Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 236

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-1698

ENTRE :

M. P.

Requérant (appelant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre (intimé)


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Pierre Vanderhout
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 15 mars 2021
Date de la décision : Le 8 avril 2021

Sur cette page

Décision

[1] Le requérant, M. P., a droit une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en avril 2019. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] Le requérant a 47 ans. Il a cessé de travailler comme carrossier automobile chez X le 20 mai 2016, après 15 ans d’emploi stable au même endroit. Il n’a pas travaillé depuis. Il affirme qu’il est incapable de travailler en raison de douleurs au dos, de l’anxiété et de la dépression. Il a affirmé que ses nombreuses années de travail exigeant sur le plan physique ont eu raison de son corps. Aussi, son incapacité de travailler a entraîné des problèmes de santé mentaleNote de bas de page 1.

[3] La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 17 mars 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande parce qu’il croyait que le requérant pouvait faire un autre type de travail. Le ministre était d’avis que le requérant s’en sortait bien avec ses problèmes de santé, et n’a pas trouvé la preuve objective (comme l’imagerie médicale) convaincante. Le requérant a fait appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que le requérant doit prouver

[4] Pour que le requérant ait gain de cause, il doit prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2018 ou avant. Cette date est calculée en fonction de ses cotisations au RPCNote de bas de page 2.

[5] Le RPC définit les termes « grave » et « prolongée ». Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 4.

Question préliminaire

[6] En raison d’une erreur de traitement au Tribunal, la lettre du Dr Baxter du 10 février 2021Note de bas de page 5 n’était pas au dossier lors de l’audience. Le requérant a porté cette lettre à mon attention lors de l’audience. J’ai décidé d’admettre dans la preuve cette lettre en raison de sa pertinence potentielle. Toutefois, j’ai donné un ministre jusqu’au 31 mars 2021 pour faire des observations sur cette lettre. Le ministre a déposé ses observations le 31 mars 2021Note de bas de page 6.

Motifs de ma décision

[7] Je conclus que le requérant avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2018. J’ai tiré cette conclusion après avoir analysé les questions suivantes.

L’invalidité du requérant est grave

Les limitations fonctionnelles du requérant nuisent à sa capacité de travailler

[8] Le requérant a des maux de dos mécaniques et une discopathie dégénérative. Il est aussi atteint de dépression et d’anxiété. Toutefois, je ne me concentre pas sur les diagnostics du requérantNote de bas de page 7. Je dois plutôt établir si des limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 8. Dans cette optique, je dois tenir compte de tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité à travaillerNote de bas de page 9.

[9] J’estime que la requérante a des limitations fonctionnelles. Voici les éléments sur lesquels je me suis penchée.

Ce que le requérant dit de ses limitations fonctionnelles

[10] Lorsqu’il a présenté sa demande de prestations d’invalidité du RPC, le requérant a dit que ses limitations dues à ses problèmes médicaux nuisaient à sa capacité de travail des façons suivantes. Il ne pouvait pas rester assis pendant plus de 15 minutes. Il ne pouvait pas rester debout pendant plus de 20 minutes. Il ne pouvait pas conduire pendant plus de 15 minutes. Il ne pouvait pas marcher pendant plus de 15 minutes. Il ne pouvait pas soulever ni transporter des objets de plus de cinq livres. Il avait beaucoup de difficulté à se pencher ou à atteindre des objets. Ses douleurs nuisaient à sa mémoire et à sa concentration. Il devait limiter ses tâches ménagères en raison de sa difficulté à rester debout, à se déplacer, à marcher, à se pencher et à atteindre des objetsNote de bas de page 10. Il ne pouvait pas s’agenouiller, se pencher, ni s’accroupir pendant une quelconque période de tempsNote de bas de page 11.

