Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – invalidité – entente entre les parties – gravité – emploi du terme « régulièrement » dans la définition d’une invalidité

Le 5 août 2021, la Cour d’appel fédérale (CAF) a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la requérante et a renvoyé l’appel à la division d’appel (DA).

Deux ans après s’être blessée dans un accident de voiture, la requérante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Elle avait 57 ans et avait travaillé comme aide-résidente en soins et comme aide-plombière. Après l’accident, elle prétendait s’être retrouvée presque incapable de bouger son bras, avait de la douleur dans plusieurs de ses membres; de l’enflure; ainsi qu’une capacité altérée de se tenir assise ou debout pendant de longues périodes. La douleur l’empêchait aussi régulièrement de bien dormir. Le ministre a rejeté la demande, et la requérante a porté cette décision en appel devant la division générale (DG).

La DG a rejeté son appel. Elle a examiné la preuve et a décidé que son invalidité n’était pas grave. La requérante a fait appel de la décision de la DG à la DA. Elle a soutenu en partie que la DG avait ignoré sa preuve concernant la douleur qui l’affectait, et son effet sur son fonctionnement. La DA a conclu que la décision de la DG était correcte et a rejeté son appel.

La requérante a demandé à la CAF de réviser la décision de la DA. Elle a soutenu que la décision de la DA était déraisonnable. La CAF a conclu que les motifs de la DA étaient insuffisants, puisqu’elle n’avait pas analysé les motifs de la DG sur les éléments de preuve de la capacité de travail de la requérante. Pour que la requérante soit admissible à une pension d’invalidité, la DG devait conclure que son invalidité était « régulière ». La DA n’a pas bien expliqué comment la DG aurait pu analyser la capacité de travail de la requérante compte tenu de toutes ses circonstances particulières, y compris son expérience et ses problèmes de santé. Précisément, la DG a omis d’analyser comment son état de santé évoluait au quotidien, et de lier la façon dont elle a décidé que la requérante avait une capacité de travail. Puisque la DA n’a pas expliqué la conclusion de la DG, et que cette conclusion n’a pas montré que la DG avait tenu compte du bon critère juridique relatif à l’incapacité, la CAF a décidé qu’il était possible que la DA et la DG aient toutes deux ignoré le terme « régulièrement » de la définition juridique d’une invalidité. La CAF a renvoyé à plusieurs affaires comme Villani, Atkinson, Scott et Riccio (voir la décision pour les renvois). Les autorités citées dans les affaires ci-dessus exigent que la DG et la DA analysent les cas relatifs à l’invalidité en utilisant tous les termes de la définition. Le terme « régulière » de la définition ne veut pas dire que l’emploi ou l’emploi éventuel doit avoir été « régulier »; la DG doit plutôt se concentrer sur une « incapacité régulière de travailler ». Par exemple, dans la décision Riccio, la CAF a dit que la capacité de travail d’une personne dépend de la possibilité pour elle de se présenter au travail aux dates et aux heures auxquelles il est prévu qu’elle travaille – qu’il s’agisse d’un emploi à temps plein ou à temps partiel. La CAF a accueilli la demande de la requérante et a renvoyé l’affaire à une nouvelle membre de la DA.

Le 7 octobre 2021, une nouvelle membre de la DA a accueilli l’appel de la requérante. La DA a fondé sa décision en partie sur l’entente écrite entre les parties. Elle a décidé que la DG avait fait deux erreurs principales. D’abord, elle n’a pas appliqué le bon critère juridique à la régularité de la capacité de travail de la requérante. Ensuite, la DG a ignoré ou n’a pas bien analysé la preuve médicale de la requérante à l’appui de ses déclarations selon lesquelles elle ne pouvait pas travailler régulièrement. La DA a conclu que les problèmes de santé de la requérante étaient graves, prolongés et qu’elle était invalide au titre du RPC. Ainsi, la requérante recevrait des prestations d’invalidité, et ce à partir de novembre 2016.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : EB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 618

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : E. B.
Représentante : Sepideh Alimirzaee (avocate)
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Ian McRobbie (avocat)

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 16 septembre 2019 (GP-18-2621)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Date de la décision : Le 7 octobre 2021
Numéro de dossier : AD-21-265

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit, car elle ne s’est pas demandé si la requérante était « régulièrement » incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre et j’accorde à la requérante une pension d’invalidité. Les paiements seront versés à compter de novembre 2016.

Contexte

[2] L’appelante, E. B. (requérante), a été blessée dans un accident de la route le 18 décembre 2015. Elle a subi diverses blessures qui ont entraîné de nombreuses limitations fonctionnelles. Par conséquent, elle n’a repris aucun des deux emplois à temps partiel qu’elle exerçait auparavant, à savoir le poste occasionnel d’aide-résidente en soins ou celui d’ouvrière en plomberie générale.

