Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPP – travail véritablement rémunérateur – invalidité sévère et prolongée –
La requérante a demandé une pension d’invalidité du RPC en prétendant qu’elle ne pouvait plus travailler à cause de douleurs persistantes au dos. Le ministre lui a refusé parce que sa condition ne constituait pas une invalidité sévère et prolongée au moment de sa période minimale d’admissibilité. La requérante en a appelé à la division générale (DG) qui a rejeté son appel. Elle en a alors appelé à la division d’appel (DA).

La DA a conclu que la DG n’avait jamais expliqué comment on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’une personne incapable de se tenir debout ou assise pendant plus d’une demie heure puisse se recycler dans un travail de bureau. La Cour fédérale a récemment réaffirmé l’obligation des décideurs de fournir des motifs intelligibles et transparents. La manière avec laquelle la DG a abordé les rapports médicaux de la requérante suggère qu’elle n’a pas tiré de conclusion sur sa capacité résiduelle comme point de départ de son analyse. Omettre de le faire constitue une erreur permettant l’intervention de la DA qui a rendu la décision qui aurait dû être rendue. Elle a conclu que la requérante souffrait d’une invalidité sévère et prolongée en date de son accident au dos. L’appel a été accueilli.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : DL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 16

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-787

ENTRE :

D. L.

Appelante
(Requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé
(Ministre)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Neil Nawaz
DATE DE LA DÉCISION : Le 21 janvier 2021
DATE DU CORRIGENDUM : Le 26 janvier 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur en omettant d’évaluer si la requérante avait la capacité résiduelle nécessaire pour tenter de trouver un autre emploi. J’annule donc la décision de la division générale et je la remplace par ma propre décision d’accorder une pension d’invalidité à la requérante.

Aperçu

[2] La requérante est une ancienne travailleuse à la chaîne et conductrice de chariot élévateur qui s’est blessée au dos en avril 2016. Elle n’a pas travaillé depuis, et elle a maintenant 55 ans.

[3] En août 2018, la requérante a fait une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) et a affirmé qu’elle ne pouvait plus travailler en raison de douleurs persistantes au dos. Le ministre a rejeté sa demande parce qu’à son avis, l’état de la requérante n’équivalait pas à une invalidité « grave et prolongée » à l’époque de sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui a pris fin le 31 décembre 2018.

[4] La requérante a fait appel du rejet du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et, dans une décision datée du 31 août 2020, elle a rejeté l’appel. Elle a conclu que la requérante n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Plus particulièrement, la division générale a accordé du poids au fait qu’elle a jugé que la requérante avait omis de se recycler ou de chercher un autre emploi qui tiendrait compte de ses limitations.

[5] La requérante fait appel de la décision de la division générale. La requérante soutient que la division générale a commis diverses erreurs lorsqu’elle a conclu qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité.

[6] Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter des allégations de la requérante. J’ai maintenant conclu que la division générale a commis au moins une erreur en arrivant à sa décision. J’ai décidé que la réparation appropriée dans ce cas-ci est de faire ma propre évaluation de la demande d’invalidité de la requérante et de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Par conséquent, je rejette les conclusions de la division générale et je les remplace par ma propre décision d’accorder une pension d’invalidité du RPC à la requérante.

Questions en litige

[7] Seuls quatre moyens d’appel peuvent être invoqués devant la division d’appel. Une partie requérante doit démontrer que la division générale : i) a agi de façon injuste; ii) a refusé d’exercer sa compétence ou a excédé celle-ci; iii) a interprété la loi incorrectement; ou iv) a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[8] À l’audience, nous avons abordé trois questions :

  1. Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle mal interprété le critère d’une invalidité « grave »?
  2. Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle omis de décider si la requérante avait la capacité résiduelle nécessaire pour occuper un autre emploi?
  3. Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle omis de tenir compte du fait que la requérante n’avait pas les ressources nécessaires pour se recycler?

Mon rôle était de décider si ces questions correspondaient à un ou plusieurs des moyens d’appel admissibles et dans l’affirmative, de décider si elles étaient fondées.

