Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : MB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 41

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-841

ENTRE :

M. B.

Appelante

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Valerie Hazlett Parker
DATE DE LA DÉCISION : Le 8 février 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. La requérante est invalide.

Aperçu

[3] M. B. (requérante) a travaillé pour la dernière fois comme aide-soignante dans un hôpital. Elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Elle affirme être atteinte d’une invalidité en raison d’un certain nombre de problèmes de santé, comme de la douleur au dos, de la douleur aux jambes, des varices et des problèmes au genou et à la cheville.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a fait appel devant la division générale du Tribunal, qui a rejeté son appel. Elle a ensuite porté appel de la décision devant la division d’appel du Tribunal. La division d’appel a décidé que la division générale avait commis une erreur au sujet de la période minimale d’admissibilité (PMA, c’est-à-dire la date à laquelle une partie requérante doit prouver qu’elle avait une invalidité pour avoir droit à une pension d’invalidité). La division d’appel a renvoyé l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen.

[5] La division générale a de nouveau rejeté l’appel de la requérante. Elle a jugé que la requérante n’avait pas d’invalidité grave parce qu’elle a conservé une certaine capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.  

[6] La division d’appel a accordé la permission d’en appeler parce que division générale avait possiblement fondé sa décision sur une erreur de fait importante. J’ai lu les documents présentés à la division d’appel pour cette affaire et les éléments de preuves déposés auprès de la division générale. J’ai également écouté les enregistrements des audiences de la division générale et les observations orales des parties. L’appel est accueilli parce que la division générale a commis une erreur de droit. Elle n’a pas pleinement tenu compte des caractéristiques personnelles de la requérante lorsqu’elle a rendu sa décision.

[7] Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. La requérante est invalide. Les versements de la pension d’invalidité commenceront en juillet 2016.

Questions en litige

[8] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des caractéristiques personnelles de la requérante?

[9] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur au moins une des erreurs de fait importantes suivantes :

  1. La requérante n’a pas été en mesure de prouver qu’elle avait obtenu plus qu’une 9e année d’études.
  2. La requérante a mis de la pression sur sa médecin au sujet de ses déclarations.
  3. La médecin de la requérante [traduction] l’« a abandonnée » comme patiente parce qu’elle subissait des pressions.
  4. La division générale n’a accordé que peu de poids, voire aucun poids, aux éléments de preuve médicale qui appuyait la position juridique de la requérante.

Analyse

[10] Un appel à la division d’appel du Tribunal ne consiste pas à instruire à nouveau la demande initiale. La division d’appel peut seulement décider si la division générale :

  1. a omis d’offrir un processus équitable;
  2. n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. a commis une erreur de droit;
  4. a fondé sa décision sur une erreur factuelle importanteNote de bas de page 1.

La division générale a commis une erreur de droit

[11] Les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si le fait que la division générale avait supposément omis de tenir compte des caractéristiques personnelles de la requérante (y compris ses difficultés de lecture et d’apprentissage) était une erreur de fait importante. Toutefois, il vaut mieux parler d’une erreur de droit.

[12] Pour décider si une partie requérante est atteinte d’invalidité, le Tribunal doit tenir compte de son état physique et de ses caractéristiques personnelles, y compris son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents de travail et son expérience de la vieNote de bas de page 2. C’est ce qu’énonce correctement la décision de la division généraleNote de bas de page 3. La décision examine par la suite la solide éthique de travail et l’historique professionnel de la requérante.

[13] La division générale a également résumé les éléments de preuve sur la scolarité de la requérante. Elle indique que la requérante a écrit dans sa demande de pension qu’elle a terminé sa 12e année, qu’elle a déclaré lors de l’audience qu’elle a terminé sa 10e année et qu’elle a présenté une lettre de son école secondaire qui dit qu’elle n’a pas terminé sa 10e année et qu’elle a obtenu de mauvaises notes en 9e annéeNote de bas de page 4.

[14] Toutefois, la décision de la division générale ne fait pas référence aux éléments de preuve orale suivants :

  1. La requérante n’a pas d’expérience de [traduction] « travail de bureau »Note de bas de page 5.
  2. Elle n’a pas d’expérience avec les ordinateurs et a [traduction] « échoué au cours d’informatique » à l’écoleNote de bas de page 6.
  3. Elle a obtenu un emploi en télémarketing, mais a été congédiée au bout de deux semaines parce qu’elle ne pouvait pas lire les noms dans l’annuaire pour faire ses appels de venteNote de bas de page 7.

[15] Il n’est pas nécessaire que la division générale fasse référence à chaque élément de preuve qui lui est présentéNote de bas de page 8. Toutefois, lorsqu’une décideuse ou un décideur ne mentionne pas un élément de preuve important qui tend à appuyer une conclusion contraire à sa décision, il est possible d’inférer que cette preuve n’a pas été examinéeNote de bas de page 9.

