Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1151

Numéro de dossier du Tribunal: GP-18-2659

ENTRE :

M. S.

Appelant

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Antoinette Cardillo
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 9 décembre 2020
Date de la décision : Le 23 décembre 2020

Sur cette page

Décision

L’appelant satisfait à la définition de l’incapacité du Régime de pensions du Canada (RPC), et il a droit à des prestations d’invalidité rétroactives au-delà de celles déjà versées par le ministre.

Aperçu

[1] Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité de l'appelant le 25 mars 2013Note de bas de page 1. L’appelant avait 27 ans et avait terminé un an et demi d’études postsecondaires lorsqu’il a demandé des prestations. L’appelant a décrit ses principaux problèmes de santé invalidants comme étant la schizophrénie et la psychose, y compris une psychose due à la drogue. Il a affirmé qu’il était travailleur autonome et qu’il avait cessé de travailler en septembre 2009 en raison de ses problèmes de santé et des effets secondaires de médicaments qu’il prenait. Toutefois, dans le Questionnaire pour les prestations d’invaliditéNote de bas de page 2, il a précisé qu’il estimait ne plus pouvoir travailler à partir d’octobre 2001.

[2] Le ministre a approuvé la demande de pension d’invalidité avec une date d’entrée en vigueur de décembre 2011 (rétroactivité maximale de 15 mois) et une date de paiement d’avril 2012 (période d’attente de quatre (4) mois). L’appelant a demandé une révision de la décision du ministre en affirmant qu’il était atteint d’incapacité, et une plus grande rétroactivité à partir de 1987. Le ministre a maintenu sa décision initiale et a rejeté la demande la révision. L’appelant a fait appel de la décision concernant la demande de révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions préliminaires

[3] Une audience par téléconférence a été prévue le 24 juin 2020, mais l’appelant ne s’est pas présenté. Le Tribunal n’a pas pu joindre l’appelant avant le 2 juillet 2020. L’appelant a dit qu’il pensait recevoir un appel le jour de l’audience; il ne savait pas qu’il devait téléphoner pour se joindre à l’audience. Entre juillet et octobre 2020, le Tribunal a tenté à plusieurs reprises de reporter l’audience. L’appelant a été très difficile à joindre et n’a pas répondu aux lettres ou aux courriels du Tribunal, sauf à la fin d’août 2020. Il a indiqué qu’il songeait à trouver une représentante ou un représentant. Le Tribunal lui a envoyé le formulaire à faire remplir à sa représentante ou son représentant et à retourner au Tribunal. Le formulaire n’a jamais été reçu. Une nouvelle audience a été prévue le 9 décembre 2020. À l’audience, j’ai demandé à l’appelant s’il voulait procéder sans représentation, et il a dit que oui.

Lois applicables

[4] Pour satisfaire à la définition de l’incapacité prévue à l’article 60(9) du RPC, l’appelant doit satisfaire aux trois éléments suivants : (i) être incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle la demande a réellement été faite; (ii) la période d’incapacité a cessé avant cette date; (iii) la demande a été faire au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité, mais ne pouvant dépasser 12 mois — débutant à la date à laquelle la période d’incapacité a cessé, ou, si la période d’incapacité est inférieure à 30 jours, la demande doit avoir été présentée au plus un mois après celui pendant lequel la personne a cessé d’être atteint d’une incapacité.

[5] Selon la définition de l’article 60(10) du RPC, pour l’application de l’article 60(9), une période d’incapacité doit être continue.

Question en litige

[6] Est-ce que l’appelant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité avant mars 2013 et, le cas échéant, quelle est la période d’incapacité?

Analyse

[7] Pour satisfaire au critère de l’incapacité du RPC, une partie requérante doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. La capacité de former l’intention de présenter une demande de prestations est semblable à la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à la partie requérante demandant des prestationsNote de bas de page 3.

[8] La capacité doit être considérée dans le sens ordinaire du terme et évaluée sur le fondement de la preuve médicale produite et des activités de la personne. La disposition relative à l’incapacité du RPC est précise et ciblée. Elle n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations, mais seulement la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 4.

[9] Ainsi, il me faut examiner la preuve médicale ainsi que les activités de l’appelant, entre la date où il affirme ne plus avoir eu la capacité de présenter une demande et la date à laquelle il a réellement présenté sa demande de pension d’invalidité, afin d’appréhender la capacité qu’il possédait, au cours de cette période, de former et d’exprimer l’intention de faire une demande de prestationsNote de bas de page 5. La disposition relative à l’incapacité du RPC exige également de la part d’une partie requérante qu’elle démontre que, durant toute la supposée période d’incapacité, elle avait été, sans discontinuer, incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 6.

