Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

SR – suspension de l’instance en attendant la révision judiciaire par la Cour fédérale de la décision de la DA sur la permission d’en appeler – erreur commise par la DG dans l’évaluation de la crédibilité – pension d’invalidité accordée

En 2016, la requérante a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en raison de douleurs articulaires généralisées, mais le ministre l’a rejetée. La requérante a fait appel de cette décision à la division générale (DG). La DG a rejeté son appel. Elle a ensuite fait appel à la division d’appel (DA). La DA a renvoyé l’appel à la DG afin qu’elle puisse réexaminer le dossier de la requérante. En 2020, la DG a décidé une deuxième fois que la requérante n’était pas admissible à une pension d’invalidité.

La requérante a demandé à la DA la permission de faire appel de la décision de 2020 de la DG. La DA lui a accordé la permission d’en appeler et a fixé une audience. Par la suite, le ministre a demandé à la Cour fédérale (CF) de réviser la décision de la DA relative à la demande de permission d’en appeler. Entre temps, la DA a avisé le ministre de la tenue de l’audience, mais celui-ci n’a pas répondu. À l’audience, la requérante et son avocat ont dit à la DA qu’ils voulaient qu’elle se prononce sur son invalidité, même si la CF était toujours en train d’examiner la décision sur la demande de permission d’en appeler. Le représentant du ministre n’était pas présent. Après l’audience, le ministre a communiqué avec la DA pour lui demander de suspendre l’instance dont elle était saisie. Il a seulement soutenu que la DA avait l’habitude de suspendre des instances pendant qu’une affaire connexe était devant la CF.

La DA a décidé de ne pas attendre que la CF se prononce sur l’affaire faisant l’objet d’une révision judiciaire. La loi ne l’obligeait pas à suspendre l’instance dont elle était saisie pendant que l’instance devant la CF se déroulait. La DA a également noté qu’habituellement, elle avise le ministre lorsqu’elle a l’intention de suspendre une instance. Toutefois, le Tribunal avait avisé le ministre qu’il procéderait à une audience et ce dernier avait seulement répondu plus tard au cours de l’instance. La DA a estimé que si elle rendait une décision, elle ne porterait pas préjudice aux intérêts du ministre; la procédure serait plus rapide pour la requérante, peu importe la décision qui serait rendue sur la question de savoir si la requérante était atteinte d’une invalidité. La DA a également estimé qu’il faudrait probablement un an ou plus à la FC pour mener son instance à terme. Le ministre n’a pas subi de préjudice puisque si la CF avait fini par annuler la décision de la DA sur la demande de permission d’en appeler, cela aurait également eu pour effet d’annuler la décision ultérieure de la DA sur la question de savoir si la requérante était invalide. La DA a examiné ses règlements qui l’obligent à rendre une décision « sans délai » et qui précisent que c’est à la partie qui demande un ajournement ou une remise qu’incombe le fardeau de la preuve.

Lorsqu’elle a examiné la décision de la DG, la DA a constaté qu’elle avait commis une erreur de fait en ne tenant pas compte du témoignage de la requérante lors de l’audience sans raison valable. La DG n’a pas tenu compte du fait que sa fibromyalgie aurait pu avoir une incidence sur ses problèmes de mémoire et sur son témoignage lors de ses audiences. La DG a également commis une erreur lorsqu’elle a jugé que la requérante avait « probablement » quitté son emploi parce qu’elle avait demandé d’être mise à pied; peu importe qu’elle ait démissionné ou qu’elle ait été congédiée, la requérante a quitté son emploi en raison de ses problèmes de santé. La DA a rendu la décision que la DG aurait dû rendre et a accordé la pension d’invalidité à la requérante à partir de 2009.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : PG c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 362

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : P. G.
Représentant : Steven R. Yormak
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 21 décembre 2020 dans le dossier GP-19-1863

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 juin 2021
Personnes présentes à l’audience : P. G., appelante (requérante)
Steven Yormak, représentant de la requérante
Date de la décision : Le 22 juillet 2021
Numéro de dossier : AD-21-103

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur en rejetant l’ensemble du témoignage de la requérante sans raison valable. J’annule la décision de la division générale et je la remplace par ma propre décision d’accorder une pension d’invalidité à la requérante.

Aperçu

[2] La requérante est une immigrante portugaise de 49 ans qui travaillait dans une usine. Elle a été mise à pied en 2009 après avoir développé des douleurs articulaires généralisées. Depuis, elle travaille périodiquement dans l’entretien ménager.

[3] La requérante a présenté une première demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en 2013. Elle affirmait qu’elle ne pouvait plus travailler en raison de la fibromyalgie, de migraines et de douleurs au dos. Elle a mentionné ces problèmes de santé lorsqu’elle a présenté une nouvelle demande en 2016, en plus de l’hypertension, du syndrome de congestion pelvienne, du stress et de la tuberculose.

[4] Le ministre a refusé les deux demandes. À son avis, la requérante n’avait pas démontré qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2011, la dernière date où elle était couverte contre l’invalidité par le RPCNote de bas de page 1 .

