Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : BO c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 761

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : B. O.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Érélégna Bernard

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 29 avril 2021 (GP-20-1560)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 18 octobre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimé
Date de la décision : Le 10 décembre 2021
Numéro de dossier : AD-21-221

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelante, B. O. (requérante), est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) parce qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) le 31 décembre 2015. La pension est payable à compter de janvier 2019.

Aperçu

[2] La requérante fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que la requérante n’était pas atteinte d’une invalidité grave à la fin de sa PMANote de bas de page 1 , le 31 décembre 2015, ou de la date calculée au prorata, le 31 juillet 2016.

[3] La requérante soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait. La requérante demande à la division d’appel d’accueillir l’appel et de rendre la décision que, selon elle, la division générale aurait dû rendre.

[4] La requérante soutient que la preuve présentée à la division générale démontre qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée, car elle prétend être incapable de travailler depuis au moins le 31 décembre 2015. Elle affirme que le travail qu’elle a accompli de 2015 à 2017 était minime et qu’il ne représente pas une occupation véritablement rémunératrice. La requérante demande à la division d’appel de lui accorder une pension d’invalidité.

[5] L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, soutient que la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Le ministre demande à la division d’appel de rejeter l’appel. Dans le cas contraire, si la division générale a commis des erreurs susceptibles de révision, le ministre soutient que cela ne changerait pas l’issue et que l’appel devrait quand même être rejeté.

Questions en litige

[6] La requérante soulève plusieurs questions :

  1. La division générale a-t-elle omis d’appliquer le critère établi dans la décision VillaniNote de bas de page 2 ? Autrement dit, la division générale a-t-elle omis de tenir compte des caractéristiques personnelles de la requérante lorsqu’elle a évalué si elle était atteinte d’une invalidité grave?
  2. La division générale a-t-elle ignoré les circonstances entourant le dernier emploi de la requérante?
  3. La division générale a-t-elle mal interprété ou ignoré certains éléments de preuve médicale?

[7] Je me pencherai sur la première question, soit celle de savoir si la division générale a omis d’appliquer le critère établi dans la décision Villani.

Analyse

[8] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si elles contiennent des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 3 .

La division générale a-t-elle omis d’appliquer le critère établi dans la décision Villani?

[9] La requérante soutient que la division générale n’a pas appliqué le critère établi dans la décision Villani en omettant de tenir compte de ses caractéristiques personnelles.

[10] La division générale a soutenu que pour décider si une invalidité est grave, il faut parfois tenir compte de l’âge de la personne concernée, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents de travail et de son expérience de la vie. La division générale a expliqué qu’elle pouvait ainsi évaluer la capacité de travail de la personne de façon réaliste.

[11] Toutefois, la division générale a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer la décision Villani dans le cas de la requérante « parce que les limitations fonctionnelles de la requérante ne l’empêchaient pas de travailler le 31 décembre 2015 ou le 31 juillet 2016. Cela signifie que la requérante n’a pas prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave à ce moment-làNote de bas de page 4 . »

[12] Le ministre soutient qu’un décideur n’a pas toujours à effectuer une analyse réaliste. C’était le cas dans les décisions GiannarosNote de bas de page 5 , DoucetteNote de bas de page 6 et KiriakidisNote de bas de page 7 . Le ministre soutient que puisqu’il s’agit de décisions de la Cour d’appel fédérale, elles ont force exécutoire sur la division générale. Si ces décisions s’appliquent, cela signifie que la division générale n’a pas eu à effectuer l’analyse réaliste que prévoit la décision Villani.

[13] À la lumière des faits de la présente affaire, le ministre soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur parce qu’elle n’avait d’autre choix que de suivre les trois décisions. Le ministre affirme que la division générale a correctement appliqué le droit aux faits.

[14] Selon le ministre, lorsqu’il y a preuve de capacité de travail, le décideur n’a pas à effectuer l’analyse réaliste que prévoit la décision VillaniNote de bas de page 8 . Le ministre soutient qu’il y avait une preuve de la capacité de travail dans le cas de la requérante. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de procéder à une telle analyse.

Comparaison entre la décision Kiriakidis et le cas de la requérante

[15] Le ministre prétend que la décision KiriakidisNote de bas de page 9 reflète le mieux la situation de la requérante. Tout comme dans la décision Kiriakidis, la requérante a travaillé après la fin de sa PMA.

[16] Toutefois, j’estime qu’il s’agit de la seule similitude. La preuve médicale a révélé que M. Kiriakidis se portait raisonnablement bien. En 2001, il a déclaré à un chirurgien orthopédiste qu’il avait très peu de douleurs à la hanche et qu’il n’avait pas besoin d’analgésiques ou d’anti-inflammatoires. Même si sa hanche était raide et douloureuse, il avait une bonne amplitude de mouvement et une bonne mobilité.

