Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : JB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 125

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1884

ENTRE :

J. B.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Virginia Saunders
Représentant du requérant : Jesse Guenther
Date de l’audience par téléconférence : Le 28 janvier 2021
Date de la décision : Le 24 février 2021

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant, J. B., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Le versement de sa pension commence en janvier 2018. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] Le requérant est né et a grandi en Inde. Il a fréquenté une école de village jusqu’à la 10e année. Il est arrivé au Canada en 1994, à l’âge de 21 ans. Il a travaillé comme ouvrier. En 2004, il a commencé à travailler dans une scierie comme scieur de bois en bardeaux. Il y a travaillé jusqu’en janvier 2017, lorsqu’il a glissé sur de la glace dans le stationnement de son lieu de travail et s’est fracturé le poignet gauche.

[3] Quelques semaines plus tard, le requérant a été opéré pour traiter sa fracture au poignet. Cependant, même après la chirurgie, il avait toujours des douleurs importantes au poignet et une amplitude de mouvement limitée. Sa chute a également aggravé ses maux de dos découlant d’un accident de voiture en 2011. Le requérant est devenu dépressif. Bien qu’il ait suivi un programme exhaustif de traitement et de réadaptation par l’intermédiaire de son régime d’indemnisation des accidents du travail, il n’est jamais retourné sur le marché du travail, à l’exception d’une brève tentative de retour au travail qui a échoué.

[4] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du RPC en décembre 2018. Il a dit ressentir des douleurs chroniques au poignet gauche, à l’épaule gauche et au cou. Il ne peut pas utiliser son bras gauche. Ses problèmes physiques lui ont causé de l’anxiété, du stress et une dépression. Il affirme que la combinaison de ces problèmes de santé le rend incapable d’occuper quelque emploi que ce soit depuis janvier 2017Note de bas de page 1.

[5] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. Le ministre a dit que les problèmes de santé du requérant ne l’empêchaient pas d’occuper un quelconque emploi et que son poignet pourrait s’améliorer avec d’autres traitementsNote de bas de page 2. Le requérant a fait appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que le requérant doit prouver

[6] Pour avoir gain de cause, le requérant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2019. Cette date est basée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 3.

[7] Le RPC définit les termes « grave » et « prolongée ». L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4. Elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 5.

[8] Le requérant doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est atteint d’une invalidité.

Les motifs de ma décision

[9] Je conclus que le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2019. Je suis parvenue à cette décision après avoir examiné les questions suivantes.

L’invalidité du requérant est grave

Les limitations du requérant affectent sa capacité de travailler

[10] Je ne peux pas me concentrer sur le diagnostic du requérantNote de bas de page 6. Je dois me demander s’il a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 7. Cela signifie que je dois examiner tous ses problèmes de santé (pas seulement son problème de santé principal) et réfléchir à la façon dont ils affectent sa capacité de travaillerNote de bas de page 8.

[11] Je conclus que le requérant a des limitations fonctionnelles. Voici ce que j’ai examiné :

Ce que le requérant dit au sujet de ses limitations

[12] Le requérant dit avoir des limitations découlant de ses problèmes de santé qui affectent sa capacité de travailler comme suit :

  • Il a des démangeaisons, des picotements, des douleurs et des engourdissements au poignet gauche et à la main gauche. Il ne peut pas utiliser son bras gauche et ne peut donc pas soulever d’objets lourds. Toute utilisation de son bras gauche et de sa main gauche, comme faire la vaisselle ou effectuer de nombreuses tâches ménagères, exacerbe ses douleurs. Il ne peut faire que des tâches légères à la maison.
  • Ses maux de dos l’empêchent de rester assis ou debout pendant plus d’une demi-heure.
  • Trois ou quatre fois par mois, il ressent des douleurs aux jambes en plus de ses maux de dos. Cela aggrave ses difficultés.
  • Il est déprimé parce qu’il ne peut plus faire le travail qu’il faisait avant et qu’il ne trouve pas d’autre travail. Cela affecte sa mémoire et sa concentrationNote de bas de page 9.

[13] Le témoignage du requérant à l’audience était spontané et authentique. Je crois ce qu’il a dit au sujet des répercussions physiques et psychologiques de ses douleurs.

Les limitations du requérant selon la preuve médicale

[14] Je ne peux pas fonder ma décision uniquement sur ce que le requérant m’a dit. Il doit fournir des éléments de preuve médicale objectifs qui montrent que ses limitations affectaient sa capacité de travailler en date du 31 décembre 2019Note de bas de page 10. La preuve médicale appuie le témoignage du requérant.

