Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KF c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1094

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1538

ENTRE :

K. F.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Tyler Moore
Requérant représenté par : Thomas W. Zwiebel
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 15 octobre 2020
Date de la décision : Le 4 novembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant, K. F., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements doivent commencer en octobre 2017. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] Le dernier emploi du requérant était en tant que manutentionnaire à temps plein d’octobre 2014 à juillet 2016. En janvier 2016, il a fait une chute d’une échelle de huit pieds au travail. Cette chute lui a causé des douleurs au dos, des maux de tête et des étourdissements. Le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 7 septembre 2018. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande parce qu’il est jeune, parle couramment l’anglais, n’a pas de problèmes cognitifs et n’est pas atteint d’une déficience orthopédique ou neurologique grave. Le requérant a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que le requérant doit prouver

[3] Pour obtenir gain de cause en appel, le requérant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2018. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCFootnote 1.

[4] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner le décèsFootnote 2.

Motifs de ma décision

[5] J’estime que le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en juillet 2016. J’ai rendu cette décision en examinant les questions qui suivent.

L’invalidité du requérant était-elle grave?

Le requérant a des limitations fonctionnelles qui ont une incidence sur sa capacité à travailler

[6] Ma décision quant à savoir si le requérant est atteint d’une invalidité grave n’est pas fondée sur ses diagnostics. Elle est fondée sur la question de savoir s’il a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de travaillerFootnote 3. Je dois examiner son état de santé général et réfléchir à la manière dont ses problèmes de santé pourraient avoir une incidence sur sa capacité à travaillerFootnote 4.

[7] Le requérant fait valoir que ses douleurs chroniques au dos, ses maux de tête ainsi que son anxiété et sa dépression secondaires ont entraîné une incapacité à rester assis pendant plus de 5 à 10 minutes et à se tenir debout pendant une période prolongée, des difficultés à se pencher, à atteindre ou à soulever des objets, une faiblesse et des picotements dans les jambes, une diminution de l’amplitude des mouvements du dos, des douleurs et des crampes aux pieds, de l’insomnie et une incapacité à accomplir les tâches ménagères. Il doit utiliser une canne pour marcher.

[8] Le requérant n’est pas marié, mais il a un fils dont il subvient aux besoins au Guyana. En décembre 2018, le requérant vivait avec son frère dans un appartement situé au sous-sol. Depuis 2016, il doit compter sur son frère pour lui apporter du soutien au quotidien. Son frère fait l’épicerie, la lessive, la cuisine et le ménage. Le requérant s’isole socialement en raison de son affection et quitte rarement sa maison. Il passe ses journées à se reposer et à essayer de faire quelques tâches de base. Le fait qu’il ne soit plus capable de faire ce qu’il faisait auparavant est à l’origine de ses symptômes de dépression et d’anxiété.

[9] En évaluant la capacité de travail du requérant, j’ai accordé davantage de poids aux rapports médicaux des médecins traitants du requérant. Ils sont les mieux placés pour commenter l’état de santé du requérant, sa réaction aux traitements et ses limitations fonctionnelles actuelles.

[10] La preuve médicale de la Dre Buchstein, du Dr Aziz, du Dr Karmy et de la Dre Nicoara soutient l’argument du requérant. Les imageries par résonance magnétique de la colonne vertébrale du requérant à partir de 2017 fournissent également une preuve objective de multiples petites hernies discales et d’un rétrécissement neuroforaminal léger à modéré à la colonne thoracique. Elles révèlent également une discopathie à plusieurs niveaux dans la colonne lombaire qui comprime les racines nerveuses S1Footnote 5.

[11] En juillet 2017, le Dr Karmy, spécialiste de la douleur du requérant, a signalé que le requérant avait des douleurs chroniques au cou, à l’épaule droite, au dos et aux deux membres inférieurs depuis sa chute au travail en 2016. Ses maux de tête quotidiens ont été évalués subjectivement entre 5 et 9 sur 10, sa douleur au cou et à l’épaule droite entre 5 et 6 sur 10, et sa douleur au bas du dos à 9 sur 10. Les douleurs du requérant s’aggravaient lorsqu’il changeait de position, se penchait, soulevait des charges lourdes et restait longtemps assis ou debout.

[12] En décembre 2017, la Dre Nicoara, psychiatre, a signalé que le trouble d’adaptation, l’anxiété et la dépression du requérant contribuaient à son état de santé général. En mars 2018, la Dre Buchstein, médecin de famille, a également signalé que le requérant était incapable de rester assis ou debout pendant plus de 5 à 10 minutes. Il avait également une faiblesse dans les jambes et des douleurs persistantes. En novembre 2018, le Dr Aziz, psychiatre, a signalé que le requérant était atteint de douleurs chroniques continues, d’insomnie et de dépression légère.

[13] J’estime que dans la présente affaire, il est également important de tenir compte du caractère subjectif des répercussions de la douleur chez le requérant. La douleur ne peut être mesurée de manière empirique, mais sa perception peut varier considérablement d’une personne à l’autre. C’est précisément pour ce motif que j’ai accordé autant de poids au témoignage crédible du requérant concernant les répercussions subjectives de la douleur sur sa vie quotidienne qu’aux éléments de preuve médicale contenus dans le dossier d’audience.

[14] Je suis également conscient que certains rapports médicaux figurant dans le dossier d’audience ne soutiennent pas l’argument du requérant. Par exemple, en novembre 2016, un rapport de physiothérapie indiquait que le renforcement du tronc avait permis d’améliorer considérablement les symptômes au niveau du dos et l’amplitude des mouvements du requérant. Le requérant a toutefois fait valoir que le rapport n’était pas exact dans la mesure où il n’est jamais parvenu à ces améliorations. J’accepte les observations du requérant fondées sur les conclusions des rapports plus récents de la Dre Buchstein et du Dr Karmy.