[17] La Cour a également remarqué le rapport de janvier 2003 du chirurgien orthopédiste selon lequel M. Kiriakidis effectuait des travaux de rénovation avec deux autres personnes, alors qu’il faisait le travail lui-même. Il prenait des médicaments à l’occasion. Comme M. Kiriakidis s’en tirait assez bien, le chirurgien orthopédiste lui a recommandé de nouveau une arthroplastie de la hanche. Le chirurgien ferait un suivi auprès de lui un an plus tard, à moins que quelque chose ne se produise.

[18] La situation de la requérante diffère de celle de M. Kiriakidis. Selon la preuve médicale présentée à la division générale, la requérante s’est plainte de douleurs pelviennes aiguës et lancinantes tout au long de 2015. Elle s’est rendue plusieurs fois à l’urgence à cause de douleurs pelviennes.

[19] La requérante a essayé une courte série d’injections. Cela n’a pas permis d’atténuer ses douleurs. Elle a demandé une ovariectomie bilatérale pour éliminer les kystes, malgré les risques et même si le gynécologue estimait que les kystes étaient susceptibles de revenirNote de bas de page 10 . La requérante a été opérée en novembre 2015.

[20] La requérante est retournée à l’urgence d’une clinique sans rendez-vous en décembre 2015. Elle s’était blessée au bras gauche en octobre 2015 en soulevant une personne dont elle prenait soin. Elle se plaignait de douleurs sur tout le côté gauche de son corpsNote de bas de page 11 .

[21] Enfin, bien qu’il s’agisse d’un point contesté, la requérante a également déclaré qu’elle a eu recours à la morphine pour soulager ses douleursNote de bas de page 12 .

Exigence prévue dans la décision Villani d’effectuer une analyse « réaliste »

[22] La requérante a travaillé après la fin de sa PMA. Toutefois, contrairement à la décision Kiriakidis, les gains de la requérante sont inférieurs au seuil minimum correspondant à une occupation véritablement rémunératrice. Cependant, ses gains ne prouvent pas nécessairement qu’elle était régulièrement incapable de travailler ou de détenir une occupation véritablement rémunératrice (ses revenus correspondaient à ceux qu’elle gagnait habituellement).

[23] Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans la décision Villani, aucune méthode d’interprétation ne peut exclure les restrictions expressément prévues dans une loi. Le critère renvoie à une « occupation véritablement rémunératrice ». La Cour a donc conclu que le critère relatif à la gravité du RPC doit comporter un aspect d’employabilité, qui se produit dans le contexte des réalités commerciales et de la situation particulière d’une partie requérante.

[24] Étant donné que le critère relatif à la gravité comporte un aspect d’employabilité, le décideur doit tenir compte de la situation particulière de la partie requérante, y compris son niveau d’instruction et ses antécédents de travail. De ce point de vue, l’analyse réaliste prévue dans la décision Villani est inévitable.

[25] La division générale n’a pas abordé l’aspect d’employabilité concernant le critère relatif à la gravité dans le cas de la requérante. Compte tenu des faits de la présente affaire, je suis convaincue que la division générale aurait dû effectuer une analyse réaliste. Le fait qu’elle ne l’ait pas fait représente une erreur de droit.

Réparation

[26] Comment puis-je réparer l’erreur de la division générale? Deux options s’offrent à moiNote de bas de page 13  : je peux substituer ma propre décision à celle de la division générale ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. Si je choisis la première option, je peux tirer des conclusions de faitNote de bas de page 14 .

[27] Ni la requérante ni le ministre ne m’ont demandé de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[28] La PMA de la requérante a pris fin il y a plusieurs années. Il y a des dossiers médicaux qui remontent à 2014. La requérante n’a pas laissé entendre qu’il y avait des lacunes dans la preuve médicale. Toutefois, elle affirme que les médecins n’ont peut‑être pas fourni tous les détails dans leurs dossiers.

[29] Rien n’indique que la requérante n’a pas eu pleinement l’occasion de présenter son cas à la division générale. Elle aurait pu produire des témoins et des dossiers à l’audience, mais elle a plutôt choisi d’aller de l’avant sans son témoin.

[30] Compte tenu de ces éléments, je juge approprié d’examiner la question et de faire ma propre évaluation.

