Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : RM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 93

Numéro de dossier du Tribunal: GP-18-802

ENTRE :

R. M.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Requérant représenté par : Steven R. Yormak
Ministre représenté par : Jennifer Hurley
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 17 février 2021
Date de la décision : Le 20 février 2021

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant a droit à une pension d’invaliditéau titredu Régime de pensions du Canada (RPC). Ses paiements débutent à compter d’avril 2011.

Aperçu

[2] Le requérant avait 51 ans lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité du RPC en mars 2012. À son dernier emploi, il travaillait comme représentant sédentaire de commerce et de service à la clientèle pour une entreprise d’équipement de soudage. Il a déclaré qu’il était incapable de travailler depuis mars 2010 en raison de fractures post-traumatiques à la colonne vertébrale, d’une radiculopathie lombaireNote de bas de page 1, de douleurs chroniques au bas du dos et d’arthrose à la hanche droiteNote de bas de page 2. Le ministre a rejeté la demande une première fois, puis il l’a rejetée de nouveau après révision. Le requérant a porté la décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] En novembre 2015, la division générale a rejeté l’appel. La membre de la division générale a conclu que le requérant avait la capacité physique d’occuper régulièrement un emploi sédentaire ou à temps partiel. Le requérant a appelé de la décision à la division d’appel. En mars 2018, la division d’appel a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la division générale pour qu’elle soit instruite à nouveau. La division d’appel a conclu que la division générale avait tiré de façon injustifiée une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du requérant, car elle s’était fondée sur une conclusion de fait erronée.

[4] Afin d’éviter toute répétition inutile, j’ai traité l’enregistrement de la preuve à l’audience initiale de la division générale comme faisant partie de la preuve dans la présente instance. J’ai également entendu le requérant donner un autre témoignage.

Critère de l’invalidité pour l’application du RPC

[5] Pour avoir gain de cause, le requérant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2013. Cette date repose sur les cotisations qu’il a versées au RPCNote de bas de page 3.

[6] Le RPC définit les termes « grave » et « prolongée ». L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4. L’invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 5.

Questions en litige

  1. Les douleurs chroniques au dos et aux jambes du requérant le rendaient-elles régulièrement incapable de détenir un emploi véritablement rémunérateur au plus tard le 31 décembre 2013?
  2. Si oui, son invalidité devait-elle vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie au plus tard à cette date?

Analyse

Invalidité grave

Les problèmes de santé du requérant nuisaient à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2013

[7] Je dois évaluer l’état de santé du requérant dans son ensemble et tenir compte de toutes les déficiences qui nuisent à son employabilité, et pas seulement des déficiences les plus importantes ou de sa déficience principaleNote de bas de page 6.

La version du requérant

[8] En août 1994, le requérant a été blessé dans un grave accident de camion lié au travail. Il a subi, entre autres, des fractures par compression au milieu et au bas du dos (des vertèbres T10 à L1), une fracture du pouce gauche, des lacérations des tendons aux deux poignets et une lésion à l’œil gaucheNote de bas de page 7. Il s’est absenté du travail pendant environ un an, période durant laquelle il a suivi une thérapie intensive. À l’été 1995, il est retourné au travail selon un horaire progressif. Il continuait d’avoir des douleurs légères au dos, mais il a été en mesure de passer graduellement de deux heures à huit heures de travail par jour. Au début, il travaillait au comptoir d’accueil et s’occupait de la répartition et de la paperasse. En 1997, il a commencé à travailler comme chef des ventes. Il supervisait neuf représentantes et représentants de commerce.

[9] En septembre 2009, l’entreprise a réduit ses effectifs. Elle lui a assigné un poste au comptoir d’accueil, où il devait soulever de lourdes bonbonnes de gaz pour la clientèle. En octobre 2009, il s’est blessé au dos une nouvelle fois. Ses douleurs au dos et sa sciatique ont empiré, mais il a tenté de continuer à travailler malgré tout. En mars 2010, il a cessé de travailler suivant les conseils de son médecin de famille. Il n’est pas retourné au travail depuis. En juillet 2012, il a subi une chirurgie de remplacement de la hanche droite.

[10] Même si la chirurgie s’est bien déroulée, il a continué d’avoir des douleurs constantes au bas du dos et aux deux jambes à cause de sa sciatique. Il a déclaré qu’aujourd’hui, son problème de santé était le même qu’à la fin de décembre 2013. Il passe la plupart de ses journées soit allongé sur une chaise inclinable ou couché. Ses douleurs au milieu et au bas du dos sont constantes. Elles touchent la région pelvienne et irradient vers le bas dans les deux jambes. Habituellement, il s’assoit pendant deux heures à la fois, de trois à quatre fois par jour. Il peut marcher pendant seulement 20 minutes et se tenir debout pendant seulement 10 minutes. Il ne peut pas faire de torsion, se retourner ou se pencher sans ressentir une douleur intense. Après environ 30 minutes en position assise, ses douleurs au dos et aux jambes augmentent, il a des spasmes aux jambes et ses jambes deviennent toutes engourdies. Il doit alors s’étendre pendant environ deux heures. Il peut conduire seulement pendant de 30 à 40 minutes.

