Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : TA c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1088

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1508

ENTRE :

T. A.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : George Tsakalis
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 10 novembre 2020
Date de la décision : Le 16 novembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante, T. A., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) payable à compter de mai 2017. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] La requérante est née en 1977. Elle est diplômée d’un collège communautaire en counselling et assistance en éducation. Elle a étudié la psychologie à l’université, mais elle n’a pas terminé son programme parce qu’elle a trouvé un emploi à temps plein. La requérante a travaillé pour la dernière fois comme conseillère en toxicomanie. Elle n’a pas travaillé depuis octobre 2015. Elle soutient qu’elle n’a pas été en mesure d’occuper un quelconque emploi depuis octobre 2015 en raison de la sclérose en plaques (SP).

[3] La requérante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 11 avril 2018. Le ministre de l’Emploi et du Développement social du Canada a rejeté sa demande parce que le neurologue de la requérante avait émis une opinion selon laquelle elle pourrait travaillerNote de bas de page 1. La requérante a fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que la requérante doit prouver

[4] Pour obtenir gain de cause, la requérante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2017. Cette date est basée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 2.

[5] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 3.

Motifs de ma décision

[6] J’estime que la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date d’octobre 2015. Je me suis penché sur les questions suivantes pour rendre cette décision.

L’invalidité de la requérante était-elle grave?

La requérante a des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travailler

[7] Ma décision sur la question de savoir si l’invalidité de la requérante est grave n’est pas fondée sur son diagnostic. Elle est fondée sur la question de savoir si elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de travaillerNote de bas de page 4. Je dois examiner son état de santé global et réfléchir aux façons dont les problèmes de santé de la requérante pourraient affecter sa capacité à travaillerNote de bas de page 5.

[8] La requérante doit fournir une preuve médicale objective de son invalidité en date du 31 décembre 2017. Si la requérante ne réussit pas à démontrer qu’elle était atteinte d’une invalidité grave avant cette date, sa preuve médicale d’après cette date n’est pas pertinenteNote de bas de page 6.

[9] La requérante fait valoir que la SP a entraîné des incapacités fonctionnelles en ce qui a trait à la position assise, à la marche, à sa mémoire et à sa concentration. Elle avait de la difficulté à accomplir ses activités quotidiennes. La SP a affecté sa vision, ce qui a affecté sa capacité à conduire. Les médicaments ont causé de graves urgences intestinales, et elle a une vessie neurogène en raison de la sclérose en plaques. Elle avait aussi de la difficulté à terminer ses tâches domestiques en raison d’une importante fatigueNote de bas de page 7.

[10] La requérante a affirmé avoir travaillé comme aide‑enseignante après la fin de ses études. Elle aidait les enfants qui avaient des déficiences cognitives et physiques à faire leurs travaux en classe. Elle a aidé son époux dans son entreprise de gestion d’immeubles. Elle a effectué occasionnellement des travaux d’entretien extérieur et des inspections d’immeubles de janvier à octobre 2015. Elle a travaillé comme conseillère en toxicomanie à temps plein de juillet 2007 à octobre 2015.

[11] Les problèmes de santé de la requérante ont commencé vers 2012 ou 2013. Elle a reçu un diagnostic de SP. Lorsqu’elle s’est réveillée un matin, son corps était engourdi des pieds à la poitrine. Elle a passé une semaine à l’hôpital. Elle est finalement retournée au travail après un arrêt d’environ deux mois. Elle avait encore des engourdissements et des sensations de picotement, mais elle se levait et marchait au besoin, au travail, pour soulager ces symptômes.

[12] En octobre 2015, la requérante ne s’est pas sentie bien alors qu’elle assistait à une réunion au travail. Elle s’est sentie déconnectée de ce qui se passait autour d’elle. Elle a eu un vertige, et sa vision périphérique était réduite. Elle s’est retrouvée à l’hôpital. On lui a diagnostiqué une névrite optique, ce qui est une complication de la SP. Elle a été mise en arrêt de travail et n’a pas travaillé depuis. Elle continue de recevoir des prestations d’invalidité de la Canada‑Vie. La Canada‑Vie n’a pas suggéré qu’elle suive une formation pour exercer une autre carrière.

