Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : NV c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 696

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : N. V.
Représentante : Allison Schmidt
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social le 20 mars 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 12 octobre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 19 octobre 2021
Numéro de dossier : GP-20-1000

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] N. V., la requérante, a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Les paiements commencent en juillet 2018. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] La requérante a 38 ans. Dans son dernier emploi à temps plein, elle était gestionnaire de programme dans une association communautaire, mais elle a passé la plus grande partie de sa carrière à titre de conseillère principale en relations communautaires dans le secteur de la réglementation. Elle a continué d’offrir des services de consultation dans ce domaine après avoir commencé à travailler pour l’association communautaire. Son problème de santé découle d’un accident de voiture survenu le 9 mars 2018. Ses symptômes correspondent au syndrome postcommotionnel. Son principal symptôme est maintenant un trouble cognitif. Cependant, elle a aussi des maux de tête, des douleurs au cou, de la fatigue, des troubles de l’humeur et des problèmes de sommeil.

[4] La requérante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 11 mars 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. La requérante a donc porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] La requérante affirme que ses problèmes de santé ont des répercussions sur ses activités quotidiennes. Ils l’empêchent également d’effectuer toute forme de travail véritablement rémunérateur depuis mars 2018. Ses problèmes de santé comprennent une foule de limitations physiques et cognitives ainsi que des problèmes de santé mentale qui perdurent depuis l’accident. Ses capacités sont imprévisibles. Elle a tenté de travailler à son compte, mais elle n’arrivait pas à travailler de façon appréciable ou véritablement rémunératrice.

[6] Le ministre affirme que la requérante pourrait occuper un emploi convenable, y compris un poste à temps partiel, dont les tâches sont modifiées et qui respecte ses limitations. Il soutient que l’état de santé de la requérante s’est amélioré depuis l’accident et qu’elle pourrait se porter encore mieux grâce à un traitement approprié comme d’autres interventions en santé mentale. Le ministre ajoute que l’âge, l’éducation et les antécédents professionnels de la requérante lui ont permis de développer de nombreuses compétences transférables et lui permettraient d’acquérir de nouvelles compétences.

Ce que la requérante doit prouver

[7] Pour que la requérante gagne sa cause, elle doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au plus tard à la date de l’audienceNote de bas de page 1 .

[8] Le Régime de pensions du Canada définit les termes « grave » et « prolongée ». Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2 .

[9] Ainsi, je dois examiner tous les problèmes de santé de la requérante pour évaluer leur effet global sur sa capacité de travail. Je dois aussi regarder son passé (y compris son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents de travail et son expérience de vie). Ces éléments dresseront un portrait réaliste de sa situation et me permettront de voir si son invalidité est grave. Si la requérante peut régulièrement faire un travail quelconque qui lui permettrait de gagner sa vie, alors elle n’a pas droit à la pension d’invalidité.

[10] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 3 . Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à ce que la requérante se rétablisse à une certaine date. Il faut plutôt s’attendre à ce que l’invalidité tienne la requérante à l’écart du marché du travail pendant très longtemps.

[11] La requérante doit prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’elle est invalide.

Questions que je dois examiner en premier

J’ai accepté les documents déposés juste avant l’audience

[12] Le 7 octobre 2021, la requérante a déposé un rapport médical rempli le 6 octobre 2021 par la Dre Montgomery (voir la page GD13-2 du dossier d’appel). Il était pertinent pour l’appel de la requérante. De plus, il a été déposé le plus tôt possible. J’ai décidé d’admettre en preuve le document figurant à la page GD13-2. J’ai également décidé d’accepter le document à la page GD14-1, qui a été déposé par le ministre le 8 octobre 2021. Il contient des observations sur le document figurant à la page GD13-2. Le document du ministre a aussi été déposé le plus tôt possible. Le ministre l’a produit en réponse à un autre document déposé en retard. J’ai informé la requérante de ces décisions au début de l’audience.

Motifs de ma décision

[13] Je juge que la requérante a une invalidité grave et prolongée en date du 12 octobre 2021. Je suis arrivé à cette décision après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de la requérante est-elle grave?
  • L’invalidité de la requérante est-elle prolongée?

