Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : DJ c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 370

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-536

ENTRE :

D. J.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Pierre Vanderhout
Requérante représentée par : L. V.
Ministre représenté par : Heather Carr
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 20 janvier 2021
Date de la décision : Le 26 janvier 2021

Sur cette page

Décision

[1] La requérante n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] La requérante a 50 ans. Elle est propriétaire d’un salon de bronzage depuis 2007. Selon ses dires, la dernière fois qu’elle a travaillé à temps plein était à la fin de mai 2013. Ce mois-là, elle s’est levée et, tout à coup, son corps s’est [traduction] « figé ». Elle ressentait des douleurs de la taille jusqu’aux chevilles. Elle ne pouvait plus se redresser. Son médecin de famille affirme qu’elle présente une discopathie dégénérative, une hernie discale et une sciatique grave. Ces problèmes causent des maux de dos débilitants et l’empêchent de rester assise longtemps, de rester debout, de se pencher, de marcher et de soulever des objetsNote de bas de page 1. Elle a essayé de travailler à son salon depuis, mais l’étendue de ses tentatives est contestée. Le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité le 16 mars 2018. Il a rejeté la demande une première fois, puis il l’a rejetée de nouveau après révision. La requérante a porté la décision de révision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour avoir droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, la requérante doit remplir les conditions énoncées dans le Régime. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide (au sens du Régime) au plus tard à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations qu’elle a versées au Régime. Je constate que la PMA de la requérante a pris fin le 31 décembre 2013. Toutefois, le calcul proportionnel incluant les cotisations qu’elle a versées au Régime pour 2014 montre qu’elle pourrait aussi avoir droit à une pension d’invalidité du Régime si elle est devenue invalide pendant la période allant du 1er janvier 2014 au 28 février 2014. Autrement dit, il est possible d’accueillir son appel si elle peut établir qu’une invalidité est apparue au plus tard le 28 février 2014 et persiste depuis.

Question préliminaire

[4] La représentante de la requérante a déposé plusieurs documents (GD7 à GD10) peu de temps avant l’audience. Le document GD7 a été déposé le 7 janvier 2021, alors que le document GD10 a été déposé seulement le 18 janvier 2021. Malgré le retard, les documents étaient tous potentiellement pertinents pour l’appel. J’ai décidé de les recevoir en preuve. J’ai offert à la représentante du ministre la possibilité de présenter des observations écrites dans un court délai après l’audience. Toutefois, elle a dit qu’elle allait présenter des observations orales sur les nouveaux documents à la fin de l’audience.

Questions en litige

[5] L’invalidité de la requérante était-elle toujours grave du 28 février 2014 à la date de l’audience?

[6] Si oui, l’invalidité est-elle aussi prolongée?

Analyse

[7] L’invalidité se définit comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongéeNote de bas de page 2. L’invalidité est grave si la requérante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès. La requérante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Si elle satisfait à un seul volet, elle n’a pas droit aux prestations d’invalidité.

[8] Dans la présente affaire, le ministre admet que la requérante avait une invalidité grave au plus tard le 28 février 2014Note de bas de page 3. Les éléments de preuve confirment également ce fait. La requérante a subi des interventions chirurgicales effractives en août 2013 et en avril 2014. À peu près à la même époque, le Dr Neil Manson (chirurgie orthopédique) a noté qu’elle pouvait se rendre à l’entreprise qu’elle exploitait seulement pendant une heure au maximum, mais qu’elle devait ensuite partir en raison d’un inconfort important. Sa capacité de faire quoi que ce soit au travail ou à la maison était grandement limitée. Elle ne pouvait pas marcher en se tenant droite. Elle avait de graves douleurs au dos et à la jambe droite. Elle ne pouvait pas faire de physiothérapie. Elle avait les larmes aux yeux durant l’évaluationNote de bas de page 4. De toute évidence, elle n’avait aucune capacité de travail à ce moment-là. La question est de savoir si l’invalidité est demeurée grave du 28 février 2014 à la date de l’audience.

L’invalidité de la requérante était-elle toujours grave du 28 février 2014 à la date de l’audience?

