Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 233

Numéro de dossier du Tribunal: GP-21-16

ENTRE :

K. M.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Jackie Laidlaw
Requérante représentée par : Steven Sacco
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 13 avril 2021
Date de la décision : Le 14 avril 2021

Sur cette page

Décision

[1] K. M., la requérante, a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements seront versés à compter de mai 2019. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] La requérante est une femme de 52 ans qui vit avec un trouble panique et de l’anxiété depuis toujours. De 2004 à 2007, elle était en congé de son emploi de croupière à la Société des loteries et des jeux de l’Ontario. Elle est retournée au travail, puis est repartie de façon permanente en 2017 en raison de l’anxiété et du trouble panique. Elle n’a pas pu retourner travailler depuis.

[3] La requérante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 27 avril 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande pour les raisons suivantes : elle prend le même médicament depuis 2017 et il a des effets bénéfiques, rien ne démontre qu’elle ne peut pas travailler et elle n’a pas tenté de travailler, et il n’est pas nécessaire qu’elle soit complètement rétablie. La requérante a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que la requérante doit prouver

[4] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au plus tard à la date de l’audienceNote de bas de page 1 .

[5] Le RPC définit les termes « grave » et « prolongée ». L’invalidité d’une personne est grave si elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2 . Elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 3 .

[6] La requérante doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (qu’il y a plus de chances) qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[7] Je juge que la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience. Je suis arrivée à cette décision en examinant les questions suivantes.

L’invalidité de la requérante est grave

Les limitations de la requérante nuisent bel et bien à sa capacité de travail

[8] La requérante est atteinte d’un trouble panique grave et elle fait de l’anxiété et de l’agoraphobie. Toutefois, ses diagnostics ne sont pas les éléments sur lesquels je dois me concentrerNote de bas de page 4 . Je dois surtout vérifier si des limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 5 .

[9] Je juge que la requérante a des limitations fonctionnelles. Voici les éléments que j’ai considérés.

Ce que la requérante dit au sujet de ses limitations

[10] La requérante affirme que les limitations découlant de ses problèmes de santé nuisent à sa capacité de travail des façons suivantes :

  1. Elle a respecté toutes les recommandations et a reçu des traitements supplémentaires de sa propre initiative, mais ses problèmes de santé persistent.
  2. Certains jours, elle ne quitte pas la maison, et elle est incapable de conduire depuis longtemps.
  3. Elle pensait que le travail de bureau serait moins stressant, mais elle n’avait pas les qualifications requises et elle s’est sentie dépassée lorsqu’elle a tenté de compléter son curriculum vitae (CV). Elle est accablée par tout.

Ce que la preuve médicale montre au sujet des limitations de la requérante

[11] La requérante doit produire une preuve médicale objective montrant que ses limitations nuisaient à sa capacité de travailNote de bas de page 6 . La preuve médicale confirme la version de la requérante.

[12] Le dossier comporte des notes peu claires qu’une travailleuse sociale a prises en 2018Note de bas de page 7 . À l’audience, il a été établi que les notes provenaient de consultations avec une ancienne travailleuse sociale de 2004 à 2007. La requérante a cessé de travailler à la fin de 2004 en raison de l’anxiété et du stress qui l’accablaient. Son médecin de famille, le Dr Grafham, lui a alors dit de s’absenter du travail, ce qu’il a fait de nouveau en 2017. Elle a consulté une travailleuse sociale pendant cette période. Les notes montrent qu’à l’époque, elle éprouvait des difficultés au travail en raison de ses problèmes de santé.

[13] La requérante a déclaré que quand elle a perdu ses prestations d’invalidité de longue durée en 2006, son syndicat est intervenu et lui a permis de retrouver son emploi. Elle n’était pas prête à retourner au travail. Elle avait l’impression de ne pas avoir réglé son problème d’anxiété et son trouble panique. Elle a repris le travail par crainte de problèmes financiers. Son retour au travail a été graduel, et la requérante a déclaré qu’elle s’est démenée pendant les 10 années suivantes pour conserver son emploi malgré ses problèmes de santé.

