Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 580

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-1892

ENTRE :

M. B.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Nicole Zwiers
Date de l’audience par
vidéoconférence :
Le 12 avril 2021
Date de la décision : Le 4 juin 2021

Sur cette page

Décision

[1] La requérante n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] La requérante a cessé de travailler en septembre 2013 pour des raisons non médicales. Elle fonde la demande qu’elle a présentée au Régime de pensions du Canada sur un problème de santé mentale important, le syndrome du côlon irritable et une maladie vasculaire grave. Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité de la requérante le 5 mars 2019. Il a rejeté la demande une première fois, puis il l’a rejetée de nouveau après révision. La requérante a porté la décision de révision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour avoir droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, la requérante doit remplir les conditions énoncées dans le Régime. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du Régime au plus tard à la fin de la période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA repose sur les cotisations que la requérante a versées au Régime. Je constate que la PMA de la requérante a pris fin le 31 décembre 2015.

[4] L’époux de la requérante, D. B., a témoigné à l’audience.

[5] Le ministre a soulevé la question du principe de la chose jugée. Selon lui, l’affaire de la requérante a déjà été tranchée de façon définitive en février 2017 par un membre de la division générale du Tribunal. La requérante a demandé une pension d’invalidité du Régime pour la première fois en août 2014.

[6] J’ai abordé la présente affaire en invitant la requérante et son époux à fournir tous les éléments de preuve sur les problèmes de santé de la requérante et à présenter les observations de la requérante selon lesquelles elle avait une invalidité grave et prolongée au plus tard à la fin de sa PMA. Si je décidais que le principe de la chose jugée ne s’appliquait pas dans la présente affaire ou que je pouvais faire une exception à l’application du principe, je disposerais alors de la preuve nécessaire pour rendre une décision.

[7] La première partie de ma décision reflète les éléments de preuve que la requérante et son époux m’ont présentés. La deuxième partie présente un examen du droit que je suis tenue de respecter en ce qui a trait au principe de la chose jugée et une analyse de la possibilité de faire une exception à son application dans la présente affaire. Pour les motifs que j’explique ci-dessous, je conclus que je dois appliquer le principe de la chose jugée, et non exercer mon pouvoir discrétionnaire, et que je dois rejeter l’appel de la requérante.

Questions en litige

[8] La présente affaire est-elle une chose jugée (est-elle déjà tranchée), ce qui m’empêcherait de rendre une décision sur la demande dont je suis saisie?

[9] Si oui, en appliquant mon pouvoir discrétionnaire, puis-je examiner la deuxième demande de la requérante et tirer une conclusion sur la question de savoir si la requérante remplit le critère d’une invalidité grave et prolongée depuis le 31 décembre 2015?

[10] Si la réponse à la première question est non, les problèmes de santé de la requérante ont-ils entraîné chez elle une invalidité grave, c’est-à-dire était-elle régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au plus tard le 31 décembre 2015?

[11] Si oui, l’invalidité de la requérante semblait-elle aussi devoir durer pendant une période longue, continue et indéfinie au plus tard le 31 décembre 2015?

Analyse

[12] L’invalidité se définit comme une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongéeNote de bas page 1. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès. La personne doit prouver selon la prépondérance des probabilités que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Autrement dit, si la requérante satisfait seulement à un volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Invalidité grave

[13] La requérante a déclaré avoir cessé de travailler en septembre 2013, quand elle a perdu son emploi. Elle a dit avoir été congédiée parce qu’elle avait de la difficulté à faire son travail, car elle éprouvait des problèmes de santé sans toutefois en connaître la cause. Elle avait des douleurs à l’aine et ses jambes étaient engourdies, violettes et froides au toucher. Le travail de la requérante à ce moment-là était physique. Elle travaillait à temps plein. Elle était manutentionnaire et conductrice de chariot à fourche depuis 2007Note de bas page 2.