Arguments des parties

[31] La requérante exhorte la division d’appel à conclure qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa PMA. Elle soutient que la preuve démontre qu’elle était atteinte de fibromyalgie, de crises de panique, d’anxiété et de dépression l'ayant rendue régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La requérante affirme que la preuve démontre qu’elle était incapable de travailler sans morphine ou sans l’aide de ses enfants.

[32] Le ministre demande à la division d’appel de rejeter l’appel. Il soutient que même si la division d’appel conclut que la division générale a commis des erreurs susceptibles de révision, celles-ci ne changeraient pas l’issue de l’affaire. Le ministre soutient que la preuve ne permet pas d’établir que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa PMA.

[33] Le ministre soutient notamment que même si la requérante affirme ne plus pouvoir travailler en raison de l’anxiété, de la dépression et des crises de panique, il n’en est fait mention dans aucun des dossiers datant de la fin de 2015 ou même de 2016.

[34] Le ministre nie également que la division générale ait été saisie d’éléments de preuve indiquant que la requérante ait pris de la morphine au travail ou que ses enfants l’aient aidée dans ses tâchesNote de bas de page 15 .

Examen de la preuve

Antécédents familiaux de la requérante

[35] La requérante, qui est maintenant âgée de 45 ans, a déclaré qu’elle a eu une enfance difficile. Lorsqu’elle avait 5 ans, un membre de sa famille l’a agressée sexuellement. Elle avait aussi une grand-mère violente.

[36] À l’âge de 16 ans, la requérante a quitté le foyer familial. Elle a emménagé avec son copain qui a fini par devenir violent. Après une agression, la requérante a fait une fausse couche. Elle était enceinte de 6 mois et demi. Son copain a menacé de la tuer si elle le quittait. Malgré les menaces, la requérante a quitté son copain.

[37] La requérante s’est mariée, mais son époux s’est révélé violent. Elle a déclaré qu’il lui a déjà lancé un couteau, qui est resté coincé. La requérante a tenté à plusieurs reprises de quitter son époux. Elle est partie pour de bon après qu’il eut battu son fils, alors âgé de 12 ans, qui avait essayé d’empêcher son époux de la battre.

[38] La requérante a trois enfants, qui sont maintenant âgés de 19 à 24 ans. Quand son fils aîné avait 13 ou 14 ans, il lui a dit d’aller travailler. Il a offert de s’occuper de son frère et de sa sœur.

[39] Malgré ses problèmes de santé, la requérante a estimé qu’elle devait travailler pour subvenir aux besoins de ses enfants. Elle ne voulait pas non plus risquer de les perdre. Son fils aîné [traduction] « s’occupait de tout ». En 2016, alors qu’elle était au travail, ses enfants nettoyaient la maison et préparaient les repasNote de bas de page 16 . À 17 ans, sa fille l’aidait avec ses activités quotidiennes, comme se laverNote de bas de page 17 .

[40] Récemment, la requérante a emménagé avec une personne qui l’aide. Dans les dossiers médicaux de 2014, la requérante a inscrit cet homme comme étant son plus proche parentNote de bas de page 18 . Dans les dossiers récents, elle l’a décrit comme étant son conjoint de faitNote de bas de page 19 . Ses enfants font la lessive et les tâches que son conjoint de fait est incapable de faireNote de bas de page 20 .

Études

[41] La requérante a terminé sa 12e année.

Revenus et antécédents professionnels

[42] La requérante a travaillé après la fin de sa PMA, le 31 décembre 2015, ou après la date calculée au prorata, le 31 juillet 2016. Elle a gagné environ 6 400 $ en 2017. Cependant, le relevé des gains montre qu’elle a toujours eu des gains minimesNote de bas de page 21 .

[43] La requérante nie avoir été régulièrement en mesure de détenir un emploi véritablement rémunérateur après 2015 ou après le 31 juillet 2016. Comme les revenus de 2017 de la requérante correspondaient à ceux des années précédentes, le ministre soutient qu’elle était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur.

[44] La requérante a expliqué qu’en tant que mère monoparentale, elle travaillait à temps partielNote de bas de page 22 . Toutefois, il n’est pas clair selon le dossier si, avant 2017, la requérante avait pu travailler beaucoup plus d’heures qu’elle ne le faisait, ou s’il y avait d’autres raisons (autres que d’élever ses enfants) pouvant expliquer pourquoi elle ne travaillait pas beaucoup.

[45] En ce qui concerne ses antécédents professionnels, la requérante a déclaré avoir occupé des emplois atypiques. Au début, elle travaillait comme cuisinière dans des comptoirs de mets à emporter.

