Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : NH c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 48

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-246

ENTRE :

N. H.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : George Tsakalis
Représentant de la requérante : D. Joel Dick
Représentant du ministre : John Gebara
Date de l’audience par
vidéoconférence :
Le 20 janvier 2021
Date de la décision : Le 25 janvier 2021

Sur cette page

Décision

[1] La requérante, N. H., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en avril 2017. Dans la présente décision, j’explique les motifs pour lesquels j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] La requérante est née en Arménie en 1963. Elle est arrivée au Canada à l’âge de quatre ans. Elle a obtenu un diplôme en commerce général. Elle a une grande expérience de travail, notamment en tant que propriétaire d’un magasin franchisé de sandwiches. Elle a travaillé comme commis de pharmacie. Elle a également travaillé comme réceptionniste pour une entreprise de sécurité et comme gestionnaire d’entrepôt. Son dernier emploi était pour le service de la comptabilité clients d’une entreprise de sécurité. Sa vie a toutefois changé le 21 août 2016. Son fils a subi des blessures catastrophiques lors d’un accident de véhicule tout-terrain (VTT) qui l’a laissé incapable de communiquer et de bouger ses membres. La requérante a alors commencé à souffrir d’une dépression chronique majeure. Elle n’a occupé aucun emploi depuis septembre 2016. Elle soutient qu’elle ne peut occuper aucun type d’emploi en raison de son état de santé.

[3] La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 8 mars 2018. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande parce qu’il a estimé que les éléments de preuve médicale ne démontraient pas que la requérante était atteinte d’une invalidité au sens du RPCFootnote 1. Le ministre reconnait la situation difficile de la requérante. Cependant, il affirme que la requérante a une capacité de travail, car elle fournit des soins à son filsFootnote 2. La requérante a fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que la requérante doit prouver

[4] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2019. Selon le RPC, cette date marque la fin de la « période minimale d’admissibilité ». Cette date est calculée en fonction de ses cotisations au RPCFootnote 3.

[5] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner le décèsFootnote 4.

Motifs de ma décision

[6] Je conclus que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en août 2016. J’ai rendu cette décision après avoir examiné les questions qui suivent.

La requérante était-elle atteinte d’une invalidité grave?

La requérante a des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité à travailler

[7] Pour décider si l’invalidité de la requérante est grave, je ne me suis pas fondé sur son diagnostic. Plutôt, j’ai examiné si la requérante a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de travaillerFootnote 5. Je dois examiner son état de santé global et réfléchir à la manière dont les problèmes de santé de la requérante pourraient affecter sa capacité à travaillerFootnote 6.

[8] La requérante doit fournir une preuve médicale objective de son invalidité au 31 décembre 2019. Si la requérante ne parvient pas à prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave avant cette date, la preuve médicale datant d’après cette date n’est pas pertinenteFootnote 7.

[9] La requérante fait valoir que son état de santé mentale entraîne de graves limitations fonctionnelles. Elle est incapable de se concentrer. Elle ne dort pas bien et évite de conduire. De plus, elle a de la difficulté à satisfaire ses besoins en matière de soins personnels. Elle n’est pas intéressée par les tâches ménagèresFootnote 8.

[10] La requérante a déclaré que sa vie tourne autour des soins à apporter à son fils. Elle se réveille le matin et lui retire son cathéter. Elle doit brancher son tube d’alimentation. Des préposés aux services de soutien à la personne (PSSP) se rendent à son domicile pendant environ une heure, et ce, à trois occasions différentes au cours de la journée. Elle nettoie son fils avant l’arrivée des PSSP. Cependant, elle ne fait que peu d’activités quotidiennes. Elle s’inquiète pour son fils depuis août 2016. Elle essaie de passer le temps en lisant des livres à son fils et en lisant la Bible. Elle prépare le souper pour sa fille, qui vit avec la requérante et son fils. La requérante fait la lessive le soir. Toutefois, elle éprouve de la difficulté à accomplir toutes ses tâches en raison de sa santé mentale. Elle ne peut pas se concentrer et pleure beaucoup. Il lui faut 45 minutes pour nettoyer son fils le matin, alors que cela ne devrait lui prendre que 15 minutes. Il lui faut beaucoup plus de temps que prévu pour préparer le souper de sa fille, car elle ne peut pas faire plusieurs choses à la fois.