[9] Pour les motifs exposés plus bas, je conclus que la requérante n’avait pas une invalidité qui est demeurée grave du 28 février 2014 à la date de l’audience.

[10] Je dois évaluer le volet « grave » du critère dans un contexte réalisteNote de bas de page 5. Ainsi, pour décider si l’invalidité de la requérante est grave, je dois penser à des facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie. La requérante avait 43 ans à la date de sa PMA (déterminée selon le calcul proportionnel). Elle parle couramment l’anglais. Elle a fait sa 12e année. Elle s’occupe de son salon de bronzage depuis 2007. Auparavant, elle travaillait dans un bureau comme adjointe administrative. Ses responsabilités comprenaient la saisie de données, la paie, la préparation de lettres et d’autres tâches typiques du travail de bureau. Si on écarte ses problèmes de santé, elle serait en mesure d’occuper un large éventail d’emplois sédentaires n’exigeant aucune formation ni compétence poussée. Elle serait aussi capable d’exploiter une petite entreprise. Je vais maintenant décider si ses problèmes de santé ont entraîné chez elle une invalidité grave qui a persisté du 28 février 2014 à la date de l’audience.

[11] Comme je l’ai déjà mentionné, la requérante avait manifestement des problèmes de santé objectifs en 2013 et en 2014. Elle affirme toujours avoir des limitations importantes. Toutefois, pour évaluer si une invalidité est « grave », il ne s’agit pas de savoir si la requérante a des déficiences graves. La question est plutôt de savoir si l’invalidité l’empêche de gagner sa vieNote de bas de page 6. Cette question est au cœur du présent appel.

Le revenu d’emploi de la requérante

[12] Le dossier d’impôt de la requérante révèle qu’elle a eu un revenu d’emploi pendant de nombreuses années après mai 2013, mois où elle ne pouvait plus travailler selon ce qu’elle affirmeNote de bas de page 7. Voici un résumé de ses revenus d’emploi de 2013 à 2018, moment où elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 8 :

Année Revenu d’emploi
2013 3 265 $
2014 1 225 $
2015 5 222 $
2016 4 900 $
2017 20 775 $
2018 7 200 $

[13] À l’audience, la requérante a dit qu’elle se versait le salaire minimum (de 13 $ à 15 $ de l’heure) lorsqu’elle travaillait au salon. Je dois maintenant décider si la requérante est capable de gagner sa vie depuis février 2014. Pour ce faire, je dois savoir si elle était régulièrement capable de détenir une « occupation véritablement rémunératrice ». Depuis juin 2014, une « occupation véritablement rémunératrice » est une occupation qui procure au moins autant d’argent que le montant maximal de la pension d’invalidité versée par le Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 9. En 2014, ce montant s’élevait à 14 836,20 $. Il est passé à 15 763,92 $ en 2017, puis à 16 651,92 $ en 2020.

[14] Pour chaque année, sauf en 2017, le revenu d’emploi déclaré par la requérante est bien inférieur au seuil qui détermine une occupation « véritablement rémunératrice ». Malheureusement, le revenu qu’elle a déclaré en 2017 dépassait ce seuil de plus de 5 000 $. Au premier coup d’œil, cela semble démontrer qu’elle a été capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice pendant au moins un an. Ainsi, il serait impossible de conclure qu’elle a une invalidité grave qui persiste depuis février 2014. Il est raisonnable de considérer que la rémunération réelle équivaut à la capacité de travail. Comme la requérante exploite sa propre entreprise, il est possible que ses heures de travail réelles aient dépassé de beaucoup ce que son revenu d’emploi semble indiquer.

[15] Cependant, l’histoire ne s’arrête pas là. La requérante nie avoir une quelconque capacité de travail depuis qu’elle a cessé de travailler en mai 2013. Elle a dit qu’elle pouvait se présenter au travail seulement pour une ou deux heures à la fois, environ une ou deux fois par semaine. Ses tâches étaient limitées. Elle ne pouvait pas être seule au travail. Essentiellement, elle s’y présentait pour avoir des contacts sociaux. Il y a eu un bon nombre de semaines durant lesquelles elle n’allait pas travailler du tout. Sa fille, S. J., et son conjoint de fait, B. M., ont affirmé la même chose à l’audience. Plus précisément, la requérante a affirmé que son conjoint a effectué le travail pour lequel elle a été payée en 2017. Cette affirmation semble contredire la preuve médicale. Je dois décider si son explication est raisonnable. Je vais d’abord examiner la preuve médicale matérielle datant de 2014 à 2018.