[3] La compagnie qui fournissait une assurance automobile à la requérante a exigé qu’elle demande des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. La requérante a présenté sa demande le 31 octobre 2017. Elle a déclaré qu’à la suite de l’accident, elle avait une amplitude de mouvement limitée au bras droit, des douleurs persistantes au bras, à l’épaule et au cou du côté droit, une enflure à la main droite, une incapacité à rester assise et debout pendant des périodes prolongées et des troubles du sommeil causés par les douleurs.

[4] L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande de prestations d’invalidité de la requérante. Il a fait de même pour la demande de révision qu’elle a présentée par la suite. La requérante a porté en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale la décision de révision rendue par le ministre.

[5] La division générale a rejeté l’appel de la requérante. Elle a conclu que la requérante avait encore une capacité de travail résiduelle et qu’elle pouvait donc détenir une occupation rémunératrice qui convenait à sa situation. La division générale a conclu que la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité grave avant la fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2017.

[6] Par la suite, la requérante a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel. Le 6 mars 2020, la division d’appel a rejeté l’appel de la requérante. Cette dernière s’est donc adressée à la Cour d’appel fédérale pour demander le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel.

[7] La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la requéranteNote de bas page 1. Elle a annulé la décision de la division d’appel et renvoyé l’affaire à une ou un autre membre de la division d’appel pour réexamen. Je suis maintenant saisie de l’affaire.

[8] Les parties conviennent qu’il faut accueillir l’appel, car la division générale a commis une erreur de droit en ne vérifiant pas si la requérante était « régulièrement » incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Les parties s’entendent sur l’issue de l’appel

[9] Les parties ont demandé une décision fondée sur un accord écrit qui est daté du 29 septembre 2021 par la requérante et du 4 octobre 2021 par une personne représentant le ministre. L’accord dit ceci :

  1. a) Les éléments de preuve au dossier, en particulier ceux fournis par les docteurs Ervine et Cameron pour décrire le syndrome de douleur régionale complexe de l’appelante, mènent à la conclusion que le problème de santé de l’appelante était à la fois « grave » et « prolongé » dès juillet 2016, soit 15 mois avant la date de la demande qu’elle a présentée en octobre 2017. Il s’agit de la période de rétroactivité maximale permise par l’article 42(2)(b) du Régime de pensions du Canada.
  2. b) La date réputée de l’invalidité, à savoir juillet 2016, permet à l’appelante de compter dans sa période de cotisation les 4 années sur 6 qui sont requises pour obtenir une pension d’invalidité conformément aux articles 44(2)(a)(i) et 44(2)(b) du Régime.
  3. c) Si la date réputée de l’invalidité est juillet 2016, la pension d’invalidité devient payable quatre mois plus tard, soit en novembre 2016, conformément à l’article 69 du Régime.

J’accepte l’accord conclu par les parties

[10] Une personne est considérée comme invalide au sens du Régime de pensions du Canada si elle a une invalidité mentale ou physique qui est grave et prolongée. Les termes « grave » et « prolongé » sont définis aux articles 42(2)(a)(i) et (ii) du Régime. L’article 42(2)(a) est libellé ainsi :

Personne déclarée invalide

(2) Pour l’application de la présente loi :

  1. a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :
    1. (i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,
    2. (ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès; (…).

[11] Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans la décision VillaniNote de bas page 2, l’article 42(2)(a)(i) du Régime de pensions du Canada doit être interprété généreusement et le sens de chacun des mots utilisés dans la définition du terme grave « doit être interprété d’une façon large et libérale, et toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur de la personne qui demande des prestations d’invaliditéNote de bas page 3 ».

[12] La Cour a conclu que la division d’appel n’avait fourni aucune analyse sur la façon dont deux passages pouvaient être liés à la conclusion de la division générale selon laquelle la requérante avait une certaine capacité de travail. Ces passages sont les suivants :

  1. i) la mention du témoignage de la requérante sur la variabilité de son problème de santé et sur sa capacité à rester assise pendant de une à deux heures, à marcher et à se tenir debout pendant 20 minutes;
  2. ii) la mention du fait qu’elle gérait sa douleur en prenant du Tylenol au besoin.

[13] La Cour a conclu que l’absence d’analyse de la part de la division d’appel indiquait que la division générale et la division d’appel avaient peut-être toutes deux mal interprété le critère juridique applicable et qu’elles avaient effectivement ignoré le mot « régulièrement », qui figure dans la définition législative du terme « invalide ».