[14] Le Dr Grafham, qui connaît ses problèmes de santé, lui a redonné congé de travail en septembre 2017 pour une période d’environ quatre semainesNote de bas de page 8 . Un suivi qu’il a effectué en novembre 2017 montre que la requérante participait déjà à des séances de consultation psychologique et qu’elle avait besoin de plus de temps et de traitement avant de retourner au travailNote de bas de page 9 . Elle présentait une inquiétude extrême, ce qui engendrait de la nervosité et de la difficulté à se concentrer ou à focaliser son attention. Elle a commencé à prendre du citalopram et elle continue d’avoir une réponse partielle dont l’effet est positifNote de bas de page 10 . En janvier 2018, le Dr Grafham estimait qu’elle devait encore poursuivre ses traitements psychologiquesNote de bas de page 11 . En septembre 2018, il a écrit qu’elle avait besoin de services continus de consultation psychologique et de pharmacothérapie pour demeurer en rémission partielle et qu’elle était incapable de reprendre son dernier emploi pour une période indéfinieNote de bas de page 12 .

[15] Le rapport le plus récent rempli par le Dr Grafham est le rapport médical pour le RPC de juillet 2020Note de bas de page 13 . Il a noté qu’elle avait de la difficulté à quitter la maison et qu’elle ne pourrait pas trouver d’emploi, car elle avait peur de conduire et de confronter les autres. Il s’attendait à ce que le problème de santé persiste de la même façon pendant plus d’un an. Le Dr Grafham a écrit qu’il lui avait dit d’arrêter de travailler en 2017 et qu’il ne savait pas quand elle pourrait retourner au travail.

[16] Le ministre a fait remarquer que le citalopram avait été efficace pour la requérante et qu’elle fonctionnait mieux. Le Dr Grafham le mentionne dans son rapport. Je reconnais que le fait qu’un médicament donne certains résultats n’équivaut pas à dire que le problème de santé est gérable ou résolu.

[17] La requérante a participé à un grand nombre de séances de thérapie cognitivo-comportementale et de consultation psychologique. Depuis juin 2019, le Dr Frey la traitait dans le cadre d’une thérapie psychopédagogique individuelle à la clinique de traitement de l’anxiété Anxiety Treatment and Research ClinicNote de bas de page 14 . Il était satisfait de ses progrès et s’attendait à obtenir de bons résultats. Il ne pensait pas qu’elle était prête à retourner au travail en décembre 2019 et il a souligné qu’en continuant son traitement, la requérante verrait encore une amélioration du trouble panique. Il n’a pas émis l’opinion qu’en poursuivant ses démarches, elle pourrait retourner travailler. En fait, il ne voulait pas fournir une date approximative où elle pourrait reprendre le travail.

[18] Les séances de la requérante avec le Dr Frey ont été interrompues, car il a cessé de travailler pour des raisons personnelles. À ce moment-là, en mars 2020, elle éprouvait encore de l’anxiété et de la panique, mais à un degré moindre que lorsque les séances ont commencé.

[19] Le ministre a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que le rétablissement soit complet. Je suis d’accord. Cependant, dans ce cas-ci, la requérante n’a jamais été à 100 %. Elle a toujours présenté un trouble panique et de l’anxiété. Elle avait déjà cessé de travailler pendant trois ans en raison de ces problèmes de santé, et elle est revenue au travail avant d’être prête. Lorsqu’elle a tenté de retourner travailler, sa situation était défavorable, et son état s’est détérioré. J’accepte les avis du Dr Grafham et du spécialiste, le Dr Frey : les progrès de la requérante n’étaient pas suffisants pour qu’elle puisse reprendre le travail.

[20] En 2020, elle tâchait de compléter son CV avec Tanja Colonerus, ergothérapeute, et elle espérait retourner travailler. Grâce à l’aide du Dr Frey, elle regardait ses options d’un meilleur œilNote de bas de page 15 . Lorsque ses traitements avec le Dr Frey ont cessé, la requérante s’est rendu compte qu’elle était devenue trop dépendante de lui, et elle a fait une rechute. Le trouble panique et l’anxiété ont été exacerbés par la pandémie de COVID-19. La rédaction de son CV est devenue trop lourde et elle a perdu confiance en sa capacité de travailler ou de faire quoi que ce soit.

[21] La requérante a déclaré qu’elle sait qu’elle devait travailler sur son trouble panique et son anxiété pour pouvoir retourner au travail. Elle est terrifiée par la COVID-19, qui accroît son niveau d’anxiété et de panique. Elle sait aussi que pour reprendre le travail, nécessairement dans un milieu peu stressant, elle devra améliorer ses compétences en informatique.