[5] La requérante a porté le dernier refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a rejeté son appel en décembre 2017, mais cette décision a ensuite été annulée par une de mes collègues de la division d’appel. La division générale a réexaminé l’affaire et, à la suite de deux audiences qui ont eu lieu par téléconférence en octobre et en novembre dernier, elle a rejeté l’appel de nouveau. Dans une décision rendue le 21 décembre 2020, la division générale a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que la requérante était invalide au 31 décembre 2009. Plus précisément, la division générale a conclu que le témoignage de la requérante n’était pas fiable, et elle a vu dans son dossier médical des éléments indiquant qu’elle avait été capable d’effectuer un travail véritablement rémunérateur après sa période de couverture.

[6] Le 28 mars 2021, l’avocat de la requérante, Stephen Yormak, a demandé à la division d’appel du Tribunal la permission de faire appel. Selon lui, la division générale a commis différentes erreursNote de bas de page 2 pour en arriver à sa décision, notamment :

  • la division générale a pénalisé la requérante parce qu’elle était incapable de se souvenir de détails, dont certains étaient insignifiants, remontant à plus de 10 ans;
  • la division générale n’a pas adopté une approche axée sur la recherche des faits lorsqu’elle a interrogé la requérante, mais s’est plutôt livrée à un exercice d’enquête visant à la [traduction] « prendre en défaut »;
  • la division générale a conclu que la requérante avait la capacité d’exercer un emploi véritablement rémunérateur même si le registre des gains montrait seulement un revenu faible ou nul après 2009;
  • la division générale a déduit à tort que la requérante avait une capacité de travail parce qu’elle avait tenté de travailler à temps partiel;
  • la division générale a exagéré la capacité de la requérante à communiquer en anglais, qui est extrêmement limitée selon cette dernière;
  • la division générale a tiré injustement une conclusion défavorable du fait que la requérante a demandé à son patron de la mettre à pied de son emploi à l’usine, et ce, sans tenir compte d’un élément plus important, à savoir que la douleur chronique avait poussé la requérante à faire une telle demande;
  • la division générale a fait erreur sur l’état du droitNote de bas de page 3 en niant tout lien entre la gravité des problèmes de santé de la requérante et sa capacité à gagner sa vie;
  • la division générale s’est livrée à des conjectures et a appliqué une logique obscure à quelques reprises en voyant des signes de capacité dans divers commentaires faits avec désinvolture par les personnes qui soignaient la requérante.

[7] J’ai accordé à la requérante la permission de faire appel parce que je pensais que M. Yormak avait soulevé des arguments défendables. Le mois dernier, une audience a eu lieu pour discuter en détail de ses allégations.

[8] Ainsi, je conclus que la division générale a commis deux erreurs en arrivant à sa décision. À mon avis, la réparation appropriée dans la présente affaire consiste à faire ma propre évaluation de la demande de prestations d’invalidité de la requérante et à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Par conséquent, j’annule les conclusions de la division générale et je les remplace par ma propre décision, soit celle d’accorder à la requérante une pension d’invalidité du RPC.

Question préliminaire

[9] Le 19 mai 2021, le ministre a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision que j’ai rendue le 19 avril 2021, soit celle de permettre à la requérante de faire appel. À mes yeux, il n’y avait aucune raison de retarder ou de suspendre l’instance actuelle en attendant la fin du contrôle judiciaire. J’ai donc convoqué les parties à une audience sur le fond qui a eu lieu par téléconférence le 22 juin 2021. La requérante et son avocat se sont joints à la téléconférence, mais la personne devant représenter le ministre ne l’a pas fait. Après avoir vérifié que le ministre avait reçu un avis d’audience en bonne et due forme, j’ai décidé d’aller de l’avant. Le lendemain, le Tribunal a avisé le ministre que l’audience avait eu lieuNote de bas de page 4 .

[10] Le 15 juillet 2021, le ministre a envoyé une lettre au Tribunal pour l’informer qu’il avait compris que l’instance serait suspendue en attendant l’issue du contrôle judiciaire de la Cour fédérale. Il demandait à la division d’appel de mettre l’affaire en attente pour la première fois.

[11] J’ai pris en considération la demande du ministre, mais je ne vois rien qui puisse changer ma position.

[12] Le ministre savait, ou aurait dû savoir, qu’une audience était prévue. Il a attendu longtemps après la date de l’audience pour demander la suspension de l’instance. Il n’a pas expliqué pourquoi il estimait qu’un délai supplémentaire était nécessaire dans les circonstances.

[13] Le Tribunal a émis un avis d’audience le 20 avril 2021 et n’a jamais fait de démarches pour le modifier ou l’annuler. Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi le ministre a présumé que l’instance serait automatiquement suspendue simplement parce que l’affaire était portée devant la Cour fédérale. Il est vrai que la division d’appel a déjà suspendu un appel lorsqu’une des parties a demandé le contrôle judiciaire de la décision relative à la permission de faire appel. Dans de telles circonstances, le Tribunal avise les parties de la suspension. Ici, l’absence d’un tel avis aurait dû alerter le ministre que l’affaire allait de l’avant.

[14] De plus, je ne vois pas en quoi la progression de l’appel nuit aux intérêts du ministre. Si l’appel de la requérante va de l’avant et que je le rejette sur le fond, la tentative du ministre d’invalider ma décision relative à la permission de faire appel sera sans objetNote de bas de page 5 . Par ailleurs, si l’appel va de l’avant et que je l’accueille, la tentative du ministre ne sera pas en moins bonne position au bout du compte que si je suspends l’instance. Dans les deux cas, il y a un bénéfice pour la requérante parce qu’elle n’a pas à attendre environ un an pour que la Cour fédérale fasse son travail et elle obtient une décision de la division d’appel plus rapidement.

