audience. La division d’appel examine plutôt la décision de la division générale afin de déterminer si elle contient une erreur. L’examen de la division d’appel se fonde sur la formulation de la Loi sur le Ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), laquelle expose les raisons qui servent de fondement à tout appelNote de bas de page 3. Ces trois raisons d’interjeter appel surviennent lorsque la division générale omet de fournir une procédure équitable, commet une erreur de droit, ou commet une erreur de fait.

[12] Selon la Loi sur le MEDS, il y a erreur si la division générale « a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 4 ». Une erreur fondée sur des faits doit être importante au point où elle pourrait avoir une incidence sur le résultat de la décision (on appelle cela un fait « essentiel »). L’erreur doit découler du fait d’avoir écarté des éléments de preuve, d’avoir statué sciemment à l’opposé de la preuve, ou d’avoir formulé un raisonnement qui n’est pas guidé par un jugement continuNote de bas de page 5.

Il n’y a pas d’erreur de fait relative à l’avis du physiothérapeute

[13] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait. La division générale n’a pas mal interprété l’avis du physiothérapeute au sujet de la capacité du requérant d’effectuer un travail sédentaire.

[14] La division générale a écrit :

« Le Dr Pickle et [le physiothérapeute] étaient d’avis [que le requérant] était incapable d’occuper son poste de conducteur de camion, mais qu’il pouvait faire un travail sédentaireNote de bas de page 6. »

[15] Plus précisément, la division générale a écrit :

« [Le physiothérapeute] a indiqué qu’au moment de la PMA, le requérant aurait pu retourner travailler si son travail se limitait à conduire des camions. En juillet 2017, six mois après la fin de sa PMA, [le physiothérapeute] a souligné que le requérant ne serait pas en mesure de retourner à son travail habituel et que s’il devait retourner travailler, il devrait faire un travail sédentaire. La personne qui représentait le requérant a soutenu que cette opinion était spéculative et qu’il ne s’agissait pas d’une preuve qu’il avait la capacité de retourner travailler. Je ne suis pas d’accord. [Le physiothérapeute] traite le requérant depuis 2015. Ainsi, il donnait une opinion éclairée fondée sur sa connaissance directe des capacités et du traitement du requérantNote de bas de page 7. »

[16] Le requérant soutient que le physiothérapeute n’a jamais donné d’avis médical selon lequel le requérant était capable d’occuper un travail sédentaire. Dans la note du physiothérapeute de décembre 2016, on peut lire ce qui suit :

« [Le requérant] peut retourner travailler si ses tâches se limitent à conduire un camion. Il aura de grandes difficultés à travailler à une hauteur supérieure à sa tête et à soulever des objets. J’estime que ces limitations seront présentes pour au moins 12 autres semainesNote de bas de page 8.

[17] Ensuite, dans sa note de juillet 2017, le physiothérapeute a écrit :

Aucun changement à la dernière note au sujet du retour au travail et des tâches. Si [le requérant] retourne travailler, il faudrait qu’il fasse un travail sédentaireNote de bas de page 9.

[18] Le requérant soutient que les notes du physiothérapeute ne signifient pas qu’il peut ou qu’il devrait faire un travail sédentaire. Il affirme que le physiothérapeute n’a fait qu’indiquer que le requérant « pouvait » retourner travailler s’il ne faisait que conduire des camions et que « si » le requérant retournait travailler, il faudrait que ce travail soit sédentaire. Si le physiothérapeute pensait que le requérant pouvait retourner au travail, il aurait écrit que le requérant « peut » retourner au travail ou qu’il pouvait tenter de retourner travailler.

[19] Le ministre soutient que les avis médicaux peuvent être interprétés différemment et qu’il revenait à la division générale de les interpréter. Je ne peux intervenir que si l’interprétation des notes médicales de la division générale est abusive ou arbitraire. Le ministre soutient que l’interprétation de la division générale n’était ni abusive ni arbitraire et qu’ainsi, je ne devrais pas conclure qu’il y a eu erreur et préférer l’interprétation du prestataire à celle de la division générale.

