Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : DO c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 147

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-1399

ENTRE :

D. O.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Shannon Russell
Représentant du ministre : John Gebara
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 22 février 2021
Date de la décision : Le 14 mars 2021

Sur cette page

Décision

[1] La requérante n’a pas droit à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) avant mars 2016. La présente décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[2] La requérante est une femme de 63 ans qui, selon l’opinion générale, a mené une vie heureuse et réussie jusqu’en 2004. En mai 2004, la requérante a été touchée par balle lors d’un cambriolage à domicile. Depuis cet incident, la requérante est atteinte d’un certain nombre de problèmes de santé, dont un trouble de stress post-traumatique (TSPT), de l’anxiété et une dépression.

[3] La requérante a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC en février 2017. Le ministre a approuvé sa demande et lui a accordé des prestations rétroactives à compter de mars 2016.

[4] La requérante a demandé au ministre de réviser la date de début de ses versements, car elle croyait qu’elle aurait dû recevoir des prestations depuis 2004. Elle a expliqué qu’elle est atteinte d’un TSPT depuis 2004 et qu’elle n’avait pas été en mesure de remplir les formulaires pour demander des prestations plus tôt.

[5] Le ministre a révisé la décision et a décidé de maintenir la date de versement initiale de mars 2016. Le ministre a expliqué avoir accordé à la requérante la plus grande rétroactivité de paiements permise par la loi. La requérante a fait appel de la décision issue de la révision du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] Après que la requérante ait fait appel devant le Tribunal, le ministre a déposé des observations écrites demandant que l’appel soit rejeté. Le ministre a expliqué qu’il avait examiné si la requérante n’avait pas été en mesure (en raison d’une incapacité) de demander des prestations d’invalidité plus tôt qu’elle ne l’a fait, et qu’il avait décidé qu’elle n’avait pas été dans l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations.

[7] En février 2019, un membre du Tribunal a décidé de rejeter de façon sommaire l’appel de la requérante. Ce membre a expliqué que l’appel de la requérante n’avait aucune chance raisonnable de succès parce que la preuve ne démontrait pas qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations plus tôt.

[8] La requérante a fait appel de la décision du membre auprès de la division d’appel du Tribunal. Cependant, avant que la division d’appel n’instruise l’appel de la requérante, cette dernière a déposé une demande d’annulation ou de modification de la décision de la division générale de février 2019. Un autre membre du Tribunal a rejeté la demande d’annulation ou de modification de la requérante en juillet 2020 parce que la requérante n’avait pas établi la présence d’un fait nouveau et essentiel.

[9] La division d’appel a ensuite instruit l’appel de la requérante concernant la décision de la division générale de février 2019. La division d’appel a accueilli l’appel en septembre 2020. Elle a accueilli l’appel pour deux motifs. Premièrement, la division d’appel a jugé que la division générale n’avait pas donné à la requérante l’occasion de plaider sa cause pleinement. Deuxièmement, la division d’appel a jugé que la division générale avait commis une erreur de droit parce qu’elle n’avait fait référence à aucune preuve concernant les activités de la requérante pendant la période d’incapacité invoquée. En guise de réparation, la division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.     

La loi régissant le RPC limite les versements rétroactifs à 11 mois

[10] Lorsqu’une personne se voit accorder des prestations d’invalidité du RPC, il existe des limites quant à la rétroactivité possible des versements. La loi prévoit qu’une personne n’est réputée être devenue invalide, aux fins de paiement, à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande Note de bas de page 1. Cette règle s’applique même si la personne était invalide depuis de nombreuses années avant de demander des prestations. La loi prévoit également une période d’attente de quatre mois avant le début des versements Note de bas de page 2. Lorsque ces règles sont lues conjointement, elles signifient qu’une personne peut recevoir des versements rétroactifs pendant un maximum de 11 mois.

