Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : VM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 394

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-495

ENTRE :

V. M.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Date de l’audience par
vidéoconférence :
Le 16 mars 2021
Date de la décision : Le 26 mars 2021

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Décision

[1] Le ministre avait le droit de mettre fin au paiement de la pension d’invalidité de la requérante au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de novembre 2010.

Aperçu

[2] La requérante est née en Inde. Elle est arrivée au Canada en avril 2005. Elle a travaillé comme spécialiste de la comptabilité. En décembre 2007, elle a cessé de travailler en raison de complications d’une méningite. Ses complications comprenaient une déficience visuelle, la tuberculose, la sacroiliite (inflammation de l’articulation sacro-iliaque), le lymphœdème (gonflement des bras et des jambes), de l’apnée du sommeil, une dépression et la maladie de CrohnNote de bas de page 1.

[3] En avril 2010, le ministre lui a accordé une pension d’invalidité du RPC. Les paiements commençaient en mai 2008Note de bas de page 2. En avril 2018, le ministre a réévalué la demande d’invalidité de la requérante. Il a jugé qu’elle avait cessé d’être invalide au sens du RPC en octobre 2010. Il a également jugé qu’elle avait reçu un montant excédentaire de 44 144,40 $Note de bas de page 3. Cela s’explique par le fait que la requérante était retournée au travail en juillet 2010 et avait touché une rémunération jusqu’en mars 2016.

[4] Le ministre a rejeté la demande de révision de la requérante. La requérante a fait appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[5] Le fait que la requérante a touché une rémunération provenant d’un emploi à partir de juillet 2010 prouve-t-il qu’elle est redevenue régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice?

Analyse

[6] Pour répondre aux conditions requises, une invalidité doit être grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 4.

[7] Pour mettre fin à une pension d’invalidité, le ministre doit établir qu’il est plus probable qu’improbable que la partie requérante a cessé d’être invalide. Une pension d’invalidité cesse d’être payable le mois où la partie requérante cesse d’être invalideNote de bas de page 5.

[8] Le ministre s’appuie sur la rémunération touchée par la requérante de 2010 à 2016 pour établir que, malgré son état de santé, elle était redevenue régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[9] Par contre, la requérante déclare qu’elle n’a pas été capable de travailler de façon constante et continue en raison de son état de santéNote de bas de page 6. À l’audience, elle a décrit ses nombreux problèmes de santé invalidants. Elle a déclaré que son état s’est progressivement aggravé après avoir obtenu une pension d’invalidité du RPC en avril 2010. Elle n’a pas avisé le personnel du RPC de sa rémunération parce qu’elle pensait que la pension d’invalidité du RPC lui était accordée en raison de sa déficience visuelle.

[10] Elle a témoigné qu’elle était atteinte de nombreuses affections qui ne cessaient de [traduction] « s’ajouter les unes aux autres ». Elle est maintenant complètement voûtée, a perdu la vue, est alitée en raison de douleurs intenses et constantes, et l’usage de ses mains est sévèrement limité.

[11] Le mari de la requérante, S., a déclaré que la requérante avait essayé de travailler malgré la douleur. Elle revenait souvent à la maison avec des douleurs au milieu de la journée. Il l’a vue avoir du mal à monter les escaliers à l’un de ses emplois. En effet, il n’y avait pas d’ascenseur ou d’autres mesures d’adaptation pour elle, afin qu’elle puisse monter au deuxième étage. L’ophtalmologue de la requérante lui a dit de ne pas travailler juste avant que sa demande de pension d’invalidité du RPC soit approuvée.

Situation d’emploi de la requérante après qu’elle ait obtenu une pension d’invalidité du RPC en avril 2010

[12] Je vais présenter ci-dessous, en ordre chronologique, les éléments de preuve de la requérante concernant les détails de sa situation d’emploi de juillet 2010 à mars 2016 :

De juillet 2010 à août 2011

  • En juillet 2010, la requérante est retournée travailler comme spécialiste de la comptabilité pour son ancien employeur. Son employeur a pris des mesures d’adaptation pour sa déficience visuelle en utilisant Zoom Tech (un logiciel qui augmente la taille du texte sur son ordinateur) et le logiciel Kurzweil (un programme audio de synthèse vocale). Au départ, son mari la conduisait au bureau et revenait la chercher, puis elle a utilisé Trans Help (un service public pour les personnes en situation de handicap).
  • Elle a manqué beaucoup d’heures de travail en raison de poussées. Elle a déclaré qu’en moyenne, elle quittait le travail plus tôt de trois à cinq jours par mois. De plus, elle manquait environ deux jours de travail par mois. Son gestionnaire était au courant de son état de santé. Son employeur n’a soulevé aucun problème, même si la requérante était beaucoup moins productive qu’auparavant. Elle a cessé de travailler en août 2011 parce que l’entreprise a fermé ses portes. Tout le monde a été mis à pied. Elle travaillait 37,5 heures par semaine pour un salaire hebdomadaire de 689 $. Elle a gagné 14 473 $ en 2010 et 25 825 $ en 2011.