[46] Le frère de la requérante était propriétaire d’une entreprise de taxi. Il l’a embauchée comme répartitrice. On a permis à la requérante de s’étendre sur un lit dans le bureau pour qu’elle puisse faire son travail. La requérante n’était pas atteinte de fibromyalgie lorsqu’elle travaillait pour l’entreprise de taxi de son frère, mais elle avait des problèmes de poids. Elle était atteinte d’obésité morbide. Elle avait de la difficulté à bouger. Elle avait toutefois l’impression qu’elle devait se lever tous les jours et travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle aurait continué de travailler pour son frère, mais il l’a remplacée lorsqu’elle est partie en congé pour un pontage gastrique.

[47] Selon un questionnaire de son employeur, la requérante a commencé à travailler comme préposée aux soins à domicile en août 2015Note de bas de page 23 . Ses tâches consistaient à s’occuper de l’entretien ménager et à offrir des soins personnels. La requérante travaillait 5,5 heures par jour, car aucune autre heure de travail n’était disponible.

[48] L’employeur a décrit l’assiduité de la requérante comme étant [traduction] « bonne », bien que la requérante s’absentait pour des raisons médicales. Il n’a pas dit combien d’heures de travail la requérante avait manquées. L’employeur a jugé que le travail de la requérante était satisfaisant. Il a nié que l’état de santé de la requérante nuisait à sa capacité de satisfaire aux exigences de l’emploi.

[49] L’employeur a déclaré que la requérante avait travaillé pour la dernière fois le 22 mai 2017. Il a expliqué que la requérante avait cessé de travailler en raison d’un manque de travail. La personne dont prenait soin la requérante était décédée.

[50] La requérante affirme ne pas avoir demandé plus d’heures de travail parce que son employeur lui a dit qu’il avait besoin d’une personne fiable qui n’était pas toujours maladeNote de bas de page 24 . Lorsque la requérante a cessé de travailler, l’employeur avait d’autres personnes qui pouvaient la remplacer.

[51] La requérante conteste le récit de l’employeur. Elle nie avoir été capable faire des travaux ménagers. Elle affirme que la plupart du temps, elle restait assise aux côtés de la personne en soins palliatifs dont elle s’occupait et qu’elle la surveillait. La requérante fait remarquer que son employeur n’était jamais présent. Elle se demande donc comment il aurait pu observer ce qu’elle était capable d’accomplir au travail.

[52] Je remarque toutefois que le travail de la requérante n’était pas aussi passif qu’elle le prétendait au départ. Lorsqu’elle s’est rendue à l’urgence en décembre 2015, elle a déclaré qu’elle s’était blessée au bras gauche en octobre de la même année parce qu’elle avait soulevé une personne dont elle s’occupaitNote de bas de page 25 .

[53] De toute évidence, la requérante ne se contentait pas de rester assise et de surveiller cette personne. Elle devait avoir exercé ses fonctions dans une certaine mesure. Cela comprenait des tâches physiquement exigeantes.

[54] Toutefois, la requérante a déclaré qu’elle prenait de la morphine entre ses quarts de travail. Elle a laissé entendre que la morphine lui permettait de travailler, car elle soulageait ses douleurs. Après avoir travaillé une ou deux heures le matin, elle rentrait chez elle, prenait de la morphine et se couchait. Elle retournait ensuite au travail l’après-midi pour une autre heure environ. Lorsqu’elle finissait de travailler, elle rentrait chez elle et prenait encore de la morphineNote de bas de page 26 .

[55] Le ministre soutient que, mis à part le témoignage de la requérante, il n’y avait aucune preuve au dossier selon laquelle la requérante prenait de la morphine au travail. Le ministre soutient qu’il est plus probable qu’improbable que la requérante faisait référence à ses tâches domestiques, et non à ses tâches professionnelles.

[56] Je conviens qu’il n’y a pas de preuve documentaire à l’appui du témoignage de la requérante en ce qui concerne le moment où elle prenait de la morphine. En fait, les dossiers des services d’urgence indiquent que la requérante est allergique à la morphineNote de bas de page 27 . Pourtant, un urgentiste lui a clairement donné de la morphine lors d’une visiteNote de bas de page 28 .

[57] Je suis prête à admettre que la requérante a souvent éprouvé des douleurs et qu’elle peut avoir pris périodiquement de la morphine ou d’autres analgésiques entre ses quarts de travail pour soulager ses douleurs.

[58] La requérante affirme également que la preuve démontre que ses enfants l’aidaient au travail et préparaient des repas pour la personne dont elle prenait soinNote de bas de page 29 . Autrement dit, la requérante laisse entendre que, sans ses enfants, elle ne pouvait pas s’acquitter de la majeure partie de ses fonctions en raison de son état de santé.

