Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – Demande de révision tardive – directives ministérielles – décision judiciaire

En 2015, le requérant était dans la mi-trentaine et blessé à la tête suite à un accident de voiture. En 2018, il a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC rejetée parce que le ministre a conclu qu’il ne répondait pas aux critères d’invalidité. Un an plus tard, il a embauché un avocat pour l’aider à demander une révision de la décision du ministre. Sa demande a été soumise avec plus d’un an de retard.

La loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de quand même traiter ces demandes tardives si on rencontre les conditions du Règlement sur le RPC. Le ministre a suivi ses directives sur les demandes tardives et rejeté la demande. Le requérant a fait appel devant la division générale (DG) en tentant de justifier son retard par ses troubles mentaux et son ignorance du processus. La DG a examiné la façon dont le ministre a pris sa décision et conclu qu’elle avait été prise de façon judiciaire. Devant la division d’appel (DA), il a soutenu que la DG avait commis des erreurs importantes en revoyant la décision du ministre.

La DA est d’accord; elle conclue que le ministre n’aurait pas dû utiliser le critère plus strict de ses directives sur l’incapacité, alors que le règlement n’exigeait qu’une explication raisonnable du retard. Ainsi, le ministre n’a tenu compte qu’en surface du fait que le requérant suivait un programme de psychiatrie et qu’il prenait de puissants médicaments. Malgré cela, le ministre a décidé que la situation du requérant n’était pas « inhabituelle, inattendues ou au-delà de son contrôle ». Le ministre était dans l’erreur et a rendu une décision « non judiciaire ». La DA a accueilli l’appel et ordonné au ministre d’accorder la prolongation de délai. Le ministre révisera maintenant la demande de pension d’invalidité du requérant sur le fond.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : PP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 166

Numéro de dossier du Tribunal: AD-21-11

ENTRE :

P. P.

Appelant
(requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé
(ministre)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Neil Nawaz
DATE DE LA DÉCISION : Le 28 avril 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a convenu avec le ministre de refuser de prolonger un délai. Je demande au ministre d’accorder au requérant un délai supplémentaire pour présenter une demande de révision.

Contexte

[3] Le requérant est un ancien gestionnaire et analyste financier de 36 ans présentant des antécédents de dépression. En mai 2015, il a subi un traumatisme crânien lors d’une collision avec une voiture.

[4] En septembre 2018, le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Il a déclaré qu’il ne pouvait plus travailler en raison de déficits cognitifs et d’autres symptômes causés par une commotion cérébrale. Dans une lettre datée du 19 février 2019Footnote 1, le ministre a rejeté la demande, car il était d’avis que le requérant n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée.

[5] Une année s’est écoulée. Le requérant a engagé un avocat qui, dans une lettre datée du 7 avril 2020, a demandé au ministre de réviser sa décision de ne pas accorder à son client une pension d’invaliditéFootnote 2. Le ministre a refusé d’examiner la demande, car elle est arrivée après le délai de 365 jours prévu par le Régime de pensions du CanadaFootnote 3.

[6] L’avocat du requérant a fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. L’avocat a reconnu que la demande de révision était tardive, mais il a attribué ce retard aux déficiences cognitives et mentales du requérant et à son manque de connaissance du processus d’appel.

[7] Dans une décision datée du 16 octobre 2020, la division générale a rejeté l’appel. Elle a conclu que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’il a rejeté la demande de prolongation du délai du requérant.

[8] Le requérant fait maintenant valoir que si le ministre continue de rejeter sa demande de prolongation, cela causerait préjudice à ses intérêts. Il affirme qu’il était [traduction] « contre-intuitif » que le ministre reconnaisse son traumatisme crânien, mais qu’il estime néanmoins qu’il n’avait pas de bonne raison pour avoir présenté sa demande de révision en retardFootnote 4. Il a également fourni plusieurs centaines de pages de dossiers médicauxFootnote 5 qui n’étaient pas à la disposition du ministre lorsqu’il a évalué la demande d’invalidité du requérant ou, plus tard, lorsqu’il a rendu une décision concernant sa demande de révision tardiveFootnote 6.