[20] Lorsque j’ai accordé au requérant la permission d’en appeler, j’ai établi qu’on pouvait avancer que la division générale a commis une erreur de fait concernant l’avis réel du physiothérapeute. Toutefois, dans cette décision, j’ai constaté que la norme pour établir qu’il y a eu erreur de fait est la présence d’une conclusion abusive ou arbitraire.

[21] À la lumière de tous les arguments qui m’ont été présentés, je ne suis pas convaincue que la division générale a commis une erreur en l’espèce.

[22] Les mots choisis par le physiothérapeute laissent place à l’interprétation. L’interprétation de la division générale ne contredit pas sciemment les mots de la note médicale et semble être guidée par un jugement solide. La division générale a conclu que le physiothérapeute était d’avis que le requérant était capable de faire un travail sédentaire. La membre de la division générale a analysé les mots de la note médicale et a tenu compte de l’argument du requérant quant à ce que la note voulait réellement dire.

[23] Toutefois, la division générale a ultimement conclu que dans sa note, le physiothérapeute ne faisait pas que décrire ce que le requérant pourrait faire : il indiquait ce que le requérant était capable de faire. La division générale a souligné que cette approche d’interprétation de la note était cohérente avec le rôle du physiothérapeute, qui était régulièrement responsable du traitement du requérant et qui avait les connaissances directes pour évaluer sa capacité.

[24] Je comprends que ce n’est pas ainsi que le requérant souhaitait que la division générale interprète la note du physiothérapeute, mais l’approche d’interprétation de l’avis du physiothérapeute n’était pas, dans ce cas-ci, abusive ou arbitraire. La note énumère d’autres limitations (comme faire des tâches au-dessus de la tête), encore une fois axées sur les capacités fonctionnelles du requérant. Elle ne fait pas simplement spéculer quant aux limitations qu’il pourrait avoir s’il était en mesure de retourner travailler.

Il n’y a aucune erreur de fait ou de droit au sujet du traitement du requérant

[25] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a abordé et tranché la question de l’observance du traitement du requérant.

[26] La division générale a indiqué :

« Bien qu’il revienne au requérant d’accepter le traitement recommandé ou non, il est important de comprendre que refuser un traitement peut avoir une incidence sur le statut de son invalidité.

Un traitement a été offert avant la fin de la PMA et récemment, ce qui pourrait aider le requérant. En refusant les traitements, le requérant pourrait prolonger ses douleurs et limiter son niveau de fonctionnement.

Néanmoins, son refus d’accepter ces traitements n’a pas eu d’incidence directe sur le statut de son invalidité. Je suis davantage convaincue par la preuve qu’il a une capacité de travailler malgré ses douleurs prolongées et ses limitations fonctionnellesNote de bas de page 10. »

[27] Le requérant prétend que la membre de la division générale a :

  • commis une erreur de fait en concluant que le requérant avait refusé des options raisonnables de traitement qui lui avaient été proposées par ses médecins;
  • commis une erreur de droit en omettant d’expliquer pourquoi elle a conclu que le fait que le requérant refuse apparemment de subir une chirurgie était déraisonnable à la lumière des recommandations de son équipe de traitement.

[28] Le ministre soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur de fait en indiquant que le requérant avait refusé l’offre du Dr Bicknell de procéder à une arthroscopie et un débridement à l’épaule gauche. Il revenait au requérant de procéder ou non à ces interventions, mais avant la fin de sa PMA, il a décidé de ne pas les subir. La division générale a indiqué que le requérant avait cherché et tenté de subir d’autres traitements, mais qu’il avait refusé les interventions chirurgicales. Cela est cohérent avec l’information au dossier et avec le témoignage du requérant. Le ministre soutient que lorsque la membre de la division générale a posé des questions au sujet des interventions chirurgicales au requérant pendant l’audience, celui-ci a témoigné qu’il avait parlé des interventions avec le Dr Bicknell et qu’il avait décidé que les risques étaient supérieurs aux avantages. La division générale s’est fiée au témoignage du requérant.

