Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : LT c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 289

Numéro de dossier du Tribunal: GP-21-504

ENTRE :

L. T.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Date de la décision : Le 6 mai 2021

Sur cette page

Décision

[1] Il faut prolonger le délai dont dispose la requérante pour demander une révision du rejet de sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité du RPC de la requérante en janvier 2020Note de bas de page 1 . La requérante a déclaré qu’elle est incapable de travailler depuis janvier 2017 en raison de plusieurs problèmes de santé, dont une dépression grave, un trouble bipolaire, de l’anxiété, de l’hypertension et du stressNote de bas de page 2 .

[3] Le ministre a rejeté la demande le 28 avril 2020Note de bas de page 3 . Il a reçu la demande de révision de la requérante seulement le 21 septembre 2020, soit après le délai de 90 jours prévu à cette finNote de bas de page 4 . Le 18 novembre 2020, le ministre a refusé de prolonger le délai dont dispose la requérante pour présenter une demande de révisionNote de bas de page 5 . Cette dernière a porté la décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[4] J’ai tranché l’appel en me fondant sur les observations et les documents déposés au Tribunal parce que j’ai établi qu’une audience n’était pas nécessaire, qu’il ne manquait aucun renseignement et qu’il n’y avait pas lieu d’apporter des éclaircissements.

Questions en litige

  1. Le ministre a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’il a refusé de prolonger le délai dont disposait la requérante pour demander une révision?
  2. Si la réponse est non, dois-je prolonger le délai en question?

Analyse

[5] La décision du ministre d’accueillir ou de rejeter une demande de révision tardive est discrétionnaire. Le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaireNote de bas de page 6 .

[6] Un pouvoir discrétionnaire est exercé de façon non judiciaire s’il est possible d’établir que la personne ayant rendu la décision :

  • a agi de mauvaise foi;
  • a agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • a pris en compte un facteur non pertinent;
  • a ignoré un facteur pertinent;
  • a agi de manière discriminatoireNote de bas de page 7 .

[7] Il ne m’appartient pas de décider si le ministre a pris la bonne décision. Mon rôle est de vérifier s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Il incombe à la requérante de prouver que le ministre n’a pas agi de façon judiciaire.

[8] Je suppose que le ministre a avisé la requérante du rejet de sa demande en lui postant sa décision. Au Canada, on reçoit habituellement le courrier dans un délai de 10 jours. Je conclus donc que la décision de révision [sic] a été communiquée à la requérante au plus tard le 7 mai 2020. Elle avait jusqu’au 6 août 2020 pour demander une révisionNote de bas de page 8 . La ministre a reçu sa demande de révision seulement le 21 septembre 2020Note de bas de page 9 .

[9] Comme le ministre n’a pas reçu la demande de révision présentée par la requérante avant le 21 septembre 2020, il peut autoriser la prolongation du délai de présentation de la demande de révision seulement s’il est convaincu 1) qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et 2) que la requérante a manifesté l’intention constante de demander la révisionNote de bas de page 10 . Les deux conditions doivent être rempliesNote de bas de page 11 .

Le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon non judiciaire

[10] Je dois d’abord décider si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[11] Le 7 octobre 2020, le ministre a écrit à la requéranteNote de bas de page 12 . Il l’a informée que si elle souhaitait présenter une demande de révision tardive, elle devait :

  • expliquer pourquoi la demande était présentée en retard;
  • expliquer comment elle avait tenu le ministère au courant de son intention de demander une révision;
  • expliquer les raisons pour lesquelles elle n’était pas d’accord avec la décision.

[12] La requérante a répondu le 29 octobre 2020Note de bas de page 13 . Elle a expliqué que la demande était en retard parce qu’elle attendait une réponse du Dr Andrawis, son médecin de famille, à propos du rejet de sa demande. Elle a aussi déclaré qu’elle était déprimée au point où, souvent, elle ne pouvait pas sortir du lit. Cette situation a nui à sa capacité de répondre à la lettre de décision. Elle a ajouté que la COVID‑19 l’a empêchée de répondre rapidement au rejet de sa demande.

[13] Dans sa décision, le ministre a simplement affirmé que les renseignements fournis par la requérante ne permettaient pas d’établir que la COVID‑19 était une circonstance exceptionnelle ayant entraîné le retard. Il a conclu que la requérante n’avait pas fourni une explication raisonnable pour ce qu’il a appelé un [traduction] « long » retard.

[14] Le ministre n’a pas agi judiciairement lorsqu’il en est venu à cette conclusion :

  • Tout d’abord, il a soumis la requérante à une norme trop élevée. Il ne faut pas assimiler une « explication raisonnable » à des « circonstances exceptionnelles ». Il se peut que de nombreuses explications raisonnables concernant le non-respect d’un délai n’impliquent aucune circonstance exceptionnelleNote de bas de page 14 .
  • Deuxièmement, le ministre n’a pas tenu compte du problème de santé de la requérante. Elle avait déclaré que sa dépression avait contribué au retard. Le ministre a ignoré un facteur pertinent en ne tenant pas compte de son problème de santé lorsqu’il a conclu que le retard ne faisait l’objet d’aucune explication raisonnable.
  • Troisièmement, le ministre a déclaré que le retard était long. Toutefois, le ministre a reçu la demande de révision seulement environ six semaines après la date limite.

