Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – Pension d’invalidité – Employeur bienveillant –
Cet appel porte sur la définition d’un employeur « bienveillant ». En janvier 2010, le requérant a demandé une pension d’invalidité. Le ministre l’a approuvée et conclu qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en décembre 2008. Quelques années plus tard, le requérant a repris son travail pour l’entreprise Canadian Tire. Le ministre a donc estimé qu’il n’était plus invalide. Il a mis fin aux prestations et exigé leur remboursement. Le requérant a fait appel à la division générale (DG) qui a accueilli l’appel et conclu que le requérant continuait à être admissible à la pension puisqu’il travaillait pour un « employeur bienveillant ». Le ministre a fait appel auprès de la division d’appel (DA).

La DA a conclu que la DG avait commis une erreur de droit. La DG n’a pas tenu compte que pour conclure à l’existence d’un employeur « bienveillant », le niveau de preuve devait être élevé. Les mesures d’adaptation courantes prises par un employeur ne font pas de lui un employeur « bienveillant ». De plus, la DG n’a pas comparé la rémunération du requérant avec ce qui est considéré comme « véritablement rémunérateur » à l’article 68.1 du Règlement sur le RPC. La DA a conclu que le DG avait mal interprété ce qu’est un employeur « bienveillant ». Elle a conclu que le requérant n’était plus atteint d’une invalidité grave et prolongée et a accueilli l’appel du ministre.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c TD, 2020 TSS 1021

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-735

ENTRE :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Appelant
(ministre)

et

T. D.

Intimé
(requérant)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Neil Nawaz
DATE DE LA DÉCISION : Le 4 décembre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit en concluant que le requérant travaillait pour un employeur bienveillant. Toutefois, j’ai substitué ma décision à celle de la division générale et décidé de confirmer la conclusion du ministre selon laquelle le requérant a cessé d’être invalide lorsqu’il est retourné au travail en mars 2014.

Aperçu

[2] Le présent appel porte sur les critères qui doivent être remplis pour que l’on puisse conclure qu’un employeur est « bienveillant ».

[3] Le requérant est un mécanicien qualifié qui a travaillé pour une franchise X pendant plus de 30 ans. En 2008, il a commencé à ressentir de la faiblesse et de la fatigue, des symptômes qui se sont aggravés jusqu’à la paralysie complète de ses bras et de ses jambes. Il a été admis à l’hôpital où il a reçu un diagnostic de syndrome de Guillain-Barré (SGB). Il a passé plusieurs mois en réadaptation et s’est partiellement rétabli.

[4] En janvier 2010, le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), soutenant qu’il n’était plus capable de travailler. Le ministre a approuvé la demande et a conclu que le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis décembre 2008Note de bas de page 1.

[5] Quelques années plus tard, le requérant a recommencé à travailler chez X, cette fois comme superviseur à temps partiel. À la suite d’une révision, le ministre a conclu que le requérant n’était plus invalide. Il a mis fin à ses prestations et a exigé qu’il rembourse les prestations qu’il avait reçues depuis juin 2014, soit un montant dépassant 38 000 $Note de bas de page 2.

[6] Le requérant a fait appel de la décision du ministre au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence et, dans une décision datée du 4 mai 2020, a accueilli l’appel. La division générale a conclu que même si le requérant avait gagné plus de 40 000 $ par année depuis 2014, il continuait d’être admissible à une pension d’invalidité parce qu’il travaillait pour un « employeur bienveillant ».

[7] Le ministre fait appel à la division d’appel du Tribunal, alléguant que la division générale a commis diverses erreurs en arrivant à sa décision.

[8] Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter des allégations du ministre. Maintenant, après avoir entendu les arguments des deux parties, j’ai décidé que la décision de la division générale ne peut être maintenue. Voici mes motifs.

Questions en litige

[9] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Une partie requérante doit démontrer que la division générale a agi de façon inéquitable, qu’elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence, qu’elle a mal interprété la loi ou qu’elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 3.