[15] De plus, si le ministre obtient gain de cause à la Cour fédérale, ma décision d’accorder la permission de faire appel sera annulée, tout comme la présente décision sur le fond. Mais si le ministre échoue devant la Cour fédérale, il est libre de contester la présente décision.

[16] À l’audience, j’ai discuté avec M. Yormak des avantages et des inconvénients d’aller de l’avant dans cette affaire. Du point de vue de sa cliente, le principal inconvénient était le risque qu’une audience sur le fond ne serve à rien si la Cour fédérale annulait plus tard ma décision relative à la permission de faire appel. Conscient de ce risque, il a néanmoins décidé d’aller de l’avant.

[17] Il ne faut pas oublier que rien dans la loi n’oblige la division d’appel à suspendre ou à retarder une instance si une partie demande le contrôle judiciaire d’une de ses décisions. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit uniquement qu’une partie « peut présenter au Tribunal une demande de remise de l’audience ou d’ajournement en déposant celle-ci, avec motifs à l’appui, auprès du TribunalNote de bas de page 6  » [c’est moi qui met en évidence]. Cette phrase laisse entendre que la responsabilité d’établir la preuve incombe à la partie qui demande un ajournement ou un report. Elle indique également que la décision du Tribunal d’ajourner ou de reporter l’audience est discrétionnaire.

[18] Le Règlement donne aussi au Tribunal le mandat plus vaste de voir à ce que les instances se déroulent « de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 7  ». Ailleurs, le Règlement exige à plusieurs reprises que la division d’appel rende ses décisions « sans délaiNote de bas de page 8  ».

Question en litige

[19] Il y a seulement trois moyens d’appel à la division d’appel. Une requérante ou un requérant doit démontrer l’une des choses suivantes :

  1. la division générale n’a pas respecté l’équité procédurale;
  2. elle a commis une erreur de droit;
  3. elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importante Note de bas de page 9 .

[20] Mon travail consistait à vérifier si l’une ou l’autre des allégations de M. Yormak correspondait à au moins un des moyens d’appel permis et, si c’était le cas, à décider si l’une ou l’autre d’entre elles était fondée.

Analyse

[21] J’ai examiné la décision de la division générale et je suis convaincu qu’elle a commis une erreur en écartant la totalité du témoignage oral de la requérante, y compris les raisons pour lesquelles elle a quitté son dernier emploi. Comme il faut annuler la décision de la division générale pour ces seuls motifs, je ne vois pas la nécessité d’examiner les autres allégations de l’avocat de la requérante.

La division générale n’a pas examiné les raisons évidentes expliquant les lacunes du témoignage de la requérante

[22] Tout au long de sa décision, la division générale a systématiquement écarté le témoignage oral de la requéranteNote de bas de page 10 . Elle a agi ainsi parce qu’elle a jugé que la requérante avait des « trous de mémoire » et que sa mémoire était peu fiable. À mon avis, la division générale a commis une erreur en ne tenant pas compte des raisons évidentes derrière ces incohérences.

[23] Dans sa décision, la division générale a énuméré de nombreuses occasions — tant à son audience de décembre 2017 qu’à celles d’octobre et de novembre 2020 — où la requérante n’arrivait pas à se souvenir des détails de ses activités professionnelles et de son traitement médical. Par exemple, elle avait oublié :

  • si ses heures de travail ont diminué avant sa mise à pied de 2009;
  • combien d’heures elle faisait avant et après avoir réduit ses heures de travail en entretien ménager en septembre 2010;
  • si elle était revenue au travail en 2012, quand son mari a cessé de travailler;
  • si elle a demandé à une médecin de remplir un formulaire de prestations d’assurance-emploi en 2009;
  • si elle a signé un formulaire d’assurance-emploi pour déclarer qu’elle était prête et disposée à travailler et capable de le faire;
  • si elle devait chercher du travail pour pouvoir recevoir les prestations;
  • si elle a fait les exercices recommandés par le Dr Faraawi en 2006;
  • si elle a suivi une thérapie en piscine après mars 2011;
  • si elle a vu la Dre Ahluwalia, qui l’a traitée en décembre 2011;
  • quand elle avait cessé de prendre ses médicaments avant son rendez-vous avec la Dre Zorzitto en février 2012;
  • combien de temps elle a vu son naturopathe, le Dr Medeiros;
  • si elle a fait la physiothérapie que la Dre Spadotto lui a prescrite en octobre 2016;
  • les conclusions de l’évaluation de ses besoins en matière de réadaptation professionnelle.

[24] M. Yormak a décrit cette liste comme une [traduction] « compilation de manquements futiles ». Il a accusé la division générale de [traduction] « couper les cheveux en quatre ». Il a affirmé qu’il était ridicule de s’attendre à ce que quiconque se souvienne en détail d’événements qui se sont produits il y a plus d’une décennie. Selon lui, il était injuste que la division générale rejette toute une catégorie d’éléments de preuve simplement parce que la mémoire de la requérante n’était pas tout à fait parfaite.

[25] Tous ces points sont peut-être valables, mais ils ne répondent pas au critère juridique applicable. Comme je l’ai rappelé à M. Yormak à l’audience, il devait démontrer non pas que la division générale a agi de façon injuste ou déraisonnable, mais qu’elle a plutôt commis une erreur relevant d’un ou de plusieurs des trois moyens d’appel admissibles.

