Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : DV c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1126

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-1468

ENTRE :

D. V.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Tyler Moore
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 8 décembre 2020
Date de la décision : Le 14 décembre 2020
DATE DU RECTIFICATIF : Le 21 décembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant, D. V., a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en [mars] octobre 2017. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] Le requérant est un ancien soudeur qui s’est fracturé le poignet gauche en 2001. En 2003, il a perdu son emploi. Il a ensuite tenté de travailler comme réparateur de carrosserie autonome. Il a 55 ans.

[3] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du RPC en [février] septembre 2018. Dans sa demande, il a indiqué qu’il ne pouvait plus travailler en raison d’un manque d’énergie et d’essoufflement. Ses diagnostics incluaient la cardiomyopathie, l’arythmie cardiaque, l’apnée du sommeil, la dépression, une blessure au poignet gauche et l’alcoolisme. Le ministre de l’Emploi et du Développement social du Canada a rejeté sa demande parce que l’état de santé du requérant n’était pas assez grave pour l’empêcher de faire tout type de travail. Le requérant a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] Le 17 février 2020, la division générale a rejeté l’appel du requérant. Le 14 mai 2020, le requérant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel. La permission lui a été accordée et, le 28 septembre 2020, la division d’appel a conclu que la division générale avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. La division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale pour qu’elle soit jugée à nouveau parce que le dossier était incomplet. Plus précisément, il fallait examiner les problèmes de consommation d’alcool du requérant et sa tentative de devenir travailleur autonome après 2005.

Ce que le requérant doit prouver

[5] Pour avoir gain de cause, le requérant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2005. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCFootnote 1.

[6] L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner la mortFootnote 2.

Les motifs de ma décision

[7] Je conclus que le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2005. Je suis arrivé à cette décision en examinant les questions suivantes.

L’invalidité du requérant était-elle grave?

Le requérant avait des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail

[8] Ma décision sur la gravité de l’invalidité du requérant n’est pas fondée sur ses diagnostics. Elle repose sur la question de savoir si des limitations fonctionnelles l’empêchaient de travaillerFootnote 3. Je dois examiner l’ensemble de ses problèmes de santé et réfléchir à la façon dont ils ont pu nuire à sa capacité de travailFootnote 4.

[9] J’ai jugé le requérant crédible. Son témoignage était direct et franc lorsqu’il répondait aux questions liées à son travail et à ses antécédents de santé. Il a affirmé que ses problèmes cardiaques et son essoufflement ont commencé vers 2016, soit plusieurs années après le 31 décembre 2005. Pour cette raison, je n’ai pas tenu compte de la cardiomyopathie et de l’arythmie dans ma décision.

[10] Le requérant soutient que son alcoolisme, sa dépression, sa blessure au poignet gauche ayant nécessité une intervention chirurgicale et ses troubles d’apprentissage ont entraîné chez lui une incapacité à tenir ou à utiliser des outils, à accomplir des tâches physiques, à gérer ses finances, à être fiable, à acquérir de nouvelles compétences et à suivre des instructions. En décembre 2005, il était fatigué au point de faire régulièrement des siestes pendant la journée. De plus, il était incapable de soulever quoi que ce soit qui l’obligeait à utiliser sa main gauche. Il a affirmé qu’il est dépendant de l’alcool depuis l’âge de 13 ans. Même s’il a suivi trois cures de désintoxication et qu’il a participé aux traitements, il n’a jamais été sobre plus de quelques mois à la fois.

[11] La preuve médicale provenant du Dr Fowler, de Mme Campagnoni et de la Dre Poder appuie l’argument du requérant. En novembre 2004, le Dr Fowler, psychologue, a écrit que les antécédents de consommation excessive d’alcool remontant à de nombreuses années avaient une incidence sur le rendement du requérant au travail et sur sa situation financière. Le Dr Fowler a également souligné que le requérant a utilisé une bonne partie des 50 000 $ empruntés sur la valeur nette de sa maison non pas pour construire son propre atelier de soudage, mais pour consommer de l’alcool. En juin 2008, la Dre Poder, psychiatre, a écrit que la consommation excessive d’alcool était l’un des principaux facteurs contribuant à la baisse de motivation et à la mauvaise humeur du requérant.