[10] Dans le cadre du présent appel, j’ai dû trancher les questions suivantes :

  1. Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que X était un employeur bienveillant?
  2. Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte des seuils prévus par la loi concernant les revenus véritablement rémunérateurs?
  3. Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur la conclusion erronée selon laquelle le requérant avait un seul employeur après 2013?

Analyse

[11] Mon examen du dossier m’amène à conclure que la division générale a commis une erreur de droit en interprétant mal ce que signifie le fait d’être un employeur bienveillant et en n’appliquant pas les seuils de revenu prévus à l’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC). Comme la décision de la division générale porte sur ces deux questions connexes, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aborder la troisième.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que X était un employeur bienveillant?

[12] Mon examen de la décision de la division générale m’amène à conclure qu’elle a appliqué de façon incorrecte les critères permettant d’établir qu’un employeur est bienveillant.

[13] Les faits pertinents ne sont pas en cause. Les deux parties conviennent que X a réembauché le requérant et lui a offert des mesures d’adaptation en fonction de ses déficiences, du moins dans une certaine mesure. Dans sa décision, la division générale a souligné que le requérant avait travaillé comme mécanicien chez X pendant plus de 30 ans. Le requérant a déclaré que lorsqu’il avait tenté de retourner au travail en mars 2014, le propriétaire du magasin, un associé de longue date, avait reconnu qu’il serait incapable de faire son ancien travail, mais lui avait demandé s’il pouvait superviser d’autres mécaniciennes et mécaniciens. Le requérant a dit qu’on l’avait gardé comme employé, même après que le magasin ait changé de propriétaire, parce que la personne nouvellement propriétaire avait vu que sa présence semblait contribuer au bon fonctionnement du magasinNote de bas de page 4.

[14] La division générale en a conclu que le requérant travaillait pour un employeur bienveillant :

[L]e travail qu’il accomplit n’est pas représentatif du travail qu’il pourrait être appelé à accomplir pour un autre employeur. Le requérant a déclaré que son employeur est très accommodant et, comme il a été mentionné ci-dessus, qu’il estime que les personnes que le requérant supervise travaillent mieux avec lui en tant que superviseur parce qu’il est bien respecté dans son milieu de travail, où il a travaillé pendant de nombreuses années. L’employeur est disposé à laisser le requérant prendre des pauses quand il le veut et le requérant peut s’asseoir ou se tenir debout comme il l’entend pendant qu’il fait de la supervisionNote de bas de page 5.

Il existe une jurisprudence abondante, initiée par l’arrêt Atkinson c CanadaNote de bas de page 6, qui établit que l’on doit tenir compte des éléments de preuve qui indiquent qu’un employeur est bienveillant dans le cas d’un bénéficiaire d’une pension qui demeure sur le marché du travail même s’il est prétendument invalide. Toutefois, on affirme également dans l’arrêt Atkinson qu’un employeur n’est pas nécessairement bienveillant simplement parce qu’il offre des mesures d’adaptation à une employée ou à un employé. Pour qu’un employeur soit considéré comme bienveillant, les mesures d’adaptation prises doivent aller au-delà de celles auxquelles on pourrait s’attendre sur le marché du travail. La question de savoir si une employée ou un employé a un rendement concurrentiel dépend du rendement auquel l’employeur s’attend de cette personne, surtout en comparaison du rendement auquel il s’attend des autres personnes qui occupent le même poste.

[15] La décision de la division générale ne fait pas référence à l’arrêt Atkinson ou à une cause semblable. Cela n’aurait pas invalidé en soi la décision si la division générale avait suivi les principes juridiques appropriés. Cependant, je constate que la division générale est allée à plusieurs reprises au-delà des paramètres de la notion d’employeur bienveillant.