Questions en litige

[9] Seuls trois moyens d’appel peuvent être invoqués devant la division d’appel. Une partie requérante doit démontrer que la division générale a agi de façon inéquitable, qu’elle a interprété la loi incorrectement ou qu’elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteFootnote 7.

[10] Dans le cadre du présent appel, je devais trancher les questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division d’appel peut-elle examiner de nouveaux éléments de preuve?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le ministre avait rejeté la demande de prolongation du requérant de façon judiciaire?

Analyse

Question en litige no 1 : La division d’appel peut-elle examiner de nouveaux éléments de preuve?

[11] Comme je l’ai mentionné, le requérant a soumis au Tribunal un grand nombre de dossiers médicaux qui n’étaient pas à la disposition du ministre lorsqu’il a rejeté la demande d’invalidité du requérant et, plus tard, lorsqu’il a rejeté sa demande de prolongation du délai. Le requérant semble avoir soumis ces dossiers afin d’appuyer ses arguments selon lesquels i) il ne pouvait plus travailler et ii) il avait une bonne raison de présenter sa demande de révision en retard.

[12] Pour les motifs que j’ai expliqués à l’audience, je n’ai pas tenu compte de ces dossiers médicaux. Le présent appel ne porte pas sur la question de savoir si le requérant est atteint d’une invalidité. Il s’agit plutôt de savoir si le ministre a fait son travail correctement, en se fondant sur l’information dont il disposait à ce moment-là, lorsqu’il a refusé d’accorder au requérant plus de temps pour présenter sa demande de révision. On ne peut pas reprocher au ministre de ne pas s’être appuyé sur des renseignements dont il n’avait pas connaissance. Par conséquent, ces renseignements n’étaient pas pertinents pour l’évaluation par la division générale de la conduite du ministre. Ils ne sont pas non plus pertinents pour mon évaluation de la conduite de la division générale.

[13] Le requérant souhaitait que j’utilise ces nouveaux dossiers médicaux afin de conclure qu’il avait une explication raisonnable pour ne pas avoir respecté le délai. Je ne peux pas faire cela. La loi ne me permet pas de tenir compte de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition de la division générale.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le ministre avait rejeté la demande de prolongation du requérant de façon judiciaire?

[14] Il s’agit d’une question que le requérant n’a pas explicitement soulevée dans son avis d’appel. Toutefois, elle est conforme à son argument plus général selon lequel le ministre et la division générale ont ignoré ses circonstances dans l’année qui a précédé sa demande de révision. Pour des motifs que je vais expliquer, j’estime que la division générale a commis deux erreurs de droit lorsqu’elle a analysé le refus du ministre d’accorder une prolongation du délai :

  1. (i) Elle a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a examiné l’explication qu’a donnée le requérant pour justifier son retard dans la présentation de sa demande de révision;
  2. (ii) Elle a ignoré la gravité de son trouble psychiatrique.
Le ministre doit suivre les lignes directrices judiciaires et législatives au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire

[15] Le ministre dispose de deux types de pouvoir : exécutoire et discrétionnaire. Le premier pouvoir est constitué de choses que le ministre doit faire en vertu de la loi. Le second pouvoir est facultatif, c’est-à-dire qu’il s’agit de choses que le ministre peut faire s’il le souhaite, mais qu’il n’est pas nécessairement obligé de faire.

[16] Même en ce qui concerne les pouvoirs discrétionnaires, le ministre ne peut pas simplement faire ce qu’il a envie de faire. La loi exige que le ministre exerce ces pouvoirs de façon judiciaire. Ainsi, lorsqu’une personne demande quelque chose au gouvernement, le ministre a le devoir de prendre sa demande au sérieux, d’écouter ce qu’elle dit et d’évaluer les renseignements pertinents afin de prendre une décision équitable.

[17] Les tribunaux ont défini ce que signifie d’exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaireFootnote 8. La Cour fédérale a jugé qu’un pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé judiciairement si le décideur :

  1. a agi de mauvaise foi;
  2. a agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  3. a pris en compte un facteur non pertinent;
  4. a ignoré un facteur pertinent, ou;
  5. a agi de manière discriminatoireFootnote 9.