La preuve matérielle

[16] Les éléments de preuve médicale appuient l’incapacité de la requérante à travailler pendant les premiers mois de 2014. Elle a subi une intervention chirurgicale en août 2013. Elle a ensuite subi une reprise chirurgicale en avril 2014. Toutefois, le 4 novembre 2014, le Dr Reid (médecin de famille) a déclaré que la requérante [traduction] « s’occupait de son salon de bronzage et travaillait des journées complètesNote de bas de page 10 ». Le même jour, le Dr Manson a confirmé que la requérante était retournée au travailNote de bas de page 11. Plus tard au cours du même mois, le Dr Reid a dit qu’elle devait améliorer sa condition physique et son niveau d’activité, mais que c’était difficile parce que [traduction] « elle travaille pendant de longues heures à son salon de bronzage ». Elle a continué d’aller régulièrement au travail en décembre 2014Note de bas de page 12.

[17] La requérante a dit au Dr Manson qu’elle continuait à travailler en mai 2015. Elle avait aussi un [traduction] « niveau d’activité élevéNote de bas de page 13 ». En juin 2015, elle a dit au Dr Reid qu’elle pouvait travailler régulièrement. En décembre 2015, elle a dit au Dr Reid qu’elle avait cessé de prendre ses médicaments, mais que son état était stable et qu’elle continuait à travaillerNote de bas de page 14.

[18] L’état de santé de la requérante semble s’être dégradé au début de 2016. En janvier 2016, elle a passé quatre jours au lit après avoir travaillé une couple de jours au salonNote de bas de page 15. En avril 2016, elle a dit au Dr Cox (du centre de traumatologie Trauma Healing Centre) qu’elle travaillait de la maison [traduction] « à son compte et insist[ait] sur la nécessité d’être renseignée et informéeNote de bas de page 16 ». En juillet 2016, cependant, elle a dit au Dr Reid qu’elle n’avait pas le temps de venir faire des tests sanguins (pour son problème thyroïdien) parce qu’elle continuait à [traduction] « s’occuper de son salon de bronzage sept jours par semaineNote de bas de page 17 ». Par la suite, elle s’est cassé un pied lors d’une chute à la fin de juillet 2016. À court terme, cette blessure a augmenté ses douleursNote de bas de page 18. Les documents médicaux datant d’octobre 2016 à mai 2017 portent presque exclusivement sur son problème thyroïdien et un kyste mammaireNote de bas de page 19.

[19] En juin 2017, la requérante a dit au Dr Reid qu’elle ressentait des douleurs au dos la nuit, mais elle a admis travailler 70 heures par semaine à son salon de bronzage parce que son conjoint avait eu un accident et ne travaillait pas à temps pleinNote de bas de page 20. Malgré une visite à l’urgence pour des maux de dos en août 2017, elle a dit au Dr Frank MacDonald (médecin de famille) en septembre 2017 qu’elle vivait avec la douleur. Elle se débrouillait bien au travail et continuait à bouger, car cela aidait à soulager la douleur. Elle [traduction] « travaill[ait] pendant de longues heures au salonNote de bas de page 21 ». Toutefois, en février 2018, elle a dit au Dr MacDonald qu’elle avait l’impression de ne plus pouvoir s’occuper de son salon de bronzage. Elle pensait devoir vendre son entreprise ou demander une pension d’invalidité. Elle voulait à tout prix continuer à travailler et avait [traduction] « assez bien réussi jusque-là ». Malheureusement, elle avait l’impression qu’elle n’était maintenant plus capable de travaillerNote de bas de page 22.