La division générale a confondu des mesures d’adaptation avec de la bienveillance

[16] Il est clair que le requérant n’a pas repris son ancien emploi de mécanicien lorsqu’il est retourné chez X en mars 2014, mais qu’il a commencé un nouvel emploi en tant que directeur du service. Il a continué à faire ce travail de supervision à temps partiel au cours des six dernières années. Dans un questionnaire rempli à la demande du ministre, X n’a pas mentionné de mesures d’adaptation précisesNote de bas de page 7, mais la division générale a accepté le témoignage du requérant selon lequel son employeur était disposé i) à le laisser s’asseoir et se tenir debout comme il l’entendait et ii) à le laisser prendre des pauses quand il le voulait.

[17] À partir de ces deux conclusions, la division générale a jugé que X était un employeur bienveillant. Pour en arriver à cette conclusion, la division générale a fait ce que je considère être une entorse à la logique, défiant ainsi les précédents juridiques. Dans l’arrêt Atkinson, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était raisonnable que la division générale refuse de reconnaître l’employeur de la requérante comme étant bienveillant, puisqu’elle avait examiné un certain nombre de critères pertinents, notamment : i) si le travail de la requérante était productif; ii) si l’employeur était satisfait du rendement de la requérante; iii) si le travail attendu de la requérante était nettement moindre que celui attendu des autres employés; iv) si la requérante avait bénéficié de mesures d’adaptation qui dépassaient ce qui était attendu d’un employeur dans un marché de travail concurrentiel et v) si ces mesures d’adaptation avaient représenté pour l’employeur une contrainte excessive.

[18] Selon l’arrêt Atkinson, avant qu’une décideuse ou un décideur puisse conclure qu’un employeur est « bienveillant », il doit d’abord mener une enquête approfondie pour décider si l’employeur en a pour son argent avec le travail accompli par la requérante ou le requérant. Je ne vois guère d’indication que la division générale ait fait une telle enquête dans cette affaire. La division générale a conclu que le travail du requérant pour X n’était pas véritablement rémunérateur, mais elle a fondé cette conclusion sur deux mesures d’adaptation courantes (le droit de prendre des pauses et de s’asseoir ou de se tenir debout au besoin) qui sont couramment offertes à des personnes occupant divers postes de supervision et de gestion. De plus, la division générale n’a pas mené d’enquête approfondie pour décider si le requérant avait reçu une compensation raisonnable pour le travail effectué, si la productivité qui était attendue de lui était considérablement moindre que la productivité attendue de ses collègues ou s’il avait bénéficié de mesures d’adaptation qui dépassaient ce qui était attendu d’un employeur dans un milieu de travail commercial.

[19] Le requérant a soutenu qu’il n’aurait pas pu gagner ses revenus sans l’appui d’un employeur bienveillant. La division générale a commis une erreur de droit en omettant de reconnaître qu’un niveau de preuve très élevé est nécessaire pour qu’un tel argument soit accepté.

La division générale a ignoré ou mal interprété le sens de « régulièrement »

[20] À mon avis, la division générale a commis une erreur dans son interprétation du mot « régulièrement » tel qu’il apparaît dans la définition de l’invalidité prévue par le RPC. Pour prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave, une partie requérante doit démontrer qu’elle est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 8 ». Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il n’est pas nécessaire qu’une partie requérante soit en tout temps incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Il faut plutôt qu’une partie requérante soit « incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératriceNote de bas de page 9 » [mis en évidence par le soussigné].

[21] Dans l’arrêt Atkinson, la Cour d’appel fédérale a endossé l’idée que « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrementNote de bas de page 10 ». Ce n’est pas à l’emploi que doit se rattacher la régularité, a dit la Cour, mais plutôt à l’incapacité de travailler. En l’espèce, la division générale a souligné que depuis son retour chez X en mars 2014, le requérant avait travaillé de manière continue de trois à quatre heures par jour, cinq jours par semaineNote de bas de page 11. Bien qu’il y ait des éléments de preuve à cet effet au dossier, la division générale n’a pas mentionné que le requérant avait également conservé un horaire de 9 h à 14 h (y compris une pause d’une heure pour dîner) et fait preuve d’une bonne assiduité sans aucune absence pour des raisons médicales.