[11] La requérante a reçu 11 mois de versements rétroactifs. Elle a demandé des prestations d’invalidité en février 2017. On a jugé qu’elle est devenue invalide en novembre 2015 (15 mois avant la date de sa demande). Ses prestations ont commencé en mars 2016 (quatre mois après novembre 2015).

La limite de 11 mois pour les prestations rétroactives ne s’applique pas si la demande a été retardée pour cause d’incapacité

[12] Si la demande de prestations d’une personne a été retardée en raison d’une incapacité, cette personne peut avoir droit à plus de 11 mois de prestations rétroactives.

[13] Une personne est frappée d’incapacité si elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation avant la date à laquelle la demande a réellement été faite Note de bas de page 3. La période d’incapacité doit être continue Note de bas de page 4

[14] Le critère juridique pour déterminer l’incapacité est précis et ciblé. Le critère ne consiste pas à savoir si une personne a connaissance des prestations en question Note de bas de page 5. Il ne s’agit pas non plus de savoir si la personne a la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande Note de bas de page 6 ou si elle est capable de composer avec les conséquences de la présentation d’une demande Note de bas de page 7

Ce que la requérante doit prouver

[15] Le fait que la requérante est atteinte d’une invalidité n’est pas contesté. Le fait que son invalidité est grave et prolongéeNote de bas de page 8, et ce depuis de nombreuses années, n’est pas non plus contesté.

[16] La question en litige est de savoir si la requérante n’a pas été capable de faire une demande de prestations avant février 2017. Pour obtenir gain de cause, la requérante doit démontrer qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations avant février 2017.

La période d’incapacité invoquée n’est pas bien définie

[17] La requérante m’a dit qu’elle croit que son incapacité a commencé en 2004. Elle a été incapable de me dire quand l’incapacité a cessé (ou quand elle a recouvré sa capacité). Elle a dit qu’elle avait peut-être recouvré sa capacité un an avant de présenter sa demande de prestations en février 2017, mais qu’elle n’en était pas vraiment certaine.

La requérante n’était pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations avant février 2017

[18] La preuve ne démontre pas que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations avant février 2017. Je dis cela pour six motifs principaux.

a) La requérante n’avait pas de procuration

[19] La requérante a déclaré qu’elle n’avait pas de procuration au cours de la période où elle prétend avoir été frappée d’incapacité. Il s’agit d’un fait important, car il démontre que la requérante était capable de prendre des décisions et de signer des documents elle-même. C’est également important parce que la requérante a consulté un certain nombre de professionnels de la santé tout au long de la période d’incapacité invoquée, et ces professionnels ne semblent pas avoir été préoccupés par le fait que la requérante soit reçue en consultation ou consente à un traitement sans procuration.

b) L’incapacité ne concerne pas la capacité de remplir des formulaires ou d’écrire des lettres

[20] La requérante a expliqué qu’elle n’avait pas été capable de présenter une demande de prestations plus tôt qu’elle ne l’a fait parce qu’elle était incapable de remplir les formulaires ou de faire les démarches nécessairesNote de bas de page 9.

[21] Comme je l’ai expliqué précédemment, le critère juridique pour déterminer l’incapacité ne consiste pas à savoir si une personne a la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande. Il ne s’agit pas non plus de savoir si une personne peut écrire une lettre expliquant pourquoi elle est admissible à des prestations. Le critère juridique consiste simplement à établir si la personne pouvait former ou exprimer l’intention de faire une demande de prestations.

c) La requérante a été capable de faire une demande de prestations d’invalidité auprès de son assureur

[22] La preuve démontre que la requérante a été capable de signer les documents nécessaires pour obtenir des prestations d’invalidité de son assureur. Par exemple, elle a signé des formulaires d’autorisation liés à l’assurance en août 2004 Note de bas de page 10 et en juillet 2005 Note de bas de page 11. Il ne serait donc pas cohérent de conclure que la requérante aurait été incapable, au cours de la même période, de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations d’invalidité du RPC.

d) Les activités de la requérante au cours de la période d’incapacité invoquée ne sont pas compatibles avec une conclusion d’incapacité

[23] Au moment d’évaluer si une personne était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations, je dois penser aux types d’activités que cette personne a effectuées pendant la période d’incapacité invoquée. En effet, l’intention de demander des prestations n’est pas très différente de la capacité de former une intention pour d’autres choses dans la vie Note de bas de page 12.