[15] Le Dr Jaffri est le médecin de famille du requérant depuis 2005. En novembre 2019, il a dit que le requérant était atteint des problèmes de santé suivants, qui le rendaient invalide :

  • des douleurs chroniques au bas du dos depuis 2005, aggravées par des accidents de voiture et des blessures au travail;
  • des douleurs chroniques au genou gauche depuis 2007;
  • des douleurs chroniques à l’épaule gauche et au cou depuis un accident de voiture en 2011;
  • des douleurs chroniques au poignet gauche qui irradiaient dans sa main, son avant-bras et son bras du côté gauche depuis 2017;
  • de graves problèmes de dépression et d’anxiété qui sont apparus progressivement à partir de 2013 au fur et à mesure que sa capacité de travailler s’est détériorée et qu’il a commencé à éprouver des douleurs résiduelles en raison de l’augmentation de ses blessuresNote de bas de page 11.

[16] L’avis du Dr Jaffri est confirmé par d’autres éléments de preuve médicale qui montrent que le requérant a consulté des spécialistes à plusieurs reprises pour des douleurs mal contrôlées ainsi que des problèmes de gestion de la colère et de l’humeurNote de bas de page 12. Il a été hospitalisé à plusieurs reprises à cause de crises de santé mentaleNote de bas de page 13.

Les douleurs chroniques du requérant affectent sa capacité de travailler

[17] La preuve montre que le requérant éprouve des douleurs chroniques à de multiples endroits. Celles-ci se sont aggravées au fil des ans, surtout après sa chute en janvier 2017. Le ministre affirme que les symptômes objectifs ne montrent pas que l’état du requérant est graveNote de bas de page 14. Cependant, la douleur chronique est reconnue comme étant un problème de santé potentiellement invalidant, même si elle n’est pas entièrement étayée par des symptômes objectifsNote de bas de page 15. Dans la présente affaire, l’imagerie médicale montre des dommages au dos et au poignet gauche du requérantNote de bas de page 16. Son médecin de famille a signalé qu’il éprouvait aussi des douleurs au genou, au cou et à l’épaule. Les fournisseurs de soins que le requérant a vus jugent qu’il est sincère lorsqu’il se plaint de ses douleurs, et moi aussi. Ses douleurs au dos et au bras limitent sa capacité d’utiliser son bras gauche et sa main gauche ainsi que de s’asseoir et de se tenir debout.

[18] Les douleurs que le requérant ressent contribuent à sa dépression et affectent sa concentration. Toutefois, même s’il n’avait pas de problèmes de santé mentale et de problèmes cognitifs, j’estime que les douleurs du requérant l’empêchent d’exécuter du travail manuel et d’occuper un emploi sédentaire ou un emploi dans le cadre duquel il doit changer de position. Cette incapacité remonte à janvier 2017, lorsqu’il est tombé et s’est cassé le poignet gauche.

Le requérant a suivi les conseils médicaux qui lui ont été donnés

[19] Pour recevoir une pension d’invalidité, une personne doit suivre les conseils médicaux qui lui sont donnésNote de bas de page 17 ou fournir une explication raisonnable des raisons pour lesquelles elle ne l’a pas faitNote de bas de page 18.

[20] Le requérant a suivi les conseils médicaux qui lui ont été donnés dans toute la mesure du possible. Je le crois lorsqu’il me dit qu’à sa connaissance, il a suivi tous les traitements qui lui ont été suggérés qu’il pouvait se permettre et qui étaient à sa portée. Il prend des médicaments et reçoit des traitements lorsqu’ils lui sont offerts. Il a arrêté de fumer de la marijuana lorsque ses médecins lui ont expliqué que cela ne l’aidait pas. Il ne se souvient pas que quelqu’un lui ait parlé d’une autre chirurgieNote de bas de page 19.

[21] Le Dr Jaffri a dit que le requérant a suivi tous les traitements qui lui ont été prescrits par des professionnels de la santéNote de bas de page 20. Parfois, cela avait été difficile parce que son état mental faisait en sorte qu’il était peu réceptif aux conseils médicaux et le poussait à faire de mauvais choixNote de bas de page 21. Cela constitue une explication raisonnable pour ne pas avoir suivi les conseils médicaux qui lui étaient donnés. À part cela, le requérant était motivé à aller mieux et à retourner au travail.