L’invalidité est-elle grave?

[14] L’invalidité de la requérante est grave. J’ai tiré cette conclusion en examinant plusieurs facteurs, que j’explique ci-dessous.

Les limitations fonctionnelles de la requérante nuisent bel et bien à sa capacité de travail

[15] La requérante a subi un léger traumatisme crânien en mars 2018. Selon la Dre Amoozegar (neurologue), la requérante a un syndrome postcommotionnelNote de bas de page 4 . La Dre Sirianni (médecin de famille) était du même avisNote de bas de page 5 . Le Dr Pachet (neuropsychologue) a posé des diagnostics de trouble à symptomatologie somatique grave et de trouble dépressif majeur avec détresse anxieuseNote de bas de page 6 . Cependant, je ne peux pas regarder seulement les diagnostics de la requéranteNote de bas de page 7 . En fait, je dois surtout vérifier si elle a des limitations fonctionnelles qui lui nuisent lorsqu’elle essaie de gagner sa vieNote de bas de page 8 . Dans cette optique, je dois examiner tous ses problèmes de santé (pas seulement le plus important) et je dois évaluer leurs effets sur sa capacité à travaillerNote de bas de page 9 .

[16] Je juge que la requérante a des limitations fonctionnelles.

Ce que la requérante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[17] La requérante affirme que ses problèmes de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travail. Ces limitations sont de nature cognitive, physique et émotionnelle.

[18] Sur le plan cognitif, la requérante a des problèmes de mémoire. Elle ne peut pas retenir les renseignements qu’elle lit. Elle a aussi la nausée lorsqu’elle lit. Elle a de la difficulté à suivre des instructions, comme des recettes. Elle peut accomplir des tâches simples seulement s’il n’y a aucune distraction. Elle ne sait plus où elle en est lorsqu’elle effectue des tâches plus complexes. Elle a de la difficulté à terminer ses tâches, même si elle prend son temps, car elle devient distraite ou fatiguée. Elle peut seulement tenir des conversations courtes et simples, sinon elle a des maux de tête. Elle ne peut pas supporter que différentes personnes parlent en même temps. Elle ne peut pas manger avec sa famille parce qu’il y a trop de bruit et d’activité. Lorsqu’il y a trop de stimulation, elle doit faire une siesteNote de bas de page 10 .

[19] Physiquement, la requérante a encore des maux de tête tous les jours. Ils sont aggravés par le bruit, l’activité, la lumière, la socialisation et le mouvement des yeux. Elle a souvent des étourdissements et des nausées et elle perd souvent l’équilibre. Elle est étourdie lorsqu’elle monte les escaliers. Sa sensibilité au bruit et à la lumière l’amène à s’isoler au sous-sol. Elle peut regarder un écran d’ordinateur pendant seulement 10 minutes avant que ses symptômes s’aggravent : elle a mal au cou, ses épaules deviennent lourdes et ses yeux se fatiguent. Elle doit porter un chapeau et des lunettes pour aller dans un magasin. Elle porte un casque d’écoute antibruit pendant 90 % de la journée (même lorsqu’elle dort) pour masquer ses acouphènes. Les acouphènes sont constants et la déconcentrent. Elle manque d’énergie. La fatigue est difficile à surmonter pour elle, et la moindre activité l’épuise. Elle doit faire au moins une sieste par jour, pendant de 20 minutes à 4 heures. Son sommeil est interrompu chaque nuit à cause de la douleur. Elle se réveille avec des douleurs tous les matinsNote de bas de page 11 .

[20] La requérante ressent la plupart de ses douleurs au cou, aux épaules, à la mâchoire et à la partie supérieure de la cage thoracique. Lorsqu’elle regarde vers le haut, ses douleurs au cou empirent. Soulever des objets augmente aussi ses douleurs. Se coucher sur le côté ou transporter l’épicerie est douloureux. Ses douleurs aux côtes s’aggravent lorsqu’elle s’assoit. Elle peut rester assise pendant 20 minutes avant que cette position devienne inconfortable. Elle peut se tenir debout pendant 10 minutes tout au plus avant de devoir commencer à se déplacerNote de bas de page 12 .

