Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : DJ c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 369

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision


Partie appelante : D. J. (requérante)
Représentante : L. N.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Ian McRobbie

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 26 janvier 2021
(GP-20-536)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 juillet 2021
Personnes présentes à l’audience : Représentante de la requérante
Représentant du ministre
Date de la décision : Le 9 août 2021
Numéro de dossier : AD-21-146

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] La requérante est propriétaire d’un salon de bronzage. Elle y a travaillé à temps plein jusqu’en mai 2013, quand, selon ses dires, des maux de dos l’ont obligée à cesser de travailler. Elle soutient que ses tentatives de retour au travail ont toutes échoué.

[3] La requérante a maintenant 51 ans. En mars 2018, elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle affirmait ne plus pouvoir travailler en raison de douleurs chroniques au dos, causées par une discopathie dégénérative, une hernie discale et une grave sciatique.

[4] Le ministre a refusé la demande parce que, selon lui, le problème de santé de la requérante ne constituait pas une invalidité « grave et prolongée » pendant la période de couvertureNote de bas de page 1.

[5] La requérante a appelé de la décision du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Cette dernière a tenu une audience par téléconférence. Dans une décision datée du 26 janvier 2021, elle a rejeté l’appel. La division générale a conclu que la requérante n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice avant le 28 février 2014.

[6] La requérante a demandé la permission de faire appel à la division d’appel du Tribunal. Elle prétend que la division générale a commis les erreurs suivantes pour en arriver à sa décision :

  • La division générale a écarté son témoignage en faveur des déclarations soi-disant [traduction] « objectives » de ses médecins sur ses activités professionnelles et ses capacités fonctionnelles.
  • La division générale a accordé une importance injustifiée à la rémunération de plus de 20 000 $ qu’elle a touchée en 2017 sans toutefois tenir compte des autres années, durant lesquelles sa rémunération était loin de faire état d’un travail véritablement rémunérateur.

[7] Plus tôt cette année, la division d’appel a accordé la permission de faire appel parce qu’elle croyait que la requérante avait un argument défendable. Le mois dernier, une audience a eu lieu par téléconférence pour discuter en détail des allégations de la requérante.

[8] Maintenant que j’ai pris connaissance des observations des deux parties, je conclus que les allégations de la requérante ne justifient pas l’annulation de la décision de la division générale.

Questions en litige

[9] Il y a seulement trois moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale n’a pas respecté l’équité procédurale;
  • elle a commis une erreur de droit;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[10] Mon travail consistait à vérifier si l’une ou l’autre des allégations de la requérante correspondait à au moins un des moyens d’appel permis et, si c’était le cas, à décider si l’une ou l’autre d’entre elles était fondée.

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale n’a pas commis d’erreur en préférant la preuve médicale « objective » plutôt que les déclarations des témoins de la requérante

[11] La requérante prétend que la division générale a commis une erreur de droit en accordant plus d’importance au témoignage de ses médecins qu’à celui de ses témoins. Elle affirme que les déclarations au sujet de ses activités professionnelles et de ses limitations fonctionnelles ne sont pas plus « objectives » lorsqu’elles proviennent de rapports médicaux que lorsqu’elles sont faites par ses proches ou ses collègues de travail. Elle fait remarquer que la division générale a écarté les déclarations écrites de K. T. et de T. K. parce qu’elles ne pouvaient pas faire l’objet d’un contre-interrogatoire, mais qu’elle n’a pas pénalisé de façon semblable les rapports des personnes qui ont traité la requérante, même s’il était tout aussi impossible de les contre-interroger.

[12] La requérante a soulevé un point intéressant. Malheureusement, je constate qu’il est sans fondement. Voici pourquoi j’en arrive à cette conclusion.