[18] Parmi les nombreux pouvoirs discrétionnaires du ministre figure le pouvoir d’accorder une prolongation lorsqu’une partie requérante n’a pas respecté la date limite de présentation d’une demande.

[19] Selon le Régime de pensions du Canada, une personne qui n’est pas d’accord avec le rejet initial de sa demande d’invalidité par le ministre a 90 jours pour demander au ministre de réviser sa décisionFootnote 10.

[20] En vertu de l’article 74.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC), le ministre peut autoriser la prolongation du délai de présentation de la demande de révision s’il est convaincu :

  1. (i) d’une part, qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et,
  2. (ii) d’autre part, que la partie requérante a manifesté l’intention constante de demander la révisionFootnote 11.

[21] Si la demande de révision est présentée plus de 365 jours après le rejet initial de la demande, le ministre doit également être convaincu :

  1. (iii) que la demande de révision a une chance raisonnable de succès et,
  2. (iv) que l’autorisation du délai supplémentaire pour présenter la demande ne porte préjudice à aucune partieFootnote 12.

[22] Dans le présent dossier, personne ne conteste le fait que la demande de révision du requérant a été présentée plus de 365 jours après que le ministre ait rejeté sa demande d’invalidité. La question sur laquelle la division générale devait se pencher était de savoir si le ministre avait examiné la demande du requérant conformément à la loi.

Le ministre a tenu compte des quatre conditions

[23] L’inclusion du mot « et » entre les deux paires de conditions laisse entendre que le requérant doit satisfaire aux quatre conditions si la demande de révision est présentée plus d’un an après la décision initialeFootnote 13.

[24] Je suis convaincu que le ministre a pris en considération les quatre conditions prévues par le Régime de pensions du Canada et son règlement. En réponse à la demande de révision tardive du requérant, l’une des évaluatrices médicales du ministre a préparé une feuille de travailFootnote 14 dans laquelle elle a tenté d’examiner systématiquement les circonstances du requérant en fonction des quatre conditions. L’évaluatrice a finalement conclu que le requérant n’avait satisfait qu’à deux des quatre conditions. Elle a estimé que le dossier du requérant avait une chance raisonnable de succès et que la prolongation du délai ne porterait pas préjudice aux intérêts du ministre. Cependant, elle a conclu que le requérant n’avait pas démontré qu’il avait l’intention constante de demander une révision et qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour ne pas l’avoir fait plus tôt.

Le ministre n’a pas correctement appliqué la première condition lorsqu’il a exigé plus qu’une explication « raisonnable » pour le retard

[25] Il ne suffit pas que le ministre tienne compte de ces conditions. Le ministre doit également évaluer si elles ont été respectées ou non. Pour ce faire, il doit suivre attentivement le texte des articles 74.1(3) et 74.1(4).

[26] Je constate que l’évaluatrice du ministre a imposé au requérant une norme déraisonnablement élevée lorsqu’elle a examiné les raisons pour lesquelles il a déposé sa demande de révision en retard. Je tiens à souligner que la feuille de travail de l’évaluatrice était accompagnée d’une ligne directrice qui définissait comme suit l’« explication raisonnable du retard » :

[traduction]

Les circonstances exceptionnelles et les circonstances atténuantes permettent de justifier un retard de façon raisonnable. Un état de santé d’une personne qui empêche d’agir en temps utile compte parmi les circonstances exceptionnelles. Les circonstances atténuantes sont quant à elles liées à des éléments inhabituels, inattendus ou au-delà de son contrôle, qui empêchent de présenter une demande en temps opportunFootnote 15.

Il est difficile de savoir si cette ligne directrice est fidèle à la loi, et il n’est pas non plus évident de savoir si une « explication raisonnable » peut être assimilée à des « circonstances exceptionnelles ». Il existe un grand nombre d’explications potentielles pour le non-respect d’un délai de présentation d’une demande qui pourraient être raisonnables sans pour autant impliquer des circonstances exceptionnelles. Il se peut que ces explications n’aient rien à voir avec un problème médical, mais qu’elles soient plutôt liées à des facteurs plus banals, tels que la perte de courrier, un mauvais conseil ou, oui, l’ignorance de la loi. Selon les faits particuliers de l’affaire, les explications reposant sur de tels facteurs pourraient bien être « raisonnables ».