[21] Sur le plan émotionnel, la requérante se sent déprimée la plupart du temps. Les symptômes physiques affectent son humeur. Si elle sort, elle s’inquiète d’une aggravation soudaine de ses symptômes ou d’être épuisée. Elle fait de l’anxiété tous les jours, mais son intensité varie selon la journée et ce qui se passe autour d’elle. Elle n’a ni la motivation ni l’énergie de prendre sa douche et de changer de vêtements. Elle prend sa douche une fois par semaine et change de vêtements tous les quelques jours. Elle évite de socialiser parce que ses symptômes s’aggravent tropNote de bas de page 13 .

[22] J’ai jugé la requérante crédible. À mon avis, elle préférerait de loin travailler. Avant, elle avait une vie très active. Elle adorait son travail et travaillait souvent de longues heures le soir et les fins de semaine. Elle a dit qu’elle avait un emploi de rêve. Elle faisait de la consultation en plus d’occuper son emploi habituel. Elle a même signé un nouveau contrat de consultation le jour de son accident. La Dre Sirianni a déclaré que la requérante était très motivée à se rétablirNote de bas de page 14 .

Ce que la preuve révèle sur les limitations fonctionnelles de la requérante

[23] La requérante doit fournir des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travail au plus tard le 12 octobre 2021Note de bas de page 15 .

[24] La preuve médicale confirme les dires de la requérante. Ce sont des éléments de preuve qui proviennent de la médecin de famille et des spécialistes qui ont traité la requérante.

[25] En mai 2021, la Dre Amoozegar a déclaré que le principal problème de santé qui rendait la requérante invalide était le syndrome postcommotionnel. Ses difficultés cognitives et de mémoire entraînent une mauvaise compréhension et un manque d’attention. Elle oublie des choses dans les histoires ou les films. Elle ne peut pas lire ni se concentrer plus de quelques minutes à la fois. Elle a de la difficulté à comprendre tout ce qui est complexe ou qui a différentes étapes. Elle ne peut pas utiliser un écran d’ordinateur pendant plus de 5 à 10 minutes. Elle ne peut pas naviguer ni effectuer plusieurs tâches en même temps. La lumière et le bruit aggravent ses maux de tête. Soulever des objets aggrave ses douleurs au cou et aux épaules. Elle se fatigue rapidement et doit se ménager, même pour les activités simples de la vie quotidienneNote de bas de page 16 .

[26] En avril 2021, la Dre Sirianni a déclaré que le principal problème de santé qui rendait la requérante invalide était le syndrome postcommotionnel. Elle a de la difficulté à se concentrer et à centrer son attention sur quoi que ce soit d’important. Elle a aussi de la difficulté à se consacrer à ses tâches et à faire plusieurs choses en même temps. Regarder un écran pendant 20 minutes lui [traduction] « brouille » les pensées. Les activités cognitives de plus haut niveau la laissent perplexe et incapable de comprendre les choses. Elle a de la difficulté à trouver ses mots, ce qui entrave toute communication efficace. Elle est facilement dépassée par les événements lors des activités sociales. Ses douleurs peuvent l’empêcher de se concentrerNote de bas de page 17 .

[27] Toujours en avril 2021, le Dr Pachet a diagnostiqué chez la requérante un trouble dépressif majeur (avec détresse anxieuse) et un trouble à symptomatologie somatique grave. Le Dr Pachet ne mentionne pas le syndrome postcommotionnel et il a énuméré quelques forces cognitives, mais les limitations qu’il décrit correspondent tout de même aux dires de la requérante et des autres médecins. Le Dr Pachet était préoccupé par la tendance de la requérante à se sentir dépassée, à être négative et à se mutilerNote de bas de page 18 face à l’adversité, à la pression et au stress. Il a écrit que cela aurait une incidence sur sa capacité à travailler même dans les milieux les plus optimaux et les mieux adaptés. Il a déclaré que des symptômes comme la fatigue, le découragement, le manque d’énergie et les fluctuations d’intérêt auraient des répercussions sur son travail. Il a écrit que le problème de santé de la requérante avait miné sa capacité de travail et que ses perspectives professionnelles étaient très sombresNote de bas de page 19 .