[29] Le ministre soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard. La division générale ne s’est pas fondée sur la question du traitement pour trancher l’affaire du requérant. Il n’y a donc pas d’erreur si la décision ne comporte pas d’analyse exhaustive expliquant pourquoi son refus était déraisonnable. La division générale a conclu que la décision du requérant de ne pas subir l’intervention chirurgicale n’avait pas eu d’incidence directe sur le statut de son invalidité. La division générale a rejeté la demande du requérant parce qu’elle a conclu qu’il avait une certaine capacité de travailler (de façon sédentaire). Le requérant n’a pas montré que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été vaines en raison de son état de santé.

[30] La question du traitement du requérant peut être pertinente pour ces raisons :

  • elle peut indiquer si le requérant a pris des mesures pour gérer son invaliditéNote de bas de page 11;
  • elle peut indiquer si le requérant a raisonnablement refusé un traitement qui aurait pu avoir une incidence sur sa capacité de travailler, ce qui aurait pu entraîner la conclusion que le requérant n’était pas admissible à une pension d’invaliditéNote de bas de page 12.

[31] À mon avis, la division générale n’a pas tiré la conclusion de fait qui, aux yeux du requérant, constitue une erreur de fait. Par ailleurs, j’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en omettant de fournir une analyse au sujet du traitement offert au requérant. La division générale ne s’est pas fondée sur le traitement du requérant pour rejeter son appel.

[32] Je ne suis pas convaincue que la division générale ait tiré la conclusion de fait pointée du doigt par le requérant, selon laquelle il aurait déraisonnablement refusé les options de traitement offertes par ses médecins. La division générale a conclu que le Dr Bicknell a offert des interventions chirurgicales que le requérant a refusées. Cela n’est pas la même chose que si la division générale avait conclu que l’équipe de traitement du requérant avait recommandé des interventions chirurgicales, que le requérant les a refusées et que ce refus avait eu une incidence sur le statut de l’invalidité du requérant.

[33] Il semble que la division générale a simplement pris note du témoignage du requérant à cet égard : il a refusé une option de traitement. La décision aurait pu clarifier si le traitement avait été réellement « recommandé », mais cela n’a pas d’importance puisque la division générale :

  • n’a pas tiré la conclusion que ce refus était déraisonnable;
  • n’a pas tiré la conclusion que ce refus avait eu une incidence sur le statut de son invalidité.

[34] La présence de ces deux conclusions aurait été nécessaire pour refuser une pension d’invalidité sur le fondement que la personne a refusé d’observer le traitement recommandé. La division générale a expressément indiqué qu’elle tranchait l’affaire sur le fondement d’une autre question, plus précisément, sur le fait que le requérant avait une certaine capacité de travailler, mais qu’il n’avait pas montré que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi avaient été vaines en raison de son invalidité.

[35] La décision de la division générale aborde la question de l’observance du traitement, mais ne fournit aucune analyse exhaustive de la question. La division générale ne s’est pas fondée sur l’observance du traitement pour rejeter la demande de pension d’invalidité du requérant. Ainsi, dans la mesure où l’analyse de cette question était incomplète, conclure qu’il y a eu erreur de droit dans cette analyse ne viendrait pas aider le requérant à obtenir une pension d’invalidité.

Erreurs relatives aux démarches du requérant pour obtenir et conserver un emploi

[36] La division générale a commis des erreurs relatives aux démarches du requérant pour obtenir et conserver un emploi.

[37] S’il a une certaine capacité de travailler, le requérant doit montrer que ses démarches pour se trouver et conserver un emploi ont été vaines en raison de son état de santéNote de bas de page 13.

[38] La division générale a abordé le témoignage du requérant en ce qui concerne ses tentatives d’obtenir et de conserver un emploi. La division générale a soulevé les points suivants en ce qui concerne le fait qu’il avait tenté de travailler pour son ami en faisant de la réparation de voitures téléguidées.

« Il ne s’agissait pas d’un emploi. Il n’était pas payé.

