Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 120

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-610

ENTRE :

M. M.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Représentante de la requérante : Monique Long
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 22 février 2021
Date de la décision : Le 25 février 2021

Sur cette page

Décision

[1] La requérante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Ses versements commencent à partir de décembre 2017.

Aperçu

[2] La requérante avait 50 ans lorsqu’elle a demandé une pension d’invalidité du RPC le 3 novembre 2018. Elle est née au Salvador. Elle est arrivée au Canada en juin 1989. Le dernier emploi qu’elle a occupé était un poste de préposée aux vêtements. Elle a déclaré qu’elle était incapable de travailler depuis juin 2014 en raison de plusieurs problèmes de santé dont une cirrhose de stade 4Footnote 1, une hépatite auto-immune, une fibromyalgie, un syndrome du canal carpien, de l’anxiété et une dépressionFootnote 2. Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. La requérante a porté la décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Il s’agit de la troisième demande de pension d’invalidité de la requérante. Le ministre a rejeté sa première demande, présentée en juin 2016, initialement et après révision. La requérante n’a pas porté en appel la décision de révision. Le ministre a rejeté sa deuxième demande, présentée en décembre 2017. La requérante n’a pas demandé une révision.

[4] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2016. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCFootnote 3.

[5] Le RPC définit les termes « grave » et « prolongée ». L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceFootnote 4. Elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieFootnote 5.

[6] Le ministre reconnait que la requérante a plusieurs problèmes de santé. Toutefois, il est d’avis que la preuve médicale ne permet pas d’établir qu’elle était incapable d’effectuer tout type de travail le 31 décembre 2016, le dernier jour où elle était admissible aux prestations d’invalidité du RPC.

Questions en litige

  1. Les problèmes de santé de la requérante l’ont-ils rendue  régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice le 31 décembre 2016 ou avant cette date?
  2. Dans l’affirmative, son invalidité devait-elle vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie au plus tard le 31 décembre 2016?

Analyse

Invalidité grave

Les problèmes médicaux de la requérante nuisaient à sa capacité de travailler à la fin de décembre 2016

[7] Je dois évaluer l’état de santé de la requérante dans son ensemble et tenir compte de toutes les déficiences qui ont une incidence sur son employabilité, et pas seulement des déficiences les plus importantes ou de sa déficience principaleFootnote 6.

Le témoignage de la requérante

[8] La requérante a déclaré qu’au début de 2013, elle a commencé à ressentir de la douleur dans la région abdominale. En octobre 2013, elle a subi une intervention chirurgicale pour enlever sa vésicule biliaire. Une biopsie du foie a aussi révélé qu’elle avait une cirrhose. Elle est retournée au travail environ six mois après la chirurgie. Sa douleur a commencé à s’aggraver. Elle présentait de graves douleurs musculaires, des douleurs dans tout le corps, de la fatigue, des migraines et des étourdissements. Elle avait toujours l’impression d’avoir la grippe. En juin 2014, elle a cessé de travailler. Elle est incapable de retourner au travail depuis.

[9] En juillet 2014, elle a reçu un diagnostic d’hépatite chronique active auto-immune. En septembre 2014, elle a été hospitalisée en raison de douleurs à la paroi du foie. En avril 2015, elle a subi une chirurgie de décompression du canal carpien gauche. En février 2016, sa fille a reçu un diagnostic de leucémie. En juillet 2016, la requérante a reçu un diagnostic de fibromyalgie.

[10] Mme Long, la représentante de la requérante, a soutenu que la requérante a plusieurs problèmes de santé et limitations. Cela comprend l’hépatite chronique active auto-immune qui coexiste avec sa cirrhose, sa fibromyalgie qui comprend une famille de myalgies, le syndrome du canal carpien, des pertes de conscience pour lesquelles elle n’a reçu aucun diagnostic, de l’anxiété et une dépression. Les symptômes de la requérante comprennent des douleurs chroniques aux articulations et à l’abdomen, de la fatigue chronique et de la confusion, de l’épuisement chronique, des engourdissements aux mains et aux pieds, des maux de tête, une faiblesse aux bras et aux jambes, des troubles de mémoire, des difficultés de concentration et une incapacité à se concentrer.

La preuve médicale

[11] La preuve médicale concorde avec les déclarations de la requérante. Aucun des rapports médicaux ne donne à penser que la requérante simule ou exagère ses symptômes. Aucun rapport ne laisse croire qu’elle est capable de retourner au travail.

[12] Le Dr Wong est le médecin de famille de la requérante depuis juillet 2013. Il a rédigé plusieurs rapports de novembre 2015 à septembre 2018 qui confirment que la requérante a de nombreux problèmes de santé invalidants. Il a déclaré plusieurs fois que la requérante a une invalidité grave et permanente. Il a aussi déclaré à maintes reprises qu’elle est incapable de travailler depuis 2014.