[11] La requérante a déclaré qu’elle ne dort pas bien parce qu’elle s’inquiète constamment pour son fils. Elle fait de l’anxiété et est irritable. Elle a eu de la difficulté à traiter avec les entrepreneurs qui ont effectué des modifications à sa maison en vue d’aider son fils. Même les tâches simples comme les opérations bancaires et le paiement des factures provoquent de l’anxiété. Elle avait une grande expérience de travail avec les ordinateurs. Or, elle a de la difficulté à utiliser une application bancaire mobile en raison de problèmes de concentration.

[12] L’état de santé de la requérante n’a pas changé depuis l’accident de son fils en août 2016. Elle ne peut pas accepter ce qui est arrivé à son fils. Elle a essayé de travailler pendant deux semaines après l’accident. Elle travaillait à temps partiel, mais était incapable d’exercer ses fonctions. Elle pleurait constamment. Elle ne pouvait pas se concentrer. Elle ne pouvait plus effectuer ses appels téléphoniques aussi rapidement qu’avant. Elle avait de la difficulté à taper au clavier. Elle s’inquiétait constamment pour son fils. Son employeur compatissait à sa situation, mais il n’avait pas pu la garder en raison de son manque de productivité. La requérante a soutenu que selon elle, elle ne peut détenir aucun emploi parce qu’elle n’est pas capable de se concentrer. Elle n’a occupé aucun emploi depuis septembre 2016. Elle n’a pas de véritable source de revenus, à l’exception de certains revenus de location. Elle n’a pas discuté d’un retour au travail avec ses médecins traitants.

[13] La preuve médicale des médecins traitants de la requérante appuie son témoignage selon lequel elle est atteinte d’une invalidité grave au sens du RPC.

[14] La preuve médicale démontre que la requérante était atteinte d’un trouble de stress post-traumatique, d’anxiété, d’irritabilité et de dépression à la suite de l’accident de son fils. La requérante avait des problèmes de mémoire et de sommeilFootnote 9.

[15] La requérante a vu un psychologue en 2017 et en 2018. Le psychologue a noté que la requérante ne pouvait pas retourner au travail en 2018 en raison de son anxiété et de sa dépression. Elle continuait à s’inquiéter pour son fils. Elle évitait les interactions sociales parce qu’elle craignait de parler de la santé de son filsFootnote 10. La requérante a eu des problèmes de gestion de la colère en 2018 et réagissait difficilement avec les personnes au téléphoneFootnote 11. La requérante a également signalé au psychologue qu’elle avait de la difficulté à utiliser la technologie et son ordinateurFootnote 12.

[16] Le médecin de famille de la requérante a fourni un rapport médical au ministre le 2 mars 2018. Le médecin a décrit la requérante comme étant très déprimée. La requérante ne pouvait pas s’arrêter de pleurer et ne pouvait pas se concentrerFootnote 13.

[17] Les dossiers et les notes cliniques du médecin de famille de la requérante datant de 2018 indiquaient des sautes d’humeur. La requérante a également ressenti des effets secondaires dus à des antidépresseursFootnote 14.

[18] La requérante a vu une psychiatre en 2019. Le 16 février 2019, la psychiatre a rédigé un rapport à l’intention du représentant légal de la requérante. La psychiatre a déclaré que la requérante continuait à être atteinte de dépression majeure. Elle manquait de motivation. Elle avait peu d’énergie, une mémoire défaillante et une faible capacité de concentration. La requérante ne voulait pas prendre de médicaments parce qu’elle avait besoin d’entendre son fils la nuit. La psychiatre a estimé que la requérante ne pouvait pas travailler en raison d’un épuisement physique et émotionnel, d’une incapacité à se concentrer et d’une mémoire défaillanteFootnote 15.