Analyse

[9] Après avoir examiné les arguments des parties, je suis convaincu que la division générale a commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion selon laquelle la requérante n’avait pas essayé de trouver un autre emploi, sans même avoir vérifié si elle avait la capacité résiduelle de le faire. Puisque la décision de la division générale peut être annulée pour cette raison, je ne vois aucun besoin d’examiner les questions en litige no 1 ou no 2.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle omis de décider si la requérante avait la capacité résiduelle nécessaire pour occuper un autre emploi?

[10] La division générale a fondé sa décision, en partie, sur une conclusion selon laquelle la requérante n’avait pas fait assez de démarches pour trouver un autre emploi que son ancien poste de conductrice de chariot élévateur. À mon avis, la division générale a commis une erreur de droit en tirant cette conclusion sans d’abord vérifier si la requérante était capable d’entreprendre toute nouvelle carrière.

[11] Il ne fait aucun doute que la décision de la division générale reposait, en partie, sur une conclusion selon laquelle la requérante avait omis de s’acquitter de son obligation (imposée par l’arrêt InclimaNote de bas de page 2) de faire des démarches raisonnables pour obtenir et conserver un autre emploi :

Je note que la requérante n’a pas tenté de trouver un emploi qui tenait compte de ses limitations. Elle affirme que si elle devait retourner travailler, ce serait chez son ancien employeur. Elle n’a pas fait de démarches raisonnables pour trouver un emploi qui tient compte de ses limitationsNote de bas de page 3.

Selon l’arrêt Inclima, une partie requérante qui a au moins une certaine capacité à travailler doit démontrer que ses démarches pour obtenir et conserver un emploi ont été infructueuses en raison de son état de santé. Ce critère donne à penser qu’un décideur ne peut pas s’appuyer sur la prétendue omission d’une partie requérante de se recycler ou d’essayer de trouver un autre type d’emploi à moins de d’abord conclure qu’elle avait la capacité résiduelle de le faire. Pour décider si la personne a une capacité résiduelle, la division générale doit tenir compte non seulement de l’ensemble des problèmes de santé de la personne, mais aussi de ses antécédents et de ses caractéristiques personnellesNote de bas de page 4.

[12] Dans sa décision, la division générale n’a fait aucune mention de l’arrêt Inclima, même si cette affaire a établi le principe juridique sur lequel elle a fondé une grande partie de son analyse. Le fait de ne pas citer une jurisprudence pertinente n’est pas, en soi, une erreur pourvu que la division générale applique le principe juridique approprié aux faits. Toutefois, dans la présente affaire, je constate que ce n’est pas ce qu’a fait la division générale.

[13] La division générale a déclaré à juste titre que ce n’était pas la nature ou le nom du problème de santé de la requérante qui importait, mais bien son effet fonctionnel sur sa capacité à travailler. La division générale a reconnu que la douleur au dos de la requérante l’empêchait d’effectuer un travail ardu, mais elle a aussi jugé que ses limitations fonctionnelles ne l’empêchaient pas d’occuper tout type d’emploiNote de bas de page 5.

[14] Avec cette déclaration, la division générale a affirmé que la requérante avait la capacité résiduelle nécessaire pour occuper un emploi moins exigeant sur le plan physique que son ancien poste de conductrice de chariot élévateur. Toutefois, la discussion qui a suivi comportait des incohérences qui, à mon avis, jettent le doute sur les conclusions de la division générale et sur sa compréhension du principe de l’arrêt Inclima.

[15] Premièrement, la division générale n’a pas abordé la preuve médicale incontestée indiquant que la requérante était incapable de rester assise ou debout pendant de longues périodes. Parmi le nombre important d’éléments au dossier, deux rapports fournissaient des détails, en termes précis, sur l’étendue des limitations physiques de la requérante. En juillet 2017, le Dr Sleiman a écrit que la requérante était capable de retourner travailler, mais qu’elle ne pouvait pas occuper un emploi qui exigeait qu’elle demeure assise, debout, ou qu’elle marche plus de 30 minutes à la fois. Le Dr Sleiman a aussi indiqué que la requérante ne pouvait pas occuper un emploi qui exigeait qu’elle fasse des mouvements répétitifs, qu’elle se penche ou elle se tourne, ou qu’elle pousse, tire ou soulève des chosesNote de bas de page 6. En juillet 2018, le Dr Hasnain a énuméré des limitations similaires, en concluant que la requérante était incapable de demeurer assise ou debout pendant de longues périodes, d’effectuer des mouvements répétitifs, de soulever des objets lourds, et de se pencher ou d’effectuer une rotation au niveau de la tailleNote de bas de page 7.