[26] Malgré tout, je crois aussi que la division générale a dépassé les bornes et commis une erreur lorsqu’elle a évalué la crédibilité globale de la requérante. C’était une chose de souligner la mauvaise mémoire de la requérante. C’en était une autre de laisser entendre que sa mémoire était sélective. À divers endroits, la division générale a clairement insinué que la requérante tentait intentionnellement de l’induire en erreur :

La mémoire de la requérante lui faisait souvent défaut lorsque les membres du Tribunal lui posaient des questions, mais elle avait beaucoup moins de difficulté à répondre aux questions de son représentantNote de bas de page 11 .

[…]

En revanche, aux audiences qui ont eu lieu devant moi, la requérante a répondu à des questions très précises posées par son représentant au sujet de ses problèmes de santé à la fin de 2011Note de bas de page 12 .

[…]

Les trous de mémoire de la requérante sur ces sujets font qu’il est difficile de se fier à son témoignage. Ainsi, la preuve documentaire sera particulièrement importante pour déterminer le cours des événements. Je remarque qu’elle a relevé des problèmes de mémoire dans ses deux demandes de prestations d’invalidité du RPC. Cependant, à l’audience de 2017, elle a nié avoir des problèmes de mémoireNote de bas de page 13 .

[27] La division générale semblait trouver étrange, voire suspect, que la requérante puisse se souvenir de certaines choses, mais pas d’autres. Je vois les choses autrement. Bien sûr, il est certainement frustrant de voir des témoins qui n’arrivent pas à se souvenir des détails lorsqu’on les interroge, mais est-ce là une bonne raison de rejeter l’ensemble de leur témoignage? À mon avis, une approche aussi draconienne serait justifiée seulement si la personne qui doit rendre la décision est convaincue que la ou le témoin ment ou n’a aucune crédibilité. Dans la présente affaire, la division générale n’a pas formulé une telle conclusion. Même si elle l’avait fait, rien dans le dossier ne l’aurait justifiée.

[28] En effet, il y avait deux bonnes raisons assez évidentes qui permettaient d’expliquer les trous de mémoire de la requérante, et ni l’une ni l’autre n’avait quoi que ce soit à voir avec une tentative de tromper la division générale. Premièrement, il y a le fait que la requérante a reçu un diagnostic de fibromyalgie, une maladie associée aux troubles de mémoire et de concentration. La division générale n’a pas pris en compte le problème de santé de la requérante lorsqu’elle a évalué sa crédibilité. En fait, elle a pénalisé la requérante pour le problème de santé sur lequel reposait sa demande.

[29] Deuxièmement, il y a le fait que la requérante a maintenant un avocat qui, comme de coutume, l’a préparée pour son témoignage. Comme M. Yormak l’a souligné, la requérante n’était pas représentée à sa première audience devant la division générale, mais elle l’était à la deuxième. Il n’est donc pas surprenant qu’en octobre et en novembre 2020, la requérante ait été préparée à parler des sujets susceptibles d’aider son cas, contrairement à décembre 2017. Il n’est pas non plus surprenant qu’elle ait été relativement mal préparée à répondre aux questions pointues de la division générale que ni elle ni son avocat n’avaient prévues.

[30] La division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée au sujet de la crédibilité de la requérante — une conclusion qu’elle a tirée sans tenir compte i) de l’effet du problème de santé de la requérante sur sa mémoire ou ii) du fait qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les avocates et avocats préparent leur clientèle pour toutes les questions possibles.

La division générale a mal interprété les raisons pour lesquelles la requérante a quitté son emploi à l’usine

[31] En rejetant la demande de la requérante, la division générale a accordé beaucoup d’importance aux circonstances qui ont amené la requérante à quitter son dernier emploi régulier en juillet 2009. J’estime que la discussion de la division générale sur ces circonstances est déroutante et contradictoire. Dans sa décision, la division générale a écrit :

Je juge que son employeur ne l’a pas mise à pied parce qu’elle était incapable de travailler à ce moment-là. Au lieu de cela, elle a probablement demandé à son employeur de la mettre à pied, même si ses problèmes de santé l’ont peut-être poussée à faire une telle demande. Je tire cette conclusion pour plusieurs raisonsNote de bas de page 14 .

[32] Ici, la division générale semble fonder sa décision sur une distinction sans différence. Si vous souffrez et que vous ne vous sentez plus capable de travailler, y a‑t‑il vraiment une différence importante entre le fait de démissionner et celui de demander à votre gestionnaire de vous mettre à pied? Malgré cela, la division générale fait grand cas du fait que la requérante a « admis » être à l’origine de la fin de son emploiNote de bas de page 15 .

[33] La requérante n’a jamais tenté de cacher le fait qu’elle a demandé à son patron de la mettre à pied, mais elle a toujours soutenu que son seul motif à ce moment-là était son problème de santé. Sur ce deuxième point, la division générale ne l’a pas crue. Elle ne l’a pas crue pour la même raison qui l’a poussée à rejeter l’ensemble de son témoignage : « les trous de mémoire de la requérante me mènent également à écarter son témoignage d’octobre 2020 portant sur l’époque de la mise à pied ». J’ai déjà conclu que la division générale a commis une erreur en écartant l’ensemble du témoignage oral de la requérante sans raison valable.