[10] Dans la présente affaire, la période d’incapacité à prendre en considération est comprise entre 1987 (date à laquelle l’incapacité de l'appelant aurait commencé) et mars 2013 (date réputée de la demande).

i. Preuve médicale

[11] Dans un rapport daté du 25 janvier 2010Note de bas de page 7, le Dr Hastings, psychiatre, a déclaré qu’il avait connu l’appelant grâce à des suivis dans le Halton Region Early Intervention in Psychosis Programme/Phoenix Programme (programme d’intervention précoce en psychose de la région de Halton / programme Phoenix). Il a été admis à l’hôpital du 26 octobre au 14 décembre 2009. Lorsqu’il a obtenu son congé, il n’avait pas la capacité de consentir au traitement et il est demeuré atteint d’incapacité pendant les suivis effectués par le médecin. La conclusion de l’incapacité était spécifiquement liée aux médicaments antipsychotiques. Cette conclusion a d’abord été tirée le 28 octobre 2008. La mère de l’appelant était sa mandataire spéciale, car il n’avait pas la capacité de consentir à des médicaments antipsychotiques.

[12] Un rapport daté du 15 décembre 2011 du Dr GirglaNote de bas de page 8, psychiatre, indiquait que l’appelant avait été admis à l’hôpital le 26 octobre 2009 et qu’il avait obtenu son congé le 14 décembre 2009. Il a reçu un diagnostic de schizophrénie et de consommation de marijuana. À sa sortie, sa mère était sa mandataire spéciale. Il a été conclu que l’appelant n’avait pas la capacité de gérer ses finances; il présentait des symptômes continus de psychose et il demeurait incapable de consentir au traitement au moyen de médicaments antipsychotiques. Il a été réadmis le 25 janvier 2010 et a reçu son congé le 5 février 2010. Son diagnostic est demeuré le même. De plus, l’appelant ne prenait pas ses médicaments comme il le devait, et on a constaté un déclin cognitif et un abus de marijuana. On a conclu qu’il demeurait incapable de consentir au traitement au moyen de médicaments antipsychotiques, et sa mère est demeurée sa mandataire spéciale.

[13] Le rapport médical à l’appui de la demande d’invalidité de l’appelantNote de bas de page 9 daté du 23 janvier 2013 du Dr Girgla indiquait que l’appelant était atteint de schizophrénie et qu’il participait à un programme en clinique externe qui aidait les familles et patients ayant des psychoses. L’appelant était également un patient à la clinique de gestion de la médication. Il a été hospitalisé en janvier 2010, pendant 12 jours, et en avril 2012, pendant 57 jours pour schizophrénie. Il avait des idées délirantes, de la paranoïa, de la difficulté à se concentrer et à se motiver, peu d’énergie ainsi que des sautes d’humeur. Il prenait des médicaments toutes les deux (2) semaines par injection et recevait les conseils d’un psychiatre et de membres du personnel de soutien communautaire. Son pronostic était réservé et chronique, et on ne s’attendait pas à ce qu’il redevienne fonctionnel.

[14] Le 11 mars 2014Note de bas de page 10, le Bureau du Tuteur et curateur public a conclu que l’appelant n’était pas atteint d’incapacité.

[15] Selon une déclaration d’incapacitéNote de bas de page 11 datée du 14 février 2018, remplie par le Dr Kantor, psychiatre, l’appelant est devenu atteint d’incapacité en 2009. Son incapacité était continue en raison de schizophrénie, de délires et de pensées désorganisées malgré le traitement. Le médecin a répondu « oui » à la question de savoir si les problèmes de santé de l’appelant le rendaient incapable de former ou d’exprimer une intention de présenter une demande.

ii. Témoignage / activités de l’appelant

[16] L’appelant a déclaré qu’il avait des problèmes cognitifs depuis qu’il est tombé et s’est frappé la tête à l’âge de deux (2) ans. Depuis, il a toujours entendu des voix et eu des hallucinations. Cependant, jusqu’en 2009, il pouvait travailler. En 2009, il est devenu très déprimé et ne pouvait plus fonctionner. Sa mère l’a emmené à l’hôpital. Il a obtenu son congé, mais moins d’un mois plus tard, il a été réadmis. Il a été réadmis plusieurs fois par la suite. Il n’a pas été capable de retourner au travail depuis 2009.

[17] Il a expliqué qu’il a toujours vécu avec sa mère. Elle s’occupe de lui. Il a un permis de conduire, mais il n’a pas de voiture. Cela fait sept (7) ans qu’il n’a pas conduit en raison de ses problèmes de santé et des médicaments qu’il prend. Pour aller à ses rendez-vous médicaux ou à la banque, il se fait conduire par sa mère ou son grand-père. L’appelant a dit qu’il ne paie pas de factures, qu’il fait très peu de choses pendant la journée, sauf parfois préparer les repas et faire la lessive. Sa mère gérait ses affaires parce qu’il ne pouvait pas le faire pendant qu’il était à l’hôpital et à cause des médicaments qu’il prenait. Elle continue d’exercer une surveillance, même s’il veut contrôler ses finances.

[18] Sa mère et des professionnels de la santé l’ont mis au courant de la demande de pension d’invalidité. Il a dit qu’il pensait avoir peut-être partiellement rempli le formulaire, mais qu’il ne se souvenait pas s’il l’avait signé ou non.

[19] Il a des problèmes de mémoire et de concentration. Comme je l’ai mentionné, il a toujours entendu des voix dans sa tête et eu des hallucinations. Bien qu’ils soient maintenant mieux contrôlés grâce aux médicaments, il continue d’avoir des difficultés et ne peut pas bien fonctionner sur le marché du travail.