[16] Le manque de connaissances en informatique de la requérante, le fait qu’elle a échoué à un cours d’informatique au secondaire et le fait qu’elle n’a pas d’expérience de [traduction] « travail de bureau » font partie de ses caractéristiques personnelles. Celles-ci limiteraient sa capacité de régulièrement détenir des emplois qui ne sont pas physiquement exigeants. En ne tenant pas compte de ces éléments de preuve, la division générale n’a pas évalué pleinement les caractéristiques personnelles de la requérante. Cela ne correspond pas au critère juridique, puisque la division générale doit tenir compte de l’état de santé de la partie requérante et de ses caractéristiques personnelles. Il s’agit d’une erreur de droit. L’appel est accueilli pour ce motif.

Autres questions en litige

[17] La requérante soutient aussi que l’appel devrait être accueilli parce que la division générale avait fondé sa décision sur des erreurs de fait importantes. Toutefois, puisque j’ai décidé d’accueillir l’appel pour les motifs ci-dessus, je n’ai pas à tenir compte de ces arguments.

Réparation

[18] La division d’appel peut accorder différentes réparations lorsqu’un appel est accueilliNote de bas de page 10. Pour les motifs suivants, je rends la décision que la division générale aurait dû rendre :

  1. Le dossier est complet.
  2. La requérante a donné un témoignage lors d’une audience orale en mai 2019 et a fourni des précisions au sujet de ses éléments de preuve lors d’une deuxième audience orale en août 2020.
  3. Le ministre a participé à l’audience en août 2020 et a eu l’occasion de contre-interroger la requérante au sujet de ses éléments de preuve.
  4. Les deux parties ont demandé que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre si l’appel était accueilli.
  5. Le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur un appelNote de bas de page 11.
  6. Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 12.
  7. La requérante a demandé une pension d’invalidité il y a plus de trois ans; renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen causerait des délais supplémentaires.

[19] Pour qu’une partie requérante soit considérée comme ayant une invalidité au sens du RPC, son invalidité doit être à la fois grave et prolongée avant la fin de sa PMA. Une invalidité n’est grave que si la partie requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle dure pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 13.

[20] La PMA de la requérante est dans le futur. Je dois donc décider si elle est invalide à la date de l’audience.

[21] La requérante a travaillé pendant plusieurs années. Elle a affirmé qu’elle a commencé à travailler à l’hôpital comme préposée au nettoyage, puis comme aide-soignante. Ses tâches consistaient à entreposer les fournitures, à nourrir, habiller et donner le bain aux patients, ainsi qu’à les faire monter et descendre du litNote de bas de page 14. Il s’agissait d’un emploi physique qui l’obligeait à utiliser tout son corps.

[22] La requérante a affirmé qu’elle avait des limitations fonctionnelles dont les suivantes :  l’enflure de sa jambe droite, une douleur aiguë dans le dos qui se projetait jusqu’à la plante du pied, et  l’engourdissement de sa jambe si elle s’assoyait ou si elle était debout trop longtempsNote de bas de page 15. La requérante a déclaré de façon persistante ses symptômes de douleur à sa médecin de famille. Les examens de cette médecin ont donné pour la plupart des résultats normaux. Ils n’ont pas révélé de diagnostic définitif. En fait, cette médecin a écrit que la requérante avait des douleurs mécaniques au bas du dos et à la jambe droite d’origine inconnueNote de bas de page 16.

[23] À l’audience que j’ai présidée, les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si la requérante avait exercé des pressions sur sa médecin de famille au sujet des déclarations qu’elle a faites sur les problèmes de santé de la requérante, et si cette médecin l’avait [traduction] « abandonné » comme patienteNote de bas de page 17. Toutefois, je n’ai pas besoin de régler cette question. J’accorde plus de poids aux déclarations des spécialistes de la santé.

[24] Les spécialistes de la santé ont fait les déclarations suivantes :  

  1. Le chirurgien ou la chirurgienne orthopédique a écrit que la requérante avait de la douleur au dos, qu’elle était incapable de marcher sur son talon ou sur ses orteils sur le côté droit et qu’elle avait une faiblesseNote de bas de page 18.
  2. Le chirurgien vasculaire a affirmé que la requérante avait une invalidité en raison de douleur au dos et d’une irritation des racines nerveusesNote de bas de page 19.
  3. Une spécialiste de la douleur a affirmé que la requérante avait une invalidité en raison de douleur au dos, au genou droit et à la cheville qui pourraient avoir été causés par un accident de voiture en 1999Note de bas de page 20.
  4. Un autre spécialiste de la douleur a fourni un rapport complet fondé sur un examen approfondi des antécédents médicaux de la requérante et sur son propre examen de cette dernièreNote de bas de page 21. Ce médecin a conclu que la requérante avait une douleur myofasciale dans le bas du dos sur le côté droit et des varices à la jambe droite. Il a déclaré que la requérante avait une invalidité grave et prolongée.

[25] Cela prouve que la requérante ne peut pas occuper un emploi physiquement demandant comme celui d’aide-soignante.