La division générale a le droit de soupeser la preuve

[13] La requérante a elle-même déposé toute la preuve médicale au dossier. Certains éléments de preuve appuyaient son argument voulant qu’elle est devenue invalide avant le 28 février 2014. Toutefois, comme la division générale l’a fait remarquer, plusieurs éléments laissaient croire qu’elle a continué de travailler après cette date :

  • En novembre 2014, le Dr Manson a écrit que la requérante [traduction] « reconnaît être retournée travailler » et [traduction] « trouve cela difficile, mais elle travailleNote de bas de page 3 ».
  • En novembre 2014, le Dr Reid a écrit que la requérante [traduction] « continue à s’occuper de son salon de bronzage et à travailler des journées complètesNote de bas de page 4 ».
  • En novembre 2014, le Dr Reid a écrit que la requérante [traduction] « travaille pendant de longues heures à son salon de bronzageNote de bas de page 5 ».
  • En juin 2015, le Dr Reid a écrit que la requérante [traduction] « est capable de travailler régulièrementNote de bas de page 6 ».
  • En décembre 2015, le Dr Reid a écrit que la requérante [traduction] « continue de travailler et son état est stableNote de bas de page 7 ».
  • En juillet 2016, le Dr Reid a écrit que la requérante [traduction] « continue de s’occuper de son salon de bronzage sept jours par semaine, donc n’a pas le temps de venir voir le médecin pour passer des tests sanguinsNote de bas de page 8 ».
  • En juin 2017, le Dr Reid a écrit que la requérante [traduction] « admet travailler 70 heures par semaine à son salon de bronzage, car son mari ne peut pas travailler à temps plein en raison d’un accidentNote de bas de page 9 ».
  • En septembre 2017, le Dr MacDonald a écrit que la requérante [traduction] « travaille pendant de longues heures au salon » et qu’elle [traduction] « se débrouille bien au travail et continue à bougerNote de bas de page 10 ».

[14] La requérante, appuyée par ses témoins, a nié avoir travaillé pendant de longues heures après mai 2013. Elle a dit qu’elle allait parfois à son salon, mais seulement pour des [traduction] « visites sociales ». Interrogée au sujet des références répétées dans son dossier à de longues heures de travail ou à des heures régulières, elle a déclaré ceci :

  • ses dossiers médicaux ne reflétaient pas fidèlement ce qu’elle avait dit à ses médecins;
  • ses médecins avaient peut-être confondu les heures d’ouverture du salon avec ses heures de travail réelles;
  • son mari travaillait au salon et était responsable des activités quotidiennes;
  • son mari recevait une rémunération pour son travail, mais elle était déclarée par la requérante pour des raisons fiscales.

[15] Devant des éléments de preuve contradictoires ou incohérents, la division générale a choisi de se fier aux rapports médicaux plutôt qu’aux déclarations des témoins. Je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en agissant de la sorte.

[16] L’un des rôles de la division générale est d’établir les faits. Ce faisant, elle a droit à une certaine latitude quant à la façon dont elle évalue la preuve. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur cette question dans l’affaire SimpsonNote de bas de page 11, dans laquelle la requérante faisait valoir que le tribunal avait accordé trop d’importance à certains rapports médicaux. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire en affirmant ceci :

[…] le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[17] Dans la présente affaire, la division générale a fait ce qui me semble être un effort véritable et complet pour trier les éléments de preuve pertinents selon leur qualité. Je ne vois aucune raison de remettre ses choix en question, d’autant plus qu’elle a fourni des motifs mûrement réfléchis pour justifier ses choix.

La division générale avait de bonnes raisons de préférer la preuve médicale aux témoignages et aux déclarations des témoins

[18] La division générale a clairement expliqué pourquoi elle privilégiait certains éléments de preuve par rapport à d’autres :

De plus, j’écarte l’argument voulant que la preuve produite par cinq témoins devrait l’emporter sur la preuve médicale matérielle. La requérante, son conjoint et sa fille ne sont pas des témoins véritablement objectifs. Les témoignages écrits de K. T. et de T. K., qui étaient très brefs, ont été produits en 2021 et n’ont pas pu faire l’objet d’un contre-interrogatoire. De plus, K. T. a fini par [traduction] « très bien » connaître S. J. et le conjoint de la requérante, et T. K. était une cliente avant de commencer à travailler au salon. J’accorde beaucoup plus d’importance aux éléments de preuve contemporains, cohérents et objectifs fournis par les médecins de la requérante. En 2018, la requérante a aussi affirmé qu’elle avait des difficultés à se souvenir des choses lorsque ses douleurs étaient graves. De plus, les médicaments nuisaient à sa mémoireNote de bas de page 12.