[14] La requérante a déclaré qu’après avoir été congédiée, elle a essayé de travailler par l’entremise d’une agence temporaire. Son travail était moins exigeant physiquement et elle pouvait rester au même endroit pour travailler. Même si cet emploi était moins physique que le précédent, elle a cessé de travailler et n’a pas cherché de travail depuis. La requérante a déclaré qu’elle n’a pas essayé de trouver un emploi parce qu’elle savait qu’elle était incapable de travailler. Elle explique qu’elle utilise une marchette tous les joursNote de bas page 3.

[15] La requérante a déclaré qu’elle est suivie en chirurgie vasculaire tous les trois mois, mais qu’il n’y a rien d’autre à faire pour améliorer son problème de santé. Ses veines sont plus étroites qu’avant et elle a beaucoup de douleurs aux jambes et aux pieds. Elle a ajouté qu’elle prend des médicaments pour traiter son problème de santé.

[16] La requérante a déclaré que son syndrome du côlon irritable est contrôlé par des médicaments, mais qu’elle a dû cesser de les prendre parce qu’elle n’en avait plus les moyens. Elle a expliqué que la maladie a été diagnostiquée par un spécialiste à la suite d’une diarrhée constante.

[17] La requérante a déclaré que son anxiété et sa dépression ont commencé après qu’elle a cessé de travailler. Elle a expliqué que ces problèmes de santé découlent des limitations causées par ses autres problèmes de santé. Elle trouve embarrassant de ne pas pouvoir monter les escaliers, ni aller marcher avec son mari ou faire un feu de camp avec ses petits-enfants comme elle le faisait auparavant. La requérante a déclaré qu’elle prend des médicaments pour les deux maladies et qu’elle s’est jointe à des groupes de soutien privés qu’elle a trouvés.

[18] La requérante a déclaré qu’à l’époque de sa PMA, le 31 décembre 2015, elle se levait fréquemment pendant la nuit en raison d’engourdissements et de picotements dans les jambes et les pieds. Les médicaments de la requérante lui permettent de dormir pendant deux heures, mais elle doit ensuite se lever. Elle ressent aussi ces sensations le jour et doit se lever fréquemment. La requérante essaie de préparer des plats, de faire du thé ou du café ou de se faire quelque chose à manger. Elle n’a pas fait l’épicerie depuis avant sa PMA parce qu’elle en est incapable. Elle essaie d’effectuer des tâches ménagères peu exigeantes, mais elle y met beaucoup plus de temps que par le passé.

[19] La requérante a déclaré qu’elle fait de courtes siestes pendant la journée, car elle doit ensuite se lever en raison d’engourdissements et de picotements aux pieds. La requérante a déclaré que, parfois, ses douleurs sont si importantes qu’elle a l’impression d’être physiquement malade.

[20] La requérante a un permis de conduire valide, mais elle conduit seulement sur de courtes distances parce que l’engourdissement et les picotements aux pieds l’empêchent de conduire plus longtemps.

[21] L’époux de la requérante, D. B., a témoigné à l’audience. Il a déclaré que l’état de santé de la requérante avait changé radicalement après son pontage en 2018. Même si son problème de santé était important auparavant, il s’est aggravé par la suite et la possibilité d’amputer son pied a été abordée.

[22] D. B. a déclaré que la requérante a cessé de travailler en septembre 2013 et qu’elle avait de la difficulté à marcher à ce moment‑là. Il s’est rappelé qu’en 2010, l’état de santé de la requérante était relativement bon. Elle marchait pendant des kilomètres avec lui. Cependant, les problèmes de santé de la requérante se sont lentement aggravés et on lui a installé des endoprothèses vasculaires, qui ont également aidé à ce moment‑là. D. B. a expliqué qu’à l’époque où la requérante travaillait, elle se portait beaucoup mieux. À la fin de 2015, la requérante ne pouvait plus marcher, ni faire l’épicerie ou la cuisine et elle ne faisait plus sa part des tâches ménagères comme avant. Il a déclaré que lorsque la requérante a cessé de travailler en 2013, il pensait qu’elle aurait pu faire autre chose, mais qu’il est devenu évident qu’elle en était incapable.