[22] En bref, la division générale ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que l’état de santé du requérant le rendait incapable de « régulièrement » exercer un emploi ou de conserver un horaire de travail régulierNote de bas de page 12.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte des seuils prévus par la loi concernant les revenus véritablement rémunérateurs?

[23] Le RPC associe désormais l’invalidité à un seuil de revenu. Selon l’article 68.1 du Règlement sur le RPC, une occupation est « véritablement rémunératrice » si elle procure un traitement ou un salaire égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne pourrait recevoir à titre de pension d’invalidité. Pour chacune des années en question, ce seuil était inférieur à 16 000 $, ce qui est nettement moindre que ce que le requérant gagnait.

[24] Comme il a été mentionné, cette question est liée à la précédente. Dans sa décision, la division générale n’a pas mentionné l’article 68.1, bien qu’elle ait reconnu que « [à] première vue, il peut sembler que le fait que le requérant ait occupé un emploi stable depuis mars 2014 témoigne de sa capacité à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 13 ».

[25] Comme nous l’avons vu, la division générale a erré dans son interprétation de ce que signifie être un employeur bienveillant. Par conséquent, la division générale a également commis une erreur en omettant de comparer les seuils prévus à l’article 68.1 avec les revenus déclarés par le requérant.

Réparation

Il y a trois façons possibles de corriger l’erreur que la division générale a commise

[26] La division d’appel a le pouvoir de corriger les erreurs que la division générale pourrait avoir commisesNote de bas de page 14. J’ai le pouvoir :

  • de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision de la division générale;
  • de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen;
  • de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

J’ai également le pouvoir de trancher toute question de fait ou de droit nécessaire à l’exécution des réparations mentionnées ci-dessus.

[27] Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. De plus, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une décideuse ou un décideur devrait tenir compte du retard dans la conclusion d’une demande de pension d’invalidité. La pension d’invalidité du requérant a été suspendue il y a près de quatre ans. Si la présente affaire était renvoyée à la division générale, cela ne ferait que retarder la résolution finale d’une procédure qui tire déjà en longueur.

[28] Dans les observations orales qui ont été portées à ma connaissance, le requérant et le ministre ont convenu que si je constatais une erreur dans la décision de la division générale, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre et que j’examine moi-même la demande de pension d’invalidité du requérant sur le fond. Évidemment, les parties ont des avis différents sur le bien-fondé de la demande de pension d’invalidité du requérant. Le requérant a fait valoir que quelles que soient les erreurs de la division générale, il est toujours invalide, même s’il occupe un emploi à temps partiel. Selon le ministre, les éléments de preuve disponibles donnent à penser que le requérant a recouvré sa capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Je dispose de suffisamment d’information pour décider si le requérant est toujours invalide

[29] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. Le requérant a déposé de nombreux rapports médicaux auprès du Tribunal, et je dispose de beaucoup d’information au sujet de ses antécédents professionnels et de ses revenus antérieurs. La division générale a tenu une longue audience orale au cours de laquelle elle a interrogé le requérant au sujet de son poste chez X et de l’incidence de son état de santé sur sa capacité d’effectuer son travail. Je doute que la preuve du requérant soit véritablement différente si l’affaire est instruite à nouveau.

[30] Par conséquent, ma position me permet d’évaluer la preuve qui a été portée à la connaissance de la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. À mon avis, si la division générale avait correctement appliqué la loi définissant ce qu’est un employeur bienveillant et tenu compte des seuils de revenu prévus à l’article 68.1, elle aurait abouti à un résultat différent. Ma propre évaluation de la preuve me convainc que le requérant a cessé d’être atteint d’une invalidité grave et prolongée lorsqu’il est retourné au travail en mars 2014.