D’août 2011 à avril 2013

    • La requérante n’a pas travaillé pendant cette période. Elle a déclaré qu’elle était [traduction] « épuisée » et que ses médicaments causaient de graves effets secondaires.

D’avril 2013 à décembre 2013

  • En avril 2013, la requérante a commencé à travailler en tant que coordinatrice des ventes. Elle a trouvé cet emploi par l’intermédiaire de l’Institut national canadien pour les aveugles. Elle travaillait à domicile 15 heures par semaine. Elle assurait la coordination de la distribution de produits pour une entreprise de transport routier. Elle avait un horaire flexible et était en mesure de modifier ses heures de travail. Malgré cette flexibilité, il lui arrivait parfois de ne pas pouvoir se connecter pour travailler en raison de problèmes de santé. Elle a cessé de travailler en décembre 2013, car le travail était saisonnier - il n’y avait pas de chargements l’été. Elle gagnait 15 $ l’heure. Sa rémunération totale en 2013 était de 8 325 $.

Mars 2014

  • En mars 2014, la requérante a travaillé pendant moins d’un mois dans un centre d’appels pour des partis politiques. Elle a dû cesser de travailler parce qu’il n’y avait pas de mesures d’adaptation. Elle devait monter des escaliers pour se rendre au deuxième étage, devait s’asseoir sur une chaise pliante et n’avait aucune mesure d’adaptation pour son ordinateur. Elle gagnait 11,40 $ l’heure. Sa rémunération totale était de 463 $.

Mai 2014 à mai 2015

  • En mai 2014, la requérante a commencé à travailler comme agente de traitement des demandes. Elle a fait part de ses limitations à son employeur lors de son embauche. Elle travaillait à temps plein, mais manquait beaucoup de travail à cause de la douleur. Elle pouvait utiliser un ascenseur pour se rendre au bureau. L’entreprise n’a pas fourni de mesures d’adaptation. Elle utilisait son propre logiciel Zoom Tech sur l’ordinateur. Elle a déclaré avoir cessé de travailler en mai 2015 parce qu’elle [traduction] « n’en pouvait plus ». Elle travaillait 37,5 heures par semaine et gagnait 12,85 $ l’heure. Elle a gagné 15 920 $ en 2014 et 9 090 $ en 2015.

Mai 2015 à mars 2016

  • En mai 2015, elle a commencé à travailler pour une banque en tant qu’agente de liaison avec la clientèle. La banque l’a aidée en lui fournissant une chaise ergonomique et un écran d’ordinateur plus grand. Elle utilisait Trans Help pour se rendre au bureau et retourner à la maison, mais cela signifiait qu’elle ne pouvait pas partir tôt, car l’heure à laquelle on venait la chercher était fixe. Son gestionnaire l’a aidée en lui attribuant une table plus proche de l’ascenseur et des toilettes. Elle a avisé la banque de ces limitations lorsqu’elle a été embauchée. Au début, elle n’avait pas de problèmes importants. Toutefois, son état de santé s’est aggravé au fil du temps. Elle ne pouvait ni s’asseoir ni marcher. Ses mains ont enflé. Son incontinence est devenue grave. Elle a cessé de travailler en mars 2016, car elle ne pouvait plus continuer à travailler. Elle n’a pas travaillé depuis. Elle travaillait 37,5 heures par semaine et gagnait 17,89 $ l’heure. Elle a gagné 24 209 $ en 2015 et 24 402 $ en 2016. Elle reçoit maintenant des prestations d’invalidité de longue durée de l’assurance invalidité offerte par la banque.

Mes conclusions

[13] La Cour d’appel fédérale enseigne que la question clé d’un appel portant sur une pension d’invalidité n’est pas la nature ou le nom d’un problème de santé, mais l’effet fonctionnel de ce problème sur la capacité de travail de la partie requéranteNote de bas de page 7. Le critère permettant d’évaluer si une invalidité est « grave » ne consiste pas à décider si la partie requérante est atteinte de graves affections, mais plutôt à décider si son invalidité l’empêche de « gagner sa vie ».Note de bas de page 8 La capacité à travailler de la requérante, et non le diagnostic de sa maladie, détermine la gravité de son invalidité au titre du RPCNote de bas de page 9.

[14] Puisque le ministre a mis fin à la pension d’invalidité de la requérante en novembre 2010, je dois me concentrer sur sa capacité de travail à la fin d’octobre 2010.