[34] Une autre raison pour laquelle la division générale n’a pas cru la requérante est que les dossiers médicaux remontant à la mise à pied ne mentionnaient pas son incapacité à travailler : « La preuve médicale qui précède tout juste sa mise à pied, survenue le 23 juillet 2009, date du 13 mai 2009. La preuve mentionne seulement une langue engourdie et certains problèmes rectaux. Son prochain rendez-vous en août 2009 porte seulement sur la dépressionNote de bas de page 16 . » Ce compte rendu est — à proprement parler — exact, mais il est aussi incomplet. En effet, la médecin de famille de la requérante a également mentionné la fibromyalgie dans les deux notes cliniques rédigées avant celles citées par la division générale. La médecin a également souligné que la requérante se plaignait d’une [traduction] « augmentation des douleurs au dos et aux épaules et [d’une] myalgie diffuse » en mars 2009Note de bas de page 17 .

[35] Bref, rien dans le dossier ne laissait croire que la requérante a quitté son emploi à l’usine pour quoi que ce soit d’autre que des raisons de santé. Je conclus que la division générale a fondé sa décision sur une fausse impression de la raison pour laquelle le dernier emploi régulier de la requérante a pris fin.

Réparation

Il y a trois façons potentielles de corriger les erreurs de la division générale

[36] La division d’appel a le pouvoir de corriger les erreurs commises par la division générale. J’ai le pouvoir :

  • de confirmer, d’annuler ou de modifier la décision de la division générale;
  • de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle la réexamine;
  • de rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 18 .

J’ai également le pouvoir de trancher toute question de fait ou de droit pour appliquer les mesures de réparation mentionnées ci-dessusNote de bas de page 19 .

[37] Le Tribunal doit voir à ce que l’instance se déroule aussi rapidement que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent. De plus, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la personne qui rend la décision doit tenir compte du temps écoulé pour clore une demande de pension d’invalidité. Plus de cinq ans se sont écoulés depuis que la requérante a demandé une pension d’invalidité. Si l’affaire était renvoyée à la division générale, le règlement final d’une instance qui dure depuis trop longtemps n’en serait que repoussé.

[38] À l’audience, la requérante et son avocat ont affirmé que, si je jugeais qu’une erreur avait été commise, le remplacement de la décision de la division générale par ma décision serait satisfaisant.

Le dossier est assez étoffé pour permettre de trancher l’affaire sur le fond

[39] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. La requérante a déposé de nombreux rapports médicaux auprès du Tribunal, et j’ai beaucoup d’information sur ses emplois et son historique de rémunération. J’ai accès aux enregistrements audio de deux longues audiencesNote de bas de page 20 au cours desquelles chaque membre de la division générale a interrogé la requérante au sujet de son problème de santé et de ses effets sur sa capacité de travail. Je doute que le témoignage de la requérante soit très différent si une autre audience avait lieu.

[40] Par conséquent, je suis en mesure d’évaluer la preuve dont la division générale disposait et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. À mon avis, si la division générale avait évalué le témoignage de la requérante correctement, sa conclusion aurait été différente. Ma propre évaluation du dossier me convainc que la requérante a droit à une pension d’invalidité du RPC.

La preuve médicale indique que la requérante a une invalidité grave

[41] J’ai examiné le dossier et je conclus que la requérante est invalide.

[42] Pour être déclarée invalide, la requérante doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au plus tard à la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). Une invalidité est grave si une personne est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». L’invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou [si elle doit] entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 21  ».

Les déficiences physiques de la requérante excluent tous les types de travail

[43] La requérante a un long historique de douleurs généralisées et d’autres maux. La preuve médicale disponible indique que la requérante a reçu un diagnostic de fibromyalgie dès 2006Note de bas de page 22 .

[44] J’ai examiné les notes cliniques de la Dre Parlea, la médecin de famille qui a traité la requérante au cours de la période la plus pertinente, soit de 2008 à 2012Note de bas de page 23 . Les notes, qui ont été rédigées longtemps avant que la requérante demande des prestations d’invalidité, font état d’une litanie de plaintes et de symptômes signalés pendant et après la PMA. Parmi ceux-ci, il y a la fatigue, les maux de tête, l’inconfort abdominal, les saignements rectaux ainsi que les douleurs au dos, aux épaules, aux bras, aux genoux et aux chevilles. La Dre Parlea a diagnostiqué chez la requérante une fibromyalgie, une dépression et une gastrite aiguë, et elle lui a prescrit à divers moments du Lyrica, du Cipralex, de l’amitrytiline, du Flexeril et du Cymbalta.

[45] En septembre 2010, la Dre Parlea a souligné que la requérante trouvait [traduction] « difficile de sortir du lit le matin, difficile de soulever un balai certains jours… de faire de l’entretien ménager, mais [qu’elle a] réduit ses activités en raison de douleurs constantesNote de bas de page 24 . » La division générale a considéré cette affirmation comme une preuve que la requérante avait une capacité de travail vers la fin de sa PMA, mais je suis d’un avis complètement opposé : la note montre non pas que la requérante était active, mais qu’elle tentait de le demeurer, sans grand succès. La dernière note clinique de la Dre Parlea, datée d’à peine 11 jours avant la fin de la PMA, documente de nouveau la douleur généralisée de la requérante et réitère le diagnostic de fibromyalgie.