C’est au ministre de prouver que le requérant n’est plus invalide

[31] Lorsque le ministre a approuvé sa demande de prestations d’invalidité, il a reconnu que le requérant était atteint une invalidité grave et prolongée à la fin de la PMA. Selon le RPC, une personne est atteinte d’une invalidité grave lorsqu’elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 15 ».

[32] Lorsque le ministre met fin à des prestations qu’il avait précédemment approuvées, il lui incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’invalidité du bénéficiaire n’est plus grave et prolongéeNote de bas de page 16.

[33] J’ai examiné le dossier et je suis convaincu que le ministre s’est acquitté de ce fardeau. Je ne doute pas que le requérant continue d’éprouver une certaine fatigue en raison de son SGB, mais les éléments de preuve disponibles me convainquent amplement qu’il est maintenant régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Le fait que le requérant détenait une occupation véritablement rémunératrice l’emporte sur ses évaluations médicales

[34] Le dossier médical du requérant contient de nombreuses évaluations confirmant qu’il a déjà éprouvé des symptômes graves liés à son SGB, notamment une paralysie et une fatigue intense. Le dossier contient également des rapports médicaux plus récents indiquant que le requérant continue de souffrir des effets résiduels de son SGB.

[35] En janvier 2014, la Dre Hoppe a autorisé le requérant à retourner travailler à certaines conditions et de façon limitéeNote de bas de page 17. La neurologue a écrit que le requérant se portait raisonnablement bien, même s’il ne s’était jamais complètement remis de son SGB. Son principal problème était sa fatigue, associée à de forts picotements dans tout son corps et à une sensation d’engourdissement et de chocs électriques dans ses doigts et ses orteils. Même s’il se fatiguait très rapidement, il allait beaucoup mieux et pouvait travailler debout pendant trois ou quatre heures avant de devoir se reposer. La Dre Hoppe a déclaré que le requérant pouvait travailler jusqu’à deux jours par semaine parce que s’il en faisait trop, il devait rester immobile pendant quelques jours.

[36] En juillet 2017, le Dr Fleming a écrit que l’état du requérant était chronique et que sa fatigue avait persisté depuis son diagnostic de SGB en 2008Note de bas de page 18. Le médecin généraliste a noté que le requérant avait recommencé à travailler, mais qu’on lui avait offert une semaine de travail réduite pour tenir compte de sa fatigue.

[37] Les deux médecins étaient au courant du retour au travail du requérant, et ni l’une ni l’autre n’a exprimé de crainte que son emploi permanent n’ait des effets graves sur sa santé. De plus, les réserves qu’ils auraient pu avoir auraient été compensées par le fait que le requérant a réussi à conserver son poste chez X pendant plus de six ans.

X ne peut pas être considéré comme un employeur bienveillant

[38] Le requérant travaille comme superviseur à temps partiel dans un atelier d’entretien automobile X depuis mars 2014. Dans son questionnaire de juin 2017, X a dit que le requérant avait un horaire de travail régulier de 20 heures par semaine à un salaire horaire de 37,50 $. On a décrit le rendement au travail du requérant comme étant satisfaisant et son assiduité comme étant bonne, sans aucune absence pour des raisons médicales. Il travaillait de façon indépendante et n’avait pas besoin d’équipement ou d’arrangements spéciaux, ni d’aide de ses collèguesNote de bas de page 19.

[39] Bien que le fardeau de la preuve revienne au ministre, il faut présumer, jusqu’à preuve du contraire, qu’une employée ou un employé a un rendement concurrentiel. Dans cette affaire, le requérant a déclaré qu’il était proche du propriétaire initial de la franchise X. Il a affirmé que lorsque la franchise a changé de propriétaire peu après son retour au travail, la personne nouvellement propriétaire l’avait gardé en raison de la réputation qu’il avait acquise au fil des décennies à travailler comme mécanicienNote de bas de page 20. L’ancienne et la nouvelle gestion lui permettaient de s’asseoir et de se tenir debout comme il l’entendait et de prendre des pauses quand il le voulait.