[19] La psychiatre de la requérante a également rédigé un rapport le 6 décembre 2019. Elle a diagnostiqué chez la requérante une dépression chronique majeure à laquelle s’ajoutaient de l’anxiété et un syndrome de stress post-traumatique. La requérante n’avait pas bien réagi à un autre antidépresseur. La psychiatre ne pensait pas que la requérante était capable de travailler, même si elle avait suivi un traitement supplémentaire. La psychiatre a déclaré qu’elle ne pensait pas que la requérante pouvait faire face à ses collègues ou au stress. Elle ne pensait pas que la requérante pouvait trouver et conserver un emploi rémunérateur. J’accorde beaucoup de poids à ce rapport, car il a été rédigé peu de temps avant la date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA) de la requérante.

La requérante n’a pas la capacité de travailler

[20] Pour décider si la requérante est capable de travailler, je ne dois pas seulement tenir compte de ses problèmes de santé et de leurs répercussions sur sa capacité à fonctionner. Je dois également tenir compte de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents de travail et de son expérience de la vie. Ces facteurs m’aident à décider si la requérante est en mesure de travailler dans un contexte réalisteFootnote 16.

[21] Je conclus que la requérante n’a pas la capacité de travailler dans un contexte réaliste. La requérante avait 56 ans à la date de fin de sa PMA. Cependant, elle a fait des études postsecondaires. Elle a une bonne connaissance de l’anglais. Elle possédait une entreprise. Elle a de l’expérience en gestion. Elle a également déclaré qu’elle avait acquis une grande expérience en informatique. Le niveau d’instruction, les compétences linguistiques, l’expérience professionnelle et l’expérience de vie de la requérante laissent entendre qu’elle peut occuper divers emplois. Cependant, je suis quand même convaincu qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au 31 décembre 2019.

[22] Le ministre a fait valoir que la requérante avait une capacité de travail au 31 décembre 2019 en raison de la quantité de soins qu’elle fournissait à son filsFootnote 17. Dans un rapport daté du 9 juin 2019, le médecin de famille de la requérante a déclaré que cette dernière ne pouvait pas effectuer d’autres tâches que celles consistant à s’occuper de son filsFootnote 18.

[23] Le commentaire du médecin de famille laisse entendre que les soins que la requérante prodigue à son fils sont équivalents à l’exercice d’un emploi véritablement rémunérateur. Je ne suis pas d’accord.

[24] Je suis d’accord avec l’argument du représentant légal de la requérante selon lequel la requérante n’avait aucune capacité de travail depuis l’accident de son fils en août 2016. La requérante met beaucoup plus de temps que la normale à nettoyer son fils, à brancher son tube d’alimentation, à faire la lessive et à préparer le souper. Il est vrai qu’elle s’occupe de son fils, mais elle doit également compter sur l’aide importante des PSSP. J’estime que le fait de nettoyer son fils le matin, de brancher son tube d’alimentation, de lui faire la lecture et de l’emmener à ses rendez-vous médicaux ne représente pas un emploi véritablement rémunérateur.

[25] J’accorde également beaucoup de poids au témoignage de la requérante. J’estime que la requérante est une témoin crédible. Elle a une bonne éthique du travail. Elle a touché un revenu chaque année, de 1981 à 2016Footnote 19. Je n’ai aucune raison de croire qu’elle a exagéré ses symptômes. Je suis convaincu qu’elle est atteinte d’un problème médical grave qui l’empêche de travailler.

[26] Le ministre a également fait valoir que le fait que la requérante avait besoin d’être avec son fils ne signifiait pas pour autant qu’elle ne pouvait pas travaillerFootnote 20. Le fils de la requérante vit avec elle. Elle ne veut pas le placer dans un établissement de soins de longue durée. Toutefois, je ne crois pas que la requérante pourrait détenir un emploi véritablement rémunérateur même si elle plaçait son fils dans un établissement de soins de longue durée. J’accepte son témoignage et celui de sa psychiatre selon lesquels son état de santé mentale l’empêchait d’exercer tout type d’emploi au 31 décembre 2019.