[24] Aucune des activités de la requérante n’est déterminante en soi. Cependant, considérées dans leur ensemble, les activités de la requérante depuis 2004 ne permettent pas de conclure qu’elle avait continuellement été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. Ces activités comprennent les suivantes :

  • La requérante a déménagé dans une autre maison en décembre 2004 ou vers cette date. Je sais cela parce qu’en janvier 2005, le Dr William Gnam, psychiatre, a signalé que la requérante lui avait dit qu’elle avait récemment déménagé après avoir découvert que les jeunes hommes qui l’avaient attaquée vivaient dans son quartier et étaient en liberté sous caution Note de bas de page 13. Sa capacité à décider de quitter un quartier pour un autre, à faire le nécessaire pour déménager et à expliquer les raisons de ce déménagement à un psychiatre ne laisse pas croire à une incapacité.
  • La requérante était capable de conduire un véhicule automobile pendant la période d’incapacité invoquée Note de bas de page 14. La capacité de conduire exige un niveau élevé de fonctionnement cognitif et n’est pas compatible avec une conclusion d’incapacité.
  • La requérante a été capable d’aller jouer au bingo à plusieurs reprisesNote de bas de page 15. Ce fait est pertinent, car il démontre sa capacité à décider de participer à un passe-temps qui a le potentiel de rapporter une récompense financière. Il requiert également la capacité d’acheter des cartes de bingo, de prêter attention aux numéros annoncés, de marquer les numéros annoncés sur les cartes de bingo et de signaler une victoire (le cas échéant).  
  • La requérante a fait faillite en 2007-2008Note de bas de page 16. La déclaration de faillite et la signature des documents connexes ne permettent pas de conclure à une incapacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations.
  • En mai 2009, la requérante a dit à l’un de ses professionnels de la santé qu’en septembre 2009, elle serait appelée à témoigner dans le procès de son agresseurNote de bas de page 17. Le professionnel de la santé de la requérante a noté que cela nécessiterait davantage de traitements en milieu hospitalier, mais il n’a pas noté ou insinué que la requérante n’avait pas la capacité de témoigner en cour.
  • En 2013, le Dr Paul Mulzer, psychiatre, a évalué la requérante et a écrit qu’elle s’était prêtée facilement à l’entrevue clinique, qu’elle avait été capable de fournir des renseignements de manière fiable, qu’elle avait une forme et un contenu de pensée normaux sans troubles de la perception, qu’elle avait une bonne perspicacité et un bon jugement, qu’elle avait une cognition intacte et qu’elle avait une excellente base de connaissancesNote de bas de page 18. Aucun de ces éléments ne permet de conclure à une incapacité.
  • En février 2014, le Dr Mulzer a indiqué qu’il avait vu la requérante lors d’un suivi et qu’elle était assez perspicace et intelligente, et qu’elle faisait preuve d’un bon jugement. Il a également dit que la forme et le contenu de ses pensées étaient intacts Note de bas de page 19.
  • La requérante a participé à plusieurs programmes de traitement au cours de la période d’incapacité invoquée. Bien qu’il puisse y avoir eu une occasion où la requérante a été admise dans un établissement sur une base involontaire (en vertu d’une formule 1) Note de bas de page 20, sa participation à la plupart des programmes semble avoir été volontaire. La requérante dit qu’une conseillère ou un conseiller a rempli les formulaires pour les programmes de traitementNote de bas de page 21. Cela est peut-être vrai. Cependant, la requérante aurait quand même eu besoin de consentir à participer aux programmes. La capacité de consentir à participer à ces programmes et la capacité à prendre activement des mesures pour se rétablir ne sont pas compatibles avec une conclusion d’incapacité. Voici certains de ces programmes de traitement :
    • D’août à octobre 2007 : programme de sécurité en matière de toxicomanie et de traumatismes (programme STT) de Homewood Note de bas de page 22.
    • Du 21 juin au 11 août 2011 : le programme STTNote de bas de page 23.
    • Septembre 2012 : programme de services aux joueurs compulsifs de l’hôpital régional de Windsor, traitement résidentiel de 21 joursNote de bas de page 24.