[12] En août 2020, Mme Campagnoni, psychologue, a effectué une évaluation psychoéducative après que le requérant lui a été adressé par les services sociaux. Elle a conclu que le requérant avait de graves troubles d’apprentissage et qu’il était analphabète. Par conséquent, il devait se faire répéter les instructions et rappeler les choses fréquemment. Le rapport a été produit de nombreuses années après la période minimale d’admissibilité, mais ses conclusions témoignent des difficultés d’alphabétisation et d’apprentissage que le requérant a éprouvées toute sa vie.

[13] Je juge que les éléments de preuve montrent que le requérant avait des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2005.

Il n’est pas réaliste de penser que le requérant était apte à l’emploi

[14] Pour décider si le requérant est capable de travailler, je dois examiner non seulement ses problèmes de santé et leurs effets sur sa capacité fonctionnelle, mais aussi des facteurs additionnels. Je dois également tenir compte de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents de travail et de son expérience de vie. Ces facteurs m’aident à décider s’il pourrait travailler dans le monde réelFootnote 5.

[15] Le requérant a maintenant 55 ans et parle couramment l’anglais. Il a fait sa 6e année avant de reprendre ses études et d’obtenir l’équivalent d’une 10e année. Le requérant a suivi un programme d’apprentissage en soudage, mais son certificat de compétence est échu depuis plusieurs années. Les seuls emplois qu’il a occupés sont ceux de soudeur, de pêcheur commercial et de mécanicien ou vendeur d’automobiles. Il n’a aucune compétence en informatique. Je constate que le requérant n’a aucune compétence transférable.

[16] Les lacunes du requérant en matière de littératie ont également une grande incidence sur sa capacité à travailler et à se recycler. L’évaluation psychoéducative effectuée en août 2020 a révélé que le requérant fait de la dyslexie et présente d’importants déficits de codage et de décodage ainsi qu’une mauvaise mémoire à court terme. Ses problèmes de mémoire nuisent à sa capacité de suivre des instructions et d’apprendre de nouvelles choses. Son niveau d’alphabétisation n’est pas fonctionnel.

[17] Je juge que la combinaison d’une dextérité limitée de main gauche, d’un manque de compétences transférables, de l’alcoolisme, d’une dépression et de troubles d’apprentissage font du requérant un mauvais candidat pour un programme de recyclage ou un travail de bureau plus léger. Il n’est pas réaliste de penser que le requérant est apte à l’emploi dans un marché du travail concurrentiel.

Le requérant a tenté de rester sur le marché du travail aussi longtemps que possible

[18] Après s’être cassé le poignet et avoir subi une intervention chirurgicale en 2001, le requérant a dû s’absenter du travail pendant sept mois. Par la suite, il s’est fracturé le poignet une deuxième fois. Lorsqu’il a repris son travail de soudeur, il ne pouvait plus accomplir les tâches requises. Il ne pouvait pas monter dans une échelle ni tenir des outils. De plus, il s’est souvent absenté parce qu’il avait trop bu la veille. Il a déclaré que sa blessure au poignet n’était pas liée à l’alcool.

[19] En 2003, l’employeur du requérant lui a dit d’arrêter de venir travailler parce qu’il ne pouvait pas faire le travail. Il est devenu de plus en plus déprimé et, en 2005, il a pensé qu’il pourrait peut-être faire quelque chose à partir de chez lui. Il a tenté de démarrer son propre atelier de carrosserie à la maison avec l’aide d’amis et de membres de sa famille. Malheureusement, l’entreprise a échoué. Le requérant a emprunté 50 000 $ sur la valeur nette de sa maison pour démarrer l’entreprise, mais il a dépensé une bonne partie de cet argent pour consommer de l’alcool.

[20] De 2005 à 2008, le requérant passait environ 15 heures par semaine à se rendre dans les parcs de voitures d’occasion des environs pour trouver des voitures qu’il pourrait remettre en état et vendre. Personne ne travaillait pour lui. Il appelait un ami mécanicien pour qu’il vienne à son atelier seulement quand il avait un véhicule à réparer. Le requérant ne pouvait pas effectuer les travaux physiques lui-même.