[20] La preuve médicale semble indiquer que la requérante a fait beaucoup plus qu’une ou deux heures de travail à raison d’une ou deux fois par semaine. À maintes reprises, il est écrit qu’elle travaille pendant de longues heures, possiblement jusqu’à 70 heures par semaine, de la fin de 2014 au moins jusqu’à la fin de 2017. En octobre 2018, elle n’a pas répondu lorsqu’on lui a posé des questions au sujet des 70 heures de travail par semaine qu’elle faisait en juin 2017 et de la diminution de la capacité de travail de son conjoint à cette époque-làNote de bas de page 23. Toutefois, à l’audience, la requérante m’a demandé de ne pas accorder trop d’importance aux rapports médicaux qui témoignaient d’une quantité de travail aussi considérable.

[21] La requérante a laissé entendre que ses médecins confondaient les heures d’ouverture du salon avec ses heures de travail réellesNote de bas de page 24. Sa représentante a dit qu’il fallait préférer le témoignage de la requérante à celui de ses médecins, car les dossiers médicaux étaient erronésNote de bas de page 25.

[22] À l’audience, la requérante ne se souvenait pas de sa discussion avec le Dr Reid le 4 novembre 2014. Interrogée sur les raisons pour lesquelles il avait dit qu’elle faisait des journées complètes, elle a répondu qu’elle s’était peut-être disputée avec lui. Elle a également dit qu’il posait des questions sur les heures d’ouverture du commerce en général, plutôt que sur le nombre d’heures qu’elle faisait. Elle a dit que la note écrite par le Dr Reid en décembre 2014 sur sa présence régulière au travail reflétait uniquement les visites ayant un but social. Quant à la déclaration faite par le Dr Manson en mai 2015 au sujet de la poursuite de son travail au salon, la requérante a dit qu’elle était juste heureuse de passer de l’alitement à des visites sociales. Un « niveau d’activité élevé » consistait simplement à marcher dans sa cour pendant 15 minutes deux fois par jour.

[23] En réponse au commentaire du Dr Reid sur le fait qu’elle travaillait régulièrement en juin 2015, la requérante a dit qu’il n’en avait pas été question. Elle a expliqué que le Dr Reid posait toujours des questions sur l’industrie du bronzage en général. Elle a même nié être allée travailler [traduction] « pendant quelques jours » en janvier 2016. La requérante s’est fait poser des questions sur le fait qu’elle était trop occupée pour passer des tests sanguins en juillet 2016 (parce qu’elle travaillait sept jours par semaine). Elle a dit que le Dr Reid parlait encore une fois des heures d’ouverture du salon et non du nombre d’heures où elle travaillait. Il n’y avait personne pour l’amener passer les tests parce que sa fille et son conjoint travaillaient tout le temps.

[24] Interrogée au sujet de la déclaration que le Dr Reid a faite en juin 2017, soit qu’elle travaillait 70 heures par semaine parce que son conjoint avait des limitations à la suite d’un accident récent, la requérante a répondu qu’elle n’avait jamais travaillé 70 heures par semaine. Encore une fois, elle a affirmé que le salon était ouvert 70 heures par semaine. Elle a répété que cette information découlait d’une dispute qu’elle a eue avec le Dr Reid parce qu’elle était très stressée. Elle a dit qu’elle avait crié après lui et lui avait dit : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse tabar..., que je travaille 70 heures par semaine? » Elle a affirmé que le Dr Reid n’avait pas une bonne écoute vers la fin de sa carrière.

[25] Je vais maintenant examiner la preuve portant sur le conjoint de la requérante, B. M.

La preuve concernant le travail de B. M.

[26] En juillet 2018, la requérante a dit que son conjoint avait commencé à donner un coup de main au salon en 2017. Cependant, c’est elle qui touchait la rémunération pour les heures de travail de son conjointNote de bas de page 26. Plus tard au cours du même mois, elle a dit avoir embauché du personnel et compter sur ses proches pour travailler sans rémunérationNote de bas de page 27. Les observations écrites de la requérante donnent à penser que son conjoint a commencé à travailler au salon à la fin de 2013 et qu’il était le principal responsable des activités quotidiennes du salon en 2017Note de bas de page 28. Une déclaration écrite de K. T. mentionne qu’elle a travaillé au salon de 2016 à 2018. Pendant la haute saison, K. T. travaillait avec le conjoint de la requéranteNote de bas de page 29. À l’audience, la requérante a dit qu’elle n’a pas pu aller passer des tests sanguins en juillet 2016 parce que son conjoint [traduction] « travaill[ait] tout le temps ».