[11] Il doit se ménager lorsqu’il fait des travaux domestiques ou participe à des activités sociales. Lorsqu’il fait l’épicerie, il doit soulever un sac léger à la fois. Il doit s’étendre pendant quelques heures lorsqu’il rentre à la maison. Il peut effectuer des tâches ménagères comme un peu de jardinage, du ménage et la préparation des repas pendant seulement de 15 à 20 minutes. Lorsqu’il se rend à des réunions de famille pour le temps des Fêtes et les anniversaires, il doit s’allonger sur un canapé ou un fauteuil inclinable.

La preuve médicale

[12] Le requérant a vu plusieurs spécialistes, pris des médicaments contre la douleur et subi de nombreux traitements, y compris de la physiothérapie et des anesthésies par bloc nerveux. Aucun des traitements n’a soulagé ses douleurs, qui sont graves et constantes. Aucun des rapports médicaux ne laisse croire qu’il feint ou exagère ses symptômes. Aucun ne laisse entendre qu’il est capable de retourner au travail. Ci-dessous, je présente en ordre chronologique les extraits les plus importants des rapports médicaux.

[13] En juin 2010, une imagerie par résonnance magnétique (IRM) de la colonne lombale du requérant a révélé un léger tassement cunéiforme aux vertèbres T12 et L1. Elle a également révélé un nerf coincé entre les vertèbres L4 et L5Note de bas de page 8.

[14] En décembre 2010, le Dr Chapeskie, médecin de famille, a écrit à l’avocat du requérant pour l’aviser que son invalidité était permanente. Un pronostic de rétablissement complet était sombre dans son casNote de bas de page 9. Au cours du même mois, le Dr Chapeskie a écrit à la compagnie qui fournissait au requérant une assurance-invalidité de longue durée pour l’aviser des limitations de ce dernier, y compris l’impossibilité de faire des torsions, de se pencher, de soulever des objets pesant plus de cinq livres et de rester assis ou debout pendant plus de 15 minutes. Il a répété que le pronostic du requérant était mauvais et que son invalidité était permanenteNote de bas de page 10.

[15] En mai 2011, le Dr Death, physiatre, a écrit que le requérant se plaignait de douleurs aiguës constantes (24 heures sur 24, 7 jours sur 7) au bas du dos. Il avait aussi des douleurs constantes à la fesse, à la cuisse et au mollet du côté droit. Le Dr Death a examiné l’IRM datant de juin 2010. Il a déclaré que les douleurs avaient deux causes. La première était les fractures des vertèbres T12 à L1. La deuxième était l’irritation de la racine nerveuse entre les vertèbres L4 et L5. Le Dr Death a pris des dispositions pour que le requérant reçoive des infiltrations facettairesNote de bas de page 11.

[16] Le 10 janvier 2012, le Dr Chapeskie a inscrit dans ses notes que le requérant souffrait quotidiennement de graves douleurs au milieu et au bas du dos, dans la zone pelvienne et dans les deux jambes. Il utilisait une canne la plupart du temps pour marcherNote de bas de page 12.

[17] En janvier 2012, le Dr Petis, médecin résident auprès du Dr McCalden, chirurgien orthopédiste, a déclaré que le requérant avait de graves symptômes d’arthrite post-traumatique à la hanche droiteNote de bas de page 13.

[18] Dans le rapport médical pour le RPC qu’il a rédigé en février 2012, le Dr Chapeskie a diagnostiqué des fractures post-traumatiques de la colonne aux vertèbres T10 à L5 ainsi qu’un grave degré d’arthrite post-traumatique à la hanche droite. Le dos du requérant était [traduction] « très » douloureux quand il restait assis ou debout ou marchait pendant une longue période. Il ne pouvait pas soulever des objets pesant plus de cinq livres et il ne pouvait ni se pencher ni faire de torsions. Les infiltrations facettaires n’avaient pas amélioré les choses. Cinquante et une séances de physiothérapie non plus. Les traitements chiropratiques avaient aggravé son problème de santé. Le pronostic du requérant était sombreNote de bas de page 14.

[19] En juillet 2012, le Dr McCalden a effectué une chirurgie de remplacement complet de la hanche. En octobre 2012, le Dr Motu-Grigg, boursier clinicien auprès du Dr McCalden, a déclaré que le requérant se rétablissait bien de l’intervention chirurgicaleNote de bas de page 15.

