Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : La succession de TS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 358

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1860

ENTRE :

La succession de T. S

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Carol Wilton
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 30 octobre 2020
Date de la décision : Le 19 janvier 2021

Sur cette page

Décision

[1] La succession de T. S. n’a pas droit à une plus grande rétroactivité de la pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), fondée sur l’incapacité. 

Aperçu

[2] T. S. (le défunt) a présenté une première demande de prestations d’invalidité du RPC en septembre 2002, à l’âge de 47 ans. Il a déclaré qu’il était incapable de travailler depuis avril 2002 en raison d’une dépression, de stress, de nervosité et d’un abus d’alcool. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande au stade initial. Il n’y a pas eu de demande de révision.

[3] En janvier 2007, le tuteur et curateur public est devenu le tuteur légal aux biensNote de bas de page 1. En 2009 et en 2012, le tuteur et curateur public a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC au nom du défunt. Les deux fois, le ministre a rejeté la demande au stade initial parce qu’il n’y avait pas de renseignements médicaux permettant d’appuyer une demande de prestations d’invalidité. Il n’y a pas eu de demande de révision.

[4] Le 15 décembre 2017, le tuteur et curateur public a présenté la présente demande au nom du défunt. Le ministre a rejeté la demande au stade initial, encore une fois parce qu’il n’y avait pas de renseignements médicaux. Le défunt est décédé le 30 janvier 2018. En juillet 2018, son épouse, R. S., qui était séparée du défunt depuis de nombreuses années, a obtenu un certificat de nomination à titre de fiduciaire de la succession testamentaireNote de bas de page 2. Compte tenu des renseignements médicaux qu’elle a fournis, le ministre a initialement accordé des prestations d’invalidité du RPC à la succession avec une rétroactivité maximale, soit jusqu’en septembre 2016. Les versements ont commencé en janvier 2017Note de bas de page 3. Le ministre a maintenu sa décision après révision. 

[5] R. S., la représentante de la succession, a fait appel de la décision de révision auprès du Tribunal de la sécurité sociale. Elle affirmait que le défunt n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du RPC avant de présenter sa demande en décembre 2017.

[6] Le ministre a soutenu que la preuve présentée au Tribunal ne démontrait pas que le défunt répondait à la définition d’incapacité au sens du RPC.

Questions en litige

[7] Le défunt était-il incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du RPC de novembre 2006Note de bas de page 4 à décembre 2017?

[8] Si oui, quand son incapacité a-t-elle commencé?

Critère relatif à l’incapacité

[9] Pour satisfaire au critère relatif à l’incapacité, la succession doit établir qu’il est plus probable qu’improbable que le défunt n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations avant la date à laquelle la demande a été réellement faiteNote de bas de page 5.

[10] Si j’estime que le défunt était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations d’invalidité du RPC pendant une période précédant sa demande présentée en décembre 2017, je peux juger que la demande a été présentée au cours du mois où sa période d’incapacité a commencéNote de bas de page 6

[11] La période d’incapacité doit être continueNote de bas de page 7.

[12] La période d’incapacité invoquée, selon le témoignage de R. S., a commencé en 2007. C’est à ce moment-là que le tuteur et curateur public est devenu le tuteur légal des biens du défunt. La période d’incapacité invoquée a pris fin le 15 décembre 2017, lorsque le ministre a reçu la demande de prestations d’invalidité du RPC au nom du défunt.

Analyse

La preuve

[13] R. S. a représenté la succession à l’audience. Elle a déclaré avoir épousé le défunt en 1976. En 1997, ils ont déménagé de X à X. Même s’ils se sont séparés en 2001, elle est toujours restée en contact avec le défunt. Cela a été le cas même après que le défunt soit retourné vivre à X, sa ville natale, en 2005Note de bas de page 8.

[14] En 2007 et par la suite, R. S. partait de Toronto pour rendre visite au défunt environ une fois par moisNote de bas de page 9. Le défunt vivait dans un grand établissement résidentiel situé à X, appelé X. Cet établissement lui fournissait des repas et un service de blanchisserie. Lors de ses visites, R. S. logeait à l’hôtel ou chez sa nièce. Elle achetait de la nourriture et des vêtements pour le défunt. Le tuteur et curateur public payait ses dépenses et ses achats au nom du défunt. Lorsqu’elle était à X, elle ne pouvait pas appeler le défunt, car il n’avait pas de téléphone. Cependant, elle appelait X et communiquait avec le cabinet médical. Si elle ne pouvait pas rendre visite au défunt, elle s’assurait qu’un proche habitant la région le fasse. Les dossiers médicaux de janvier 2018 montrent qu’elle a rendu visite au défunt à l’hôpital à plusieurs reprises au cours du dernier mois de la vie du défunt. Elle a également consulté le personnel de l’hôpital au sujet des soins à lui prodiguerNote de bas de page 10. Elle avait donc une certaine connaissance de l’état de santé du défunt.