[27] Dans son analyse, l’évaluatrice du ministre a reconnu le traumatisme crânien du requérant et ses problèmes continus de santé cognitive et mentale, mais elle a poursuivi en affirmant ce qui suit :

[traduction]

Une évaluation neuropsychologique (16-11-2017) fait état de diagnostics de trouble dépressif majeur (sévère), de trouble de l’adaptation avec anxiété, de trouble de la douleur, de possible commotion cérébrale, de foulures musculosquelettiques et de facteurs de stress situationnels. Il s’est rendu à son propre rendez-vous et a participé seul à l’évaluation. Rien ne permet d’affirmer qu’il n’a pas compris les renseignements qui lui ont été présentés lors de l’évaluation [mis en évidence par le soussigné]Footnote 16.

Encore une fois, il semble que l’évaluatrice du ministre cherchait des éléments de preuve démontrant que le requérant n’avait pas de capacité, alors que tout ce que la loi exigeait de lui était une explication raisonnable pour ne pas avoir respecté le délai. La division générale a approuvé l’approche du ministre :

Le ministre a reconnu que les rapports médicaux soutenaient que le requérant était atteint de plusieurs problèmes de santé mentale, notamment d’un trouble dépressif majeur, d’un trouble d’adaptation avec anxiété et d’un trouble de la douleur associé à des facteurs psychologiques. Il a également reconnu que le requérant avait des troubles de la mémoire et de la concentration. Il a toutefois conclu que les rapports ne permettaient pas d’établir que le requérant était incapable de comprendre le processus d’appel. Le ministre a également estimé que le requérant avait été en mesure de retenir les services de son propre avocat et de conduire une voiture et qu’il était indépendant dans ses activités de la vie quotidienne [mis en évidence par le soussigné]Footnote 17.

Le requérant avait fait valoir qu’il avait des difficultés cognitives et qu’il n’était pas au courant de ses droits jusqu’à ce qu’il engage un avocat. Il n’a jamais prétendu être complètement incapable de prendre des décisions, mais, comme nous le verrons, il a présenté des éléments de preuve indiquant qu’il était en pleine crise psychiatrique grave qui a pu altérer son jugement, sa mémoire et ses fonctions exécutives.

[28] Je suis convaincu que la division générale a commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas que le ministre a appliqué la mauvaise norme pour évaluer l’explication du retard fournie par le requérant.

Le ministre a ignoré des facteurs pertinents

[29] Même si le ministre avait appliqué la bonne norme, j’aurais quand même conclu qu’il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Pourquoi? Parce que le ministre n’a pas compris ce que le requérant vivait au moment où il a reçu la lettre de refus initiale. Il n’a pas tenu compte du fait que le requérant venait de sortir d’un établissement psychiatrique, et il n’a pas remarqué que le requérant était sous forte médication. La division générale a ensuite perpétué ces erreurs en ne voyant pas que le ministre avait ignoré des facteurs pertinents lorsqu’il a décidé de ne pas accorder de prolongation de délai au requérant.

[30] Le ministre avait accès à des renseignements indiquant qu’il y avait des circonstances atténuantes expliquant la demande de révision tardive du requérant. Selon les lignes directrices du ministre, les circonstances atténuantes sont quant à elles liées à des éléments « inhabituels, inattendus ou au-delà de son contrôle ». On pourrait penser que l’admission du requérant à un programme complet de soins psychiatriques en milieu hospitalier serait qualifiée d’« inhabituelle » et serait un fait pertinent quant à sa capacité à gérer sa vie après sa sortie de l’hôpital.