Il faisait cela à raison d’une ou deux heures, quelques fois par semaines, de façon sporadique. Il ne l’a fait qu’à quelques reprises. Il répondait au téléphone lorsque son ami était occupé. Il a déclaré que l’établissement était une boutique de loisirs, et qu’il avait tenté l’expérience parce qu’il pensait qu’il contrôlait bien sa douleur. Le requérant a déclaré qu’il ne pouvait pas bien faire le travail et qu’il n’était pas mentalement disposé à travailler en raison de la douleur.

Aucune preuve ne vient corroborer son expérience en réparation de voitures téléguidées. Il a clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un emploi. Il s’agissait d’une boutique de loisirs et les voitures téléguidées étaient un passe-temps pour le requérant. Je ne considère donc pas qu’il s’agissait d’une tentative de travailler. Je ne considère pas non plus que son ami était un employeur bienveillant, puisqu’il ne s’agissait pas d’un travail et qu’il n’était pas payé. Aussi, cela exigeait un certain degré d’effort physique qui impliquait présumément l’utilisation de ses bras et donc, de son épaule. Il a été établi que lors de sa PMA, et quelques mois après sa PMA, il était préférable qu’il ne fasse pas de travail physique. Il ne s’agissait pas d’une tentative d’occuper un poste adapté à ses limitationsNote de bas de page 14.

Ainsi, il y a une preuve de sa capacité de travailler avant la fin de sa PMA et bien après sa PMA, et le requérant n’a pas réussi à prouver que ses tentatives d’obtenir et de conserver un emploi avaient été vaines en raison de ses douleurs à l’épaule. »

[39] Le requérant soutient que la division générale a ignoré ou n’a pas vraiment tenu compte de la preuve du requérant montrant ses démarches pour retourner travailler. Le requérant a témoigné qu’il avait tenté de retourner travailler comme bénévole, en 2018, pour savoir s’il avait la capacité de faire des tâches simples et parce qu’il voulait savoir quelles étaient ses limitations en milieu de travail. Le requérant a expliqué qu’il avait des difficultés importantes à faire ses tâches. Il ne pouvait même pas réparer des voitures téléguidées pendant plus d’une ou deux heures. Il n’avait pas beaucoup de force en général et sa préhension était faible. Deux de ses doigts étaient engourdis, ses douleurs augmentaient considérablement et il avait de la difficulté à se concentrer. Cela faisait en sorte qu’il commettait des erreurs.

[40] Le requérant fait aussi remarquer qu’il a témoigné au sujet de ses tentatives d’offrir du service à la clientèle dans la même boutique, mais qu’il n’était pas à l’aise d’utiliser la caisse et les systèmes informatiques. Il n’est pas habile avec les ordinateurs et ne voulait pas faire d’erreurs. Il affirme que sa preuve montrait qu’au moment de l’audience, il avait travaillé de 20 à 30 heures sur une période de deux ans.

[41] Le requérant soutient que la division générale a simplement conclu qu’il ne s’agissait pas d’un emploi, ni d’une tentative d’occuper un emploi respectant ses limitations, et que ces conclusions de fait étaient des erreurs compte tenu de ce qu’il avait dit au sujet de ses tentatives de travailler.

[42] Le ministre soutient que la division générale n’a pas tiré de conclusion de fait de façon abusive ou arbitraire au sujet des tentatives du requérant de retourner travailler. La division générale n’a pas mal interprété le témoignage du requérant dans sa décision. Elle ne considérait pas qu’il s’agissait d’une tentative valide de travailler puisque selon le témoignage du requérant, il ne s’agissait clairement pas d’un emploi. Il n’était pas payé. La division générale a fait remarquer que ce travail exigeait du requérant qu’il utilise ses bras, et par conséquent son épaule gauche, et qu’il s’agissait donc d’un travail physique qui ne respectait pas ses limitations.

[43] À mon avis, la division générale a commis une erreur de droit et une erreur de fait en analysant la tentative du requérant de travailler.