[11] T. P. était une témoin lors de l’audience et a livré la majeure partie de la preuve orale. Elle a affirmé qu’elle était quotidiennement en contact avec le requérant depuis les cinq dernières années et qu’elle le voyait environ cinq fois par semaine. T. P. a dit qu’il était difficile pour le requérant de s’asseoir ou de rester debout pendant une quelconque période de temps. Il ne peut pratiquement pas s’agenouiller, se pencher, ni soulever des objets. Il ne peut pas se fatiguer. En raison de l’anxiété et de la dépression, il trouve cela difficile de commencer sa journée. Il trouve cela difficile d’aller au magasin ou à la station d’essence. T. P. a décrit qu’il avait des douleurs extrêmes. Lors des journées où il doit rester alité, le simple fait d’aller à la salle de bain est un véritable défi. Souvent, il ne peut pas respecter ses engagements et faire ce qu’il avait prévu de faire. Lors de l’audience, le requérant a dit qu’il n’avait pas grand-chose à ajouter à la preuve de T. P.

Ce que la preuve médicale révèle sur les limitations fonctionnelles du requérant

[12] Le requérant doit fournir des preuves médicales qui montrent que ses limitations nuisaient à sa capacité de travailler le 31 décembre 2018 ou avantNote de bas de page 12. La preuve médicale confirme la version des faits du requérant. En février 2018, le Dr Baxter (médecin de famille) a dit que le requérant était incapable de travailler en raison de ses douleurs au dosNote de bas de page 13. Bien qu’il semble avoir connu des améliorations pendant cet été-là, le Dr Baxter a indiqué en octobre 2018 que les douleurs au dos du requérant causaient des spasmes musculaires importants. Il devait prendre son temps et limiter ses activitésNote de bas de page 14.

[13] On a observé peu d’amélioration en 2019. En août 2019, le Dr Baxter a dit que les douleurs au dos du requérant restreignaient considérablement son activité physique. Le requérant avait aussi des sautes d’humeur en raison de sa grave dépression et de son anxiétéNote de bas de page 15. Sa dépression et son sentiment d’isolement s’étaient aggravés en novembre 2019Note de bas de page 16. En décembre 2019, le Dr Baxer a confirmé que le requérant se sentait rapidement dépassé. Sa concentration et son niveau d’énergie étaient compromis. Il était incapable de chercher ou de conserver un emploi rémunérateurNote de bas de page 17.

[14] Des preuves datées d’après soutiennent également que le requérant était incapable de travailler au 31 décembre 2018. En mars 2020, le Dr Baxter a dit que le requérant était incapable de travailler depuis 2016 pour des raisons médicales. Il avait des restrictions marquées pour toute forme d’activité, en raison de douleurs au repos qui s’aggravaient avec une activité même minimale. Les tâches simples du quotidien lui exigeaient un temps anormal à accomplir. Sa dépression nuisait à son niveau d’énergie et à sa concentration. Il n’était même pas en mesure de faire des activités sédentairesNote de bas de page 18. En février 2021, le Dr Baxter a de nouveau affirmé que le requérant était incapable de travailler depuis 2016Note de bas de page 19.

[15] La preuve montre que les douleurs au dos du requérant l’empêchaient de faire un quelconque travail physique au 31 décembre 2018. Ses douleurs au dos limitaient son mouvement et l’empêchaient de maintenir une position ou une activité. Cette situation était aggravée par son anxiété et sa dépression.

Le requérant n’a pas suivi les conseils médicaux

[16] Pour avoir droit à une pension d’invalidité, une personne doit suivre les traitements recommandésNote de bas de page 20. Si une personne ne les suit pas, elle doit pouvoir raisonnablement expliquer pourquoi elle ne suit pas les conseils. Je dois aussi examiner les effets potentiels de ces conseils sur l’invalidité de la personneNote de bas de page 21.