[59] Toutefois, ce récit diffère de l’enregistrement audio. La requérante a déclaré tout au plus que ses enfants l’aidaient à la maison. Par conséquent, lorsqu’elle rentrait chez elle après le travail, ses enfants avaient déjà nettoyé la maison et préparé le souperNote de bas de page 30 . La division générale ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que les enfants de la requérante l’accompagnaient sur son lieu de travail et qu’ils accomplissaient ses tâches.

[60] La requérante n’a pas travaillé depuis mai 2017.

[61] La requérante a déclaré dans son témoignage qu’elle était incapable de continuer à travailler en raison de son état de santé. Sur les plans émotionnel et physique, elle estimait ne plus pouvoir travailler depuis 2010 ou 2011.

[62] La requérante a rempli un questionnaire pour sa demande de prestations d’invalidité. Elle a écrit qu’elle avait déjà de la difficulté à travailler en 2015 et en 2016, mais qu’elle ne pouvait plus travailler du tout depuis 2017 en raison de crises de panique, de dépression, d’anxiété, de fibromyalgie et d’arthrose du genou gauche. Elle a aussi écrit qu’en raison de la fibromyalgie, elle avait des troubles de la mémoire et de la concentration.

[63] La requérante a énuméré de nombreuses limitations. Elle a écrit qu’elle ne pouvait pas rester assise, se tenir debout, ni marcher pendant plus de 10 à 15 minutes. Elle a découvert qu’elle était incapable d’être entourée de personnes étrangères en raison de son anxiété et de ses crises de panique.

[64] Toutefois, la requérante a rempli le questionnaire en 2019, des années après la fin de sa PMA ou après la date calculée au prorata. Le questionnaire n’est donc pas une mesure fiable de la fonctionnalité ou de la capacité de la requérante pour 2015 ou 2016.

[65] La requérante a également déclaré que son ancien médecin de famille l’a souvent mise en arrêt de travail à cause de son anxiété, de sa dépression et de ses crises de paniqueNote de bas de page 31 . Toutefois, il n’y avait aucune preuve de cela dans les dossiers médicaux. De plus, la requérante n’a produit aucune note médicale motivant un arrêt de travail.

Examen de la preuve médicale

[66] Je me pencherai principalement sur les dossiers médicaux datant de la fin de la PMA, le 31 décembre 2015, et de la date calculée au prorata, le 31 juillet 2016. Toutefois, j’examinerai aussi les dossiers produits depuis pour voir s’ils expliquent l’état de la requérante autour de ces dates.

[67] Avant 2014, la requérante avait d’importants antécédents chirurgicaux. Elle a eu une chirurgie bariatrique, une cholécystectomie par laparoscopie (ablation de la vésicule biliaire en janvier 2010) et une hystérectomieNote de bas de page 32 . Elle a également eu un dégagement bilatéral du canal carpien en 2012.

[68] Les dossiers médicaux de 2014 révèlent que la requérante avait des douleurs dans le quadrant inférieur droit depuis longtemps en raison d’un kyste. La requérante a eu une cystectomie ovarienne bilatérale en septembre 2014 pour enlever quatre kystes ovariensNote de bas de page 33 .

2015

[69] En janvier 2015, la requérante a eu une amygdalectomie (ablation des amygdales) en raison d’une amygdalite récurrente.

[70] La requérante a continué d’éprouver des douleurs pelviennes et abdominales, malgré la kystectomie réalisée en septembre 2014. L’opération l’avait soulagée au début, mais la douleur est réapparueNote de bas de page 34 . En mars 2015, la requérante s’est rendue à l’urgence. À partir de là, elle a été orientée vers un gynécologue. Elle avait des douleurs accrues dans le quadrant inférieur droit depuis deux semaines, lesquelles se propageaient jusqu’à son dos. Elle a évalué ses douleurs à 10/10 sur une échelle de la douleur. C’était pire avec le mouvement.

[71] La requérante s’attendait à une intervention chirurgicale pour enlever un kyste. Le gynécologue était d’avis qu’un seul kyste ovarien mesurant 4 cm ne justifiait pas une intervention chirurgicale d’urgence. Le médecin a plutôt recommandé la gestion de la douleur et une évaluation plus poussée par son médecin de famille, ainsi que plusieurs échographiesNote de bas de page 35 .

[72] En avril 2015, la requérante s’est rendue à l’urgence à cause de ce qu’elle a décrit comme étant une douleur aiguë. Sa région inguinale droite était sensible. Elle a déclaré qu’elle prenait de l’OxycocetNote de bas de page 36 .

[73] À la fin d’avril 2015, la requérante a vu le gynécologue qui avait effectué l’intervention chirurgicale de septembre 2014. La requérante a décrit une douleur aiguë intermittente. Elle n’était pas intéressée par les pilules contraceptives orales en raison d’effets secondaires intolérables.

