Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c IO, 2020 TSS 1034

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-782

ENTRE :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Appelant

et

I. O.

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Valerie Hazlett Parker
DATE DE LA DÉCISION : Le 10 décembre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel du ministre est accueilli.

[2] La division générale a fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes.

[3] La division d’appel rend la décision que la division générale aurait dû rendre. La requérante n’avait pas d’invalidité grave avant la fin de la période minimale d’admissibilité.

Aperçu

[4] I. O. (requérante) a obtenu un baccalauréat en arts avant de déménager au Canada. Son dernier emploi était dans une entreprise d’exportation. Elle a été mise à pied en raison d’une pénurie de travail. La requérante est atteinte d’une cardiopathie congénitale et de troubles de santé mentale. Elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, affirmant qu’elle était invalide depuis la détérioration de ses problèmes de santé en 2017.

[5] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a porté cette décision en appel au Tribunal. La division générale du Tribunal a accueilli l’appel. Elle a décidé que la requérante était invalide depuis juin 2016, quand elle a cessé de travailler.

[6] La permission d’appeler de cette décision auprès de la division d’appel du Tribunal a été accordée parce que l’appel avait une chance raisonnable de succès. La division générale avait peut-être fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la requérante était invalide en raison d’une épicondylite bilatérale, puisqu’il n’y avait aucune preuve qu’elle était atteinte de cette maladie.

[7] La division générale a fondé sa décision sur cette erreur ainsi que sur d’autres erreurs de fait importantes. La division d’appel doit intervenir. La décision que la division générale aurait dû rendre est la suivante : la requérante n’était pas invalide avant la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA, soit la date à laquelle une personne doit être invalide pour recevoir la pension d’invalidité).

Questions en litige

[8] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur au moins une des erreurs de fait importantes ci-dessous?

  1. La requérante était invalide en raison d’une épicondylite bilatérale.
  2. La requérante était invalide quand elle a cessé de travailler.
  3. La preuve appuyait le fait que la requérante avait une déficience grave quand elle a cessé de travailler.
  4. La requérante avait une invalidité grave avant la fin de la PMA.
  5. Il y avait des preuves d’une dépression avant la fin de la PMA.

Analyse

[9] Un appel à la division d’appel du Tribunal n’est pas une nouvelle occasion de débattre de la demande originale. En fait, la division d’appel peut seulement décider si la division générale :

  1. a mené une procédure inéquitable;
  2. a omis de statuer sur une question qu’elle aurait dû trancher ou a statué sur une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. a commis une erreur de droit;
  4. a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteFootnote 1.

[10] Le ministre soutient que la division générale a fondé sa décision sur un certain nombre d’erreurs de fait importantes. Pour avoir gain de cause sur ce fondement, il doit prouver trois choses pour chaque erreur de fait :

  1. la conclusion de fait était erronée (fausse);
  2. la conclusion de fait a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale;
  3. la décision était fondée sur cette conclusion de faitFootnote 2.

Épicondylite bilatérale

[11] La requérante a écrit dans sa demande de pension d’invalidité que le problème de santé qui l’empêchait de travailler était une cardiopathie congénitaleFootnote 3. La division générale a examiné la preuve médicale qui lui a été présentée au sujet de ce problème de santéFootnote 4. La requérante a également présenté des éléments de preuve concernant les problèmes de santé suivants :

[12] La division générale n’a reçu aucune preuve d’épicondylite. Malgré cela, la décision de la division générale mentionne ce qui suit :

[traduction]

Je juge que l’appelante a effectivement une invalidité grave, car elle est régulièrement incapable de détenir une occupation rémunératrice en raison de limitations persistantes causées par une épicondylite bilatéraleFootnote 8.

[13] La conclusion de fait selon laquelle la requérante était invalide en raison d’une épicondylite bilatérale est une erreur.

[14] Cette conclusion de fait est abusive (va à l’encontre de la preuve). Elle n’est pas fondée sur des preuves.

[15] La décision de la division générale était fondée, du moins en partie, sur cette conclusion de fait. Une interprétation franche de cette phrase dans le contexte de la décision démontre que la division générale a décidé que la requérante était invalide uniquement en raison de ce problème de santé, et non en raison de la combinaison de tous ses problèmes de santé.