[27] Je ne crois pas que la requérante aurait pu exercer tout type de travail exigeant sur le plan physique au 31 décembre 2019 en raison de l’épuisement physique et émotionnel causé par sa dépression. J’estime également que la requérante n’aurait pu exercer aucun type d’emploi sédentaire au 31 décembre 2019 en raison de sa santé mentale. Je ne pense pas que la requérante aurait pu travailler avec le public en raison de son incapacité à gérer le stress et à se concentrer. Je ne crois pas qu’elle aurait pu travailler à l’ordinateur à partir de chez elle en raison de son incapacité à se concentrer. Je ne crois pas non plus qu’elle aurait pu travailler comme conductrice à cause de son anxiété. Je reconnais que sa capacité à accomplir ses activités de la vie quotidienne était affaiblie pendant sa PMA et qu’il lui fallait plus de temps pour accomplir ses tâches ménagères.

[28] J’estime que la requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice depuis l’accident de son fils en août 2016. Elle a travaillé pendant deux semaines en septembre 2016, mais j’estime que ce travail ne constituait pas un emploi véritablement rémunérateur, car la requérante travaillait à temps partiel de manière improductive. Je ne suis pas d’accord avec l’argument du ministre selon lequel la requérante aurait conservé une capacité de travail et n’aurait pas cherché un autre emploi. Les éléments de preuve n’ont pas permis de conclure que la requérante avait conservé une capacité de travail après le mois d’août 2016. Le psychologue a mentionné dans un rapport du 26 août 2018 qu’un retour au travail n’avait pas été envisagé cette année-là, mais je ne pense pas que cela signifie que la requérante avait une capacité de travail potentielle. En 2019, sa psychiatre a rédigé des rapports indiquant que la requérante ne pouvait pas trouver et conserver un emploi rémunérateur.

La requérante a fait des efforts raisonnables pour suivre les traitements recommandés

[29] La requérante a fait des efforts raisonnables pour suivre les avis médicauxFootnote 21. La requérante a fait des suivis auprès de son médecin de famille. Elle a reçu des conseils d’un psychologue et d’une psychiatre. Selon un dossier médical, la requérante était réticente à essayer des médicaments parce qu’elle avait besoin d’entendre son fils la nuit. Je n’accorde cependant pas beaucoup d’importance à cela, car la requérante a essayé des médicaments pour traiter sa dépression et son anxiété. Toutefois, les médicaments et le counseling n’ont pas amélioré la capacité fonctionnelle de la requérante au point qu’elle puisse retourner exercer régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.

La requérante est-elle atteinte d’une invalidité prolongée?

[30] La requérante est atteinte d’une invalidité prolongée.

[31] Les problèmes de santé de la requérante ont commencé en août 2016 et se poursuivent encore aujourd’hui. La requérante est toujours atteinte de dépression chronique majeure, d’anxiété et d’un trouble de stress post-traumatique, malgré les traitements reçus.

[32] La psychiatre de la requérante lui a fourni un pronostic sombre en raison de la complexité de sa maladie et de ses symptômes chroniquesFootnote 22. Je ne crois pas que la preuve médicale indique que les médecins de la requérante envisagent qu’elle retourne exercer un emploi véritablement rémunérateur.

Conclusion

[33] La requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en août 2016, à la suite de l’accident de son fils. Cependant, le RPC précise qu’elle ne peut être considérée comme invalide plus de quinze mois avant la date à laquelle le ministre a reçu sa demande d’invalidité. Après cela, il y a une période d’attente de quatre mois avant que le paiement commence. Le ministre a reçu la demande de la requérante en mars 2018. Elle est donc réputée être devenue invalide en décembre 2016. Le paiement de sa pension commence alors en avril 2017.

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