[46] Au début de 2012, la Dre Zorzitto est devenue la principale fournisseuse de soins de santé de la requérante. Au cours des six années suivantes, ses notes cliniques font état de visites fréquentes, durant lesquelles la requérante a continué de signaler divers symptômes, notamment des douleurs pelviennes, des douleurs articulaires, une dépression et de l’anxiétéNote de bas de page 25 . La Dre Zorzitto a confirmé à plusieurs reprises la fibromyalgie de la requérante et a aussi diagnostiqué chez elle le syndrome du côlon irritable.

[47] La division générale a accordé une attention particulière à l’examen initial que la Dre Zorzitto a fait passer à la requérante en février 2012Note de bas de page 26 . Soulignant que la médecin de famille a décrit la requérante comme une [traduction] « femme qui se porte bien », la division générale a conclu qu’elle avait peu de limitations qui l’empêchaient de détenir une occupation véritablement rémunératrice peu de temps après la PMA. Voilà un autre point sur lequel je ne suis pas d’accord avec la division générale. Mon examen de la note rédigée par la Dre Zorzitto me porte fortement à croire qu’elle faisait référence à une série bien connue de tests et d’évaluations appelée « Well Woman Examination » [examen gynécologique de santé préventive]. Je soupçonne que la Dre Zorzitto ne disait pas nécessairement que la requérante se portait « bien » [well], mais qu’elle avait subi des examens mammaire et pelvien ainsi qu’un test Pap.

[48] Il est vrai que, lors de l’examen initial de février 2012, la Dre Zorzitto n’avait [traduction] « aucune préoccupation » au sujet du bien-être global et de la santé mentale de la requérante et qu’elle a affirmé que la requérante [traduction] « semble bien aller ». Toutefois, je tiens à souligner qu’il s’agissait de la première rencontre de la Dre Zorzitto avec sa patiente. Lors de visites subséquentes, la médecin a souligné que la requérante :

  • rapportait des épisodes quotidiens de douleurs abdominales aiguës et récurrentes;
  • se plaignait de douleurs aux jambes, aggravées par la marcheNote de bas de page 27 ;
  • avait de la difficulté à dormir à cause des douleurs, d’un stress financier et d’une humeur tristeNote de bas de page 28 ;
  • se disait préoccupée par les douleurs qu’elle ressentait [traduction] « dans tout le corpsNote de bas de page 29  ».

[49] La Dre Zorzitto a également rempli les questionnaires médicaux qui accompagnaient les deux demandes de prestations d’invalidité du RPC présentées par la requérante. Il est écrit dans les deux que la fibromyalgie est le principal diagnostic de la requérante. Le premier questionnaire, qui date de février 2013, précise que la requérante était incapable d’effectuer des tâches physiques répétitives en raison des douleurs et d’une fatigue excessiveNote de bas de page 30 . On peut lire sur le deuxième, qui date de mars 2016, qu’il est peu probable que la fibromyalgie de la requérante s’amélioreNote de bas de page 31 .

[50] Le diagnostic de fibromyalgie a été confirmé par deux spécialistes. En octobre 2012, la Dre Ballard, une spécialiste de la médecine physique, a affirmé que la requérante remplissait tous les critères d’un diagnostic de fibromyalgieNote de bas de page 32 . En décembre 2011, la Dre Ahluwalia a convenu que la requérante était atteinte de fibromyalgie et lui a recommandé de cesser de prendre des anti-inflammatoires, qui, selon [elle], étaient généralement inefficaces pour traiter sa maladie. Tout comme la Dre Ballard, [elle] lui a prescrit du Lyrica et lui a recommandé de faire de l’exercice régulièrementNote de bas de page 33 .

[51] La preuve médicale montre que les personnes qui ont traité la requérante ont pris ses plaintes au sérieux et s’entendaient pour dire que leur patiente était atteinte de fibromyalgie. Bien entendu, un diagnostic n’est pas en soi une preuve d’invalidité. Pour obtenir des renseignements sur les limitations fonctionnelles de la requérante, nous devons examiner d’autres éléments de preuve, y compris le témoignage de la requérante.

La parole d’une personne est parfois la principale preuve de douleurs chroniques

[52] Les tribunaux ont reconnu que le syndrome de douleur chronique et la fibromyalgie sont des maladies réelles dont l’existence et la gravité peuvent ne pas s’appuyer sur des tests objectifs. Dans une affaire intitulée MartinNote de bas de page 34 , la Cour suprême du Canada a confirmé que le syndrome de la douleur chronique et les problèmes de santé connexes peuvent être véritablement invalidants. Ainsi, elle a conclu que son exclusion générale du régime d’indemnisation des accidents du travail de la Nouvelle-Écosse portait atteinte aux droits à l’égalité appartenant au requérant et à la requérante au titre de la Charte canadienne des droits et libertés. Il est vrai que la décision Martin ne contient aucune précision sur la façon dont il faut apprécier la preuve sur les douleurs chroniques dans le cadre de l’évaluation de l’invalidité. Plus particulièrement, elle reste muette en ce qui concerne la mesure dans laquelle les juges des faits doivent ou non tenir compte des éléments de preuve subjectifs. Cependant, il semble raisonnable de faire valoir qu’une maladie dont la caractéristique déterminante est la façon dont les personnes atteintes perçoivent la douleur devrait être évaluée, du moins en partie, en tenant compte des éléments de preuve subjectifs qu’elles déposent au sujet de l’intensité de la douleur et de ses effets débilitants. Si cela est raisonnable, la question de la crédibilité de la personne qui demande des prestations prend alors une plus grande importance.