[15] Le dossier d’appel contient les dossiers médicaux du défunt de 1994 et de 2001 à 2002Note de bas de page 11, de la correspondance de son employeur pour la période de 2002 à 2004Note de bas de page 12 et d’autres dossiers médicaux pour la période de 2005 à 2006Note de bas de page 13. Les dossiers médicaux contiennent peu de renseignements pour la période de 2006 à janvier 2018. Comme le montrent les pages suivantes, cette lacune semble être attribuable au fait que le défunt a rarement consulté son médecin au cours de ces années-là. De plus, il n’a manifestement pas eu besoin d’être hospitalisé pour des problèmes liés à la consommation d’alcool ou pour d’autres raisons de 2006 à 2018.

[16] Le dossier d’appel contient de nombreux éléments de preuve médicale datant de janvier 2018. Le 1er janvier 2018, le défunt s’est rendu à l’hôpital en raison d’une fracture à la jambe. La fracture avait été causée par un cancer qui s’était propagé à partir de ses poumons. Il est retourné à X le 17 janvier après qu’une tige ait été insérée dans son fémurNote de bas de page 14. Le 19 janvier 2018, le personnel de X l’a trouvé sur le sol, froid au toucher et trempé d’urine. Il est retourné à l’hôpital en raison d’une artère bouchée et de problèmes rénauxNote de bas de page 15. Il est décédé moins de deux semaines plus tard, le 30 janvier, à l’âge de 62 ans.

La preuve ne démontre pas que le défunt n’avait pas de capacité au sens du RPC

[17] En octobre 2019, le ministre a accepté que les problèmes de santé du défunt et les déficiences qui en découlaient l’avaient empêché de travailler pendant sa période minimale d’admissibilité qui s’est terminée en décembre 2004Note de bas de page 16. L’incapacité à travailler du défunt depuis cette période n’est pas en cause.

Antécédents médicaux du défunt

[18] La preuve médicale montre que le défunt était atteint d’alcoolisme chronique et de troubles cognitifs légersNote de bas de page 17. Son dossier médical des années 1990 révèle des antécédents de consommation excessive d’alcool et de traitement intermittentNote de bas de page 18. À partir d’août 2005, il a passé cinq semaines à l’hôpital X à la suite d’une crise d’épilepsie liée à l’alcool. Pendant les 36 premières heures, il a fallu lui administrer une forte sédation intraveineuse pour qu’il reste calme. Le diagnostic provisoire était un delirium tremens grave. Il a été sevré très lentement des tranquillisants (benzodiazépines) avant de sortir de l’hôpitalNote de bas de page 19.

[19] En octobre 2006, le personnel de l’hôpital X a interné le défunt sur une base involontaire parce qu’il était incapable de s’occuper de lui-même. Un psychiatre d’Ottawa a effectué une évaluation d’aptitude. Les médecins ont communiqué avec le tuteur et curateur public parce qu’il ne pouvait pas gérer ses affaires financières. Un médecin qui l’a examiné environ deux semaines après son admission a trouvé son processus de pensée généralement lucide et cohérent. Il y avait une légère désorganisation et un manque de concentration par moments. Il avait quelques problèmes de mémoire et de concentration. Il n’y avait pas d’anomalies de perception ou de psychoseNote de bas de page 20.

[20] Rien ne prouve que le défunt a été hospitalisé après 2006. Le rapport d’admission du 1er janvier 2018 à l’hôpital X mentionnait que son dernier congé de soins remontait à novembre 2006Note de bas de page 21.

[21] Pour prouver l’incapacité du défunt, R. S. a déclaré ce qui suit :

  • Il volait de l’alcool et était mis en prison pour avoir dormi dans le parc.
  • Il ne voulait jamais aller à l’hôpital. Vers 2016, les membres de sa famille l’ont emmené deux fois à l’hôpital pour des douleurs aux jambes, mais les deux fois, il est parti avant d’être soigné.
  • Le défunt avait une barbe qui lui arrivait à la taille. Il avait perdu toutes ses dents. Il était réticent à prendre une douche, bien que parfois le personnel de x le forçait à se laver.

[22] En revanche, R. S. a témoigné que le défunt disposait à tout moment d’un compte bancaire dans lequel le tuteur et curateur public plaçait de l’argent. Il effectuait fréquemment des retraits à partir de ce compte. Il pouvait aller à X et en sortir comme bon lui semblait. Au fil des ans, il a eu des jours où il était cohérent. Ces activités ne démontrent pas qu’il a manqué de capacité de manière continue au sens du RPC.

[23] De plus, le manque d’éléments de preuve médicale de 2006 à 2018 signifie qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour que je puisse établir que l’incapacité du défunt était continue pendant toute cette période. En outre, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer les périodes pendant lesquelles il aurait pu avoir ou non une capacité.