[28] Tous ces avis médicaux appuient fortement l’existence de limitations fonctionnelles importantes qui empêchent la requérante d’exercer un emploi appréciable. Les différences de diagnostic sont moins importantes que les limitations auxquelles elle fait face. Je conclus qu’elle ne pouvait ni occuper son emploi régulier ni offrir des services de consultation en date du 12 octobre 2021.

[29] Je vais maintenant vérifier si la requérante a suivi les conseils médicaux.

La requérante a suivi les conseils médicaux

[30] Pour recevoir une pension d’invalidité, il faut suivre les conseils des médecinsNote de bas de page 20 . Une personne qui ne respecte pas les conseils doit fournir une explication raisonnable. Il me faut aussi examiner les effets potentiels des conseils sur l’invalidité de la personneNote de bas de page 21 .

[31] La requérante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 22 . Bon nombre de personnes lui ont fourni des soins. Elle consulte régulièrement sa médecin de famille. En avril 2021, la Dre Sirianni a déclaré que la requérante avait bien suivi tous les traitements. Elle a payé de nombreux services privés pour essayer de se rétablirNote de bas de page 23 . Elle a même essayé des médicaments psychédéliques sous supervision, car elle était [traduction] « prête à essayer n’importe quoi » à ce moment‑làNote de bas de page 24 . En mai 2021, la Dre Amoozegar a dit que la motivation de la requérante et son observance des traitements avaient été bonnes. Toute interruption était habituellement attribuable à un manque de tolérance ou à une faible efficacité du traitementNote de bas de page 25 . Quelques jours avant l’audience, la requérante a vu la Dre Montgomery à la clinique de la douleur Pain CentreNote de bas de page 26 . De plus, elle consulte encore le Dr Mackie (psychiatrie). La Dre McGovern (médecine physique) a écrit que la principale préoccupation de la requérante était d’avoir accès à l’ergothérapie pour améliorer ses capacités cognitives et fonctionnellesNote de bas de page 27 . Compte tenu de ces éléments de preuve, j’admets également que la requérante est très motivée à se rétablir.

[32] À présent, je dois décider si la requérante est régulièrement capable d’effectuer d’autres types de travail. Pour être graves, ses limitations fonctionnelles doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 28 .

La requérante est incapable de travailler dans un contexte réaliste

[33] Lorsque je décide si la requérante peut travailler, mon analyse ne peut pas s’arrêter à ses problèmes de santé et à leur incidence sur ses capacités. Je dois aussi tenir compte de caractéristiques telles que :

  • son âge;
  • son niveau d’éducation;
  • ses aptitudes linguistiques;
  • ses antécédents de travail et son expérience de vie.

[34] Ces éléments m’aident à décider si la requérante est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, ils me permettent de voir s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 29 .

[35] Je juge que la requérante est incapable de travailler dans un contexte réaliste.

[36] Elle a seulement 38 ans. Si l’on ne tient pas compte de son problème de santé, elle est très apte à l’emploi. Au début de sa carrière, elle a occupé des emplois axés sur le service dans des bureaux et des restaurants. Elle a ensuite obtenu un diplôme universitaire en littérature anglaise, en économie et en langue espagnole. Elle parle couramment l’anglais et l’espagnol. Elle possède une vaste expérience de travail dans le domaine de la réglementation, particulièrement dans le secteur des relations communautaires. Sa carrière dans ce domaine a progressé rapidement et elle a occupé deux postes notables de conseillère principale. Elle gagnait plus de 90 000 $ par année dans le cadre de ses fonctions chez X. Elle pouvait utiliser ses compétences en espagnol pour cet emploi, car les activités de X se déroulaient aussi aux États-Unis et au Mexique. Dans le cadre de son dernier emploi, elle était gestionnaire dans une association communautaire. Elle avait mis sur pied une entreprise de consultation en parallèle et avait signé des contrats potentiellement lucratifs. Elle avait retenu les services de personnes qui allaient travailler pour elle dans le cadre d’un contrat signé le jour de son accident. Elle avait de nombreuses relations utiles dans l’industrie.