[26] La médecin de famille a également écrit que la requérante pourrait être capable de faire du travail de bureau ou un autre travail sédentaire (non-physique)Note de bas de page 22. Toutefois, lorsque le rapport est lu dans son ensemble avec les autres notes et lettres de la médecin, il est évident qu’elle a fait cette déclaration en se fondant uniquement sur les limitations physiques de la requérante et non sur ses limitations scolaires et ses difficultés d’apprentissage.

[27] Je dois décider si la requérante est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, et non si elle peut exercer le dernier emploi qu’elle a occupé. Ainsi, je dois examiner si la requérante est en mesure d’accomplir d’autres tâches ou de se recycler dans un autre emploi. Je dois également tenir compte des caractéristiques personnelles de la requérante, y compris son âge, sa scolarité, ses compétences linguistiques, ses antécédents professionnels et son expérience de vieNote de bas de page 23.

[28] La requérante a maintenant 45 ans. Il lui reste plusieurs années avant la retraite. Elle maîtrise l’anglais. L’âge et les compétences linguistiques de la requérante ne l’empêcheraient pas de régulièrement détenir un emploi. Toutefois, la requérante a seulement occupé des emplois physiquement exigeants, comme préposée au nettoyage et aide-soignante. Elle ne peut pas accomplir ces tâches. Cela nuit à sa capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[29] Les éléments de preuve de la requérante concernant sa scolarité ne sont pas cohérents. Dans le questionnaire qui était joint à sa demande d’invalidité, elle a écrit qu’elle a terminé sa 12e annéeNote de bas de page 24. Elle a déclaré qu’elle a de la difficulté à remplir des formulaires et que la déclaration qu’elle a faite dans ce questionnaire était une erreurNote de bas de page 25. Elle a déclaré au spécialiste de la douleur qu’elle a terminé sa 9e annéeNote de bas de page 26.

[30] La requérante a aussi affirmé qu’elle est retournée à l’école secondaire quelques années après l’avoir quitté, mais qu’elle n’a pas terminé de programme; elle a tout échouéNote de bas de page 27. De plus, elle a déclaré avoir commencé un programme de préposé aux soins personnels, sans succès, car elle n’arrivait pas à effectuer les tâches administrativesNote de bas de page 28.

[31] La requérante a fourni une lettre de son école secondaireNote de bas de page 29. La lettre confirme que la requérante a terminé sa 9e année, mais pas sa 10e année. J’accorde une préférence à cette preuve plutôt qu’au témoignage de la requérante. La preuve est appuyée par des notes obtenues par la requérante, et l’auteur n’a rien à gagner dans cet appel.

[32] Le fait d’avoir seulement une 9e année limite la capacité de la requérante de travailler sur le marché commercial.

[33] De plus, la requérante n’a pas d’expérience en informatique et ne peut pas taper au clavierNote de bas de page 30. Elle affirme ne pas avoir réussi le cours d’informatique à l’école. Ce manque d’expérience et de connaissance limiterait également sa capacité d’obtenir et de conserver un emploi sédentaire. Si la requérante a un trouble d’apprentissage (elle a affirmé à l’audience du mois d’août 2020 qu’elle était dans des classes d’éducation spécialiséeNote de bas de page 31), sa capacité serait davantage limitée.

[34] La requérante a également affirmé qu’elle était incapable de se concentrer en raison de la douleurNote de bas de page 32. Elle n’était pas capable de demeurer assise ou debout pendant plus de 20 minutes. Cela nuirait à sa capacité de suivre un programme de formation.

[35] Par conséquent, je conclus que la requérante a une invalidité grave. Elle est incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice en raison de ses limitations physiques et de son manque d’éducation et de formation. Ses limitations physiques et ses difficultés d’apprentissage l’empêcheraient également de se recycler pour un emploi sédentaire.

[36] L’invalidité de la requérante est aussi prolongée. Depuis 2014, elle ne cesse de signaler de la douleur au dos et à la jambe droite, mais ces problèmes n’ont pas été réglés malgré des consultations avec des spécialistes et des traitements. Il est peu probable qu’ils se règlent dans le futur.

[37] Je conclus que l’invalidité de la requérante a commencé en décembre 2015. C’est à ce moment que la requérante a cessé de travailler en raison de ses problèmes de santé.

Conclusion

[38] L’appel est accueilli.

[39] La décision que la division générale aurait dû rendre est rendue.

[40] La requérante avait une invalidité en juin 2015.

[41] Toutefois, le RPC prévoit qu’une personne ne peut être réputée être devenue invalide plus de 15 mois avant la présentation de sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 33. La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité en juin 2017. Ainsi, on considère que la requérante est devenue invalide en mars 2016. Les versements de la pension d’invalidité commencent quatre mois après que la requérante est devenue atteinte d’invaliditéNote de bas de page 34. Les versements commenceront à partir de juillet 2016.

 

Date de l’audience :

Le 27 janvier 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

M. B., appelante

Glenn Jones, avocat de l’appelante

Viola Herbert, représentante de l’intimé

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