Le témoignage de la requérante était crédible et convaincant

[53] Contrairement à la division générale, je n’ai pas totalement écarté le témoignage de la requérante. J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Il est vrai que la requérante ne se souvenait pas bien des détails. Il est également vrai que, sur certains points, ce qu’elle a dit à l’audience ne correspondait pas tout à fait à certains renseignements consignés dans ses dossiers médicaux. Cependant, j’ai trouvé ces écarts compréhensibles dans certains cas et anodins dans d’autres.

[54] Comme je l’ai mentionné plus haut, la requérante n’arrivait pas à se rappeler certains détails, par exemple si elle avait réduit ses heures de travail avant sa mise à pied en juillet 2009, quand elle avait commencé et cessé de travailler dans l’entretien ménager, si elle avait coché une case dans les formulaires d’assurance-emploi pour déclarer qu’elle était prête et disposée à travailler et capable de le faire, quels médicaments elle prenait et à quel moment. Je juge qu’aucune de ces lacunes ne porte un coup fatal à la preuve de la requérante. Les événements en question se sont déroulés il y a plus d’une décennie. La requérante parle et comprend très peu l’anglais. Bon nombre de ses interactions avec les gens au travail et les médecins avaient nécessairement lieu par l’entremise d’une autre personne.

[55] La division générale a beaucoup insisté sur le fait que plusieurs des rapports médicaux indiquaient que la requérante travaillait dans l’entretien ménager à temps partiel après la PMANote de bas de page 35 . Ce que la division générale n’a pas mentionné, c’est que bon nombre de ces rapports disaient aussi qu’elle s’efforçait de travailler malgré la douleur. De plus, la requérante n’a jamais nié avoir « travaillé » après la PMA. Cependant, elle a toujours dit que ce travail était à temps partiel, irrégulier et peu rémunérateur. Dans le questionnaire de mars 2016, elle a admis travailler deux jours par mois, soit quatre heures au total, pour un revenu annuel approximatif de 2 700 $Note de bas de page 36 . À l’audience de la division générale qui a eu lieu en décembre 2017, elle a dit à peu près la même chose. Elle a déclaré qu’au cours des trois à cinq dernières années, son mari et elle gagnaient 300 $ par mois en travaillant occasionnellement dans l’entretien ménager.

[56] Ce témoignage concorde avec son registre des gains, qui montrait qu’aucun revenu n’a été déclaré après 2009Note de bas de page 37 . Comme la division générale l’a fait remarquer, cela ne veut pas dire que la requérante ne travaillait pas. Par contre, cela ne veut pas non plus dire qu’elle avait un gros revenu. La division générale n’a accordé aucune importance au fait que la requérante a maintenu qu’elle gagnait un revenu bien moindre que celui d’un emploi véritablement rémunérateur dans l’entretien ménager, et elle s’est plutôt concentrée sur les références au « travail » de la requérante dans le dossier médical. Même si elle ne l’a pas exprimé en termes clairs, la division générale semblait laisser entendre que la requérante mentait et qu’elle avait en fait gagné des sommes importantes en argent comptant en travaillant au noir.

[57] Contrairement à la division générale, je n’ai pas vu de contradiction entre ce que la requérante a dit à ses médecins et ce qu’elle a dit à la division générale. La requérante était décrite comme une [traduction] « femme de ménage » dans plusieurs rapportsNote de bas de page 38 . Selon la Dre Parlea, la requérante [traduction] « se forçait à aller travailler Note de bas de page 39 », mais elle trouvait [traduction] « difficile de soulever un balaiNote de bas de page 40  ». La Dre Zorzitto a écrit que la requérante se sentait [traduction] « bien » quand elle travaillait, mais qu’elle éprouvait des « douleurs importantes » par la suiteNote de bas de page 41 . À mon avis, rien de tout cela n’était nécessairement incompatible avec la version de la requérante voulant qu’elle était capable de faire de l’entretien ménager de temps en temps, mais seulement pour gagner un peu d’argent et avec l’aide de son mari. Il est possible de se considérer comme une femme ou un homme de ménage sans vraiment avoir la capacité de faire beaucoup de ménage.

[58] Pour ma part, j’ai jugé que la requérante était une témoin crédible qui inspire la sympathie. Elle a décrit comment elle ressent des douleurs constantes dans tout le corps. Elle a évalué leur intensité à 5 ou 6 sur 10Note de bas de page 42 . Elle a dit que les douleurs étaient aggravées par tout type d’activité intenseNote de bas de page 43 et qu’elle avait une poussée de symptômes plusieurs fois par jourNote de bas de page 44 . Je suis convaincu que de tels symptômes l’empêchent d’offrir le genre de rendement régulier et constant que les employeurs exigent.

[59] La crédibilité de la requérante est renforcée par ses antécédents de travail, qui montrent plus d’une décennie de travail véritablement rémunérateur dans plusieurs emplois depuis la fin des années 1980Note de bas de page 45 . La preuve montre que la requérante avait une présence durable sur le marché du travail jusqu’à ce que des douleurs chroniques de plus en plus fortes la privent de sa capacité à accomplir des tâches physiques sur une base régulière. On peut raisonnablement supposer qu’une personne ayant l’historique d’emplois de la requérante n’aurait pas abandonné l’idée de travailler à moins qu’il y ait vraiment une cause profonde.