[13] La requérante a affirmé que sa fatigue a augmenté depuis son diagnostic de SP. Elle avait de la difficulté à s’habiller et à prendre une douche avant le 31 décembre 2017. Les actions de se vêtir et de prendre une douche lui causaient une grande fatigue. Elle éprouvait de la fatigue après avoir fait des tâches simples comme se brosser les dents. Elle avait de la difficulté à faire le lavage et la vaisselle, et à cuisiner. Elle avait de la difficulté à se tenir debout après avoir marché sur une longue distance. Sa mémoire est devenue problématique même avant son arrêt de travail en octobre 2015. Sa vision ne s’est jamais complètement rétablie.

[14] La requérante a affirmé qu’elle avait de bonnes journées pendant lesquelles elle pouvait faire des tâches domestiques et conduire ses enfants à leurs activités, mais qu’elle ressentait une grande fatigue le lendemain. Elle avait continuellement des problèmes urinaires et des selles imprévisibles au point où elle se souillait. Elle doit se tenir près des toilettes.

[15] Son employeur lui a offert de retourner au travail à temps partiel. La requérante a toutefois refusé. Elle ne peut pas prévoir comment elle se sentira d’un jour à l’autre. Elle a affirmé qu’elle pourrait travailler à la maison avec un ordinateur, mais elle ne pense pas pouvoir maintenir un horaire régulier et respecter les délais de production.

[16] Le stress a affecté la vue de la requérante et sa capacité à s’asseoir pendant une période prolongée avant le 31 décembre 2017. La position debout lui posait problème parce qu’elle la fatiguait. Elle avait des épisodes de chutes à cause de la SP. Elle évitait de conduire en soirée. Sa santé se détériore au fil du temps.

[17] La preuve médicale appuie l’argument de la requérante selon lequel elle n’a pas été capable de détenir un quelconque emploi depuis octobre 2015.

[18] Le neurologue de la requérante a confirmé que cette dernière avait reçu un diagnostic de SP en 2012 ou 2013. Il lui a posé un diagnostic de SP cyclique et de vessie neurogène. La requérante a dit à son neurologue qu’elle avait fait plusieurs chutes, sans avertissement, et qu’elle avait eu des urgences intestinales. Elle a souffert de fatigue et d’insomnieNote de bas de page 8.

[19] Le médecin de famille de la requérante a confirmé que cette dernière éprouvait fréquemment le besoin d’uriner et qu’elle avait souffert de névrite optiqueNote de bas de page 9.

[20] Le ministre a fait valoir que la preuve médicale n’appuyait pas une conclusion d’invalidité grave. Une imagerie par résonance magnétique cérébrale datée du 29 janvier 2017 ne montrait pas de preuve selon laquelle la SP avait progressé. Son médecin de famille a aussi noté que la requérante n’avait pas de problèmes cognitifs, de problèmes de mobilité ou de déficit neurologique.

[21] Le ministre a concentré son attention sur un rapport du neurologue de la requérante daté du 11 janvier 2019 pour soutenir que la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité grave. Le neurologue de la requérante a noté que la requérante fait du bénévolat 15 heures par semaine. Il croyait que la fatigue de la requérante n’était pas assez grave pour l’empêcher de détenir un quelconque emploi. Il a donné une opinion selon laquelle la requérante pourrait travailler 20 à 39 heures par semaine. Il a aussi noté que la requérante avait des antécédents de chutes non provoquées, et qu’elle ne devrait pas travailler dans un environnement dangereux. Le ministre a donc fait valoir que la requérante avait la capacité de travailler, et qu’elle ne pouvait pas recevoir une pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 10.

[22] Je ne suis pas d’accord avec les arguments du ministre. Je ne suis pas lié par le fait que le neurologue pense que la requérante peut travailler. C’est à moi de décider si la requérante est atteinte d’une invalidité grave selon le RPC sur le fondement de l’ensemble de la preuve portée à ma connaissance, ce qui inclut le témoignage de la requéranteNote de bas de page 11.

[23] J’ai interrogé la requérante au sujet des commentaires de son neurologue. La requérante a expliqué qu’elle vit dans une petite collectivité rurale isolée. Le bureau de son neurologue se trouve à six heures de route. Elle le voit seulement une fois par année. Le rendez-vous dure seulement environ 15 minutes. Elle n’a pas parlé de sa capacité de travailler avec son neurologue lors de ses rendez-vous.