[16] La requérante soutient que cette erreur est mineure, semblable à une « coquille », et que lorsqu’on lit l’ensemble de la décision, il est clair que ce paragraphe n’a aucune incidence sur la conclusion selon laquelle la requérante est invalide.

[17] Je reconnais que la division générale a examiné les éléments de preuve concernant les problèmes de santé de la requérante, y compris sa maladie du cœur, sa dépression et ses troubles de sommeil. Toutefois, la décision de la division générale ne tire aucune conclusion concernant ces problèmes de santé. Elle résume la preuve et affirme que sa conclusion voulant que la requérante soit rendue invalide par une épicondylite bilatérale est fondée sur trois rapports médicaux et sur sa situation personnelleFootnote 9.

[18] Par conséquent, la division générale a fondé sa décision sur cette erreur de fait importante. La division d’appel doit intervenir pour ce motif.

Date du début de l’invalidité

[19] Les deux parties affirment que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante, à savoir que la requérante avait une invalidité grave et prolongée en juin 2016, quand elle a cessé de travailler. La requérante n’a pas cessé de travailler pour des raisons de santé. Elle a été mise à pied pour une autre raison. La requérante a déclaré qu’elle avait une maladie du cœur depuis de nombreuses années, mais que ses symptômes se sont manifestés en mars 2017Footnote 10 et que sa santé mentale s’est également détériorée à ce moment là. La position qu’elle a présentée à la division générale était qu’elle est devenue invalide en juin 2017.

[20] Le ministre affirme également que la requérante n’était pas invalide en 2016 parce qu’elle n’a pas cessé de travailler pour des raisons de santé.

[21] Par conséquent, la conclusion de fait de la division générale selon laquelle la requérante était invalide en juin 2016, quand elle a cessé de travailler, est une erreur. Elle a été tirée de façon abusive. Elle est contraire à la preuve orale et écrite non contredite qui a été portée à la connaissance de la division générale. La décision est fondée sur cette conclusion de fait. La date du début de l’invalidité détermine le moment où commence le versement de la pension d’invalidité.

[22] Par conséquent, la division d’appel doit aussi intervenir pour ce motif.

Autres questions en litige

[23] Le ministre a soulevé d’autres moyens d’appel. Il n’est toutefois pas nécessaire de les examiner, puisque j’ai décidé que la division d’appel doit intervenir pour les motifs mentionnés plus haut.

Réparation

[24] La division d’appel a le pouvoir légal d’accorder les réparations suivantes lorsqu’elle intervient :

  1. rejeter l’appel;
  2. rendre la décision que la division générale aurait dû rendre;
  3. renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen;
  4. confirmer la décision de la division générale;
  5. annuler la décision de la division générale;
  6. modifier la décision de la division généraleFootnote 11.

[25] Selon la requérante, il convient que la division d’appel modifie la décision de façon à confirmer que la requérante est invalide et à modifier la date du début de l’invalidité, la nouvelle date étant juin 2017. Elle soutient que les erreurs dans la décision de la division générale sont mineures et n’ont aucune incidence sur l’issue de l’appel. De plus, elle affirme que le dossier soumis à la division d’appel est complet et que celle-ci n’a pas besoin de soupeser la preuve de nouveau. De plus, elle affirme que la modification de la décision serait la façon la plus efficace et économique de régler l’appel et éviterait aux parties tout préjudice qui découlerait du renvoi de l’affaire à la division générale.

[26] En revanche, le ministre soutient que la division d’appel devrait rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, à savoir que la requérante n’est pas invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

[27] La division d’appel doit intervenir dans la présente affaire parce que la division générale a fondé sa décision sur deux erreurs de fait importantes. Le fait que la décision est fondée sur ces erreurs signifie qu’il y a une faille dans le fondement de la décision. Ces erreurs ne sont pas mineures ni semblables à des « coquilles ». Par conséquent, il serait inapproprié de simplement modifier la décision de la division générale et de maintenir sa conclusion.