[40] Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne suis pas prêt à conclure que X était un employeur bienveillant en raison de deux mesures d’adaptation que l’on observe souvent dans d’autres milieux de travail, particulièrement pour les rôles de supervision. Plus précisément, le requérant n’a pas produit d’autres éléments de preuve pour invalider la présomption selon laquelle il avait un rendement concurrentiel. Rien dans le dossier ne laisse entendre que le requérant a été trop rémunéré pour son travail ou que le rendement auquel l’employeur s’attendait de lui était nettement inférieur au rendement auquel il s’attendrait d’une autre personne ayant des compétences semblables et occupant le même poste. Par-dessus tout, rien n’indique que le requérant n’effectuait pas du « vrai » travail; son employeur a déclaré que ses tâches comprenaient la gestion des techniciennes et techniciens du service automobile, la prise de rendez-vous et le traitement des plaintes de la clientèle. Aucune de ces responsabilités ne me semble mineure ou insignifiante.

[41] Je trouve instructif de comparer les faits de cette affaire aux faits sous-jacents à l’affaire Atkinson. Comme le requérant, Mme Atkinson a interjeté appel de la décision du ministre de mettre fin à ses prestations d’invalidité après qu’elle ait déclaré un revenu annuel de plus de 40 000 $ au cours d’années successives. Comme le requérant, son nouvel emploi était en grande partie sédentaire; elle a été embauchée par la Gendarmerie royale du Canada pour examiner les dossiers de la police et mener des entrevues afin de vérifier si les personnes délinquantes pouvaient bénéficier de la justice réparatrice. Comme le requérant, on lui a offert un certain nombre de mesures d’adaptation. Par exemple, on lui a permis de se stationner dans l’allée réservée aux services des incendies, à une distance d’une vingtaine de pieds de l’entrée de l’immeuble où son bureau est situé; on lui a fourni un casque d’écoute qu’elle utilisait lorsqu’elle parle au téléphone; on lui a permis de tenir toutes ses réunions dans l’immeuble où elle travaille et elle n’était pas tenue de consigner ses heures chaque semaine ni d’en rendre compte comme les autres membres du personnel, bien que son contrat de travail stipulait qu’elle devait travailler six heures par jour, soit 30 heures hebdomadairement. Contrairement au requérant, Mme Atkinson s’est souvent absentée du travailNote de bas de page 21. Contrairement au requérant, son conjoint et ses collègues l’aidaient à effectuer des tâches comme transporter des cartables et organiser des réunions.

[42] Compte tenu de tout cela, la Cour d’appel fédérale a décidé que la division générale avait à juste titre conclu que la Gendarmerie royale du Canada ne pouvait pas être qualifiée d’employeur bienveillant. Cette conclusion a été tirée malgré la preuve qui montrait que Mme Atkinson avait bénéficié de mesures d’adaptation importantes, qui, à mon avis, dépassent celles qui ont été accordées au requérant. J’ai du mal à accepter que cette franchise X, qui est dirigée non pas par une personne de la famille du requérant ou même une personne avec qui il s’est lié d’amitié il y a longtemps, lui verse un salaire de plus de 40 000 $ par an pour un travail à temps partiel si le requérant n’a pas un rendement concurrentiel.

Les revenus récents du requérant sont nettement supérieurs au seuil concernant les revenus véritablement rémunérateurs

[43] Le requérant ne travaille que 20 heures par semaine, mais le fait qu’il exerce un emploi à temps partiel ne signifie pas nécessairement qu’il est invalide ou incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 22.

[44] Comme indiqué précédemment, l’article 68.1 du Règlement associe « véritablement rémunératrice » à une valeur en dollars précise, en fonction de l’année. Tout salaire supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne pourrait recevoir à titre de pension d’invalidité est considéré comme un revenu véritablement rémunérateur.