[15] Le ministre a aussi conclu que la requérante n’avait pas manifesté une intention constante de demander une révision parce qu’elle n’avait pas communiqué avec le ministère avant qu’il reçoive sa demande de révision le 21 septembre 2020. Cependant, il y a d’autres façons de manifester une intention constante. Par exemple, il est possible faire des démarches pour obtenir des renseignements médicaux supplémentaires dans le but de faire la demande. Le ministre a ignoré un facteur pertinent. Il n’a pas tenu compte des démarches entreprises par la requérante pour obtenir d’autres renseignements médicaux. Par conséquent, le ministre a agi de façon non judiciaire.

Il faut prolonger le délai de présentation de la demande de révision

[16] Comme j’ai conclu que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon non judiciaire, je dois maintenant décider s’il faut prolonger le délai de présentation de la demande de révision.

La requérante a fourni une explication raisonnable à propos du retard

[17] Pour vérifier si une explication raisonnable existe, je dois tenir compte de la réalité propre à la requérante.

[18] Dans sa demande de pension d’invalidité, la requérante a déclaré qu’elle avait, entre autres, une dépression grave, un trouble bipolaire, de la fatigue et de l’anxiétéNote de bas de page 15 . Elle a relevé de nombreuses difficultés liées à la communication et à la penséeNote de bas de page 16 . Dans le rapport médical initial pour le RPC, qui date de septembre 2019, le Dr Andrawis a déclaré que la requérante avait un trouble dépressif caractérisé ainsi qu’une anxiété mixte et une insomnie importante. Parmi ses déficiences, on comptait, entre autres, de la fatigue, une incapacité à se concentrer sur ses tâches et une incapacité à prendre des décisions. Elle ne pouvait pas être exposée à des situations stressantes et elle était incapable de communiquer avec le publicNote de bas de page 17 .

[19] Le 13 août 2020, soit seulement une semaine après la date limite pour la présentation de la demande de révision, le Dr Monaghan, psychiatre, a adressé une lettre de mise à jour au Dr Andrawis. Il a précisé que la requérante avait demandé la lettre parce qu’elle voulait appeler de la décision du RPC de rejeter sa demande. Elle en avait déjà parlé avec le Dr Andrawis. Il lui avait diagnostiqué une dépression chronique accompagnée de détresse anxieuse et d’agitation (dépression agitée), qui chevauchait le spectre bipolaireNote de bas de page 18 . Le 31 août 2020, le Dr Andrawis a rédigé un document pour appuyer la demande de prestations d’invalidité de la requérante. Il a déclaré que les symptômes de la requérante l’empêchaient de se concentrer sur ses tâches ou de gérer des situations stressantesNote de bas de page 19 .

[20] La requérante a déposé les lettres du 13 août 2020 et du 31 août 2020 pour appuyer sa demande de révision. La COVID‑19 a engendré des perturbations et des retards généralisés. Cette situation a évidemment retardé l’obtention de ces rapports par la requérante. La demande de révision a été envoyée à peine environ six semaines après la date limite.

[21] Étant donné l’effet combiné de telles circonstances, je suis convaincu qu’il existe une explication raisonnable à la présentation tardive de la demande de révision.

La requérante a établi qu’elle avait une intention constante de demander une révision

[22] Pour avoir gain de cause, la requérante doit démontrer qu’elle avait une intention constante de faire appel pendant la période de 90 jours prévue pour la présentation d’une demande de révision (dans la présente affaire, le 6 août 2020 au plus tard) et de façon continue par la suite. L’intention constante de demander une révision est souvent liée à l’explication raisonnable du retard. Même si la durée du retard est un facteur pertinent, le facteur le plus important est la raison du retardNote de bas de page 20 .

[23] Dans la présente affaire, la raison du retard était les démarches entreprises par la requérante pour obtenir des renseignements médicaux supplémentaires pendant la perturbation générale et les retards causés par la COVID‑19. La requérante a fait des démarches pour obtenir d’autres renseignements médicaux auprès de son médecin de famille et de son psychiatre avant la fin du délai de 90 jours. Elle a consulté son psychiatre sur recommandation de son médecin de famille à peine environ une semaine après la date limite. Cela signifie que les démarches visant à consulter son psychiatre ont probablement été entreprises bien avant la date limite. Sa demande de révision a été envoyée seulement environ six semaines après la date limite.

[24] Je suis également convaincu que la requérante a établi qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’elle avait l’intention constante de demander une révision.

Conclusion

[25] Il y a plus de chances que la requérante a établi que les deux conditions nécessaires pour autoriser la prolongation du délai permettant d’obtenir une révision sont remplies, comme je l’explique au paragraphe 8 [sic] ci-dessus.

[26] Le délai dont dispose la requérante pour demander une révision est prolongé jusqu’au 21 septembre 2020, date à laquelle le ministre a reçu sa demande de révision. L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il rende la décision de révision.

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