[21] L’ensemble des activités de l’entreprise du requérant comprend la vente de trois ou quatre voitures. Le requérant n’a pas fait d’argent, comme son registre des gains en fait état. Il a soutenu qu’il n’aurait pas pu consacrer plus de temps à son entreprise ni y mettre plus d’efforts en raison de sa dépression et de sa consommation excessive d’alcool. De plus, il prenait plusieurs antidépresseurs qui causaient des effets secondaires. La Dre Poder a confirmé ces faits en juin 2008.

[22] J’accepte l’observation du requérant voulant que l’entreprise qu’il exploitait de chez lui est demeurée ouverte jusqu’en 2010, mais seulement sur papier. Je juge que les efforts qu’il a faits après le 31 décembre 2005 pour travailler ne montrent pas qu’il était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Le requérant a fait des efforts raisonnables pour suivre les traitements recommandés

[23] Le requérant a fait des efforts raisonnables pour suivre les conseils des médecinsFootnote 6. Tout problème de conformité au traitement était dû à son problème de santé. Par exemple, en 2008, la Dre Foder a précisé que le requérant avait pris de la sertraline, de l’Effexor, de la mirtazapine, du Wellbutrin et du Cipralex. Il a cessé de les prendre soit à cause des effets secondaires ou parce qu’ils étaient inefficaces quand il consommait de l’alcool en même temps.

[24] Le requérant a été hospitalisé à trois reprises depuis 2000 pour des cures de désintoxication. Chaque fois, il s’est abstenu de consommer de l’alcool pendant quelques mois. Il a participé à des séances de consultation et à des rencontres des Alcooliques Anonymes, mais il n’a pas été en mesure de traiter efficacement sa maladie.

[25] Le requérant a fait valoir que depuis 2001, il n’a pas été sobre pendant plus de quelques mois à la fois. Il a menti à ses médecins lorsqu’il a déclaré avoir cessé de boire pendant de plus longues périodes. Il a dit au Dr Fowler qu’il avait arrêté de boire parce qu’il voulait récupérer son permis de conduire après l’avoir perdu pendant un an à cause de l’alcool au volant. Le requérant a soutenu que l’argument du ministre selon lequel il avait été sobre pendant plusieurs années était inexact. J’accepte l’observation du requérant.

[26] Le requérant a continué de consommer de l’alcool par automédication. Il buvait et boit encore au moins un gallon de rhum par semaine. Son alcoolisme, sa lésion chronique au poignet gauche et sa dépression ont des effets les unes sur les autres.

[27] Malgré les divers types de thérapie et de traitement, la capacité fonctionnelle du requérant ne s’est pas améliorée et ses troubles d’apprentissage dureront toute sa vie.

L’invalidité du requérant était-elle prolongée?

[28] L’invalidité du requérant est prolongée. Son problème de santé est apparu à l’âge de 13 ans, il était présent lorsqu’il a cessé de travailler comme soudeur en 2003, et il se poursuit aujourd’hui. Son état de santé ne s’est pas amélioré malgré les multiples tentatives de désintoxication, la prise de médicaments et la thérapie psychologique et physique. Compte tenu de la nature chronique de ses problèmes physiques et psychologiques, je ne m’attends pas à ce que l’état du requérant s’améliore au point où il pourrait retourner régulièrement faire un travail véritablement rémunérateur.

Conclusion

[29] J’accueille l’appel. Le requérant avait une invalidité grave et prolongée en décembre 2005. Toutefois, le RPC prévoit qu’il peut être réputé invalide au plus 15 mois avant la réception de sa demande de prestations d’invalidité par le ministre. Par la suite, il y a une période d’attente de 4 mois avant le premier versementFootnote 7. Le ministre a reçu la demande du requérant en [février] septembre 2018. Ainsi, il est réputé être devenu invalide en [novembre 2016] juin 2017. Le versement de sa pension commence donc en [mars] octobre 2017.

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