[20] Depuis 2009, il consulte une ou un psychiatre toutes les quatre (4) à six (6) semaines. Une infirmière ou un infirmier se rend aussi chez lui une fois par semaine pour lui donner des injections.

iii. Incapacité

[21] Le ministre a soutenu que, pour être admissible au titre de la disposition relative à l’incapacité du RPC, il doit y avoir des éléments de preuve démontrant que l’appelant est incapable de former ou d’exprimer son intention de faire une demande de prestations et que cette incapacité est continue. Dans la présente affaire, les renseignements au dossier n’appuyaient pas l’incapacité au sens du RPC pour la période de prestations qu’il avait manquée et demandée. Les éléments suivants ont été pris en compte :

  • l’appelant a pu signer tous les documents requis pour demander des prestations d’invalidité du RPC, y compris le consentement. De plus, il a présenté sa propre demande de révision et l’a signée, appuyant le fait qu’il n’est pas atteint d’incapacité;
  • l’appelant a conservé son permis de conduire tel qu’il est indiqué sur le questionnaire et il pouvait conduire, ce qui indique qu’il avait la capacité cognitive de conduire une voiture en toute sécurité;
  • l’appelant avait la capacité de communiquer avec le RPC et d’envoyer les documents requis de façon indépendante. De plus, il n’y avait aucune preuve au dossier pour appuyer qu’il avait un tuteur et curateur public ou une procuration pour s’occuper de ses affaires à ce moment‑là. Le 11 mars 2014, une lettre du tuteur et curateur public indiquait qu’il n’était pas atteint d’incapacité.

[22] Je ne suis pas d’accord avec les observations du ministre. J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve appuie la conclusion selon laquelle l’appelant n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer son intention de présenter une demande de pension d’invalidité entre octobre 2009 et mars 2013.

[23] Je fonde ma conclusion sur les faits suivants :

  • l’appelant a été admis à l’hôpital à plusieurs reprises et pendant de longues périodes entre octobre 2009 et avril 2012 pour cause de schizophrénie;
  • des professionnels de la santé ont déclaré qu’il était incapable de donner son consentement à un traitement ou à un médicament;
  • sa mère a été nommée mandataire spéciale à partir de 2009 jusqu’à ce qu’on détermine qu’il n’était plus atteint d’incapacité en mars 2014;
  • une déclaration d’incapacitéNote de bas de page 12 datée du 14 février 2018, remplie par le Dr Kantor, psychiatre, indique que l’appelant est devenu atteint d’incapacité en 2009 et que son incapacité était continue en raison de schizophrénie, de délires et de pensées désorganisées, même avec un traitement;
  • l’appelant a toujours vécu avec sa mère qui s’occupe de lui, il ne gérait pas ses affaires et ne payait pas ses factures, il n’a pas conduit depuis sept (7) ans et sa mère ou son grand-père l’accompagnent à ses rendez-vous ou à la banque.

[24] J’ai la certitude qu’à partir d’octobre 2009, l’appelant n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations du RPC alors qu’il ne pouvait plus fonctionner, qu’il avait cessé de travailler et qu’il a été hospitalisé. Je suis convaincue que l’appelant avait des problèmes cognitifs avant octobre 2009. Toutefois, je ne peux pas décider, à partir de la preuve, si ces problèmes étaient suffisamment graves pour que l’appelant satisfasse à la définition d’incapacité selon le RPC.

iv. Invalidité

[25] Pour être considérée comme étant invalide au titre du RPC, une partie requérante doit démontrer qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Une invalidité est grave si elle rend une personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 13.

[26] Être atteint d’une invalidité au sens du RPC n’est pas la même chose que répondre à la définition de l’incapacité au sens du RPC. Comme indiqué ci-dessus, l’appelant a commencé à présenter une incapacité en octobre 2009.

[27] L’invalidité de l’appelant n’est pas contestée. Le ministre a reconnu que l’appelant est admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC

Conclusion

[28] Je conclus que l’appelant satisfait aux critères relatifs à l’incapacité énoncés dans le RPC et qu’il est admissible à recevoir des prestations d’invalidité rétroactives au-delà de celles déjà versées par le ministre. L’appelant était atteint d’incapacité entre octobre 2009 et mars 2013.

[29] Je conclus également que l’appelant était atteint d’une invalidité en octobre 2009 (date de l’apparition de l’invalidité). Conformément au paragraphe 60(9), la date réputée de la demande est le mois précédant le premier mois au cours duquel l’invalidité a pu être versée ou le moment où l’incapacité a commencé. Dans cette affaire, l’incapacité et l’invalidité ont commencé en même temps, alors la date réputée de la demande est janvier 2010 (le mois avant le premier mois où le versement des prestations d’invalidité pouvait commencer). Étant donné que la date de début de l’invalidité est octobre 2009, la date de versement de la pension d’invalidité est février 2010, puisque les versements commencent quatre mois après la date réputée de l’invalidité.

[30] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.