[22] Le Dr Grafham a aussi fait remarquerNote de bas de page 16 qu’un emploi futur devra comporter un faible niveau de stress, écarter toute possibilité de conflit et lui permettre de travailler par elle-même sans trop interagir avec ses collègues. Je suis consciente qu’il a exprimé cet avis en même temps qu’il a déclaré ne pas savoir quand elle pourrait retourner au travail. Je reconnais que son opinion sur le type de milieu de travail dont elle aurait besoin n’équivaut pas à une opinion voulant qu’elle soit capable de retourner travailler.

[23] À l’heure actuelle, la requérante subit des évaluations à la clinique Odyssey Health ServicesNote de bas de page 17 pour le compte de la compagnie qui lui fournit une assurance-invalidité de longue durée. Elle a commencé son traitement à la clinique Odyssey en janvier 2021 et attend des nouvelles pour commencer de nouvelles séances de consultation psychologique en groupe.

[24] La requérante a suivi les avis médicauxNote de bas de page 18 . Elle a pris ses médicaments et suivi les traitements comme prescrits. Comme je l’ai mentionné plus tôt, elle a aussi suivi d’autres traitements par elle-même.

[25] La preuve montre que le trouble panique et l’anxiété de la requérante l’empêchent de retourner au travail.

La requérante est incapable de travailler dans un contexte réaliste

[26] Pour décider si la requérante peut travailler, mon analyse ne peut pas s’arrêter à ses problèmes de santé et à leur incidence sur ses capacités. Je dois aussi tenir compte de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents de travail et de son expérience de vieNote de bas de page 19 . Ces éléments m’aident à décider si la requérante possède la capacité de travailler dans le monde réel.

[27] Je juge que la requérante ne peut pas travailler dans un contexte réaliste. Elle a 52 ans et a fait des études secondaires. Elle a suivi une formation en administration des affaires pendant un an vers la fin de sa vingtaine, mais le collège a fait faillite avant qu’elle puisse terminer ses cours. Elle a démontré qu’elle peut se recycler, car elle a gravi les échelons au casino. Elle a commencé comme serveuse, puis est devenue croupière avant de devenir superviseure ou gestionnaire. Ses études et ses compétences transférables ne l’empêcheraient pas de travailler. Par contre, elle est actuellement incapable de travailler en raison d’un trouble panique qui perdure depuis longtemps ainsi que de l’anxiété et de l’agoraphobie.

[28] Elle a déjà démontré qu’elle ne peut pas occuper son emploi habituel de croupière et de superviseure au casino. Je reconnais également que les propos des Drs Grafham et Frey ne portent pas seulement sur sa capacité à reprendre son emploi habituel, mais sur n’importe quel emploi.

[29] Je conclus que la requérante était atteinte d’une invalidité grave au plus tard à la date de l’audience.

L’invalidité de la requérante est prolongée

[30] Le problème de santé de la requérante est apparu tôt dans sa vie. Il s’est poursuivi et se poursuivra probablement indéfinimentNote de bas de page 20 .

[31] Elle a déclaré que la panique et l’anxiété qu’elle éprouvait à l’école secondaire l’ont poussée à abandonner ses études après la 12e année. À cette époque, elle avait peur de quitter la maison. Elle a démontré que les mêmes problèmes de santé l’ont obligée à cesser de travailler pendant trois ans, c’est-à-dire de 2004 à 2007. Par la suite, elle a cessé de travailler définitivement en 2017.

[32] Elle a reçu un diagnostic de trouble panique et d’agoraphobie à l’âge de 19 ansNote de bas de page 21 . Chaque médecin qui l’a traitée a fait état du même diagnostic, malgré les nombreux traitements qu’elle a suivis.

[33] L’invalidité de la requérante doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie. Je conclus que son invalidité était prolongée à la date de l’audience.

Début des versements

[34] La requérante avait une invalidité grave et prolongée en septembre 2017, lorsqu’elle a cessé de travailler pour la deuxième fois. Toutefois, le RPC prévoit qu’une personne peut être réputée invalide au plus 15 mois avant la réception de sa demande de prestations d’invalidité par le ministre. Il y a ensuite un délai d’attente de 4 mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 22 . Le ministre a reçu la demande de la requérante en avril 2020. Ainsi, on considère qu’elle est devenue invalide en janvier 2019. Le versement de sa pension commence en mai 2019.

Conclusion

[35] Je conclus que la requérante a droit à une pension d’invalidité du RPC, car elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

[36] L’appel est accueilli.

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