[13] En novembre 2015, le Dr Wong a signalé que la requérante avait encore des douleurs abdominales, des étourdissements, des douleurs musculosquelettiques, des difficultés respiratoires, des pertes de conscience, des nausées et de la fatigueFootnote 7.

[14] Dans le rapport qu’il a rempli en janvier 2016 pour appuyer la demande initiale de la requérante, le Dr Wong a diagnostiqué chez la requérante une hépatite chronique active auto-immune, une stéatose hépatique non alcoolique, une cirrhose, une fibromyalgie (polymyalgieFootnote 8 et polyarthralgieFootnote 9), de l’anxiété, une dépression et un syndrome du canal carpien bilatéral.  

[15] Il a décrit ses problèmes de santé et les symptômes associés comme suitFootnote 10 :

  • Hépatite chronique active auto-immune / stéatose hépatique non alcoolique / cirrhose : douleurs abdominales chroniques, fatigue, faiblesse, et douleurs articulaires quotidiennes.
  • Fibromyalgie/polymyalgie/polyarthralgie : douleurs musculaires et douleurs dans tout le corps. Coudes, pieds et genoux enflés. Fatigue et confusion.
  • Anxiété/dépression : douleurs chroniques continues qui ont entraîné une grave dépression et de l’anxiété. État de panique si elle est laissée seule. Peur de rester seule. S’occuper de sa fille joue un rôle dans sa dépression grave et empire ses symptômes physiques.
  • Syndrome du canal carpien bilatéral : douleurs aux mains. Douleur qui irradie de la main au coude gauche. Engourdissement, fourmillement, faiblesse et enflure aux deux mains.

[16] Le Dr Wong a déclaré que le pronostic de la requérante était mauvais. Elle avait des symptômes physiques depuis 2013 et des symptômes psychologiques depuis 2016. Elle était incapable de travailler depuis 2014. La plupart du temps, elle était incapable d’effectuer ses activités quotidiennes sans l’aide de sa famille. Elle avait peur de quitter sa maison seuleFootnote 11.

[17] En mai 2016, le Dr Wong a déclaré que la requérante devait consulter une ou un spécialiste du foie chaque année. Elle a dû prendre de l’azathioprine, ce qui a affaibli son système immunitaire et augmenté le risque de contracter d’autres maladies. Elle s’est évanouie à cinq reprises depuis juin 2014. Après chaque perte de conscience, elle était fatiguée, elle mettait du temps à réagir, elle était confuse, triste, effrayée et anxieuse et elle avait subi une perte de mémoire. Le Dr Wong a déclaré que son pronostic était réservé. Elle avait encore des limitations sur le plan fonctionnel. Le Dr Wong a répété qu’elle était incapable de retourner à quelque occupation que ce soitFootnote 12.

[18] En novembre 2016, le Dr Wong a déclaré que la requérante avait encore des engourdissements et une faiblesse de la main gauche même si elle avait subi une décompression du canal carpien gauche en avril 2015. Elle avait aussi un syndrome du canal carpien à la main droite. L’engourdissement de la main droite était pire la nuitFootnote 13.

[19] En décembre 2017 et en septembre 2018, le Dr Wong a rempli des rapports pour appuyer la deuxième demande et la demande actuelle de prestations d’invalidité du RPC de la requérante. Ces rapports sont semblables à son rapport de janvier 2016Footnote 14.

[20] La requérante a consulté de nombreux spécialistes, dont deux neurologues, deux hépatologues, une rhumatologue, un physiatre et un interniste.

[21] La requérante consulte le Dr Aspinall, hépatologue, régulièrement depuis septembre 2014 pour une hépatite chronique active auto-immune et une cirrhose. En août 2016, la requérante a consulté la Dre Jayakumar, une autre hépatologue, parce que le Dr Aspinall était en congé sabbatique. La Dre Jayakumar a déclaré que la requérante tolérait l’azathioprine, mais qu’elle avait des myalgies diffuses et des arthralgies. En juillet 2018, le Dr Aspinall a déclaré que la requérante était asymptomatique du point de vue de sa maladie du foie. Elle a continué de prendre de l’azathioprineFootnote 15. À l’audience, la requérante a déclaré que l’azathioprine la rend vulnérable aux infections et qu’elle accroît sa fatigue et sa somnolence.

[22] En décembre 2014, le Dr Murphy, neurologue, a déclaré que la requérante avait eu cinq épisodes d’engourdissement, de somnolence et de fatigue au cours des six mois précédents. À l’audience, la requérante a déclaré qu’elle continue d’avoir ces épisodes quotidiennement. Ils durent environ une demi-heure – elle s’assoit, le regard fixe, et elle a l’impression que son cerveau est embrouillé.