[15] Dans son questionnaire de réévaluation de l’invalidité d’août 2017, la requérante a déclaré que son état de santé s’était amélioré en juin 2010 et qu’il avait commencé à s’aggraver en 2012Note de bas de page 10. Bien qu’elle ait continué à avoir de nombreuses conditions graves, elle a été en mesure de retourner travailler pour l’employeur pour lequel elle travaillait avant son invalidité en juillet 2010. Elle a continué à travailler pour cet employeur jusqu’en août 2011, lorsque l’entreprise a fermé ses portes. Elle a touché des prestations régulières d’assurance-emploi du 1er avril 2012 au 1er février 2013Note de bas de page 11. Pour toucher des prestations régulières d’assurance-emploi, elle devait déclarer qu’elle était prête, disposée et apte à travailler. À partir d’avril 2013, elle a travaillé pour différents employeurs jusqu’en mars 2016, moment où elle a cessé de travailler en raison de la détérioration de son état de santé.

[16] Elle a gagné des montants véritablement rémunérateurs en 2010 et en 2011 et de 2014 à 2016Note de bas de page 12. Sa rémunération et les montants véritablement rémunérateurs applicables sont inscrits dans le tableau suivantNote de bas de page 13 :

Année Revenu déclaré Revenu véritablement rémunérateur
2010 14 473 $ (pour six mois, de juillet à décembre) 13 521 $
2011 25 825 $ 13 840 $
2013 8 325 $ 14 554 $
2014 16 473 $ (trois employeurs) 14 836 $
2015 33 299 $ (deux employeurs) 15 175 $
2016 24 402 $ 15 489 $

[17] À la fin du mois d’octobre 2010, la requérante était retournée travailler pendant plus de trois mois pour l’employeur qui l’employait avant son invalidité. Son employeur lui a accordé des mesures d’adaptation en lui fournissant des logiciels à cause de sa perte de vision. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que son employeur était un employeur bienveillant. Je dois tenir compte de facteurs, notamment si :

  • son travail était productif;
  • son employeur était satisfait de son rendement au travail;
  • le travail attendu d’elle était nettement inférieur à celui attendu des autres employés;
  • elle a bénéficié de mesures d’adaptation qui allaient au-delà de ce qui était exigé d’un employeur sur un marché concurrentiel;
  • elle a connu des difficultés à cause de ces mesures d’adaptationNote de bas de page 14.

[18] Fournir des logiciels à une employée malvoyante ne va pas au-delà de ce qui est exigé d’un employeur sur un marché concurrentiel. Il n’y a aucune preuve selon laquelle la requérante n’a pas fourni la valeur marchande de ses services par rapport aux autres employés occupant le même poste. Même si elle n’était pas aussi productive qu’auparavant, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas fourni de valeur marchande pour ses services. Rien ne laisse entendre qu’elle [traduction] « n’en donnait pas pour son argent » à son employeur. Il est important de noter qu’elle a continué à travailler pendant plus d’un an pour l’employeur qui l’employait avant son invalidité. Elle n’a cessé de travailler que dans le cadre d’une mise à pied générale parce que l’employeur avait fermé son entreprise, et non en raison de son état de santéNote de bas de page 15.

[19] Bien que son état de santé se soit aggravé en 2012Note de bas de page 16, elle était capable de travailler à temps partiel en avril 2013. De mai 2014 à mars 2016, elle a été capable de travailler à temps plein pour deux employeurs différents. Bien que ces employeurs lui aient fourni certaines mesures d’adaptation, rien ne permet de penser qu’ils étaient mécontents de son rendement ou que les mesures d’adaptation fournies leur ont causé des difficultés.

[20] J’estime que le ministre a établi qu’il est plus probable qu’improbable que la requérante a cessé d’être invalide à la fin d’octobre 2010. Le ministre avait le droit de mettre fin à la pension d’invalidité de la requérante à compter de novembre 2010.

[21] J’éprouve de la sympathie envers la requérante. Elle a dû faire face à de nombreux problèmes de santé graves à un âge précoce. Selon la preuve médicale, il semblerait qu’elle soit gravement invalide depuis au moins mars 2016, soit la dernière fois qu’elle a travaillé. Malheureusement, elle doit maintenant rembourser environ 44 000 $. Cependant, je suis lié par les dispositions du RPC. Je n’ai pas le pouvoir de déroger aux dispositions du RPC ni de rendre une décision fondée sur l’équité, la compassion ou des circonstances atténuantes.

Prochaines étapes possibles pour la requérante

[22] Ma décision ne concerne que la fin du droit de la requérante à la pension d’invalidité du RPC par le ministre à compter de novembre 2010. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si elle est redevenue invalide par la suite. Elle peut choisir de présenter une nouvelle demande de pension d’invalidité du RPC.

[23] Elle peut également choisir de demander au ministre l’annulation de la totalité ou d’une partie du montant dû au titre de l’article 66(3) du RPC.

Conclusion

[24] L’appel est rejeté.

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