Le requérant est incapable de travailler dans un contexte réaliste

[22] Pour être graves, les limitations du requérant doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, et pas seulement dans son emploi habituel de scieur de bois en bardeauxNote de bas de page 22. Je dois donc décider si le requérant est régulièrement capable d’occuper d’autres types d’emplois.

[23] Pour décider si le requérant est capable de travailler, je ne dois pas seulement prendre en considération ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’il peut faire. Je dois aussi tenir compte de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents professionnels et de son expérience de la vieNote de bas de page 23. Ces facteurs m’aident à décider s’il est capable de travailler dans un contexte réaliste.

[24] J’estime que le requérant est incapable de travailler dans un contexte réaliste. Il n’a pratiquement aucune capacité de travail compte tenu de son état. Une personne qui ne peut travailler qu’avec une main et qui ne peut pas s’asseoir ou se tenir debout pendant plus de 30 minutes a des limitations importantes. La situation du requérant est encore plus difficile en raison de ses antécédents et de son expérience professionnelle. Il n’a reçu qu’une éducation de base en Inde. Il n’a fait que du travail physique. Plus important encore, sa maîtrise de l’anglais est limitée malgré le fait qu’il ait vécu au Canada pendant plus de 25 ans et qu’il ait suivi des cours d’anglais langue seconde. Il ne peut pas parler, lire ou écrire en anglais. Cela signifie qu’il pouvait seulement occuper des emplois où il n’avait pas à parler au public ou à toute autre personne qui ne parle pas sa langue maternelle, l’urdu. Ces emplois n’existent pas dans le monde réel pour une personne ayant les limitations physiques du requérant.

[25] Ma conclusion est renforcée par le fait que le requérant a essayé de travailler comme agent de sécurité peu après sa blessure à la main. Cependant, il a été renvoyé en raison de son mauvais anglais et de son incapacité à écrire ou à utiliser un ordinateurNote de bas de page 24. Plus tard en 2017, il a reçu son congé d’un programme de réadaptation et a été jugé apte à retourner au travail avec des limitations concernant l’utilisation de son poignet et de sa main gaucheNote de bas de page 25. On lui a dit qu’il pouvait travailler comme préposé aux travaux légers de nettoyageNote de bas de page 26. Cette décision a été annulée par WorkSafe BC à l’issue d’une révision en 2019Note de bas de page 27. Même si elle ne l’avait pas été, je ne suis pas d’accord que le requérant, compte tenu de ses caractéristiques personnelles et de ses douleurs chroniques, aurait pu effectuer un travail peu exigeant avec une seule main dans un milieu de travail concurrentiel.

[26] Par conséquent, je conclus que l’invalidité du requérant était grave en janvier 2017 lorsqu’il s’est blessé à la main et qu’il a dû cesser de travailler.

L’invalidité du requérant est prolongée

[27] Les problèmes de santé du requérant persistent depuis janvier 2017, sans amélioration durable. En théorie, il a encore accès à certains traitements, mais en réalité, ce n’est pas le cas. Il n’a pas été dirigé vers une clinique de gestion de la douleur chronique depuis qu’on a refusé de le voir en 2017 en raison de ses problèmes de santé mentale. Son médecin de famille ne l’a pas référé pour une chirurgie. Ce n’est pas au requérant de naviguer dans le système médical seul, surtout compte tenu de ses capacités linguistiques. Il n’y a aucun traitement à l’horizon susceptible d’améliorer son état de santé de façon notable. Son invalidité est donc susceptible de durer pendant une période longue, continue et indéfinie.

Début du versement de la pension

[28] Le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en octobre 2017, lorsqu’il s’est blessé au poignet et a dû cesser de travailler. Depuis sa blessure, il ne peut utiliser sa main que de façon limitée et ses douleurs au dos se sont aggravées. Cette blessure s’ajoute à ses douleurs chroniques découlant de ses blessures antérieures. Il n’a pas été en mesure de travailler depuis.

[29] Toutefois, le RPC prévoit qu’une personne ne peut être réputée invalide plus de 15 mois avant que le ministre ne reçoive sa demande d’invalidité. Par la suite, une période d’attente de quatre mois est requise avant le premier versementNote de bas de page 28. Le ministre a reçu la demande du requérant en décembre 2018. Cela signifie qu’il est réputé être devenu invalide en septembre 2017. Le versement de sa pension commence donc en janvier 2018.

Conclusion

[30] Le requérant est admissible à une pension d’invalidité du RPC parce qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée.

[31] L’appel est accueilli.

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