[16] La division générale a reconnu que ces limitations étaient « importantes », mais elle a ensuite conclu qu’elles n’empêcheraient pas la requérante d’effectuer des tâches légères ou sédentairesNote de bas de page 8. Plus tard, la division générale a implicitement critiqué la requérante de ne pas avoir fait plus d’efforts pour se recycler en vue d’obtenir un emploi de bureau :

La requérante n’avait que 53 ans au moment de sa PMA. Elle a terminé ses études secondaires et elle a suivi une formation technique pour conduire des chariots élévateurs. Elle a de l’expérience de travail qui lui a permis d’acquérir des compétences transférables. Elle maîtrise bien l’anglais et elle possède des connaissances en informatique. Elle n’a pas de problème de concentration ou de mémoire, ce qui fait en sorte qu’elle pourrait poursuivre ses études ou se recycler afin d’améliorer ses compétences professionnelles. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve médicale ou d’élément de preuve concernant ses démarches pour trouver un emploiNote de bas de page 9.

Toutefois, lorsque je lis la décision de la division générale dans son ensemble, je ne constate aucune tentative d’accepter les implications logiques des rapports du Dr Sleiman et du Dr Hasnain. Plus particulièrement, la division générale n’explique pas comment on pourrait s’attendre de manière réaliste à ce qu’une personne qui est incapable de demeurer assise ou debout pendant plus de 30 minutes se recycle en vue d’un emploi de bureau, et encore moins à ce qu’elle réussisse dans un tel emploi si elle arrivait à se faire embaucher. La Cour fédérale a récemment réaffirmé le besoin que les décideurs administratifs rendent leurs motifs intelligibles et transparents. Cela signifie que le fondement d’une décision « est précisé et qu’il est compréhensible, rationnel et logiqueNote de bas de page 10 ». À mon avis, la décision de la division générale ne satisfait pas à cette norme.

[17] J’ai une deuxième raison de croire que la division générale n’a pas pleinement tenu compte de la preuve médicale concernant les limitations fonctionnelles de la requérante. Comme nous l’avons vu, il y avait deux rapports au dossier qui portaient sur l’incapacité de la requérante à demeurer assise pendant de longues périodes. Les deux ont été préparés par des médecins généralistes qui avaient traité la requérante et qui étaient au courant de l’ensemble de ses problèmes de santé. Toutefois, les deux médecins ne sont pas arrivés à la même conclusion. L’un d’entre eux n’a pas écarté la possibilité que la requérante puisse retourner travailler malgré ses limitations, alors que l’autre l’a fait. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi, toutes choses étant égales, la division générale a décidé d’appuyer la conclusion du Dr Sleiman et de rejeter celle du Dr Hasnain, surtout vu que cette dernière a été tirée un an plus tard et donc un an plus près de la fin de la PMA. La division générale n’a pas expliqué son raisonnement, ce qui va une fois de plus à l’encontre des principes de transparence et d’intelligibilité.

[18] La façon déroutante dont la division générale a abordé les rapports médicaux de la requérante porte à croire qu’elle ne s’est pas acquittée pleinement de son obligation au titre de l’arrêt Inclima de décider si la requérante avait une capacité résiduelle. En fin de compte, la division générale n’a pas expliqué comment on pourrait s’attendre à ce qu’une personne dans la cinquantaine avec un diplôme d’études secondaires, qui a passé toute sa vie à occuper des emplois manuels, réussisse à occuper un emploi de bureau ou un emploi de col blanc si elle est incapable d’être assise à un bureau plus de 30 minutes à la fois.

Réparation

Il existe trois façons possibles de réparer l’erreur de la division générale

[19] La division d’appel a le pouvoir de corriger les erreurs que la division générale pourrait avoir commisesNote de bas de page 11. J’ai le pouvoir de :

  • confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale;
  • renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen;
  • rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Je peux aussi trancher toute question de fait ou de droit pour procéder aux mesures de réparation ci-dessus.