[28] Il convient que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre dans la présente affaire pour les raisons suivantes :

  1. le dossier est complet;
  2. les faits ne sont pas contestés;
  3. les parties ont présenté tous leurs arguments juridiques à l’audience de la division générale, et il est possible d’écouter l’enregistrement;
  4. l’affaire dure depuis longtemps et les délais s’allongeraient si elle était renvoyée à la division générale pour réexamen;
  5. c’est la façon la plus efficace et la plus économique de conclure l’appel compte tenu des circonstances, de l’équité et de la justice naturelleFootnote 12;
  6. le Tribunal a la compétence de trancher les questions de fait et de droit nécessaires pour statuer sur un appelFootnote 13;
  7. le ministre a demandé une telle réparation et la requérante l’a demandée si jamais la division d’appel ne modifiait pas la décision de la division générale.

L’invalidité de la requérante n’était pas grave avant la fin de la PMA

[29] Pour qu’une requérante ou un requérant soit invalide au sens du Régime de pensions du Canada, la personne doit avoir une invalidité à la fois grave et prolongée. Une personne a une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsFootnote 14.

[30] Voici un résumé de la preuve :

  • La requérante est venue au Canada après avoir obtenu un baccalauréat en arts en Pologne.
  • Au Canada, elle a suivi deux programmes postsecondaires.
  • Elle a déclaré qu’elle sait lire et écrire l’anglais de façon à communiquer sans problèmeFootnote 15.
  • À son dernier emploi, la requérante travaillait comme spécialiste en documentation. Elle a quitté cet emploi en 2016 parce qu’elle a été mise à piedFootnote 16.
  • Elle a commencé à ressentir des douleurs thoraciques et des serrements à la poitrine en mars ou en avril 2017Footnote 17.
  • En juin 2017, elle a eu un épisode de douleurs thoraciques, de serrement à la poitrine, d’essoufflement et de douleur qui se propageait à la mâchoireFootnote 18.
  • La requérante s’est rendue à l’hôpital en ambulance.
  • On lui a diagnostiqué plusieurs problèmes cardiaques, dont une valve bicuspide sténosée, un souffle cardiaque et de l’arythmie.
  • Ces problèmes de santé sont traités avec des médicaments et des tests diagnostiques réguliers.
  • La requérante fait également une dépression et de l’anxiété. Elle est atteinte de ces troubles de santé depuis de nombreuses d’années, mais ils se sont aggravés après son épisode cardiaqueFootnote 19.
  • Elle prend des médicaments pour ses troubles de santé mentale et consulte un psychiatre.
  • Au début, elle voyait son psychiatre tous les mois. Maintenant, elle le voit tous les trois mois.
  • La requérante fait aussi de l’apnée du sommeil et de l’insomnie. Ces problèmes de santé sont traités à l’aide d’un appareil CPAP et de médicaments.
  • La requérante ressent de la fatigue et elle a des difficultés de concentration. Elle est aussi inquiète et triste.
  • Le médecin de famille de la requérante a écrit que son pronostic est bonFootnote 20.
  • La PMA se termine le 31 décembre 2017.

[31] La preuve médicale confirme les symptômes de la requérante. Toutefois, après avoir pris en compte tous les éléments de preuve, je ne suis pas convaincue que la requérante avait une invalidité grave avant la fin de la PMA. Dans le questionnaire relatif aux prestations d’invaliditéFootnote 21 , elle a écrit que, malgré ses problèmes de santé, elle n’a aucune difficulté à rester assise ou debout, qu’elle peut marcher de 15 minutes à une heure (lentement) et qu’elle peut soulever ou transporter des objets pesant plusieurs livres sur une courte distance. Elle s’occupe de ses repas et de son hygiène, et elle peut effectuer les tâches ménagères avec un peu d’aide.

[32] La requérante n’a décrit aucune autre limitation physique. De plus, même si elle a de la difficulté à se concentrer, rien ne prouvait qu’elle ne pouvait pas gérer ses finances ou prendre des décisions et agir en conséquence.