[44] Je vais d’abord aborder l’erreur de droit. Lorsque la division générale établit que le requérant a une capacité résiduelle de travailler, le requérant a un fardeau supplémentaire dont il doit s’acquitter dans son appel. Le requérant doit montrer (selon la prépondérance des probabilités) que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été vaines en raison de son invalidité. Ce fardeau supplémentaire existe en raison d’un arrêt de la Cour fédérale et ne fait pas partie du critère relatif à l’invalidité grave établi dans la loi. Cette exigence est interprétée de la façon suivante : les démarches d’emploi du requérant doivent être raisonnablesNote de bas de page 15.

[45] À mon avis, une partie requérante peut s’acquitter de ce fardeau additionnel de différentes façons. Par exemple, une partie requérante peut montrer que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été vaines en raison de son invalidité en prouvant :

  • qu’elle a postulé plusieurs emplois, mais n’a pas été embauchée en raison de ses limitations fonctionnelles;
  • qu’elle a tenté d’occuper un emploi pendant quelques mois, mais qu’elle a dû l’abandonner en raison d’augmentations de la douleur ou de son invalidité.

[46] La loi ne fixe aucune exigence précise selon laquelle le requérant doit avoir réussi à se trouver un emploi rémunéré pour s’acquitter de ce fardeau. La loi ne fixe par ailleurs aucune exigence relative aux preuves que le requérant doit présenter pour corroborer ses démarches pour se trouver et conserver un emploi. En fait, il n’existe aucune exigence générale selon laquelle les parties requérantes doivent avoir postulé un emploi rémunéré ou à temps plein comme première étape.

[47] À mon avis, dans certaines circonstances (selon la nature des limitations fonctionnelles du requérant et ses circonstances personnelles), un effort raisonnable pour se trouver un emploi pourrait ressembler à un stage non rémunéré ou à du bénévolat pour tenter de mettre à l’épreuve sa force, ses niveaux de douleurs, l’amplitude de ses mouvements, ses habiletés cognitives, sa santé mentale, son endurance, etc. Cette approche pourrait être particulièrement raisonnable si les spécialistes médicaux affirment qu’une personne a une capacité de travailler, mais que celle-ci ne pense pas, subjectivement, que ce soit le cas.

[48] Dans ce cas-ci, le requérant n’avait effectué que des travaux physiques tout au long de sa carrière. Il avait beaucoup de douleurs non gérées à l’épaule, malgré les médicaments et les injections de cortisone. Le remplacement chirurgical de son épaule ne se ferait pas avant plusieurs années. Le requérant a mesuré les risques et les avantages de l’autre intervention chirurgicale qu’on lui offrait en attendant et a décidé de ne pas la subir. Dans ce contexte, qu’est-ce qui serait considéré comme une démarche raisonnable pour obtenir et conserver un emploi?

[49] La division générale semble avoir rejeté l’appel du requérant parce que son travail au magasin n’était pas rémunéré et qu’elle ne considérait pas qu’il s’agissait d’un emploi. Dans ce contexte, il pourrait y avoir erreur de droit. À mon avis, la décision laisse au lecteur l’impression que le requérant devait postuler un emploi rémunéré et tenter sa chance pour montrer que ses démarches étaient raisonnables. En l’absence de l’exigence précise de prendre cette démarche exacte dans la loi, la décision n’explique pas pourquoi la démarche du requérant (de commencer à travailler de façon bénévole au magasin d’un ami) n’était pas raisonnable.

[50] J’estime aussi que les raisons fournies par la division générale pour rejeter cette démarche contenaient aussi une erreur de fait. La division générale a conclu que la tâche qui consistait à réparer des voitures téléguidées dans le magasin exigeait du requérant « un certain degré d’effort physique qui impliquait présumément l’utilisation de ses bras et donc, de son épaule ». La décision poursuit avec ce qui suit : « Il a été établi que lors de sa PMA, et quelques mois après sa PMA, il était préférable qu’il ne fasse pas de travail physique. Il ne s’agissait pas d’une tentative d’occuper un poste adapté à ses limitationsNote de bas de page 16. »