La situation du défunt en janvier 2018

[24] Le fait qu’à partir de janvier 2007, le défunt ait été pris en charge par le tuteur et curateur public ne constitue pas une preuve concluante d’une incapacité. Comme il a été dit précédemment, le RPC exige qu’une personne soit incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du RPC. Comme l’ont déclaré les tribunaux, les dispositions du RPC sont « précis[es] et concis[es]Note de bas de page 22 ». Les tribunaux nous disent également que l’intention de demander des prestations n’est pas différente de la capacité de former une intention à l’égard d’autres choix. En outre, les activités d’une personne décédée pendant une période d’incapacité déclarée peuvent être pertinentes pour déterminer son état de capacitéNote de bas de page 23.  

[25] Comme l’a fait valoir le ministre, au cours du dernier mois de sa vie, le défunt s’est livré à un certain nombre d’activités qui révélaient une capacité. Le 1er janvier 2018, il a signé un consentement éclairé pour sa chirurgie à la jambeNote de bas de page 24. Le 2 janvier 2018, il a signé un formulaire de refus de traitement avec une attelle à la jambe droiteNote de bas de page 25. Les professionnels de la santé ont accepté son refus de recevoir une transfusion ou d’utiliser un cathéterNote de bas de page 26. Le personnel hospitalier a parfois noté un [traduction] « retard cognitif », mais il était capable de suivre des instructions et de répondre à des questionsNote de bas de page 27. Ces activités donnent à penser que, à peine deux semaines après que le ministre a reçu sa demande d’invalidité du RPC, le défunt ne présentait pas d’incapacité au sens du RPC, et ce, malgré le fait qu’il était très proche de la mort.

[26] Dans le cadre du présent appel, R. S. s’est appuyée sur le testament que le défunt a signé le 13 janvier 2018Note de bas de page 28. Comme l’a fait valoir le ministre, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a confirmé la validité de ce document en remettant à R. S. un certificat de nomination à titre de fiduciaire de la succession testamentaire. Cela signifie que la Cour a certifié que le testament était légitime et exécutoire. Cela crée une présomption selon laquelle le défunt avait une capacité testamentaire lorsqu’il a signé le testament, c’est-à-dire qu’il connaissait l’étendue de ses biens et les personnes qui auraient des droits sur ceux-ci après son décès.

[27] Il semble anormal que R. S. s’appuie sur un testament signé par quelqu’un qui, selon elle, n’avait pas la capacité requise pendant plus de dix ans avant la date à laquelle il a signé le testament. Lors de l’audience, elle a affirmé que le défunt n’avait pas bu pendant près de deux semaines, car il avait été hospitalisé. Elle a déclaré qu’il avait donc recouvré sa capacité au moment où il a signé le testament. 

[28] Il n’existe aucune preuve médicale pour soutenir la position de R. S. selon laquelle plus d’une décennie d’incapacité prétendue peut être inversée par 13 jours sans alcool. De plus, bien que le défunt ait été soumis à des protocoles de sevrage d’alcool le 2 janvier 2018, le lendemain, il avait des résultats quasi normaux sur une échelle d’évaluation du sevrage d’alcoolNote de bas de page 29. Ses symptômes liés à l’alcool en 2018 étaient très différents de ceux de 2005, lorsqu’il a passé cinq semaines à l’hôpital pour se remettre d’une crise d’épilepsie apparemment liée à l’alcool. Il est raisonnable de conclure que s’il avait une capacité testamentaire le 13 janvier 2018, il avait probablement la même capacité pendant un certain temps avant cela. Cela comprendrait une certaine période avant la mi-décembre 2017, moment où la demande finale de RPC a été présentée.

Déclaration d’incapacité

[29] En novembre 2019, R. S. a soumis une déclaration d’incapacité signée par le Dr Brian Baxter en juin 2019Note de bas de page 30. L’incapacité s’explique par l’alcoolisme et l’encéphalopathie (une maladie affectant le cerveau). La déclaration précise que la période d’incapacité du défunt a commencé en novembre 2006 et s’est terminée le 30 janvier 2018 (date du décès). Elle indiquait également que le Dr Baxter ne traitait pas le défunt au moment de son décès.

[30] Le Dr Baxter n’a fourni aucun dossier médical à l’appui de sa déclaration d’incapacité. R. S. a déclaré que le Dr Baxter était le médecin à X. Elle savait qu’il avait traité le défunt à quelques reprises lorsqu’il avait eu des crises d’épilepsie. Par contre, elle ne savait pas si le Dr Baxter avait traité le défunt à d’autres occasions après 2006Note de bas de page 31. J’accorde peu de poids à la déclaration du Dr Baxter en raison de l’absence d’éléments de preuve médicale à l’appui. En outre, il n’y a aucune preuve de l’étendue des contacts du Dr Baxter avec le défunt de 2006 à 2018.

Mes conclusions

[31] Les éléments de preuve ne démontrent pas qu’il est plus probable qu’improbable que le défunt n’avait pas la capacité, au sens du RPC, de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du RPC de novembre 2006 au 15 décembre 2017.

Conclusion

[32] L’appel est rejeté.

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