Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 579

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission d’en appeler

Partie demanderesse : M. B. (requérante)
Partie défenderesse : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 4 juin 2021 (GP-20-1892)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 28 septembre 2021
Numéro de dossier : AD-21-315

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette les demandes de prolongation du délai et de permission de faire appel que la requérante a présentées. Je ne vois aucune raison d’aller de l’avant dans cet appel.

Aperçu

[2] La requérante est une ancienne conductrice de chariot à fourche qui a perdu son emploi en septembre 2012. L’année suivante, elle a travaillé sur une chaîne de montage pendant quatre mois. C’était son dernier emploi.

[3] Le 22 août 2014, la requérante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle affirmait ne plus pouvoir travailler en raison d’un essoufflement causé par une artère bloquée dans sa jambe ainsi que d’autres problèmes de santé comme le syndrome du côlon irritable, l’hypertension, l’anxiété et la dépression.

[4] Le ministre a refusé la demande. Selon lui, la requérante n’avait pas démontré qu’elle avait une invalidité grave et prolongée pendant sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui a pris fin le 31 décembre 2015Note de bas page 1.

[5] La requérante a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence. Dans une décision datée du 7 février 2017, elle a rejeté l’appel parce qu’elle a jugé que la preuve médicale n’était pas suffisante pour démontrer que la requérante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au moment de la PMA. Par la suite, la division d’appel du Tribunal a refusé d’accorder à la requérante la permission de porter la décision de la division générale en appel.

[6] Le 5 mars 2019, la requérante a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle a de nouveau cité les douleurs à la jambe et l’essoufflement, tout comme le syndrome du côlon irritable et la dépression, comme les raisons pour lesquelles elle ne pouvait plus travailler. Sa PMA se terminait toujours le 31 décembre 2015.

[7] La division générale a tenu une autre audience, cette fois-ci par vidéoconférence. Elle a rejeté l’appel dans une décision rendue le 4 juin 2021. La division générale a jugé que l’appel de la requérante soulevait des questions qui avaient déjà été tranchées à la première audience. Elle a conclu qu’elle ne pouvait pas examiner le deuxième appel de la requérante en raison d’une doctrine juridique appelée le principe de la chose jugée.

[8] La requérante revient à la division d’appel pour demander la permission d’appeler de la décision récente rendue par la division générale. Elle prétend que la division générale a commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a rendu sa décision :

  • La division générale a déclaré que cesser de travailler était un choix personnel, mais la requérante a arrêté de travailler après que son médecin lui a directement ordonné de le faire.
  • La division générale n’a pas tenu compte du fait que son spécialiste n’avait pas transmis ses dossiers médicaux comme la requérante l’avait demandé.

[9] J’ai examiné la décision de la division générale en la comparant au fond de l’affaire. Je conclus que la requérante n’a invoqué aucun moyen d’appel qui pourrait conférer à l’appel une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[10] J’ai dû trancher les questions connexes suivantes :

  • La demande de permission de faire appel a-t-elle été déposée en retard? Si oui, dois-je accorder un délai supplémentaire à la requérante?
  • L’appel de la requérante a-t-il une chance raisonnable de succès?

Analyse

La demande de permission de faire appel a été présentée en retard

[11] Il faut que la demande de permission de faire appel soit présentée à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date où la partie demanderesse reçoit communication de la décisionNote de bas page 2. La division d’appel peut proroger le délai (donner un délai supplémentaire) d’au plus un an pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[12] Dans la présente affaire, la division générale a rendu sa décision le 4 juin 2021. Le lendemain, le Tribunal a posté la décision à la requérante à l’adresse résidentielle qu’elle avait fournie au Tribunal. C’est seulement le 22 septembre 2021, soit environ deux semaines après la date limite de dépôt, que la division d’appel a reçu la demande de permission de faire appel présentée par la requérante. Même si l’on tient compte du délai de livraison de 10 jours prévu par le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la requérante avait plusieurs jours de retard lorsqu’elle a présenté sa demande de permission de faire d’appel.

[13] Dans une affaire appelée Gattellaro, la Cour fédérale a établi quatre critères à prendre en considération pour décider s’il faut accorder plus de temps pour le dépôt d’un appelNote de bas page 3 :

  • le retard a été raisonnablement expliqué;
  • la personne démontre une intention persistante de poursuivre l’appel;
  • la prorogation du délai ne causerait aucun préjudice aux autres parties;
  • la cause est défendable.