[23] En juillet 2016, la Dre Fitzgerald, rhumatologue, a diagnostiqué une fibromyalgieFootnote 16. En août 2017, la requérante a dit au Dr Chiu, physiatre, qu’elle avait des douleurs « partout ». Cela comprenait le cou, les épaules, le dos, les bras, les hanches, les jambes et les molletsFootnote 17. En octobre 2017, le Dr Jahanadaroost, interniste, a déclaré que la requérante avait une polymyalgie et une polyarthralgie importantes. Elle présentait aussi des symptômes d’anxiétéFootnote 18.

Mes conclusions

[24] J’estime que les problèmes physiques et psychologiques de la requérante, pris dans leur ensemble, nuisaient à sa capacité de travailler en date du 31 décembre 2016.

La requérante a une invalidité grave

[25] Une invalidité est grave si elle empêche la personne requérante de détenir pendant une de façon régulière une occupation réellement rémunératrice. Je dois évaluer le critère portant sur la gravité de l’invalidité dans un « contexte réaliste », et pour décider de l’« employabilité » de la requérante, je dois tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents professionnels et son expérience de vieFootnote 19.

[26] L’élément déterminant des dossiers liés au RPC n’est pas la nature ou le nom des problèmes médicaux, mais bien leur effet sur la capacité de travail de la personne requéranteFootnote 20. La gravité de l’invalidité au sens du RPC dépend de sa capacité de travail et non d’un diagnosticFootnote 21.

[27] La requérante avait 50 ans à l’échéance de sa PMA. Il lui restait donc 15 ans avant l’âge habituel de la retraite. Elle a terminé sa 9e année au Salvador. Elle a fait ses études en espagnol. Elle n’a pas de formation supplémentaire ni de formation structurée. Tout au long de sa vie professionnelle, elle a fait du travail physique relativement peu spécialisé. Elle a notamment travaillé dans une usine de chaussures au Salvador, dans un hôtel comme plongeuse, dans une usine de stores et, enfin, comme préposée aux vêtements. Son travail comme préposée aux vêtements consistait à séparer et à mettre des vêtements sur des présentoirs. Elle a été formée pour ouvrir une session sur un ordinateur et y consulter les instructions de mise en place des vêtements. Elle n’a pas été formée pour utiliser des programmes de bureau comme Word ou Excel. Elle a au mieux des compétences rudimentaires en informatique. Elle est capable de communiquer en anglais. Ses compétences de lecture et d’écriture en anglais sont limitées – elle peut lire et écrire uniquement des mots simples. Tout compte fait, ses caractéristiques personnelles limitent sa capacité de se recycler ou de trouver un autre emploi.

[28] La requérante a de nombreux symptômes invalidants. Cela comprend une hépatite chronique active auto-immune, une cirrhose, une fibromyalgie, un syndrome du canal carpien, de l’anxiété et une dépression. Elle a constamment des douleurs musculaires et articulaires dans tout le corps. Elle utilise ses mains de façon limitée et échappe régulièrement des objets. Elle ressent une fatigue constante. Elle a des problèmes de mémoire et de concentration. Elle compte sur sa famille pour l’aider dans ses activités quotidiennes. Elle a peur de quitter sa maison seule. Elle s’évanouit souvent.

[29] Compte tenu de l’effet cumulatif de ses nombreux problèmes invalidants, il lui serait impossible d’être une employée fiable sur une base régulière.

[30] Je suis convaincu que la requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Dans cette optique, elle n’était pas tenue de faire des efforts pour trouver un autre emploiFootnote 22.

[31] Je conclus que la requérante a démontré qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est atteinte d’une invalidité grave conformément aux critères du RPC.

Invalidité prolongée

[32] Les problèmes de santé physique et psychologique de la requérante sont présents depuis de nombreuses années. Il n’y a eu aucune amélioration notable de son état malgré les nombreux traitements.

[33] Bien que certains de ses problèmes de santé se soient stabilisés, les médecins n’ont pas laissé entendre que son état est susceptible de s’améliorer au point qu’elle puisse retourner au travail.

[34] L’invalidité de la requérante dure pendant une période longue et continue, et rien ne laisse raisonnablement présager une amélioration de son état dans un avenir prévisible.

[35] Je conclus que son invalidité est prolongée.

Conclusion

[36] Je conclus que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en juin 2014, quand elle a travaillé pour la dernière fois. Toutefois, le RPC prévoit qu’une personne peut être réputée invalide au plus 15 mois avant la réception de sa demande de prestations d’invalidité par le ministre. Ensuite, il y a une période d’attente de 4 mois avant le premier versementFootnote 23. Le ministre a reçu la demande de la requérante en novembre 2018. Ainsi, on considère qu’elle est devenue invalide en août 2017. Le versement de sa pension commence dès décembre 2017.

[37] L’appel est accueilli.

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