[20] Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus expéditive que les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle permettent. De plus, la Cour d’appel fédérale a mentionné qu’un décideur doit tenir compte du délai pour en venir à une conclusion concernant une demande de pension d’invalidité. Cela fait maintenant deux ans que la requérante a présenté une demande de pension d’invalidité. Si cette affaire était renvoyée à la division générale, cela ne ferait que retarder la résolution finale.

[21] La requérante et le ministre ont convenu que si je devais établir que la division générale avait commis une erreur dans sa décision, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre et que je fasse ma propre évaluation du contenu de la demande de pension d’invalidité de la requérante. Évidemment, les parties ont des avis différents au sujet du fond de la demande. La requérante a fait valoir que, si la division générale avait caractérisé efficacement ses efforts pour retourner au travail, elle l’aurait jugée invalide et l’issue de sa décision aurait été différente. Le ministre a soutenu pour sa part que, quelles que soient les erreurs de la division générale, le reste de la preuve disponible démontrait tout de même une conclusion selon laquelle la requérante était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur.

Le dossier est suffisamment complet pour statuer sur le fond de cette affaire

[22] Je suis convaincu que le dossier qui a été porté à ma connaissance est complet. La requérante a déposé de nombreux rapports médicaux auprès du Tribunal, et je dispose de beaucoup d’informations au sujet de ses antécédents d’emploi et de rémunération. La division générale a tenu une longue audience orale, pendant laquelle la requérante a été questionnée au sujet de son état de santé et des répercussions sur sa capacité de travailler. Je doute que la preuve de la requérante soit sensiblement différente si cette affaire était entendue de nouveau.

[23] Par conséquent, je suis en mesure d’examiner les éléments de preuve dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait rendue si elle n’avait pas commis une erreur. À mon avis, si la division générale avait bien appliqué l’arrêt Inclima, l’issue aurait été différente. Après avoir fait mon propre examen du dossier, je suis convaincu que la requérante est admissible à une pension d’invalidité du RPC.

La preuve médicale donne à penser que la requérante a une invalidité grave

[24] Après avoir examiné le dossier, je conclus que la requérante est invalide.

[25] Pour être déclarée invalide, une personne doit prouver que, selon la prépondérance des probabilités, elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de la PMA ou avant. Une invalidité est grave si elle rend la personne « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 12 ».

Les détériorations physiques de la requérante l’empêchent de faire tout autre type de travail

[26] La requérante a des antécédents de douleur au dos, mais elle a affirmé que son état s’est aggravé lorsqu’elle s’est blessée en magasinant dans un centre de jardinage en avril 2016. Même si elle a été traitée et si elle a pris un congé, son rétablissement a atteint un plateau et elle a continué d’avoir de la douleur. Dans le questionnaire accompagnant sa demande de prestations, la requérante a écrit qu’elle était atteinte d’arthrite grave et qu’elle avait une hernie discale au bas du dos, ce qui faisait qu’elle ressentait une douleur constanteNote de bas de page 13. À l’audience devant la division générale, elle a affirmé qu’en théorie, elle est encore l’employée de son ancien employeur, un fabricant de pièces pour véhicules automobiles, et elle reçoit des prestations d’invalidité de longue durée de son régime d’assurance collective. Elle a dit qu’elle n’a pas cherché d’emploi ailleurs, car elle ne pense pas qu’elle pourrait travailler en raison de sa douleur au dos et des limitations qui y sont liées. Elle a dit que sa douleur était insoutenable et qu’elle se situait à 5 ou 6 sur une échelle de 10 la plupart du temps, et qu’elle augmentait parfois à 10 sur 10. Elle a expliqué qu’elle avait besoin d’aide avec les tâches ménagères comme passer l’aspirateur, laver les planchers, et monter et descendre les escaliers pour faire la lessiveNote de bas de page 14.

[27] Tout comme la division générale, j’estime que la requérante est probablement incapable de retourner à son ancien emploi de conductrice de chariot élévateur ou, en réalité, à tout emploi qui comporte une composante physique importante. La question est de savoir si elle était encore capable d’effectuer des tâches légères ou sédentaires en date du 31 décembre 2018.