[74] La requérante avait cessé de prendre du Depo-Provera en raison d’un gain de poids. Le gynécologue a noté que la requérante avait fait beaucoup d’efforts pour perdre du poids. L’idée de prendre ce médicament la préoccupait donc beaucoup.

[75] Le gynécologue a expliqué que d’autres médicaments utilisés pour l’inhibition de l’ovulation étaient associés à des effets secondaires plus graves.

[76] La requérante voulait une ovariectomie bilatérale (ablation des deux ovaires)Note de bas de page 37 et ce, malgré les risques et l’avis du médecin selon lequel les kystes pourraient ne pas être la cause de ses douleurs.

[77] La requérante a essayé le Lupron en mai 2015, mais elle a cessé après trois injectionsNote de bas de page 38 . Les dossiers médicaux n’expliquent pas pourquoi elle y a mis fin. La requérante est retournée à l’urgence en août 2015 en raison de douleurs pelviennes et abdominalesNote de bas de page 39 .

[78] En attendant l’intervention chirurgicale, la requérante est retournée sur le marché du travail. Les dossiers médicaux indiquent que la requérante s’est blessée au bras gauche en octobre 2015 en soulevant une personneNote de bas de page 40 .

[79] La requérante a eu une ovariectomie bilatérale le 12 novembre 2015Note de bas de page 41 . Toutefois, l’intervention n’a pas atténué ses douleurs. La requérante s’est rendue à l’urgence le 30 décembre 2015, se plaignant d’avoir mal sur tout le long de son côté gauche depuis les deux dernières semainesNote de bas de page 42 . Rien n’indique si la requérante a eu un rendez-vous de suivi avec le gynécologue l’ayant opérée, bien que cela aurait été la norme pour une telle intervention. La requérante a également déclaré avoir des douleurs au genou gauche alors qu’elle était à l’urgence. Le diagnostic précisait qu’il s’agissait d’un [traduction] « nerf pincé ou [de la] fibromyalgieNote de bas de page 43  ».

2016

[80] La requérante est retournée à l’urgence en avril et en mai 2016 en raison de douleurs abdominales et lombaires. Lorsqu’elle y est allée en avril 2016, la requérante a déclaré avoir éprouvé de la douleur au cours de la dernière semaineNote de bas de page 44 . Lorsqu’elle s’est rendue à l’urgence en mai 2016, elle a également précisé qu’elle avait des douleurs depuis une semaineNote de bas de page 45 .

[81] Au cours du même mois, la requérante a aussi vu un chirurgien orthopédiste pour des douleurs au genou gauche. La requérante était atteinte d’arthrose au genou gauche. Le rapport de consultation du chirurgien donne à penser que la requérante l’avait déjà vu par le passé. Après tout, il a écrit qu’il lui avait refait une injection dans le genou gauche pour voir si cela lui serait bénéfique. Il ferait un suivi auprès d’elle. À ce moment-là, ils décideraient d’un autre traitement, selon les résultats de l’injection et d’une radiographieNote de bas de page 46 .

[82] Le chirurgien orthopédiste a fait un suivi auprès de la requérante le 3 août 2016. Celle-ci a déclaré que l’injection ne l’avait pas vraiment soulagée. La radiographie a révélé qu’il y avait pratiquement os sur os. Elle a également montré des changements dégénératifs à l’articulation fémoro-patellaire. Ils ont discuté des options de traitement. Le chirurgien ne pensait pas qu’une arthroscopie serait utile. Le traitement de choix de la requérante était une arthroplastie totale du genou. Le chirurgien a placé la requérante sur une liste d’attente pour l’interventionNote de bas de page 47 .

[83] En novembre 2016, la requérante a eu une gastroscopie. La procédure consistait à exclure toute anomalie liée à l’inconfort abdominal et aux vomissements qui aurait pu survenir après une chirurgie du manchon gastrique (pour réduire le poids) il y a environ trois ans et demi. Le chirurgien n’a rien trouvé d’anormal. Il soupçonnait que les narcotiques pouvaient être à l’origine des problèmes de la requéranteNote de bas de page 48 .