[17] Le requérant n’a pas suivi tous les conseils médicaux. Toutefois, son explication pour ne pas les avoir suivis est raisonnable. En novembre 2019, le Dr Baxter a fortement recommandé au requérant de faire des séances de counseling pour sa dépression et son anxiétéNote de bas de page 22. Lors de l’audience, le prestataire a dit qu’il n’avait pas fait de séances de counseling. Il a dit qu’il devrait payer lui-même pour les séances et qu’il ne pouvait pas se le permettre.

[18] Dans les circonstances, l’explication du requérant est raisonnable. Le requérant n’a pas travaillé depuis mai 2016. Il a également dit qu’il était incapable d’obtenir du soutien financier pour obtenir de la marijuana médicale, alors qu’il voulait l’essayer. Puisque le requérant a donné une explication raisonnable, ce n’est pas important qu’il n’ait pas suivi les conseils médicaux au sujet du counseling. Je ne vois pas d’autres preuves indiquant que les conseils médicaux n’ont pas été suivis. Le requérant a affirmé qu’il tentait de faire les exercices recommandés par le Dr Baxter chez lui. Il a suivi des séances de counseling en 2016 et en 2017. Il a déjà fait de la physiothérapie. Le Dr Baxter n’a jamais recommandé de consultation dans une clinique de la douleur.

[19] À présent, je dois chercher à savoir si la requérante est régulièrement capable d’occuper d’autres types d’emplois. Pour être graves, ses limitations fonctionnelles doivent l’empêcher de gagner sa vie, peu importe l’emploi, et pas seulement le rendre incapable d’occuper son emploi habituelNote de bas de page 23.

Le requérant ne peut pas travailler dans un contexte réaliste

[20] Lorsque je décide si une personne a la capacité de travailler, je dois examiner davantage que ses problèmes médicaux et leurs conséquences sur ses capacités. Je dois aussi examiner son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, son expérience professionnelle et de vieNote de bas de page 24. Ces facteurs m’éclaircissent quant à la capacité du requérant de travailler dans un contexte réaliste.

[21] Je conclus que le requérant ne peut pas travailler dans un contexte réaliste. Le requérant n’avait que 45 ans en 2018. Il parle couramment l’anglais. Il a terminé sa 12e année et a reçu une licence de carrossier automobile il y a environ 20 ansNote de bas de page 25. Toutefois, son expérience de travail est plutôt mince.

[22] Le requérant a été carrossier chez X de 2001 à 2016. Il travaillait comme carrossier même avant cela. Son autre expérience de travail était en installation de bardeaux et dans un dépôt de ferraille. Tous ces emplois étaient très physiques. Bien qu’il est relativement jeune, ses limitations fonctionnelles l’empêchent de faire un travail physique et même de se recycler pour un travail moins exigeant physiquement. Le Dr Baxter a affirmé plusieurs fois que le requérant était incapable même de faire un travail sédentaireNote de bas de page 26. Compte tenu de son historique et de ses circonstances, il n’est pas réaliste pour lui de travailler.

[23] Je conclus que l’invalidité de la requérante était grave en 31 décembre 2018.

Commentaires sur les observations du ministre

[24] L’analyse ci-dessus aborde la plupart des observations du ministre. Toutefois, je vais brièvement aborder deux d’entre elles.

[25] Le ministre a soutenu que le requérant se portait bien malgré ses problèmes médicaux. Je reconnais que c’était le cas en juillet 2018 et en septembre 2018 : il semblait alors que ses symptômes s’étaient brièvement améliorésNote de bas de page 27. Toutefois, le requérant n’a qu’à établir qu’il avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2018. Ses symptômes se sont aggravés de nouveau en octobre 2018Note de bas de page 28.

[26] Le ministre a aussi laissé entendre que la preuve médicale objective, comme l’imagerie médicale, n’était pas convaincante. Toutefois, ce ne sont pas tous les problèmes de santé qui peuvent être prouvés par l’entremise d’un rapport objectif. Les douleurs chroniques et les problèmes de santé mentale, comme ceux qui touchent le requérant, sont particulièrement difficiles à vérifier de façon objective. Il est important de souligner que le Dr Baxter a reconnu l’existence de douleurs chroniquesNote de bas de page 29 et de dépressionNote de bas de page 30 avant le 31 décembre 2018.