[33] J’accorde beaucoup d’importance au rapport du médecin de famille qui accompagne la demande de pension d’invaliditéFootnote 22. Ce médecin traitait la requérante depuis 19 ans. Le rapport est daté du 15 décembre 2017, soit vers la fin de la PMA, et témoigne de son état de santé général à ce moment-là. Il ne mentionne aucune maladie mentale ou limitation. Il y est écrit qu’un suivi étroit des troubles cardiaques de la requérante est nécessaire et que son pronostic est bon malgré ses symptômes. Cet élément de preuve n’appuie pas la position de la requérante selon laquelle elle était invalide à ce moment là.

[34] De plus, la requérante a subi des tests cardiaques en novembre 2017. Le test d’effort n’a révélé aucun symptôme pour un travail d’une bonne intensitéFootnote 23. Elle a reçu des diagnostics de troubles cardiaques légers à modérés (sténose modérée et régurgitation légère)Footnote 24. Ces diagnostics demeurent les mêmes depuis 2017. Le traitement de la requérante n’a pas changé non plus, ce qui indique que son problème de santé est bien contrôlé.

[35] Le Dr Kilany a déclaré que la requérante ne pouvait pas aller travailler en raison de ses multiples problèmesFootnote 25. Cependant, je n’accorde pas beaucoup d’importance à cette déclaration, qui se trouve au milieu de son rapport. Le reste du rapport traite uniquement de l’état cardiaque de la requérante. Il ne fournit aucun fondement pour appuyer cette conclusion générale.

[36] En ce qui concerne les autres problèmes de santé de la requérante, rien ne prouve leur gravité. Le traitement suivi par la requérante pour l’apnée du sommeil ou l’insomnie n’a pas changé. Les rapports de la clinique du sommeil continuent d’insister sur l’importance d’avoir une bonne hygiène de sommeil et d’utiliser l’appareil CPAP.

[37] La requérante a déclaré qu’elle gère mieux sa dépression avec son antidépresseur actuel. De plus, elle voit son psychiatre moins souvent qu’au début, et elle n’a aucun autre suivi de consultation psychologique.

[38] La requérante fait valoir que, si ses problèmes de santé ne répondent pas nécessairement à la définition de grave lorsqu’on les prend individuellement, ils y répondent lorsqu’on les considère ensemble. Malgré tout, la preuve produite par la requérante sur ses limitations ne démontre pas qu’elle était incapable régulièrement de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle peut s’asseoir ou se tenir debout sans restriction. Il n’y a aucune preuve de problèmes cognitifs. Elle s’occupe de sa maison.

[39] La requérante avait 57 ans à la fin de la PMA, ce qui est inférieur à l’âge de la retraite. Bien que cela puisse avoir une incidence sur sa capacité à travailler, les autres circonstances de la requérante viennent faire contrepoids. La requérante a obtenu deux diplômes d’études postsecondaires au Canada. Elle sait lire, écrire et travailler en anglais. Elle a de l’expérience de travail au Canada en tant que spécialiste en documentation ainsi que dans des institutions financières. Elle possède des compétences transférables. Par conséquent, sa situation personnelle ne nuirait pas à sa capacité de travail.

[40] Pour ces motifs, je conclus que la requérante était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la fin de la PMA.

[41] Lorsque la capacité de travail est démontrée, la personne doit montrer qu’il lui était impossible d’obtenir ou de conserver un emploi à cause de son problème de santéFootnote 26. La requérante n’a fait aucun effort pour obtenir ou conserver un emploi après son épisode cardiaque en 2017. Par conséquent, elle n’a pas rempli cette obligation légale.

[42] Ainsi, la requérante n’avait pas d’invalidité grave avant la fin de la PMA.

[43] Pour être invalide au sens du Régime de pensions du Canada, il faut avoir une invalidité à la fois grave et prolongée. Comme j’ai décidé que l’invalidité de la requérante n’était pas grave, il n’est pas nécessaire de décider si elle est prolongée.

Conclusion

[44] L’appel est accueilli.

[45] La division générale a fondé sa décision sur deux erreurs de fait importantes. La division d’appel intervient et rend la décision que la division générale aurait dû rendre, à savoir que la requérante n’était pas invalide avant la fin de la PMA. Par conséquent, sa demande de prestations est rejetée.

Date de l’audience :

Le 26 novembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

I. O., appelante

Judith Hemming, avocate de l’appelante

Viola Herbert, représentante de l’intimé

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