[23] Datée du 27 mai 2020, une lettre du médecin de la requérante, le Dr Somoila, précise que la requérante a un problème de santé qui est grave et prolongé. Le Dr Somoila confirme également que, selon son pronostic, le problème va se détériorerNote de bas page 4. Le Dr Somoila a mentionné avoir recommandé à la requérante de cesser de travailler en septembre 2014 et qu’il ne s’attendait pas à ce qu’elle reprenne un quelconque travail. Le Dr Somoila a écrit que la maladie vasculaire est majeure et empêche tout emploiNote de bas page 5.

[24] Le Dr Somoila a rempli le rapport médical de la requérante le 28 février 2019. Il a écrit qu’il la traitait pour son problème de santé principal depuis juin 2014. En septembre 2013, il lui a diagnostiqué une maladie vasculaire grave accompagnée de douleurs intenses et d’une mobilité réduite. Il a été noté que la requérante prenait un certain nombre de médicaments d’ordonnanceNote de bas page 6.

[25] Datée du 20 février 2019, une lettre du Dr Pearce, chirurgien cardiovasculaire et thoracique, confirme que la requérante a des douleurs neuropathiques aux piedsNote de bas page 7. Un rapport de diagnostic daté du 7 février 2019 montre une sténose de 50 à 59 % de l’artère fémorale superficielle distale du côté droit ainsi qu’une occlusion dans l’artère tibiale antérieure distale et l’artère dorsale du pied gaucheNote de bas page 8.

Le principe de la chose jugée s’applique

[26] La position du ministre est la suivante : la demande actuelle de la requérante est chose jugée. Il s’agit d’un terme juridique qui signifie que la question en litige a déjà été tranchée de façon définitive et qu’elle ne peut pas être jugée une nouvelle fois. Essentiellement, le ministre est d’avis que mon examen de la demande actuelle, soit la deuxième demande de la requérante, n’est pas valide. Ici, le ministre fait référence à la première demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle date du 22 août 2014 et a été examinée par un membre de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en février 2017. À la suite de l’instruction de l’affaire, le Tribunal a décidé que la requérante ne remplissait pas le critère d’une invalidité grave et prolongée pour les prestations du Régime de pensions du Canada. L’appel de la requérante a donc été rejeté. Le Tribunal a rédigé une décision à cet effet.

[27] Le ministre a fait référence à la jurisprudence que je dois suivre si je juge qu’elle s’applique. La décision rendue dans l’affaire Danyluk c Ainsworth Technologies Inc. présente un critère juridique qui établit la façon de décider si le principe de la chose jugée s’applique à une affaireNote de bas page 9. Dans cette décision, l’analyse visant à vérifier si le principe de la chose jugée s’applique comporte deux étapes. Voici la première étape : il faut que la question soit la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure, que la décision antérieure soit définitive et que les parties soient les mêmes dans chacune des instances.

[28] Je juge que la décision Danyluk s’applique bel et bien à la présente affaire. Je juge aussi que les trois éléments du premier volet du critère sont respectés. La question de savoir si l’invalidité est grave et prolongée est la même que dans la décision antérieure. La décision de la division générale était définitive. La permission d’appeler de la décision de la division générale à la division d’appel a été refusée. Les parties sont les mêmes dans les deux instances.