2017

[84] La requérante s’est rendue à l’urgence à plusieurs reprises en 2017 :

  • Le 20 février : La requérante avait mal au dos à la suite d’une chuteNote de bas de page 49 .
  • Le 22 avril : La requérante avait des maux de tête, des étourdissements et des picotements au bras droit. On lui a diagnostiqué une migraine suspecteNote de bas de page 50 .
  • Le 29 mai : La requérante avait des douleurs à la hanche et à la jambe droite qui se propageaient jusque dans l’aine. On lui a diagnostiqué une possible arthrose de la hanche droiteNote de bas de page 51 .
  • Le 23 septembre : La requérante avait des douleurs accrues au dos et au bas du cou. Elle a reçu un diagnostic d’arthrose du genou gaucheNote de bas de page 52 .
  • Le 11 octobre : La requérante est allée faire renouveler ses ordonnances pour sa fibromyalgieNote de bas de page 53 .
  • Le 27 octobre : La requérante avait des douleurs chroniques au genou gauche. Il a été noté qu’elle avait des antécédents d’arthrose et de fibromyalgieNote de bas de page 54 .
  • Le 21 novembre : La requérante s’est présentée avec une douleur généralisée causée par la fibromyalgie. L’urgentiste a interrompu sa prise de Paxil et lui a prescrit de l’amitriptylineNote de bas de page 55 .
  • Le 7 décembre : La requérante avait des douleurs au cou et au bas du dos. Ses douleurs étaient apparues la veille, après un mouvement brusqueNote de bas de page 56 .
  • Le 20 décembre : La requérante s’est plainte de douleurs récurrentes au dosNote de bas de page 57 .

[85] La requérante a également revu le chirurgien orthopédiste en mai 2017. Elle se demandait si elle pouvait se procurer un appareil orthopédique pour son genou gauche, mais le chirurgien orthopédiste ne pensait pas que cela soulagerait ses symptômesNote de bas de page 58 . Je remarque que la requérante a déclaré avoir eu un appareil orthopédique pour son genou vers 2010Note de bas de page 59 .

[86] La requérante a consulté son médecin de famille le 8 septembre 2017 pour un renouvellement de ses médicaments, dont la morphine. Son médecin a augmenté la dose de Paxil de 10 à 20 mg. Il a noté que la requérante avait des antécédents de fibromyalgie et de douleurs au genou gaucheNote de bas de page 60 .

[87] En décembre 2017, la requérante a passé des examens pour détecter la présence d’allergènes environnementauxNote de bas de page 61 . Elle se plaignait d’écoulement post-nasal constant et de congestion des sinus. Elle disait aussi devoir tousser fréquemment pour se dégager la gorge. Le médecin a noté qu’elle prenait de l’amitriptyline la nuit pour traiter son anxiété et sa dépression. Il lui a conseillé d’éviter les chats. Comme il n’y avait pas d’autre cause évidente à ses symptômes, ils ont discuté du fait que le tabagisme était le facteur contributif le plus probable, car tous ses symptômes se sont manifestés au cours des deux dernières années où elle a recommencé à fumer. Le médecin lui a recommandé d’arrêter de fumer.

2018

[88] La requérante a eu une arthroplastie totale du genou gauche en janvier 2018Note de bas de page 62 . La requérante devait faire un suivi auprès du chirurgien orthopédiste six semaines plus tard. Toutefois, il n’y a pas d’autres rapports de consultation du chirurgien orthopédiste.

[89] La requérante s’est rendue à l’urgence à plusieurs reprises en 2018. En mai 2018, elle a signalé des douleurs épigastriques (abdominales) qui se propageaient jusqu’à son dos Note de bas de page 63 .

[90] Plus tard au cours du même mois, la requérante s’est plainte d’une douleur généralisée qu’elle a évaluée à 10/10 sur une échelle de la douleur. Elle avait l’impression que tout son corps était [traduction] « en feu » ou qu’elle avait un [traduction] « spasme musculaire ». Elle a déclaré avoir des antécédents de fibromyalgie. Le médecin lui a administré de la morphine pour soulager ses douleurs. Il lui a dit de retourner à la clinique pour gérer ses douleursNote de bas de page 64 .

[91] La requérante est retournée à l’urgence au début de juin parce qu’elle avait des douleurs musculaires partout dans son corpsNote de bas de page 65 .

[92] À la fin de juin 2018, le médecin de famille de la requérante a orienté la requérante vers une interniste et une clinique de traitement de la douleur pour la fibromyalgie. La médecin a noté que la requérante n’avait tiré aucun bénéfice des différents médicaments jusqu’à maintenantNote de bas de page 66 .

[93] La requérante se plaignait toujours des douleurs suivantes : douleurs continues dans le bas du dosNote de bas de page 67 et douleurs à la hanche gauche se propageant jusque dans l’aine et sa jambeNote de bas de page 68 .