[51] J’ai écouté le témoignage du requérant devant la division générale concernant les tâches qu’il effectuait au magasin. La conclusion selon laquelle ces tâches nécessitaient un « effort physique » ne respectant pas ses limitations comportait une erreur de fait. Le requérant ne devait pas faire le genre de travail physique qu’il effectuait lorsqu’il était conducteur de camion. La conclusion de la division générale, selon laquelle le fait de travailler sur des petites voitures téléguidées ou radiocommandées à raison d’une heure ou deux à la fois excédait ses limitations physiques et n’était pas adéquat en raison de ses douleurs à l’épaule, était une erreur de fait et constituait une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire compte tenu de la preuve. Les petits mouvements nécessaires pour réparer une voiture téléguidée ne sont tout simplement pas comparables à des tâches exigeantes sur le plan physique comme soulever des objets et les autres tâches de nature physique entourant la conduite d’un camionNote de bas de page 17.

Aucune erreur de droit : la division générale a tenu compte du contexte réaliste

[52] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit : la division générale a tenu compte du contexte réaliste, comme l’exige le droit.

[53] Le requérant soutient que la division générale n’a pas tenu compte des circonstances du requérant dans un contexte réaliste lorsqu’elle a analysé ses démarches pour obtenir et conserver un emploi et en décidant seulement que ses démarches à cet égard n’avaient pas été vaines seulement en raison de sa blessure à l’épaule. Le requérant soutient que son témoignage montre qu’il n’était pas capable de travailler plus de deux heures par jour dans le cadre d’un travail bénévole sédentaire, qu’il n’a aucune expérience avec les ordinateurs, qu’il a peu de scolarité et qu’il n’a de l’expérience de travail que pour des emplois de nature physique. Le requérant soutient qu’il semble que la division générale :

  1. exigeait qu’il prouve qu’il était incapable de faire un travail sédentaire plutôt que de
  2. prouver qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Pour rendre une décision fondée sur b), il faut procéder à l’analyse des circonstances personnelles du requérant, comme ses antécédents professionnels et son expérience de vie.

[54] Le ministre soutient que la division générale n’a commis aucune erreur de droit, et que la division générale a analysé (comme requis) comment des facteurs comme l’âge, la scolarité, les aptitudes linguistiques, l’expérience professionnelle et l’expérience de vie pourraient restreindre l’employabilité du requérant.

[55] Le ministre soutient que la division générale a reconnu la nécessité de tenir compte de facteurs dans un contexte réaliste, puis les a appliqués aux circonstances du requérant. La division générale a conclu que ces facteurs, en combinaison avec ses limitations physiques, ne faisaient pas en sorte que le requérant était incapable de travailler. Le requérant était en mesure de se recycler professionnellement pour un emploi sédentaire et la division générale a fait mention du rapport qui fournissait une liste d’emplois sédentaires que le requérant pouvait occuper.

[56] À mon avis, la division générale n’a pas commis d’erreur de droit. La division générale a mené une analyse des circonstances du requérant dans un contexte réaliste et a fait mention de son âge, de son niveau de scolarité, de ses aptitudes linguistiques et de ses expériences professionnelles et de vieNote de bas de page 18.

[57] Dans certains cas, la véritable cause de l’incapacité d’une partie requérante de retourner au travail est qu’elle n’a pas déployé d’efforts suffisants pour se trouver un emploi adaptés à ses limites documentées pendant sa PMA. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire de mener une analyse exhaustive de facteurs dans un contexte réaliste qui pourraient également présenter un obstacle à l’emploiNote de bas de page 19. C’est d’ailleurs le cas, ici. La division générale a conclu que le requérant avait la capacité de faire un travail sédentaire en se fondant sur la preuve médicale disponible. Selon la preuve du requérant, il ne s’est pas cherché d’emploi du tout à l’époque de sa PMA parce qu’il n’avait aucune capacité de travailler. Toutefois, la division générale a conclu, à partir du rapport du physiothérapeute et de la lettre du médecin, qu’il avait une certaine capacité de travailler à l’époque de sa PMA. La division générale a abordé les circonstances personnelles du requérant et n’a pas, dans ce cas-ci, commis d’erreur de droit.