[29] Je comprends que la requérante a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada et qu’elle a joint de nouveaux documents médicaux qui sont plus récents et qui n’étaient pas disponibles lors de sa première audience, compte tenu des dates sur les documents. Toutefois, ces nouveaux documents comprennent des renseignements provenant du même médecin traitant que lorsque la requérante a témoigné devant la division générale pour sa première demande. De plus, les documents font toujours référence à la même période, celle qui a été examinée à la première audience de la division générale. D’ailleurs, la raison pour laquelle les mêmes renseignements n’ont pas été communiqués lors de la première audience n’est pas claire. Soit les renseignements contenus dans ces documents sont nouveaux, soit ils sont identiques à ceux que la division générale a déjà examinés lors de la première instance. S’il est vrai que les nouveaux documents reflètent un changement dans le pronostic de la requérante depuis sa première audience, ils ne sont pas pertinents parce que de nombreuses années se sont écoulées depuis la PMA de la requérante. S’il s’agit d’un double des renseignements qui ont été portés à la connaissance de la division générale lors de l’instance initiale, la requérante n’a déposé aucun nouveau renseignement comparativement à ceux qui ont été examinés à la première audience.

[30] Rien ne laisse croire que la requérante n’a pas eu toutes les occasions possibles de présenter les documents qu’elle jugeait appropriés à la division générale en 2017. De plus, le Tribunal a déjà rendu une décision définitive et exécutoire sur la même question. Pour la première demande, l’audience de la division générale a eu lieu plus d’un an après la PMA de la requérante. Ainsi, tous les documents présentés à la division générale devaient témoigner des problèmes de santé de la requérante à l’époque de sa PMA.

[31] Le ministre a également mentionné le deuxième volet du critère énoncé dans la décision Danyluk. Il permet à la personne qui doit rendre une décision d’exercer un certain pouvoir discrétionnaire quant à l’application du principe de la chose jugée, même quand tous les éléments du premier volet sont respectés. Essentiellement, ce pouvoir discrétionnaire pourrait me permettre de faire une exception à l’application du principe de la chose jugée dans la présente situation.

[32] Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour l’application du principe de la chose jugée, je dois tenir compte de six facteurs : le libellé du texte de loi, l’objet de la loi, l’existence d’un droit d’appel, les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative, l’expertise de la personne qui rend la décision administrative, les circonstances ayant donné lieu à l’instance administrative initiale, et le risque d’injustice.

[33] J’ai tenu compte de ces facteurs. Plus particulièrement, j’ai remarqué que la législation relative au Régime de pensions du Canada est bienveillante. En d’autres termes, l’objet de la législation est d’aider les gens dans le besoin. Bon nombre de ces personnes n’ont aucune représentation professionnelle, comme c’est le cas dans la présente affaire. Toutefois, j’ai réfléchi au fait que l’audience de la requérante devant la division générale a eu lieu plus d’un an après sa PMA et, pour cette raison, je juge que la requérante a eu toutes les occasions de fournir les documents qu’elle estimait pertinents jusqu’à la date de sa PMA et même après. Je n’ai aucune raison de conclure que les éléments de preuve dont la division générale disposait étaient insuffisants pour rendre une décision juste et définitive ou que la requérante n’a pas eu toutes les occasions de présenter ses arguments. La requérante avait le droit de faire appel de la première décision, et la permission de faire appel lui a été refusée. La requérante a également la possibilité de porter ma décision en appel si elle demande la permission de le faire.

[34] Pour ce qui est du risque d’injustice, je n’en vois aucun. Je comprends que la requérante préférerait, bien sûr, que la décision soit en sa faveur, mais cela ne veut pas dire que l’application du principe de la chose jugée crée une injustice. Je juge que la requérante a eu une occasion équitable de présenter ses arguments, ce qu’elle a fait. La requérante a témoigné devant moi dans le cadre de sa deuxième demande de prestations, et son époux a également témoigné. Je ne dispose d’aucun renseignement ou élément de preuve qui laisse croire qu’il y a eu injustice ou qu’il y en aura une si la décision initiale de la division générale est maintenue. À mon avis, l’intérêt de la justice exige que j’applique le principe de la chose jugée.

[35] Pour tous ces motifs, je conclus que le principe de la chose jugée s’applique à la présente affaire, qui a déjà été tranchée de façon définitive. De plus, je juge qu’il ne s’agit pas d’une affaire qui exige l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour faire une exception à l’application du principe de la chose jugée.

Conclusion

[36] L’appel est rejeté.

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