[24] La requérante a affirmé qu’elle ne fait pas de bénévolat 15 heures par semaine. Elle a dit à son neurologue qu’elle fait certaines activités avec ses enfants adolescents. La requérante vit dans une collectivité rurale où on s’attend à ce que les parents fassent du bénévolat. Elle ne fait toutefois pas de bénévolat 15 heures par semaine. Elle n’a pas d’activités de bénévolat continues ou régulières. Elle choisit des postes de bénévole qui sont flexibles et n’exigent pas beaucoup de travail. Elle a été trésorière pour l’équipe de hockey mineur de son fils. Elle a travaillé deux heures par mois à faire des chèques et à tenir un livre comptable à l’occasion, lorsqu’elle se sentait bien. Elle a essayé de donner des leçons de nage synchronisée pendant un an à raison de deux heures par semaine, mais elle a manqué plusieurs semaines en raison de la fatigue. J’accepte le fait que la requérante fait du bénévolat occasionnellement et qu’elle fait des tâches ménagères lorsqu’elle se sent assez bien. Je considère toutefois que ces activités occasionnelles n’équivalent pas à une capacité régulière de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[25] La requérante a aussi affirmé que sa collectivité a de la difficulté à maintenir en poste les médecins de famille. Elle a eu six ou sept médecins de famille depuis son diagnostic de SP, et maintenant elle voit une infirmière praticienne. Le médecin de famille qui a rédigé le rapport médical à l’intention du ministre l’avait vue seulement deux fois, et n’est plus son médecin de famille. Je suis convaincu qu’il n’avait pas une connaissance détaillée des déficiences de la requérante. Je suis aussi convaincu que son neurologue n’avait pas une connaissance détaillée de l’ampleur des déficiences de la requérante parce qu’il ne la voyait qu’à l’occasion de visites courtes et peu fréquentes. J’accorde donc plus de poids à la preuve de la requérante qu’à certains des commentaires contenus dans les dossiers médicaux.

[26] J’ai également trouvé que la requérante était un témoin crédible. La preuve médicale confirme qu’elle a des déficiences en raison de la SP. Je crois qu’elle est motivée à travailler. Elle a seulement 43 ans. Elle a deux jeunes enfants. Elle a gagné un bon revenu avant d’être en arrêt de travail. Son relevé d’emploi montrait qu’elle avait gagné des gains ouvrant droit à pension de 2008 à 2015Note de bas de page 12. Je crois que la requérante travaillerait si elle le pouvait, mais qu’elle ne le peut tout simplement pas. J’accepte sa preuve selon laquelle la SP a eu des répercussions dévastatrices sur sa vie, y compris sur sa capacité de travailler.

La requérante n’a pas la capacité de travailler

[27] Au moment de décider si la requérante est capable de travailler, je ne dois pas seulement tenir compte des problèmes de santé de la requérante et de leurs répercussions sur sa fonctionnalité. Je dois aussi tenir compte de son âge, de son instruction, de ses compétences linguistiques, de ses antécédents de travail et de son expérience de vie. Ces facteurs m’aident à décider si la requérante peut travailler dans un contexte réalisteNote de bas de page 13.

[28] J’estime que la requérante n’a pas la capacité de travailler dans un contexte réaliste. La requérante avait seulement 40 ans au 31 décembre 2017. Elle a fait des études postsecondaires. Elle comprend l’anglais. Elle a de l’expérience de travail à l’ordinateur. Les antécédents de la requérante donnent à penser qu’elle a des compétences transférables dans le marché du travail. Cependant, j’estime qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en date du 31 décembre 2017.

[29] Je suis convaincu que la requérante ne pouvait pas exécuter un quelconque type de travail physique au 31 décembre 2017 parce que sa SP lui causait de la fatigue et des problèmes à soulever des objets et à se tenir debout.