[27] La requérante a été interrogée au sujet de sa déclaration de juin 2017 selon laquelle son conjoint ne travaillait pas à temps plein en raison d’un accident. Elle a affirmé qu’il ne travaillait nulle part ailleurs, mais qu’il pouvait travailler au comptoir du salon. Il était incapable de faire ses travaux de construction habituels. Ensuite, elle a dit qu’il avait commencé à faire des travaux d’entretien à l’occasion en 2013 ou en 2014 et qu’après, il alternait entre le travail à temps partiel et à temps plein. Elle a affirmé qu’il a touché des prestations d’assurance-emploi pendant un an après l’accident, mais que par la suite, il n’avait plus de revenu.

[28] À l’audience, la requérante s’est fait demander pourquoi elle recevait la rémunération pour le travail de son conjoint. Elle a répondu que c’était [traduction] « plus facile » ainsi. Elle a dit qu’elle était déjà inscrite comme employée, contrairement à son conjoint. Elle ne pensait pas qu’il resterait au salon longtemps et il travaillait seulement les soirs et les fins de semaine, alors elle se versait la rémunération à sa place. Elle a ensuite affirmé que si son conjoint était inscrit comme employé, [traduction] « il aurait l’air d’avoir soudainement un revenu tandis qu’elle n’en aurait pas ». Elle a ajouté que si son conjoint devenait officiellement un employé, [traduction] « j’aurais l’air d’essayer de faire quelque chose que je ne faisais pas ». Elle a dit qu’elle n’entrevoyait pas les choses à long terme, qu’elle essayait simplement de trouver une façon de payer leurs factures. Elle a ensuite affirmé qu’il travaillait au salon depuis 2007, mais que son nom n’avait jamais figuré dans le système de paie. Cependant, il a finalement été ajouté au système après 2017.

[29] La représentante du ministre a demandé à la requérante de préciser pourquoi elle se versait un salaire pour le travail effectué par quelqu’un d’autre. En touchant elle-même le revenu, la requérante pensait pouvoir montrer qu’elle [traduction] « ne cachait rien » et [traduction] « ne faisait rien d’inconvenant ».

[30] À l’audience, le conjoint de la requérante a affirmé avoir commencé à travailler pour le salon en 2007. Au début, il faisait seulement quelques réparations et de l’entretien les soirs et les fins de semaine. Il a commencé à faire du travail de bureau en 2010, même s’il faisait encore son propre travail (peinture et sablage) à l’époque. Il a subi une intervention chirurgicale en janvier 2015, après son accident de motocyclette en août 2014. Il pouvait encore travailler au salon, mais il n’était plus capable d’aller sur les chantiers. Au début, il semblait dire qu’il faisait partie du personnel du salon en 2015, tout de suite après son accident. Avec beaucoup de difficulté, il a ensuite modifié cette réponse pour dire que c’était [traduction] « en 2017 ou en 2018 ». Il a dit qu’il n’était pas payé pour son travail au salon [traduction] « au début ». Comme il ne pouvait pas exercer son emploi habituel, il a cru que ce serait [traduction] « plus facile » pour leurs impôts si la requérante recevait le revenu qu’il a gagné en 2017. Il a confirmé que la requérante n’avait pas effectué le travail en question.

[31] La représentante du ministre a demandé au conjoint de la requérante pourquoi il n’était pas rémunéré pour son travail, car ni lui ni la requérante n’avait d’autre revenu en 2017. Il a répondu que c’était une façon [traduction] « de réagir à l’accident, à la partie assurance ». Il a alors expliqué qu’après la fin de ses prestations de maladie, ses paiements d’assurance ont pris fin à la fin de 2016 et que c’est pour cela qu’ils ont décidé [traduction] « d’avoir un revenu ». Il a dit que les assurances n’étaient plus concernées après 2016, mais que la requérante continuait de recevoir l’argent pour le travail qu’il faisait en 2017 parce que le système de paie était déjà configuré pour que la requérante ait des heures à temps plein. Il a estimé qu’il travaillait environ 50 heures par semaine.