e) La requérante a déclaré qu’elle ne sait pas si elle aurait pu décider de faire une demande de prestations avant février 2017

[25] Au cours de l’audience, j’ai posé une question importante à la requérante. Je lui ai demandé ce qu’elle aurait dit si quelqu’un lui avait demandé (avant 2017) si elle voulait faire une demande de prestations d’invalidité mensuelles. Plus précisément, j’ai demandé à la requérante si elle aurait été en mesure de dire à la personne qu’elle voulait faire une demande de prestations. La requérante m’a dit qu’elle ne sait pas ce qu’elle aurait dit. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas ouvert son courrier pendant longtemps et que, des années plus tard, elle a demandé à quelqu’un d’ouvrir son courrier pour elle. Elle a toutefois ajouté qu’elle ne sait pas du tout comment elle aurait répondu à une question sur des prestations.  

[26] L’incertitude de la requérante quant à savoir si elle aurait pu exprimer l’intention de faire une demande de prestations n’est pas très favorable à une conclusion d’incapacité, particulièrement à la lumière des autres motifs que j’ai fournis pour expliquer pourquoi je suis incapable de conclure en faveur de la requérante.

f) La déclaration d’incapacité de juillet 2019 n’est pas convaincante

[27] En juillet 2019, la médecin de famille de la requérante, la Dre Tung-Barnett, a rempli un formulaire de déclaration d’incapacité. Dans ce formulaire, la Dre Tung-Barnett a affirmé que, de mai 2004 à mai 2017, la requérante avait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande Note de bas de page 25.

[28] Je ne trouve pas que cette déclaration d’incapacité soit convaincante. Par conséquent, je ne lui ai pas accordé beaucoup de poids. Voici mes motifs.

[29] Premièrement, la Dre Tung-Barnett a d’abord rempli une déclaration d’incapacité en avril 2018 et, à ce moment-là, elle a signalé que l’état de la requérante ne la rendait pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 26. Depuis lors, la Dre Tung-Barnett n’a pas vraiment expliqué ce qui l’avait poussée à changer d’avis, si ce n’est qu’elle a dit qu’il y avait eu un malentendu au sujet de la première question du formulaire initial de déclaration d’incapacité Note de bas de page 27.

[30] Deuxièmement, la Dre Tung-Barnett n’a pas expliqué clairement pourquoi elle croyait que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Elle a expliqué que la requérante avait reçu un diagnostic de TSPT, de dépression et d’anxiété, mais elle n’a pas expliqué pourquoi ces problèmes de santé causaient une incapacité chez la requérante.

[31] Troisièmement, les rapports de la Dre Tung-Barnett laissent entendre qu’elle croit qu’une incapacité signifie une incapacité à remplir des formulaires. Par exemple, en mai 2019, la Dre Tung-Barnett a écrit que la requérante n’avait que récemment été capable de remplir des formulaires dans le but de recevoir une certaine forme d’indemnisation Note de bas de page 28. Comme je l’ai expliqué précédemment, le concept d’incapacité ne signifie pas d’être incapable de remplir ou de soumettre des formulaires.

[32] Quatrièmement, l’avis de la Dre Tung-Barnett selon lequel l’incapacité de la requérante a pris fin en mai 2017 est incompatible avec le fait que la requérante a été capable de faire une demande de prestations d’invalidité avant cette date. La requérante a signé sa demande de prestations d’invalidité du RPC le 6 février 2017 Note de bas de page 29.

Conclusion

[33] L’appel est rejeté.

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