[37] Les possibilités d’emploi de la requérante sembleraient presque illimitées, si ce n’était de son problème de santé. Elle serait une employée très recherchée. Les multiples offres d’emploi qu’elle a reçues après son accident en sont la preuveNote de bas de page 30

[38] Malgré des perspectives si encourageantes, la requérante a été incapable de travailler. Peu après l’accident, elle a reçu une offre d’emploi en développement des affaires. La requérante a dit que l’accident l’a rendue incapable de faire le travail qu’on lui avait offert, mais que l’employeur lui a ensuite donné un emploi plus facile. Hélas, elle ne pouvait pas effectuer ce travail non plus. La compréhension de lecture était très difficile, et elle n’arrivait pas à comprendre l’information. Elle oubliait les choses d’une phrase à l’autre. La lumière et les sons rendaient les choses difficiles. Même se rendre au travail était dur.

[39] Dès décembre 2018, elle a de nouveau essayé le travail autonome dans le développement des affaires ainsi que les relations gouvernementales et publiquesNote de bas de page 31 . En mars 2019, elle a dit avoir tenté d’assumer une charge de travail modifiée, mais avoir dû cesser ses activités. Elle se concentrait seulement sur la gestion très limitée des relationsNote de bas de page 32 . Elle a expliqué que sa capacité à comprendre et à se rappeler les choses était grandement réduite, même lorsqu’elle travaillait de la maisonNote de bas de page 33 . En décembre 2019, elle travaillait environ 30 minutes à l’ordinateur, mais cela la rendait extrêmement fatiguéeNote de bas de page 34 . En mai 2020, la Dre Sirianni a déclaré qu’elles ont [traduction] « essayé de la ramener au travail », mais qu’elle pouvait tolérer seulement 20 minutes de temps d’écran avant de se sentir dépassée et d’avoir les pensées [traduction] « embrouilléesNote de bas de page 35  ».

[40] En mars 2021, la Dre Sirianni a écrit que le projet de travail autonome de la requérante ne s’est jamais concrétisé. La docteure a déclaré que les symptômes de la requérante étaient [traduction] « trop débilitants et [que] ses difficultés cognitives font qu’il est pratiquement impossible pour elle de conserver un emploi de quelque nature que ce soit ». La Dre Sirianni a ajouté que [traduction] « les tentatives répétées d’acquérir des compétences lui permettant de travailler de la maison ont toutes échoué ». La requérante ne pouvait occuper aucun poste qui exigeait une concentration soutenue ou des interactions personnelles. La Dre Sirianni a conclu qu’il était [traduction] « très peu probable qu’elle réussisse à faire un travail véritablement rémunérateur de quelque nature que ce soitNote de bas de page 36  ». En avril 2021, le Dr Pachet a noté que la requérante avait essayé d’offrir des services de consultation en 2018, mais qu’elle avait donné le travail à une autre personne parce qu’elle ne pouvait pas s’en occuperNote de bas de page 37 .

[41] À l’audience, la requérante a dit que X lui a offert un contrat après 2018. Cependant, elle n’arrivait pas à savoir comment se rendre à la première rencontre. Après qu’on est finalement venu la chercher chez elle, elle n’a pas pu recueillir les renseignements et remplir les documents requis. En 2019, elle a vendu son immeuble locatif (en essuyant une grosse perte) parce qu’elle était incapable de s’occuper de la gestion. Plus tard, au début de la pandémie, elle a acheté une imprimante 3D pour fabriquer des masques. Malheureusement, même après des mois d’efforts, elle n’arrivait pas comprendre comment le faire comme il faut. 

[42] Même si les limitations fonctionnelles de la requérante l’empêchent de travailler, elle a essayé plusieurs fois de travailler malgré tout. Toutes ses tentatives ont échoué, même celles qu’elle a faites de la maison et selon son propre horaire. Elle n’a même pas été en mesure de terminer une affectation adaptée pour elle par ce qui pourrait fort bien être un ancien employeur bienveillant. Les éléments de preuve montrent que même les emplois relativement simples qu’elle a occupés dans des restaurants et des bureaux pendant son adolescence sont maintenant hors de sa portée.