Rapprochement des éléments de preuve

[32] Je préfère la preuve matérielle énoncée dans les documents médicaux. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle une ou un médecin a commis une seule erreur. Un bon nombre de médecins ont donné de multiples indications de l’existence d’un travail régulier à temps plein ou même plus qu’à temps plein. Le Dr Reid a mentionné un tel travail en novembre 2014, en décembre 2014, en juin 2015, en décembre 2015, en juillet 2016 et en juin 2017. En septembre 2017, le Dr MacDonald a écrit que la requérante travaillait pendant de longues heures au salon. Le Dr Manson a fait remarquer à deux reprises qu’elle avait repris le travail.

[33] Pour les mêmes raisons, je n’admets pas non plus qu’une dispute avec le Dr Reid puisse expliquer toutes ces mentions du travail de la requérante. Je ne vois pas pourquoi de multiples médecins exagéreraient sa capacité de travail à répétition dans leurs notes et leurs lettres. Même si les médecins avaient voulu saboter ses prestations, idée que je n’accepte pas, cela aurait été inutile. La requérante a demandé des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada seulement en mars 2018. J’ai aussi de la difficulté à comprendre pourquoi le Dr Reid mélangeraient à plusieurs reprises les heures d’ouverture du salon, ou les heures d’activités dans l’industrie en général, avec les heures de travail réelles de la requérante.

[34] De plus, j’écarte l’argument voulant que la preuve produite par cinq témoins devrait l’emporter sur la preuve médicale matérielle. La requérante, son conjoint et sa fille ne sont pas des témoins véritablement objectifs. Les témoignages écrits de K. T. et de T. K., qui étaient très brefs, ont été produits en 2021 et n’ont pas pu faire l’objet d’un contre-interrogatoire. De plus, K. T. a fini par [traduction] « très bien » connaître S. J. et le conjoint de la requérante, et T. K. était une cliente avant de commencer à travailler au salon. J’accorde beaucoup plus d’importance aux éléments de preuve contemporains, cohérents et objectifs fournis par les médecins de la requérante. En 2018, la requérante a aussi affirmé qu’elle avait des difficultés à se souvenir des choses lorsque ses douleurs étaient graves. De plus, les médicaments nuisaient à sa mémoireNote de bas de page 30.

[35] Les références répétées à une bonne capacité de travail, en particulier celles émanant de deux médecins en 2017, sont également appuyées par la rémunération de la requérante en 2017, qui dénote un travail véritablement rémunérateur. Même si j’ai aussi constaté les mentions d’un travail à temps plein dans les années où ses revenus d’emploi n’étaient pas très importants, il ne faut pas oublier que la requérante dirige sa propre entreprise. Elle peut tirer des fonds de l’entreprise de différentes façons.

[36] Les explications fournies à l’audience (et auparavant), particulièrement au sujet du travail que le conjoint de la requérante aurait effectué en 2017, ne me convainquent pas. Les éléments de preuve concernant son travail au salon étaient très incohérents. En juillet 2018, la requérante a dit qu’il avait commencé à travailler pour le salon en 2017. Toutefois, ses observations écrites précisent que c’était en 2013 ou en 2014. Son témoignage de vive voix semble également indiquer que ce serait en 2013 ou en 2014 et qu’il faisait occasionnellement de l’entretien à cette époque-là. La requérante se contredit elle-même sur ce point et ses déclarations ne concordent pas non plus avec le témoignage de son conjoint. Celui-ci a affirmé qu’il donnait un coup de main au salon depuis 2007 et qu’il avait commencé à faire du travail de bureau en 2010.