[45] Les deux parties conviennent que le requérant a gagné les revenus suivants depuis qu’il est retourné au travail :

Année Revenu déclaré Somme maximale
2014 58 210 $ 15 175 $
2015 46 900 $ 15 175 $
2016 49 000 $ 15 489 $
2017 40 000 $Note de bas de page 23 15 763 $

Le requérant a également déclaré à la division qu’il avait gagné environ 40 000 $ chaque année depuis 2017Note de bas de page 24. Il est évident que les revenus du requérant dépassent largement la somme maximale permise depuis plusieurs années.

[46] À l’audience devant la division générale, le requérant a insisté sur le fait que son emploi avait eu de lourdes conséquences sur sa santé, même s’il s’agissait d’un emploi à temps partiel, et que selon lui, il bénéficiait de beaucoup de mesures d’adaptation. Il a déclaré que lorsqu’il revenait du travail chaque jour, il était tellement épuisé qu’il devait immédiatement s’allonger et faire une sieste de trois à cinq heuresNote de bas de page 25. Contrairement à la division générale, je ne suis pas enclin à accorder beaucoup d’importance aux conséquences que l’emploi du requérant a sur lui après ses heures de travail. La division générale a mis l’accent sur la fatigue que ressentait le requérant après avoir effectué même un travail de supervision à temps partiel relativement flexible, mais le fait le plus important est certainement que, quelles que soient les conséquences que son travail a sur lui, il a quand même réussi à le faire au cours des six dernières années. Selon les principes qui régissent le RPC, les parties requérantes sont régulièrement capables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ou elles ne le sont pas. La législation ne tient pas compte de la mesure dans laquelle une requérante ou un requérant trouve un emploi difficile. Elle se préoccupe uniquement de savoir si la personne est capable de détenir l’occupation de façon durable et si cette occupation est véritablement rémunératrice.

L’invalidité du requérant n’était pas prolongée

[47] Le RPC prévoit qu’une invalidité doit être grave et prolongée. J’ai déjà jugé que l’invalidité du requérant a cessé d’être grave lorsqu’il est retourné au travail en mars 2014. Bien qu’il ne soit pas nécessaire à proprement parler que je le fasse, je conclus également que son invalidité n’était pas prolongée. Pour être prolongée, une invalidité doit durer pendant une période indéfinie. L’invalidité du requérant a pris fin définitivement lorsqu’il a commencé à exercer un emploi véritablement rémunérateur en tant que superviseur d’un atelier d’entretien automobile X.

[48] Il est malheureux que le requérant doive rembourser trois années de prestations, et je regrette que ma décision lui cause des difficultés financières. Cependant, il a reçu ces prestations après avoir cessé d’être invalide. Il savait ou aurait dû savoir qu’il était tenu de signaler immédiatement tout retour au travail au ministreNote de bas de page 26. Il n’a pas respecté cette obligation. Des années plus tard, lorsque le ministre a appris que le requérant avait des revenus d’emploi, il avait le droit de faire enquête pour savoir s’il avait retrouvé sa capacité de travailler. Le ministre avait aussi le droit de mettre fin aux prestations du requérant après avoir jugé que son invalidité n’était plus grave et prolongée. Je suis convaincu que le ministre a agi conformément à la loi.

Conclusion

[49] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur en interprétant mal ce que signifie le fait d’être un employeur bienveillant, mais mon propre examen de la preuve me convainc que le requérant n’est plus atteint d’une invalidité grave et prolongée. Je ne crois pas qu’il soit illogique de conclure que le requérant a la capacité de travailler en se fondant sur son emploi qui lui a permis de gagner un salaire important, bien au-delà des seuils prévus à l’article 68.1 du Règlement sur le RPC, au cours d’au moins quatre années consécutives.

 

Date de l’audience :

Le 4 novembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Suzette Bernard, représentante de l’appelant

T. D., intimé

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