[31] Nous savons maintenant que, lorsqu’il a demandé des prestations d’invalidité, le requérant n’a soumis qu’une petite partie de son dossier médical. Le ministre disposait toutefois de suffisamment de renseignements pour laisser entendre que la vie du requérant avait déraillé :

  • Le requérant a des antécédents de dépression et a reçu un diagnostic de trouble dépressif majeur graveFootnote 18. Il a été admis à l’hôpital après avoir tenté de se pendre en 2014Footnote 19.
  • Depuis, il a bénéficié d’un soutien psychologique intensif, et on lui a prescrit un certain nombre de médicaments psychotropes puissants dont l’effet est limité. Lorsqu’il a demandé des prestations d’invalidité du RPC en décembre 2018, il prenait de l’Abilify (un antipsychotique), du Zoloft (un antidépresseur) et ce qui semble être une dose extraordinairement élevée de Lyrica (un anticonvulsivant utilisé pour traiter la douleur neuropathique et l’anxiété généralisée)Footnote 20.
  • En décembre 2018, après avoir passé plusieurs mois sur une liste d’attente, le requérant a intégré un programme de soins psychiatriques pour patients hospitalisés à X à X, en OntarioFootnote 21.

[32] L’évaluatrice du ministre n’a fait aucune mention des médicaments pris par le requérant. Bien que l’évaluatrice ait mentionné la récente admission du requérant à X, elle ne l’a fait que brièvement. De plus, elle n’a apparemment pas tenté d’examiner l’incidence possible d’un long séjour à l’hôpital sur la capacité du requérant à composer avec sa demande de prestations d’invalidité. Le ministre insiste maintenant sur le fait que le requérant a eu son congé de X à la mi-février 2019, soit deux ou trois semaines avant l’arrivée de la lettre de refus initiale. Cependant, l’évaluatrice du ministre n’avait aucun moyen de le savoir à l’époque, et il est raisonnable de supposer qu’une personne sortant d’un séjour de deux mois dans un hôpital psychiatrique aurait eu d’autres choses en tête que des tâches administratives.

[33] Le ministre a ignoré des facteurs pertinents lorsqu’il a refusé d’accorder au requérant une prolongation de délai. La division générale a à son tour commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas que le ministre n’avait pas tenu compte de facteurs pertinents lorsqu’il a conclu que le requérant n’avait pas d’explication raisonnable pour son retard.

Réparation

Il existe deux façons de corriger les erreurs de la division générale

[34] Pendant l’audience, j’ai parlé de ce qu’il conviendrait de faire si je constatais une erreur dans la décision de la division générale. J’ai dit aux parties qu’il existait essentiellement deux options :

  • Je pourrais renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle tienne une autre audience sur la question de savoir si le ministre avait examiné la demande tardive du requérant de façon judiciaire ou;
  • Je pourrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre et effectuer ma propre évaluation de la conduite du ministreFootnote 22.

[35] J’ai dit aux parties que, selon moi, le dossier était suffisamment complet pour que je choisisse la deuxième option. Je conclus maintenant que, si la division générale avait correctement appliqué la loi et examiné la preuve, elle serait arrivée à une conclusion différente.

[36] Il est compréhensible que le requérant souhaite que son dossier soit résolu rapidement. Son avocat m’a demandé de substituer ma décision à celle, non seulement de la division générale, mais aussi du ministre. Il a fait valoir que j’ai le pouvoir, non seulement de déroger à la date limite de présentation d’une demande de révision, mais aussi d’effectuer moi-même la révision et de conclure que le requérant est invalide. Pour sa part, le ministre a nié que la division générale ou lui-même avait commis une erreur. Cependant, si j’arrivais à une décision différente de la sienne, le ministre m’a demandé de lui renvoyer l’affaire et de lui donner comme instruction de réviser la demande de prolongation du délai du requérant, conformément aux articles 74.1(3) et 74.1(4) du Règlement sur le RPC.

Il y a des limites aux pouvoirs réparateurs de la division d’appel

[37] Bien que je veuille aider le requérant, je ne peux pas lui donner tout ce qu’il veut. Je ne partage pas l’opinion de son avocat selon laquelle mes pouvoirs s’étendent aussi loin qu’il le dit. La division générale est habilitée à rendre la décision que le ministre aurait dû rendreFootnote 23. Cela, à son tour, limite ce que je peux faire lorsque je rends la décision que la division générale aurait dû rendre.