[19] Dans ce passage, la division générale explique pourquoi elle a accordé plus d’importance à la preuve médicale qu’aux déclarations des témoins. Premièrement, la preuve médicale était contemporaine — elle a été consignée non pas cinq ou six ans après les faits, comme les déclarations des témoins, mais au moment où la requérante parlait de ses activités quotidiennes à ses médecins. Deuxièmement, elle était cohérente — il ne s’agissait pas seulement d’une ou de deux notes isolées sur le travail de la requérante, mais de plusieurs notes qui racontaient toutes plus ou moins la même histoire, soit que la requérante travaillait fort à son salon de bronzage.

[20] La requérante s’oppose à l’utilisation du mot « objectif » par la division générale pour décrire ce que les personnes qui ont traité la requérante ont noté au sujet de ses activités professionnellesNote de bas de page 13. Elle affirme que ces éléments de preuve sont [traduction] « dérivés » parce que ses médecins ne font que transcrire ce qu’elle leur a dit. Elle soutient que, comme les notes des médecins sont susceptibles de contenir des erreurs dues à la mémoire, à l’interprétation et à la transcription, elles manquent autant de fiabilité que toute autre forme de preuve par ouï-dire.

[21] Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il s’agit en grande partie d’une question de sémantique. Il est vrai, comme l’affirme la requérante, que les historiques rédigés par les médecins peuvent contenir des erreurs et, en ce sens, on peut les distinguer des preuves médicales purement quantitatives comme les résultats d’analyses de sang ou d’urine. Je soupçonne que la division générale essayait de dire qu’on peut faire confiance aux notes cliniques parce que les médecins entretiennent généralement une relation exclusivement professionnelle avec leurs patients. Contrairement aux amis, aux parents ou aux subalternes, les médecins n’ont aucun intérêt dans l’approbation d’une demande de prestations d’invalidité.

[22] De plus, il y a une différence importante entre les déclarations écrites par les témoins qui participent à une procédure judiciaire ou quasi judiciaire et celles rédigées par les médecins dans le cours normal de leur pratique. Les médecins ont reçu une formation professionnelle pour documenter ce qu’ils entendent, voient et font dans le cadre de leurs fonctions. Il existe une présomption forte voulant que les renseignements dans leurs dossiers sont exacts.

[23] La division générale aurait été mieux avisée d’utiliser le mot « désintéressé » plutôt que le mot « objectif », mais je ne pense pas que ce choix de mots quelque peu trompeur puisse être qualifié d’erreur.

Les rapports des médecins et les notes cliniques sont des exceptions à la règle du ouï-dire

[24] La requérante appelle les historiques médicaux des « ouï-dire » parce qu’ils ne peuvent pas faire l’objet d’un contre-interrogatoire. La requérante reconnaît qu’elle a elle-même présenté des déclarations écrites relatant des propos dans l’espoir que la division générale se fonde sur elles. Elle accuse la division générale d’avoir deux poids, deux mesures en privilégiant une forme de ouï-dire plutôt qu’une autre.

[25] La requérante oublie le fait que la division générale n’est pas une cour, mais un tribunal administratif. Ses procédures sont relativement informelles et souples, et elle peut accepter le ouï-dire comme preuve. La Cour d’appel fédérale l’a affirmé noir sur blanc dans la décision Caron : « les conseils arbitraux [ce qui a précédé la division générale] ne sont pas liés par les règles de preuve strictes qui s’appliquent devant les tribunaux criminels ou civils et ils peuvent recevoir et retenir la preuve par ouïe-dire [sic]Note de bas de page 14 ».

[26] Même les cours font des exceptions pour certains types de preuve par ouï-dire. L’exception relative aux documents professionnels permet depuis longtemps l’admission de documents contenant des déclarations de seconde main s’ils ont été produits dans le cours ordinaire des affairesNote de bas de page 15. Cette exception comprend les dossiers médicaux contenant des déclarations de seconde main pourvu qu’elles aient été préparées dans le cours ordinaire des fonctions des médecins, des infirmières ou des infirmiersNote de bas de page 16.

[27] Bref, même si la division générale était liée par les règles de la preuve (ce qui n’est pas le cas), elle n’aurait toute de même commis aucune erreur en se fondant sur des énoncés tirés des notes cliniques qui seraient autrement classés comme ouï-dire.

Question en litige no 2 : La division générale n’a pas accordé trop d’importance à la rémunération touchée par la requérante en 2017

[28] La requérante prétend que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait abusive ou arbitraire en attribuant trop de poids à la rémunération qu’elle a touchée en 2017. Elle affirme que la division générale n’a pas accordé suffisamment d’attention au fait que la rémunération qu’elle a déclarée après 2012 était toujours loin sous le seuil d’un travail véritablement rémunérateur pour chaque année.