L’invalidité de la requérante est prolongée

[27] L’actuel état du requérant a commencé le 31 décembre 2018 ou avant, et persiste depuis. Il est plus que probable que son invalidité se poursuive de façon indéfinieNote de bas de page 31.

[28] Le Dr Baxter n’a aucunement laissé entendre que le requérant avait la capacité de travailler depuis octobre 2018. Je ne vois aucune discussion concernant un retour au travail. En fait, comme je l’ai précédemment mentionné, le Dr Baxter a précisément indiqué que le requérant n’avait pas la capacité de travailler à plusieurs reprisesNote de bas de page 32.

[29] En octobre 2020 et en février 2021, le Dr Baxter a déclaré que les limitations du requérant duraient depuis longtemps. Ses problèmes de santé [traduction] « persistaient » malgré les traitements, comme la physiothérapieNote de bas de page 33. En juin 2020, Dr Baxter a indiqué que les douleurs au dos et la dépression du requérant étaient présentes depuis dix ans. Le Dr Baxter a déclaré qu’ils étaient longs et prolongésNote de bas de page 34.

[30] Les autres éléments de preuve subjectifs viennent également appuyer le fait que l’invalidité est prolongée. Le requérant ne pense pas pouvoir travailler à nouveau, bien qu’il le souhaiterait. Son historique laisse entendre qu’il n’est pas du genre à ne pas vouloir travailler. Il a occupé le même emploi pendant 15 ans et a atteint la somme maximale de cotisations au RPC pendant la plupart de ces annéesNote de bas de page 35. Sa paye était en fonction du travail accompli plutôt que du nombre d’heures travaillées. Il affirme qu’il continue à consulter le Dr Baxter tous les mois ou deux mois, afin de mieux contrôler sa douleur et sa dépression. La plupart des visites concernaient une modification de la médication.

[31] T. P. a indiqué que les séances de counselingNote de bas de page 36 n’avaient pas aidé l’anxiété et la dépression du requérant. Les échecs des séances de counseling laissent entendre qu’il serait possible qu’elles n’aident même pas le requérant même s’il avait les moyens financiers de les suivre. La physiothérapie et les exercices à la maison ne l’ont pas plus aidé. Ses antidouleurs ne semblent pas avoir un effet important. Elle n’a vu aucun changement réel à ses niveaux de douleurs depuis 2016. Elle n’a vu que des changements mineurs à ses niveaux d’anxiété et à sa dépression. Elle ne pensait pas que ses douleurs allaient s’améliorer. Le requérant s’est dit d’accord avec la preuve de T. P.

[32] L’invalidité du requérant durera vraisemblablement pendant une période longue continue et indéfinie, et l’est depuis le 31 décembre 2018. Je conclus que l’invalidité du requérant était prolongée au 31 décembre 2018.

Quand les paiements commencent-ils?

[33] Le requérant a une invalidité grave et prolongée depuis juin 2018. C’est alors que le Dr Baxter a indiqué la présence de douleurs et de limitations fonctionnelles importantes, après une brève période d’amélioration pendant l’étéNote de bas de page 37. Par contre, selon le RPC, une personne ne peut pas être considérée comme étant invalide plus de 15 mois avant la date où le ministre a reçu sa demande de pension. Il y a ensuite un délai d’attente de quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 38. Le ministre a reçu la demande du requérant en mars 2020. Cela signifie qu’il est considéré comme étant invalide en date de décembre 2018. Ainsi, ses paiements de pension commencent en avril 2019.

Conclusion

[34] Je conclus que l requérant est atteint d’une invalidité grave et prolongée et qu’il est donc admissible à une pension d’invalidité du RPC.

[35] L’appel est donc accueilli.

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