Réparation

[58] Si je conclus que la division générale a commis une erreur, je peux soit renvoyer l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen, soit rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 20.

[59] Le dossier est complet. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Il s’agit de la façon la plus juste et expéditive de procéderNote de bas de page 21. Les parties n’ont pas contesté cette approche.

[60] La division générale a conclu que la preuve médicale montrait que le requérant avait une capacité résiduelle de travailler. La division générale s’est fondée principalement sur la preuve médicale du physiothérapeute et du Dr Pickle à cet égard, mais elle a aussi tenu compte de documents produits après la PMA qui indiquaient que le requérant avait une certaine capacité de travaillerNote de bas de page 22. Il n’y a pas d’erreur en ce qui concerne cette conclusion, et j’adopte également ces motifs.

[61] La partie de la décision que je dois rendre porte sur la question de savoir si le requérant a prouvé (selon la prépondérance des probabilités) que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été vaines en raison de son état de santéNote de bas de page 23.

[62] Je conclus que le requérant n’a pas satisfait cette exigence, mais la raison pour laquelle je tire cette conclusion diffère des motifs fournis par la division générale. Le requérant n’a pas montré qu’il avait pris des démarches pour obtenir ou conserver son emploi entre la date de son accident et la mi-2018. Ainsi, il n’est pas admissible à une pension d’invalidité.

Le requérant n’a pas pris de démarches pour obtenir et conserver un emploi pendant la période pertinente.

[63] J’accepte le témoignage du requérant en ce qui concerne ses tentatives d’obtenir et de conserver un emploi. Il a affirmé que pendant la majorité de la première année après son accident (en janvier 2015), il était incapable de travailler et n’a pas pris de démarches pour obtenir ou conserver un emploi pendant cette période. Son bras était tenu dans une écharpe pendant la majorité de l’année après son accident. Initialement, il avait des douleurs mal contrôlées pas seulement à l’épaule, mais aussi au coccyx, au pied, à l’abdomen, à la poitrine et au poignet. Il avait également des douleurs au cou. Il ne dormait pas bien. Il était incapable de répondre à ses propres besoins de façon indépendante : il ne pouvait pas s’habiller, prendre sa douche et faire sa toilette.

[64] J’accepte la preuve que le requérant a fournie concernant ses tentatives de retour au travail, qui ont commencé avec l’aide d’un ami dans un magasin de loisirs, pour tester ses capacités, à partir de 2018.

[65] Le témoignage du requérant était clair : il n’a fait aucune démarche pour obtenir ou conserver un emploi entre le moment de l’accident et sa tentative de travailler au magasin en 2018. L’état de santé du requérant a commencé à s’améliorer un an après l’accident, aux alentours de janvier 2016. Le requérant n’a pris aucune démarche pour obtenir ou conserver un emploi avant 2018. Les démarches qu’il a prises en 2018 n’étaient pas déraisonnables en soi. Dans cette affaire, le requérant devait montrer qu’il avait pris certaines démarches avant la fin de sa PMA, le 31 décembre 2016. Il n’a pas répondu à cette exigenceNote de bas de page 24.

[66] Je conclus, à la lumière de l’état de santé du requérant et de ses circonstances personnelles, qu’il avait une certaine capacité d’occuper un emploi sédentaire ou de se recycler professionnellement à cette fin au moment de sa PMA. Il n’a pris aucune démarche pour obtenir ou conserver un emploi jusqu’à ce qu’il tente de travailler au magasin de loisirs en 2018. Le moment où ces efforts ont été déployés n’était pas raisonnable compte tenu des circonstances.

[67] Le requérant n’est pas admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC.

Conclusion

[68] Je rejette l’appel.

Date de l’audience :

Le 9 septembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Ryan Alkenbrack, représentant de l’appelant

Ian McRobbie, représentant de l’intimé

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