[14] Le poids à accorder à chacun des critères énoncés dans la décision Gattellaro peut varier d’une cause à l’autre. D’autres facteurs peuvent aussi être pertinents. Toutefois, la considération primordiale est que la décision d’accorder ou non plus de temps soit dans l’intérêt de la justiceNote de bas page 4.

La requérante avait une explication raisonnable pour justifier le retard

[15] La requérante affirme avoir eu de la difficulté à obtenir de l’aide pour remplir sa demande de permission de faire appel. Elle dit que le personnel du bureau de circonscription de son député était distrait par l’approche des élections fédérales. Compte tenu de toutes les circonstances, je juge que cette explication est raisonnable.

La requérante avait l’intention persistante de poursuivre l’appel

[16] La requérante a présenté sa demande seulement quelques jours après la date limite. Comme le retard était de courte durée, je suis prêt à supposer que la requérante a toujours eu l’intention de poursuivre son appel.

Un délai supplémentaire ne causerait aucun préjudice à l’autre partie

[17] Je juge peu probable que le fait de permettre à l’appel de la requérante d’aller de l’avant à une date aussi tardive puisse porter préjudice aux intérêts du ministre. En effet, il s’est écoulé relativement peu de temps depuis l’expiration du délai. En particulier, compte tenu des ressources dont le ministre dispose, je ne crois pas que sa capacité à répondre à l’appel serait indûment diminuée si j’accordais un délai supplémentaire pour le dépôt de l’appel.

La requérante n’a aucun argument défendable

[18] Lorsqu’on demande un délai supplémentaire, il faut démontrer qu’on a au moins un argument défendable. Il se trouve que c’est aussi le critère pour donner la permission de faire appel. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une cause défendable s’apparente à une cause qui a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 5.

[19] Pour les motifs décrits ci-dessous, je conclus que l’appel de la requérante n’aurait aucune chance raisonnable de succès.

Les observations de la requérante ne soulèvent aucun argument défendable dans le cadre d’un appel

[20] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. Une partie appelante doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas page 6.

[21] Je ne vois pas comment la requérante pourrait présenter un argument défendable dans le cadre d’un appel. Voici pourquoi j’ai tiré une telle conclusion.

La requérante ne peut pas répéter ses arguments devant la division d’appel

[22] Les motifs invoqués par la requérante pour demander la permission de faire appel à la division d’appel sont semblables à ceux qu’elle a invoqués dans son appel à la division générale plus tôt cette annéeNote de bas page 7. Devant les deux divisions, elle a affirmé qu’elle avait cessé de travailler suivant l’avis de son médecin et qu’il manquait des rapports clés dans son dossier médical, mais qu’elle n’y était pour rien.

[23] Malheureusement, je ne peux pas examiner des arguments et des éléments de preuve qui ont déjà été présentés à la division générale. Comme membre de la division d’appel, mes pouvoirs sont limités. Je suis autorisé à examiner une seule chose : si la division générale a commis certains types d’erreurs pour en arriver à sa décision. Pour cette raison, un appel à la division d’appel n’est pas l’occasion de présenter des documents qui ont été ou auraient pu être déposés à la division générale. Bref, un appel à la division d’appel ne sert pas à « recommencer » l’audience de la division générale.

La division générale ne peut pas se pencher sur des questions qu’elle a déjà tranchées

[24] Comme la division générale l’a souligné à juste titre, une doctrine juridique appelée le principe de la chose jugée empêche les personnes qui doivent rendre une décision de réexaminer des questions qu’elles ont déjà tranchées. L’affaire DanylukNote de bas page 8 a établi que les personnes qui rendent une décision doivent tenir compte de trois critères pour décider si le principe de la chose jugée s’applique :

  • L’appel antérieur impliquait-il les mêmes parties que l’appel actuel?
  • L’appel antérieur abordait-il les mêmes questions?
  • L’appel antérieur a-t-il mené à une décision définitive?

[25] Dans la décision Danyluk, la Cour suprême du Canada a confirmé que le principe de la chose jugée repose sur des motifs d’intérêt public qui sont judicieux :

Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évitésNote de bas page 9.