[29] Je ne suis pas d’accord.

[30] La division générale était bien au courant de l’historique de rémunération récent de la requérante. Elle est allée jusqu’à reproduire un résumé dans sa décision :

Année Revenu d’emploi
2013 3 265 $
2014 1 225 $
2015 5 222 $
2016 4 900 $
2017 20 775 $
2018 7 200 $

[31] Il est vrai que la division générale a mis l’accent sur la rémunération pour 2017, mais elle a agi ainsi pour une bonne raison. Le montant était bien au-dessus du seuil de 15 764 $, soit la somme qui déterminait une occupation véritablement rémunératrice cette année-là. Si la rémunération appartenait bien à la requérante, elle constituait un indice majeur montrant que la requérante i) avait une bonne capacité de travail et n’avait jamais eu d’invalidité « grave » ou qu’elle ii) avait déjà eu une invalidité « grave » à un moment donné, mais que celle-ci n’était plus « prolongée ».

[32] Fait encore plus important, il est clair que la division générale doutait de l’ensemble de l’histoire de la requérante — encore une fois, pour une bonne raison. La division générale a relevé de nombreuses indications laissant croire qu’après mai 2013 la requérante avait travaillé plus qu’elle ne voulait l’admettre — non seulement en 2017, mais toutes les autres années, et ce, malgré la rémunération déclarée.

[33] La requérante n’est peut-être pas d’accord avec la décision de la division générale de mettre l’accent sur sa rémunération de 2017, mais elle ne m’a pas démontré qu’il s’agissait d’une erreur aux termes des trois moyens d’appel permis. En fin de compte, son allégation équivaut à une demande de soupeser à nouveau la preuve portée à la connaissance de la division générale. C’est quelque chose que je ne peux pas faire.

Question en litige no 3 : La division générale a examiné tous les éléments de preuve datant d’après le 28 février 2014

[34] Ma collègue de la division d’appel a soulevé un autre point lorsqu’elle a accordé à la requérante la permission de faire appel. Elle croyait qu’il était possible de soutenir que la division générale avait ignoré la question de savoir si la requérante était continuellement invalide après la période de couverture.

[35] J’ai examiné la décision de la division générale et le dossier d’appel en gardant cette question à l’esprit. Je ne vois rien qui semble indiquer que la division générale a fait une erreur.

[36] La décision de la division générale ne mentionne pas explicitement les limitations fonctionnelles et la capacité de travail de la requérante après le 28 février 2014, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’en a pas tenu compte. La division générale n’est pas obligée de mentionner dans ses motifs écrits chacun des éléments de preuve, et on présume qu’elle a examiné l’ensemble du dossierNote de bas de page 17.

[37] Rien dans le dossier ne permet de réfuter cette présomption. En effet, comme je l’ai déjà mentionné, le dossier contient beaucoup d’éléments qui appuient la conclusion de la division générale selon laquelle la requérante n’avait pas une invalidité grave et prolongée après le 28 février 2014 :

  • De 2014 à 2017, l’ancien médecin de famille de la requérante a décrit l’état de santé de la requérante comme étant [traduction] « stable » et il a mentionné à plusieurs reprises le travail qu’effectuait toujours la requéranteNote de bas de page 18.
  • En 2015, le chirurgien orthopédiste de la requérante a écrit qu’elle allait bien après sa chirurgie, qu’elle continuait de travailler à son salon et qu’elle ne faisait face à [traduction] « aucune limitationNote de bas de page 19 ».
  • Le médecin de famille actuel de la requérante a déclaré en 2017 qu’elle [traduction] « se débrouille bien au travail, continue à bouger et travaille pendant de longues heures au salonNote de bas de page 20 ».

[38] À la lumière de ces éléments de preuve, il n’était pas nécessaire que la division générale inclue dans ses motifs une analyse détaillée des limitations de la requérante après la fin de sa période de couverture. Rien n’indique que la division générale a écarté les éléments de preuve dont elle disposait au sujet des limitations ou de la capacité de travail de la requérante.

Conclusion

[39] Étant donné les motifs ci-dessus, la requérante ne m’a pas démontré que la division générale a commis une erreur qui s’inscrit dans les moyens d’appel permis.

[40] L’appel est donc rejeté.

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