[43] Je juge également qu’il est peu probable que la requérante puisse se recycler pour un autre emploi. Ses limitations cognitives constituent le principal problème. Ils l’empêcheraient de terminer n’importe quelle formation et de conserver de nouvelles compétences. Ses limitations physiques, malgré quelques améliorations, nuiraient également à la réussite d’une formation.

[44] Je conclus que l’invalidité de la requérante était grave au plus tard le 12 octobre 2021.

L’invalidité est-elle prolongée?

[45] L’invalidité de la requérante est prolongée.

[46] La requérante avait des antécédents de maux de tête avant l’accident, mais elle pouvait quand même travailler. Ses problèmes de santé invalidants ont vraiment commencé après l’accident de mars 2018. Ils sont toujours présents et vont fort probablement durer indéfinimentNote de bas de page 38 .

[47] La preuve médicale récente appuie l’existence d’une invalidité prolongée. En mai 2021, la Dre Amoozegar avait constaté chez la requérante une grande amélioration des douleurs au cou et des maux de tête depuis l’accident. Cependant, [la docteure] n’a remarqué aucune amélioration notable sur le plan cognitif. [Elle] a aussi déclaré que le trouble cognitif était le plus gros problème de la requéranteNote de bas de page 39

[48] En avril 2021, la Dre Sirianni a déclaré que selon ses observations récentes, les problèmes cognitifs et les douleurs de la requérante n’avaient montré aucun signe d’une amélioration notable qui aurait rendu la requérante apte à l’emploiNote de bas de page 40 .

[49] Toujours en avril 2021, le Dr Pachet a déclaré que les problèmes de santé mentale de la requérante, ses symptômes somatiques persistants, sa mauvaise capacité d’adaptation et ses traits de personnalité avaient miné sa capacité de travail et grandement assombri ses perspectives professionnelles. Le Dr Pachet semblait proposer plus d’options de traitement que les autres médecins. Plus précisément, il a suggéré une intervention vigoureuse en santé mentale. Quoi qu’il en soit, même cet avis était nuancé. Avec un traitement efficace suivi d’une amélioration de l’introspection, des capacités d’adaptation et de la détermination émotionnelle, selon lui, la requérante pourrait devenir moins sensible aux symptômes et ses traits de personnalité sous-jacents pourraient devenir moins importants. Il a toutefois admis que la sensibilité persistante aux symptômes, la réactivité émotionnelle et les caractéristiques dépressives et somatiques allaient très probablement perdurerNote de bas de page 41 .

[50] En mars 2021, la Dre Sirianni a donné une opinion plus détaillée sur les perspectives de la requérante. La docteure a déclaré qu’il était clair que la requérante ne pourrait peut-être jamais retourner au travail. Ses symptômes étaient trop débilitants et ses problèmes cognitifs rendaient pratiquement impossible l’exercice d’un quelconque emploi. Les tentatives répétées d’acquérir des compétences pour travailler à domicile ont toutes échoué. Même si la requérante a fait quelques progrès au début, il s’était écoulé plus d’un an depuis l’observation d’un changement important. Son rétablissement stagnait et la Dre Sirianni ne croyait pas que les choses allaient s’améliorer beaucoup plusNote de bas de page 42 .

[51] Le Dr Pachet et les autres médecins ne s’entendent pas sur le diagnostic de la requérante, mais ni lui ni les autres n’adhèrent à l’idée d’un retour au travail réussi dans un avenir prévisible.

[52] Comme je l’ai mentionné plus haut dans l’analyse de la « gravité » de l’invalidité, les multiples tentatives de retour au travail ont échoué. La requérante n’a actuellement aucun plan de retour au travail. Malgré le fait que ses médecins ont affirmé qu’elle désire rétablir sa capacité de travail, elle n’a pas non plus présenté de demande d’emploi depuis novembre 2019. Elle explique qu’elle se concentre sur son rétablissement, mais qu’elle n’y arrive pas non plus. Elle ajoute qu’elle se demande tous les jours s’il y a un emploi qu’elle pourrait exercer. Même si elle veut travailler, elle ne sait pas si un tel emploi existe. Comme je l’ai déjà mentionné, j’accepte également son témoignage (appuyé par la preuve médicale) voulant qu’elle préférerait travailler plutôt que d’être invalide.