[28] Il ne fait aucun doute qu’un trouble organique est à la source des symptômes de douleur de la requérante, comme l’a révélé une radiographie de sa colonne lombaire, qui montre des changements dégénératifs [traduction] « modérésNote de bas de page 15 ». Le reste de la preuve médicale est lacunaire, mais cela est peut-être dû au fait que l’un des médecins de famille est décédé et que le permis de l’autre a été révoquéNote de bas de page 16. Toutefois, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour me convaincre que la requérante est incapable d’occuper un emploi de bureau ou de commerce de détail, ou de se recycler en vue d’un tel emploi. Je ne répéterai pas les conclusions du Dr Hasnain et du Dr Sleiman, sauf pour noter une fois de plus qu’ils étaient d’accord que la requérante ne pouvait pas demeurer assise ou debout plus de 30 minutes à la fois. Ces limitations présenteraient des problèmes considérables pour toute personne inscrite à un programme d’études ou occupant un emploi où elle doit être assise à l’ordinateur toute la journée. Contrairement à la division générale, je suis porté à vouloir accorder plus de poids aux conclusions du Dr Hasnain étant donné que le rapport a été rédigé plus près de la fin de la PMA.

La requérante est dépourvue de capacité lorsqu’elle est considérée comme une personne à part entière

[29] L’arrêt principal sur l’interprétation du terme « grave » est VillaniNote de bas de page 17, qui prévoit que le Tribunal, au moment d’évaluer l’invalidité, doit considérer une personne qui fait une demande de pension d’invalidité comme une « personne à part entière » dans un contexte réaliste. L’employabilité ne doit pas être évaluée dans l’abstrait, mais plutôt à la lumière de « toutes les circonstances ». Ces circonstances se divisent en deux catégories :

  1. les antécédents de la requérante – des éléments comme « l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de la vie » sont pertinents;
  2. l’état de santé de la requérante – il s’agit d’une vaste enquête qui exige que l’état de la requérante soit évalué dans son ensemble.

[30] Je ne crois pas qu’il reste à la requérante quoi que ce soit à offrir à un employeur dans un contexte réaliste. La dernière fois qu’elle a eu droit à des prestations, elle avait plus de 50 ans et on ne pouvait plus la décrire comme étant jeune. Elle parle couramment l’anglais et elle a de longs antécédents comme travailleuse d’usine, mais elle a seulement un diplôme d’études secondaires, et les compétences qu’elle a acquises au fil du temps ne lui seraient pas utiles si elle est incapable de travailler à un bureau ou à un comptoir. Elle n’est pas une bonne candidate pour le recyclage, et je ne vois pas comment elle pourrait réussir sur le marché du travail concurrentiel avec ses détériorations physiques.

La requérante n’avait pas une capacité suffisante pour occuper un autre emploi

[31] L’arrêt Inclima exige que les personnes qui demandent des prestations d’invalidité et qui ont une capacité résiduelle démontrent qu’elles ont fait des efforts raisonnables pour obtenir un emploi et que ces efforts n’ont pas porté leurs fruits en raison de leur état de santé. Dans le présent cas, la requérante n’avait pas la capacité résiduelle nécessaire pour faire de tels efforts. Par conséquent, je ne tirerai pas de conclusion défavorable en raison du manque d’éléments de preuve démontrant qu’elle a entamé une recherche d’emploi ou qu’elle a fait de la recherche sur les programmes de recyclage. La requérante croit sincèrement qu’elle ne pourrait plus travailler, quel que soit le type de travail, et la preuve médicale le confirme.

La requérante a pris des mesures raisonnables pour améliorer son état de santé

[32] Il est difficile de traiter la douleur chronique au dos. Le dossier ne précise pas si la requérante a déjà consulté un orthopédiste, mais elle a affirmé (lorsqu’elle a été interrogée à ce sujet par le membre de la division générale) qu’elle n’avait pas demandé d’être dirigée vers qui que ce soit, et qu’elle avait laissé cela entre les mains de ses médecins de famille. La loi exige que les personnes qui demandent des prestations d’invalidité fassent des efforts raisonnables pour suivre les recommandations médicalesNote de bas de page 18 de leurs fournisseurs de soins de santé, mais elle n’exige pas qu’elles jouent un rôle proactif dans leur traitement. Si la requérante a choisi de s’en remettre à ses principaux fournisseurs de soins, cela ne l’exclut pas du bénéfice d’une pension d’invalidité.