[30] Je ne crois pas que la requérante aurait pu occuper un quelconque type d’emploi sédentaire en date du 31 décembre 2017 en raison de ses déficiences. Son neurologue a mentionné qu’elle devait travailler dans un environnement sûr en raison de sa propension à faire soudainement des chutes. Je ne crois toutefois pas que la requérante aurait pu travailler à la maison à l’ordinateur. Elle ne pouvait pas s’asseoir pendant des périodes prolongées et elle se fatiguait facilement. Je ne crois pas qu’elle aurait été en mesure de travailler dans un environnement de bureau ou avec le public en raison de sa tendance à chuter sans avertissement. Je ne crois pas qu’elle aurait pu exécuter un quelconque type de travail sédentaire parce qu’elle ne pouvait pas travailler de façon constante et efficace. Je ne crois pas qu’elle aurait pu détenir un emploi de chauffeuse en raison de ses problèmes de fatigue et de vision et de sa difficulté à rester en position assise. J’accepte que sa capacité à exécuter ses activités de la vie quotidienne et ses tâches domestiques ait été réduite au 31 décembre 2017. J’accepte sa preuve selon laquelle la gravité de ses symptômes était imprévisible et qu’elle ne pouvait pas travailler sur une base régulière, fiable ou prévisible en occupant un quelconque emploi au 31 décembre 2017.

La requérante a essayé d’obtenir et de garder un emploi

[31] Si la requérante a une certaine capacité de travailler dans un contexte réaliste, elle doit démontrer qu’elle a essayé d’obtenir ou de conserver un emploi. Elle doit aussi démontrer que ses tentatives pour travailler n’ont pas été fructueuses en raison de son état de santéNote de bas de page 14.

[32] La requérante a reçu initialement un diagnostic de SP en 2012 ou 2013. Elle a été en arrêt de travail pendant un certain temps, mais elle a fini par retourner au travail. Cependant, elle a dû cesser de travailler en octobre 2015 lorsqu’elle a eu une poussée de SP. La requérante a fait du bénévolat après octobre 2015. Je ne crois toutefois pas que ces efforts de bénévolat ont démontré sa capacité à travailler parce qu’elle était bénévole seulement pendant de courtes périodes lorsqu’elle se sentait bien. Je crois que la requérante pourrait travailler à l’occasion lorsqu’elle se sent bien et que ses symptômes sont contrôlés. Cela n’arrive toutefois pas très souvent, et elle ne sait pas quand elle se sentira assez bien pour travailler. Je ne crois pas que la requérante a été régulièrement capable de détenir un quelconque type d’occupation véritablement rémunératrice depuis octobre 2015, lorsqu’elle a travaillé pour la dernière fois.

La requérante a fait des efforts raisonnables pour suivre les traitements recommandés

[33] La requérante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 15. Elle a fait un suivi avec ses médecins de famille et son infirmière praticienne. Elle consulte son neurologue une fois par année. Elle a pris des médicaments pour contrôler sa SP, mais ils lui ont causé d’importants effets secondaires, notamment des urgences intestinales. La requérante vit dans une collectivité isolée. Elle ne peut pas voir son neurologue plus souvent et elle n’a pas accès à d’autres spécialistes. Elle n’a pas non plus accès à d’autres traitements pour la SP, comme de la physiothérapie ou de l’ergothérapie. J’accepte que la requérante a de la difficulté à avoir accès aux traitements. J’estime que la requérante a fait de son mieux pour suivre les traitements auxquels elle avait accès et qu’elle s’est conformée aux recommandations de traitements. Malheureusement, la requérante est atteinte d’un trouble médical qui s’aggrave au fil du temps et qui est incurable. Je suis convaincu que les traitements de la requérante n’ont pas mené à une amélioration de son état au point où elle est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

L’invalidité de la requérante était-elle prolongée?

[34] L’invalidité de la requérante est prolongée.

[35] La maladie de la requérante a commencé en 2012 ou 2013, elle était présente lorsqu’elle a quitté le travail en octobre 2015 et elle est présente encore aujourd’hui.

[36] Son ancien médecin de famille a confirmé qu’elle a une maladie cyclique et progressive.

Conclusion

[37] La requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en octobre 2015, lorsqu’elle a travaillé pour la dernière fois. Cependant, le RPC énonce qu’elle ne peut pas être réputée invalide plus de quinze mois avant que le ministre ait reçu sa demande de pension d’invalidité. Il y a ensuite une période d’attente de quatre mois avant le début des versements. Le ministre a reçu la demande de prestations de la requérante en avril 2018. Cela signifie qu’elle est réputée être devenue invalide en janvier 2017. Le versement de sa pension commence donc à compter de mai 2017.

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