[53] Je conclus que l’invalidité de la requérante est prolongée en date du 12 octobre 2021.

Début du versement de la pension

[54] À la suite de l’analyse ci-dessus, j’ai conclu que l’invalidité de la requérante était grave et prolongée au plus tard le 12 octobre 2021. Toutefois, je juge également que l’invalidité de la requérante est devenue grave et prolongée en mars 2018.

[55] L’accident de la requérante est survenu le 9 mars 2018, mais elle a continué d’essayer de travailler jusqu’à la fin de mars. Le 28 mars 2018, la Dre Sirianni a décrit les douleurs initiales au cou, mais aussi l’apparition de nouveaux symptômes. Il s’agissait, entre autres choses, de vertiges occasionnels, de maux de tête persistants (différents de ceux qu’elle avait auparavant), de pensées embrouillées ou troubles, d’une facilité à se faire déconcentrer et de difficultés à suivre les conversations. Elle oubliait pourquoi elle parlait à quelqu’un. Même à ce stade précoce, la Dre Sirianni a avancé un diagnostic de syndrome postcommotionnel. Au cours des semaines qui ont suivi, la docteure a aussi noté une forte sensibilité à la lumière et au bruit, une tolérance limitée au temps d’écran et la montée rapide du sentiment d’être dépassée par les stimuli sociauxNote de bas de page 43 .

[56] Je constate que la capacité de travail de la requérante a peu évolué depuis ces premiers jours. En août 2018, par exemple, elle avait les idées facilement embrouillées et elle avait de la difficulté à trouver ses mots et à se concentrer. Elle devait lire les choses à répétitionNote de bas de page 44 . En février 2019, sa capacité à comprendre et à se rappeler les choses était [traduction] « grandement diminuéeNote de bas de page 45  ». En mai 2019, elle avait encore des troubles cognitifs et des problèmes de mémoire. Elle présentait aussi des maux de tête, des changements d’humeur, de la fatigue et un manque d’énergieNote de bas de page 46 . En mai 2020, la Dre Sirianni croyait que l’idée que la requérante puisse occuper un emploi quelconque n’était pas réalisteNote de bas de page 47 .

[57] De temps à autre, la requérante semblait avoir une certaine capacité de travail. En novembre 2019, par exemple, la Dre Amoozegar a déclaré que les facultés cognitives et la mémoire de la requérante s’étaient améliorées dans une certaine mesure. Par conséquent, la requérante se fixait des objectifs. Elle voulait entre autres se préparer à passer le test LSATNote de bas de page 48 et peut-être faire des études de droit plus tardNote de bas de page 49 . J’ai interrogé la requérante à ce sujet. Elle a dit qu’elle avait typiquement l’habitude de s’orienter vers un but et avait donc besoin d’un jalon pour mesurer ses progrès. Elle a ajouté qu’elle avait d’abord pensé à passer le test LSAT quand elle était encore à l’université. À l’époque, elle trouvait que les problèmes posés dans le test étaient amusants. Toutefois, après l’accident, elle ne pouvait même pas répondre à une des questions du test.

[58] D’une façon ou d’une autre, les moments d’espoir étaient assez brefs. En décembre 2019, peu de temps après s’être fixé l’objectif de passer le test LSAT, la requérante a essayé de travailler environ 30 minutes à l’ordinateur, mais cela lui a causé une fatigue extrême. Au même moment, elle trouvait la conduite difficile en raison des multiples distractionsNote de bas de page 50 . Par la suite, je n’ai vu aucune mention du test LSAT ou des études de droit. La lettre rédigée en mai 2021 par la Dre Amoozegar semble fortement indiquer que la requérante aurait été incapable de faire de telles étudesNote de bas de page 51 . Par conséquent, je juge que la requérante aurait été incapable régulièrement de détenir une véritable occupation depuis son accident de mars 2018. 

[59] Il faut attendre quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 52 . Ainsi, les paiements commencent en juillet 2018.

Conclusion

[60] Je conclus que la requérante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, car elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

[61] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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