[33] En fait, la requérante a essayé différents types de traitements, mais avec seulement un succès limité. On lui a dit qu’elle était trop jeune pour se faire opérer au dos. Les notes cliniques indiquent qu’elle a trouvé les médicaments non opiacés inefficaces par eux-mêmesNote de bas de page 19. Ses médecins de famille lui ont prescrit du Percocet, un analgésique narcotiqueNote de bas de page 20, mais elle a arrêté de le prendre en raison d’effets secondairesNote de bas de page 21. Elle a aussi pris du Nexium pour le reflux gastro-œsophagien pathologique, et plus récemment, du Cymbalta pour la douleur et la dépression. La requérante a fait de la physiothérapie immédiatement après son accident de travail en 2016, mais elle n’a pas trouvé cela efficaceNote de bas de page 22. Ses médecins lui ont dit de faire de l’exercice et de perdre du poids, et elle semble avoir fait des efforts en ce sens. Le Dr Hasnain a affirmé qu’elle utilisait régulièrement un tapis roulantNote de bas de page 23, et elle a affirmé être arrivée à perdre 30 lbNote de bas de page 24, mais elle n’a pas constaté une amélioration importante de son état de santé. Quoi qu’il en soit, il est difficile pour la plupart des gens de perdre du poids, même dans des circonstances idéales, et je crois que rien ne garantit que cela atténuerait complètement, ou même en partie, des douleurs au dos de nature mécanique.

Le témoignage de la requérante était crédible et convaincant

[34] J’ai écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale. La requérante était une témoin sympathique et franche. Elle a expliqué de façon détaillée que sa douleur au dos l’immobilise souvent et l’empêche d’offrir le type de rendement régulier et constant qu’exigent les employeurs : [traduction] « il y a des jours où je n’arrive pas à me lever ou à monter dans mon véhiculeNote de bas de page 25 ». Elle a dit qu’elle est épuisée et que cela l’empêche même d’accomplir des tâches ménagères de base.

[35] La crédibilité de la requérante a été renforcée par ses antécédents de travail, qui montrent qu’elle a occupé diverses occupations véritablement rémunératrices pendant près de 20 ans remontant jusqu’au milieu des années 1980Note de bas de page 26. Les éléments de preuve indiquent que la requérante a été une participante motivée et résiliente au marché du travail pendant la plus grande partie de sa vie adulte jusqu’à ce qu’elle subisse une importante blessure au dos il y a cinq ans. On peut raisonnablement supposer qu’une personne ayant le dossier d’emploi de la requérante n’aurait pas renoncé au travail à moins qu’il n’y ait une cause sous‑jacente authentique.

La requérante a une invalidité prolongée

[36] Le témoignage de la requérante, corroboré par les rapports médicaux, indique qu’elle a des maux de dos en raison d’une blessure survenue en avril 2016. Elle n’est effectivement plus employable depuis ce moment. Il est difficile de voir comment sa santé s’améliorera de façon significative, même avec de nouveaux médicaments ou des thérapies alternatives. À mon avis, ces facteurs permettent d’affirmer que l’invalidité de la requérante est prolongée.

Conclusion

[37] Je conclus que la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis avril 2016, lorsqu’elle s’est blessée au dos. Selon l’article 69 du RPC, les versements de la pension commencent quatre mois après la date du début de l’invalidité. La pension d’invalidité de la requérante débutera donc à compter d’août 2016. [Toutefois, selon la loi, une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date à laquelle le ministre a reçu sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 27. Dans le présent cas, le ministre a reçu la demande en août 2018, alors la requérante est réputée être devenue invalide à compter de mai 2017. Puisque les versements commencent quatre mois après la date présumée d’invaliditéNote de bas de page 28, la pension d’invalidité de la requérante commence en septembre 2017.]

[38] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Le 15 décembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

D. L., requérante

Bryan Delorenzi, représentant de la requérante

Ian McRobbie, représentant du ministre

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