La requérante n’a pas la capacité de travail nécessaire lorsqu’on considère la personne dans son intégralité

[60] L’arrêt de principe quant à l’interprétation du mot « grave » est la décision VillaniNote de bas de page 46 , qui exige que le Tribunal, lorsqu’il évalue l’invalidité, considère la personne qui demande des prestations d’invalidité comme une [traduction] « personne en entier » dans un contexte réaliste. Il ne faut pas évaluer l’employabilité de façon abstraite, mais plutôt à la lumière de [traduction] « toutes les circonstances ». Les circonstances sont classées en deux catégories :

  • les caractéristiques de la personne — les éléments comme « son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie » sont pertinents;
  • le problème de santé de la personne — il s’agit d’un vaste examen, qui exige que l’état de santé de la requérante soit évalué dans son ensemble.

[61] Je ne crois pas que la requérante ait encore quelque chose à offrir à un employeur dans le véritable marché du travail. Elle est arrivée au Canada à 16 ans et possède au mieux une compréhension limitée de l’anglais parlé. Elle ne peut ni lire ni écrire l’anglais, sauf quelques motsNote de bas de page 47 . Elle a fait l’équivalent d’une huitième année à l’école. De plus, à part quelques emplois irréguliers dans l’entretien ménager, elle a travaillé seulement dans des usines. Les compétences qu’elle a acquises en cours de route ne sont d’aucune utilité si elle est incapable de travailler derrière un bureau ou un comptoir. Il est vrai que la requérante était relativement jeune — elle avait 40 ans — la dernière fois qu’elle remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations, mais elle pouvait se recycler uniquement dans le sens le plus théorique du terme. Je ne vois pas comment la requérante aurait pu réussir dans un marché du travail concurrentiel étant donné ses déficiences physiques.

La requérante n’avait pas une capacité de travail suffisante pour trouver un autre emploi

[62] Je suis certain que la requérante est incapable de retourner travailler dans une usine ou dans tout autre emploi régulier ayant une composante physique importante. La question est de savoir si elle était encore capable d’effectuer un travail léger ou sédentaire le 31 décembre 2011.

[63] La requérante éprouve des douleurs constantes qui sont fréquemment exacerbées. On lui a recommandé d’éviter toute activité impliquant des mouvements répétitifs. Elle ne peut pas offrir un rendement régulier et fiable. Elle a de la difficulté à communiquer en anglais et ne possède aucune compétence qui est en demande. Compte tenu de ces éléments, je conclus que la requérante est effectivement inapte au travail.

[64] Selon l’affaire InclimaNote de bas de page 48 , les personnes qui demandent des prestations d’invalidité et qui ont au moins une certaine capacité de travail doivent démontrer qu’elles ont fait des efforts raisonnables pour obtenir un emploi et que ces efforts ont été infructueux pour des raisons de santé. Je conclus que la requérante n’a pas la capacité de faire de tels efforts. Il est vrai que la requérante continue d’accepter de faire de l’entretien ménager de temps en temps, mais ces emplois sont loin d’être véritablement rémunérateurs. Ses problèmes de santé, combinés à ses antécédents et à ses caractéristiques personnelles, excluent tous les types de travail non physique. Pour cette raison, je ne tirerai aucune conclusion négative du fait que la requérante n’a jamais fait de recherche d’emploi ni exploré les programmes de recyclage. Elle croit sincèrement que ces choses lui échappent, et les preuves le confirment.

La requérante a fait des démarches raisonnables pour se rétablir

[65] La douleur chronique est difficile à traiter. Le dossier montre que la requérante a globalement fait tout ce que les spécialistes qui l’ont traitée lui ont demandé, sans grande amélioration. Elle a accepté d’aller consulter divers spécialistes, dont une rhumatologue, une physiatre et un neurologue. Elle a essayé différents programmes d’exercice, y compris des cours de mise en forme aquatique. Elle a essayé divers antidouleurs et antidépresseurs, qu’elle a cependant cessé de prendre en cas d’effets secondaires ou en l’absence de résultats positifs.

La requérante a une invalidité prolongée

[66] Le témoignage de la requérante, qui est confirmé par les rapports médicaux, montre qu’elle souffre de douleurs chroniques au moins depuis 2006. Elle est réalistement inapte au travail depuis ce temps. Il est difficile de voir comment sa santé pourrait s’améliorer de façon importante, même si elle prenait de nouveaux médicaments ou suivait d’autres thérapies. À mon avis, ces éléments font que l’invalidité de la requérante est prolongée.

Conclusion

[67] Pour les motifs mentionnés ci-dessus, j’accueille l’appel parce que la division générale n’a pas tenu compte des raisons évidentes expliquant les lacunes et les divergences dans les souvenirs de la requérante. La division générale a également mal interprété les raisons pour lesquelles la requérante a quitté son emploi à l’usine.

[68] J’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre et je juge que la requérante est invalide depuis juillet 2009, le dernier mois où elle a occupé son emploi régulier. Aux termes du RPC, une personne ne peut être réputée invalide plus de 15 mois avant que le ministre reçoive la demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 49 . Dans cette affaire-ci, le ministre a reçu la deuxième demande de la requérante en mars 2016. La requérante est donc réputée invalide à compter de décembre 2014. Comme les paiements commencent quatre mois après la date réputée de l’invaliditéNote de bas de page 50 , la pension d’invalidité de la requérante sera versée à compter d’avril 2015.

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