[14] Comme les tribunaux l’ont toujours confirmé, c’est l’incapacité de travailler qui doit être « régulière », et non l’emploiNote de bas page 4. Et la prévisibilité est l’essence de la régularitéNote de bas page 5. Le terme « régulièrement » reflète la réalité selon laquelle les membres du personnel, que leur travail soit à temps plein ou à temps partiel, « doivent se présenter au travail aux dates et heures prévues à l’horaireNote de bas page 6 ». Pour répondre à la définition d’une invalidité grave, la personne doit être « incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératriceNote de bas page 7 ».

[15] Lors de son témoignage, la requérante a déclaré à la division générale qu’elle est incapable de prédire comment elle se sentira d’un jour à l’autre. Elle a expliqué qu’elle peut être « debout et fonctionner pendant une à trois heures et ensuite elle a besoin de se reposerNote de bas page 8 ». Elle a également affirmé qu’elle peut s’asseoir pendant une ou deux heures, mais qu’ensuite sa tête devient lourde et qu’elle doit s’étendre. Elle a aussi déclaré qu’elle pouvait marcher et se tenir debout pendant 20 minutes, ce qu’elle avait également dit à une ergothérapeuteNote de bas page 9.

[16] La requérante a également déclaré que, pendant trois ans après son accident de la route, elle a pris du Tylenol Extra fort. Elle n’avait cependant pas besoin d’en prendre toutes les semaines. Il y avait aussi d’autres semaines où elle en prenait tous les joursNote de bas page 10. Elle prend maintenant du Tylenol Extra fort au besoinNote de bas page 11.

[17] La division générale a décidé que la requérante aurait probablement pu exercer un emploi où elle serait assise, étant donné qu’elle peut s’asseoir pendant une heure ou plus. Après tout, la requérante avait déclaré qu’elle pouvait rester assise pendant de une à trois heures avant de devoir se reposer.

[18] Toutefois, cette conclusion ne tient pas compte des avis médicaux du Dr Ervine, le médecin de famille de la requérante, et du Dr Cameron, neurologue, avec lesquels elle ne concorde pas.

[19] Dans son rapport daté du 26 mars 2019, le Dr Cameron était toujours d’avis que la requérante a développé un syndrome de douleur régionale complexe au bras droit. Il a écrit qu’elle continuait d’affirmer qu’elle avait des douleurs intenses à la main droite et que les douleurs empiraient avec l’activité physique et au toucher, même si elle avait essayé différentes thérapies. Malgré le fait qu’elle prenait à l’occasion du Tylenol 3 pour des douleurs persistantes, la requérante a déclaré que rien n’atténuait vraiment les douleurs.

[20] Le Dr Cameron croyait qu’il était peu probable que la requérante puisse retourner travailler dans un marché concurrentiel ou même à temps partiel. En effet, elle [traduction] « peut être active seulement pendant une ou deux heures par jour et elle ne peut pas savoir d’avance quel jour elle se portera mieux que les autres joursNote de bas page 12 ».

[21] Le médecin de famille de la requérante partageait l’opinion du neurologueNote de bas page 13.

[22] La division générale s’est appuyée sur les rapports d’évolution rédigés par les ergothérapeutes pour conclure que la requérante avait conservé une certaine capacité de travail. Toutefois, la membre a soit ignoré ou mal interprété l’opinion d’une des ergothérapeutes dans un rapport de fin de traitementNote de bas page 14. L’ergothérapeute a écrit que l’équipe médicale de la requérante n’appuyait pas un retour au travail à temps plein ou à temps partiel. L’ergothérapeute a accepté l’avis du neurologue et conclu qu’un retour au travail était impossible dans le cas la requérante.

[23] La division générale n’a pas appliqué le critère juridique approprié pour décider si la requérante avait une invalidité grave, car elle n’a pas tenu compte de la régularité de la capacité de travail de la requérante. D’après les avis médicaux, il est clair que la requérante était « régulièrement » incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice avant la fin de sa période minimale d’admissibilité, puisqu’elle ne pouvait pas savoir comment elle allait se porter d’un jour à l’autre.

[24] La preuve montre également que l’invalidité de la requérante est prolongée. Le Dr Cameron était d’avis que la requérante aurait probablement une invalidité grave de façon permanente en raison des douleurs chroniques qu’elle ressentait à la suite des blessures subies lors de l’accident de la routeNote de bas page 15.

[25] Je suis d’accord avec les parties : la réparation appropriée consiste à accueillir l’appel et à déclarer la requérante invalide pour l’application du Régime de pensions du Canada.

[26] Comme la requérante a présenté sa demande en octobre 2017, on peut considérer qu’elle est devenue invalide au plus tôt en juillet 2016, conformément à l’article 42(2)(b) du Régime.

[27] Si la date réputée de l’invalidité est en juillet 2016, au titre de l’article 69 du Régime, la pension d’invalidité est payable quatre mois plus tard, c’est-à-dire à compter de novembre 2016.

Conclusion

[28] L’appel est accueilli.

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