[38] Le requérant fait valoir que mes pouvoirs de réparation pourraient aller jusqu’à conclure qu’il est invalide. Je ne suis pas d’accord. Jusqu’à présent, les seules questions que le requérant a soulevées devant le Tribunal ont été d’ordre procédural. À ce stade, le ministre n’a pas encore rendu de décision de révision valide concernant l’invalidité du requérant au titre de l’article 81 du Régime de pensions du Canada. Selon l’article 82, une telle décision de révision est le seul fondement pour un appel devant la division générale. Comme la division générale n’a pas encore rendu de décision sur l’invalidité du requérant, je ne peux pas non plus le faire.

Le requérant répond aux quatre conditions prévues aux articles 74.1(3) et 74.1(4)

[39] Bien que je ne puisse pas décider si le requérant est invalide, je peux décider s’il mérite une prolongation du délai pour présenter une demande de révision. Pour les motifs suivants, je suis convaincu que le requérant a satisfait aux quatre conditions énumérées aux articles 74.1(3) et 74.1(4) du Règlement sur le RPC.

Le requérant avait une explication raisonnable pour demander une prolongation de délai

[40] La preuve disponible laisse entendre que le requérant n’a pas répondu à la lettre de refus du ministre datée du 18 février 2019 parce qu’il venait tout juste de sortir d’un établissement psychiatrique. Tel que mentionné précédemment, il y avait de nombreux éléments de preuve à l’appui du fait que la vie du requérant était perturbée à ce moment-là, et il est raisonnable de supposer qu’il n’avait pas la tête aux tâches administratives.

Le requérant a manifesté l’intention constante de présenter une demande de révision

[41] Je tiens à souligner que le requérant a manifesté son désir de préserver ses droits d’appel avant qu’une année ne se soit écoulée. Selon le dossier, il a engagé un avocat au début de 2020 pour demander une prolongation de délai. Dans une lettre datée du 12 février 2020Footnote 24, l’avocat du requérant a demandé au ministre une copie du dossier d’invalidité complet de son nouveau client afin qu’il puisse être mis à jour au sujet de la demande. À la lumière de ce qui précède, je suis prêt à conclure que le requérant avait l’intention de poursuivre son appel dans les mois précédant sa demande de permission d’en appeler.

L’autorisation d’un délai plus long pour demander une révision ne porterait pas préjudice au ministre

[42] J’estime qu’il est peu probable que le fait de permettre au requérant d’aller de l’avant avec sa demande de prestations d’invalidité à cette date tardive porterait préjudice aux intérêts du ministre, étant donné la période relativement courte qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai légal. Je ne crois pas que la capacité du ministre à se défendre, compte tenu de ses ressources, serait indûment amoindrie si la prolongation du délai pour présenter une demande de révision était accordée.

La demande de révision du requérant a une chance raisonnable de succès

[43] Une chance raisonnable de succès s’apparente à une cause défendable. À première vue, le requérant a une cause défendable selon laquelle il est invalide. Il est en arrêt de travail depuis plusieurs années. Il a reçu un diagnostic de dépression sévère. Il a fait une tentative de suicide. Il prend beaucoup de médicaments. Il a reçu ce qui semble être un traitement psychiatrique intensif dont l’effet est limité. À mon avis, les intérêts de la justice ne seront pas servis si le requérant n’est pas en mesure de poursuivre sa demande d’invalidité en raison d’un délai non respecté.

Conclusion

[44] L’appel est accueilli puisque la division générale a commis des erreurs de droit. Si la division générale avait appliqué la loi correctement, elle aurait conclu que le ministre ne s’était pas acquitté de ses obligations au titre de l’article 74.1 du Règlement sur le RPC. Je suis convaincu que le ministre a commis une erreur en appliquant une norme trop stricte à l’explication du requérant pour son retard et en ignorant les renseignements pertinents sur la gravité de son trouble psychiatrique au moment où il a reçu sa lettre dans laquelle sa demande de révision avait été rejetée.

[45] Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre et je demande au ministre d’accorder au requérant une prolongation du délai pour présenter sa demande de révision.

Date de l’audience :

Le 7 avril 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions:

P. P., appelant

Daniel Michaelson, représentant de l’appelant

Viola Herbert, représentante de l’intimé

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