[15] Dans l’ensemble, j’estime que les éléments de preuve démontrent que le requérant avait des limitations fonctionnelles qui avaient une incidence sur sa capacité à travailler au 31 décembre 2018.

Le requérant n’est pas capable de travailler

[16] Pour décider si le requérant est capable de travailler, je dois prendre en considération plus que ses problèmes médicaux et leurs effets sur ses capacités fonctionnelles. Je dois également tenir compte de son âge, de son niveau d’éducation, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents professionnels et de son expérience de vie. Ces facteurs m’aident à décider s’il peut travailler dans un contexte réalisteFootnote 6.

[17] J’estime que le requérant n’est pas capable de travailler dans un contexte réaliste. Il est arrivé au Canada en 2012 en provenance du Guyana en tant qu’immigrant admis. Il a cessé d’aller à l’école au Guyana avant d’avoir terminé sa huitième année. Il parle couramment l’anglais, mais ses compétences en lecture et en écriture sont plus faibles. Il a uniquement travaillé comme ouvrier physique dans des usines. Il ne possède pas d’ordinateur et n’a aucune compétence en informatique.

[18] Il ne fait aucun doute que le requérant est très jeune puisqu’il a 29 ans. En soi, cela ne l’empêche pas nécessairement de recevoir une pension d’invalidité du RPC. Le requérant a une éducation formelle très limitée, il n’a pas de compétences transférables et il a de nombreuses limitations fonctionnelles. Il ne peut rester dans la même position longtemps et a des restrictions lorsqu’il s’agit de se pencher, de soulever ou d’atteindre des objets. J’estime que la combinaison de ces facteurs fait de lui un mauvais candidat pour un recyclage réussi ou pour un travail moins exigeant.

[19] Le requérant est retourné exercer un emploi à temps plein comportant des tâches modifiées peu après son premier accident. Ses tâches consistaient à se tenir debout et à ramasser des boîtes. Avant l’accident, il déchargeait des pièces de remorques. Sa douleur ne cessait de s’aggraver à mesure qu’il continuait à travailler, mais il sentait qu’il n’avait pas d’autre choix que de continuer. Il n’avait pas d’autre moyen de subvenir à ses besoins ni à ceux de son fils au Guyana. En juillet 2016, le requérant s’est évanoui de douleur au travail et a dû être transporté en ambulance dans un hôpital local. En mars 2018, la Dre Buchstein a signalé qu’il n’y avait pas de travail modifié ou d’horaire quotidien régulier qui permettrait de tenir compte des limitations du requérant.

[20] Je reconnais que le requérant a continué à travailler aussi longtemps qu’il le pouvait, en effectuant le seul type de travail pour lequel il était qualifié compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle. Il n’a pas cherché d’autre travail depuis juillet 2016, car son état de santé ne s’est pas amélioré.

Le requérant a fait des efforts raisonnables pour suivre les traitements recommandés

[21] Le requérant a fait des efforts raisonnables pour suivre les avis médicauxFootnote 7. En décembre 2018, il prenait les médicaments suivants : de la mirtazapine, du Tylenol, de la nortriptyline et de la prégabaline. Il ne prend actuellement que de la prégabaline pour la douleur, car il n’a pas les moyens d’acheter d’autres médicaments. Depuis février 2018, il se rend toutes les deux semaines dans une clinique de la douleur pour des injections dans les zones gâchettes et les blocs nerveux. Il a également fait des séances de physiothérapie et a reçu des massages lorsqu’ils étaient couverts par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Le requérant a consulté de nombreux spécialistes pour ses problèmes physiques et psychologiques.

[22] Selon les propos tenus par le Dr Karmy en juin 2017, aucun traitement ou médicament n’a permis d’améliorer les symptômes du requérant. En janvier 2019, la Dre Sandhu, anesthésiste, a confirmé que les injections contre la douleur n’apportaient que peu, voire aucun bénéfice. Le requérant a affirmé qu’il continue à suivre les traitements recommandés du mieux qu’il peut parce qu’il veut aller mieux. J’en conviens. Malheureusement, aucun traitement n’a pu améliorer ses capacités fonctionnelles.

Le requérant a-t-il une invalidité prolongée?

[23] L’invalidité du requérant est prolongée. Son problème de santé est apparu en janvier 2016, il était présent lorsqu’il a quitté son travail en juillet 2016 et il continue à se manifester encore aujourd’hui. Malgré le fait qu’il ne travaille pas, qu’il prend les médicaments qu’il peut se payer, qu’il fait des exercices à la maison, qu’il reçoit régulièrement des injections contre la douleur et qu’il consulte plusieurs spécialistes, l’état de santé général du requérant ne s’est pas vraiment amélioré. La Dre Buchstein ne s’attend pas à ce que les restrictions ou les limitations du requérant changent.

Conclusion

[24] J’accueille l’appel. Le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en juillet 2016, date où il a cessé de travailler. Cependant, le RPC précise qu’il ne peut pas être réputé invalide plus de 15 mois avant la réception d’une demande de pension d’invalidité par le ministre. Après cela, il y a une période d’attente de quatre mois avant que les versements commencentFootnote 8. Le ministre a reçu la demande du requérant en septembre 2018. Il est donc réputé être devenu invalide en juin 2017. Les versements de sa pension commencent en octobre 2017.

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