La deuxième demande de la requérante empiète sur sa première demande

[26] La division générale a décidé que le principe de la chose jugée l’empêchait d’examiner l’appel de la requérante pour les motifs suivants :

  • Les parties à l’appel qui a été tranché le 7 février 2017 (la requérante et le ministre) étaient les mêmes que les parties au deuxième appel.
  • Les deux appels portaient sur l’allégation de la requérante voulant qu’elle est devenue invalide avant le 31 décembre 2015 en raison d’une artère bloquée, d’un essoufflement, d’un syndrome du côlon irritable, de l’anxiété et d’une dépression.
  • La décision rendue par la division générale le 7 février 2017 était définitive et le dossier de la requérante a été fermé.

[27] La division générale a examiné le dossier médical de la requérante. Elle a constaté qu’il contenait en grande partie les mêmes documents présentés à l’appui de son premier appel. La requérante a bien déposé d’autres rapports médicaux pour son deuxième appel, mais la division générale a établi pour chacun l’une des choses suivantes :

  • les rapports portaient sur la période précédant le 31 décembre 2015 sans toutefois contenir de nouveaux renseignements;
  • les rapports portaient sur la période suivant le 31 décembre 2015, mais contenaient des renseignements non pertinents.

[28] La division générale a conclu que, dans l’une ou l’autre des instances, les nouveaux renseignements présentés par la requérante n’ont soulevé aucune question qui n’avait pas déjà été tranchée. Je ne vois rien qui laisse croire que la division générale a commis une erreur de droit ou de fait en arrivant à cette conclusion.

La division générale a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée en décidant de ne pas réexaminer l’affaire de la requérante

[29] Même si les trois critères mentionnés ci-dessus sont respectés, la décision Danyluk donne aux personnes qui doivent rendre une décision un certain pouvoir discrétionnaire quant à l’application du principe de la chose jugée. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en tenant compte des facteurs suivants :

  • le libellé du texte de loi établissant le pouvoir administratif;
  • l’objet de cette loi;
  • l’existence d’un droit d’appel;
  • les garanties administratives offertes aux parties;
  • l’expertise de la personne qui rend la décision administrative;
  • les circonstances ayant donné lieu à l’instance administrative initiale;
  • le risque d’injustice.

[30] La division générale a considéré ces facteurs, mais elle a jugé qu’il n’y avait aucune raison de renoncer à l’application du principe de la chose jugée et de réexaminer sa décision antérieure. Plus précisément, la division générale a conclu que la requérante avait déjà eu « toutes les occasions de fournir les documents qu’elle estimait pertinents jusqu’à la date de sa PMA et même aprèsNote de bas page 10 ». Surtout, la division générale ne voyait aucun risque d’injustice si elle refusait d’examiner le deuxième appel de la requérante.

[31] À mon avis, la division générale a exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a examiné de bonne foi les facteurs énoncés dans la décision Danyluk. Je n’ai rien vu qui indiquerait que, ce faisant, elle a fait preuve de partialité ou a agi dans un but inapproprié. Je n’ai vu aucune autre indication montrant qu’elle a ignoré un facteur pertinent ou considéré un facteur non pertinentNote de bas page 11.

Conclusion

[32] J’ai décidé qu’il n’était pas approprié dans la présente affaire d’accorder un délai supplémentaire, qui dépasse la limite de 90 jours, pour déposer un appel. J’ai conclu que la requérante avait raisonnablement expliqué le retard du dépôt de sa demande de permission de faire appel. J’ai aussi accepté le fait qu’elle avait toujours eu l’intention de faire appel. J’ai aussi jugé qu’il était peu probable qu’un délai supplémentaire cause un préjudice aux intérêts du ministre. Toutefois, j’ai conclu qu’il n’y avait aucun argument défendable dans le cadre d’un appel, et c’est ce dernier facteur qui a été déterminant. Je ne vois pas l’utilité de faire de la présente demande un appel en bonne et due forme qui serait voué à l’échec.

[33] Compte tenu des critères établis dans la décision Gattellaro et comme cela est dans l’intérêt de la justice, je refuse d’accorder à la requérante un délai supplémentaire pour déposer un appel.

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