[37] Les raisons invoquées pour expliquer le fait que la requérante recevait un salaire plutôt que son conjoint étaient aussi incohérentes. La requérante a dit que c’était plus facile parce que son nom figurait déjà [traduction] « dans le système » et qu’elle ne pensait pas qu’il resterait au salon très longtemps. Elle a ensuite expliqué qu’elle craignait que le fait de verser un salaire à son conjoint donnerait l’impression qu’il avait soudainement commencé à toucher un revenu et ferait croire qu’elle essayait de faire quelque chose qu’elle ne faisait pas. Elle a dit qu’elle voulait montrer qu’elle ne cachait rien. Ces explications me laissent perplexe. S’il a effectué le travail, et si elle ne cachait rien, je ne vois pas pourquoi ce serait mal de lui verser un salaire.

[38] Les réponses du conjoint de la requérante ont ajouté à la confusion. Il a eu beaucoup de difficulté à dire à quel moment son nom a été ajouté au registre de paie. Il a fini par dire que c’était en 2017 ou en 2018. Il a dit que ce serait [traduction] « plus facile » pour leurs impôts si la requérante touchait le revenu du travail qu’il avait effectué, mais il n’a eu aucun autre revenu en 2017. Il a aussi affirmé qu’il n’était pas rémunéré pour le travail effectué en 2017 en raison des assurances découlant de son accident de 2014. Mais il a aussi dit que ses prestations d’assurance avaient pris fin en 2016 et que la compagnie d’assurances n’était plus concernée par la suite. Enfin, il a dit que la requérante recevait la rémunération du travail qu’il faisait parce que [traduction] « le système était déjà configuré » pour le travail à temps plein de la requérante. Pourtant, la requérante, son conjoint et leur fille ont dit tous les trois qu’elle n’avait pas travaillé à temps plein depuis au moins 2013.

[39] Lorsqu’on les combine à la preuve médicale qui décrit sans équivoque le travail considérable effectué par la requérante en juin et en septembre 2017, les explications sur la rémunération de la requérante ne sont pas du tout convaincantes. Ses revenus tirés d’un travail véritablement rémunérateur en 2017 ne concordent pas avec une invalidité grave. Cela veut dire que son appel ne peut pas être accueilli.

[40] Pour arriver à cette conclusion, je reconnais que la requérante a probablement traversé des périodes d’invalidité grave. Le Dr Oxner (chirurgie orthopédique) a déclaré qu’elle était [traduction] « dans une situation extrêmement difficile » tout juste avant son intervention chirurgicale d’août 2013. Elle vivait aussi une grande détresse juste avant son intervention chirurgicale d’avril 2014Note de bas de page 31. Les éléments de preuve produits par le Dr MacDonald le 4 mars 2018 concordent avec une invalidité grave à ce moment-làNote de bas de page 32. Cependant, elle doit prouver l’existence d’une invalidité continue depuis février 2014.

[41] En plus des éléments de preuve montrant une bonne capacité de travail en 2017, les notes rédigées en février 2018 par le Dr MacDonald semblent indiquer que l’état de la requérante s’est détérioré à ce moment-là. Elle lui a dit qu’elle ne pouvait plus s’occuper de son entreprise. Elle avait l’impression [traduction] « qu’elle ne pouvait maintenant plus continuer ». Elle pensait « devoir demander une pension d’invaliditéNote de bas de page 33 ». Le 1er mars 2018, le Dr MacDonald a dit qu’elle était à un point où elle ne pouvait plus gérer son entreprise. Elle avait beaucoup de responsabilités et devait se pencher souvent. Encore une fois, elle avait l’impression qu’elle allait devoir [traduction] « demander une pension d’invalidité ». Le Dr MacDonald ne pensait pas qu’elle pouvait consacrer [traduction] « beaucoup de temps » à son entreprise. Elle présentait aussi une humeur triste face aux problèmes auxquels elle était confrontéeNote de bas de page 34. Tous ces éléments de preuve appuient la conclusion selon laquelle la requérante était en mesure d’exploiter son entreprise pendant un certain temps et avait déployé des efforts considérables pour continuer à le faire, mais n’en était plus capable au début de 2018.

L’invalidité de la requérante est-elle aussi prolongée?

[42] Comme j’ai conclu que la requérante n’a pas une invalidité qui est toujours grave depuis au moins février 2014, je n’ai pas besoin de répondre à cette question.

Conclusion

[43] L’appel est rejeté.

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