[20] En mars 2014, le Dr Siddiqi, chirurgien spécialiste de la colonne vertébrale, a déclaré que la chirurgie ne soulagerait pas les symptômes du requérantNote de bas de page 16.

Mes conclusions

[21] J’accepte le témoignage oral du requérant parce qu’il concorde avec l’abondante preuve médicale. Elle confirme son témoignage.

[22] Je juge que les douleurs au dos et aux jambes que le requérant ressent depuis longtemps nuisaient à sa capacité de travailler au plus tard le 31 décembre 2013.

L’invalidité du requérant est grave

[23] Une invalidité est grave si elle rend une requérante ou un requérant incapable de détenir de façon régulière une occupation véritablement rémunératrice. Je dois évaluer le critère relatif à la gravité dans un « contexte réaliste » et tenir compte de facteurs comme l’âge du requérant, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie pour déterminer son « employabilitéNote de bas de page 17 ».

[24] La question clé dans les affaires relatives au RPC n’est pas la nature ni le nom du problème de santé, mais son effet sur la capacité de travail du requérantNote de bas de page 18. Sa capacité à travailler, et non le diagnostic de sa maladie, détermine la gravité de son invalidité aux termes du RPCNote de bas de page 19.

[25] Le ministre convient que le requérant ne peut reprendre son dernier emploi. La position du ministre est que la preuve médicale n’établit pas que le requérant est incapable d’occuper un autre emploi. Comme il n’a pas fait un autre travail, il n’a pas droit à une pension d’invalidité du RPC.

[26] Compte tenu de ce qui précède, la première question que je dois trancher est de savoir si le requérant est en mesure d’occuper un autre emploi.

[27] Le requérant avait 53 ans en décembre 2013, la dernière fois qu’il remplissait les conditions requises pour toucher une pension d’invalidité du RPC. Il lui restait environ 12 ans avant l’âge habituel de la retraite. Il a terminé ses études secondaires et possède un diplôme d’études collégiales en génie et en gestion de la technologie. Ses antécédents de travail sont variés. Il a notamment fait de la livraison par camion, supervisé l’équipe commerciale et travaillé comme représentant de commerce et de service au comptoir d’accueil. Il sait comment utiliser Word et Excel. Il maîtrise bien l’anglais. Il a de nombreuses compétences transférables. Ce sont des facteurs positifs qui appuient la conclusion voulant que le requérant avait la capacité d’occuper un autre emploi.

[28] Toutefois, le requérant souffre depuis longtemps de douleurs chroniques et invalidantes au dos et aux jambes. Malgré la nature positive de ses caractéristiques personnelles, il ne pourrait pas être un employé régulier et fiable.

[29] Le requérant a admis n’avoir fait aucun effort pour retourner au travail depuis mars 2010. Il a déclaré avoir agi ainsi parce qu’il ne pouvait pas travailler. Il ne peut effectuer aucun travail physique. Il ne peut faire aucun travail sédentaire parce qu’il ne peut pas rester assis dans une chaise pendant plus de 30 minutes. Il doit passer la majeure partie de son temps en position allongée. Toute activité augmente ses douleurs.

[30] Je suis convaincu que le requérant n’avait pas régulièrement la capacité de détenir un emploi rémunérateur, quel qu’il soit. Par conséquent, il n’était pas obligé de faire des efforts pour occuper un autre emploiNote de bas de page 20.

[31] Je juge que le requérant a établi qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’il ait une invalidité grave conformément aux exigences du RPC.

Invalidité prolongée

[32] Les douleurs invalidantes que le requérant ressent au dos et aux jambes persistent depuis de nombreuses années. Il a subi de nombreux traitements, sans voir une grande amélioration.

[33] En septembre 2015 et de nouveau en septembre 2017, le Dr Chapeskie a déclaré que le requérant souffrait de douleurs mécaniques chroniques au milieu et au bas du dos à cause de multiples fractures vertébrales. Il a ajouté que le requérant avait suivi toutes les modalités de traitement possibles et exploré toutes les options médicales dans une clinique antidouleurNote de bas de page 21.

[34] L’invalidité du requérant dure pendant une période longue et continue et on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que son état de santé s’améliore dans un avenir prévisible.

[35] Je juge que son invalidité est prolongée.

Conclusion

[36] Je conclus que le requérant avait une invalidité grave et prolongée en mars 2010, quand il a travaillé pour la dernière fois. Toutefois, le RPC prévoit qu’une personne peut être réputée invalide au plus 15 mois avant la réception de sa demande de prestations d’invalidité par le ministre. Ensuite, il y a une période d’attente de 4 mois avant le premier versementNote de bas de page 22. Le ministre a reçu la demande du requérant en mars 2012. Ainsi, on considère qu’il est devenu invalide en décembre 2010. Le versement de sa pension commence dès avril 2011.

[37] L’appel est accueilli.

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