[94] Les examens diagnostiques de 2018 comprenaient les éléments suivants :

  • Juin 2018 : Échographie de l’abdomen pour évaluer la douleur du côté droit. Le balayage a révélé un kysteNote de bas de page 69 .
  • Août 2018 : Échographie de suivi. Le radiologue n’a pas pu déterminer l’origine du kyste. Il a recommandé une nouvelle échographie dans six moisNote de bas de page 70 .
  • Août et octobre 2018 : Tomodensitogramme de la hanche gauche, pire avec la rotation. Le radiologue n’a pu détecter aucune anomalie significativeNote de bas de page 71 .

Depuis 2019

[95] La requérante a continué de se plaindre de douleurs chroniques généralisées tout au long de 2019 et de 2020. En plus de sa fibromyalgie, elle avait d’autres problèmes de santé.

[96] En février et en avril 2019, la requérante a eu des radiographies et un tomodensitogramme de suivi en raison de douleurs abdominales. Le radiologue était d’avis que le kyste qui était apparu dans les tomodensitogrammes de 2018 était lié à une intervention chirurgicale antérieureNote de bas de page 72 .

[97] En mai 2019, la requérante a déclaré qu’elle avait encore mal au genou gauche, malgré l’arthroplastie. Rien n’indique qu’elle ait reçu un traitement pour son genou gauche.

[98] La requérante s’est tordu le genou gauche en août 2019. La radiographie n’a rien révéléNote de bas de page 73 . Elle a aussi passé une radiographie de sa colonne lombaire, qui a montré des changements dégénératifs minimesNote de bas de page 74 .

[99] En octobre 2019, la requérante a déclaré avoir des maux de tête persistants et des douleurs qui se propagent vers le cou et entre ses omoplatesNote de bas de page 75 . En novembre 2019, elle a déclaré avoir des douleurs dans le quadrant inférieur droit qui étaient constantes depuis un moisNote de bas de page 76 .

[100] Pendant la majeure partie de 2020, la requérante a continué de se plaindre de douleurs dans le quadrant inférieur droit. Elle avait un suivi continu pour son kyste. En janvier et en septembre 2020, les échographies ont montré que le kyste était globalement plus petit qu’en avril 2019Note de bas de page 77 .

[101] En mars 2020, la requérante a déclaré que les douleurs du quadrant inférieur droit étaient constantes depuis décembre 2019Note de bas de page 78 . En juin 2020, elle les a décrites comme des douleurs lancinantes. Son médecin lui a recommandé de se rendre à l’urgence pour une évaluation et une prise en charge plus pousséesNote de bas de page 79 . Les douleurs abdominales et du quadrant inférieur droit se sont poursuivies au moins jusqu’en octobre 2020Note de bas de page 80 . La requérante se plaignait que cela nuisait à son sommeilNote de bas de page 81 .

[102] En décembre 2020, la requérante s’est plainte de douleurs persistantes à la partie supérieure de la jambe gauche qui se propageaient jusqu’à sa cheville. Elle se plaignait aussi de douleurs cuisantes au cou et au bras droitNote de bas de page 82 .

[103] Les dossiers médicaux sont à jour jusqu’en janvier 2021Note de bas de page 83 . Le dossier donne à penser que la requérante a continué d’avoir des problèmes gynécologiques et des douleurs généralisées au cou, au dos et aux épaules. Une infirmière praticienne lui a prescrit des médicaments pour sa fibromyalgie.

Rapport médical concernant les prestations d’invalidité du RPC

[104] Une infirmière praticienne a préparé un rapport médical daté du 22 mars 2019Note de bas de page 84 pour la demande de prestations de la requérante. L’infirmière praticienne affirme qu’elle a commencé à traiter la requérante en septembre 2017 pour sa fibromyalgie, son arthrose et ses douleurs au genou gauche.

[105] L’infirmière praticienne était d’avis que la requérante avait du mal à accomplir ses activités quotidiennes. La requérante prenait plusieurs médicaments, mais aucun d’entre eux ne lui procurait de soulagement important. Elle éprouvait des douleurs plus de 90 % du temps.

[106] L’infirmière praticienne était également d’avis que la requérante était inapte au travail en raison de douleurs chroniques et d’anxiété qui l’épuisaient. Elle avait recommandé que la requérante cesse de travailler à compter de septembre 2017.

[107] Le rapport est peu utile pour décider si la requérante était atteinte d’une invalidité grave le 31 décembre 2015 ou le 31 juillet 2016. L’infirmière praticienne a vu la requérante pour la première fois après la fin de sa PMA et après la date calculée au prorata.

Résumé et analyse

[108] La requérante a eu de nombreux problèmes de santé. À l’audience de la division générale, la requérante a déclaré qu’elle ne pouvait plus travailler physiquement et émotionnellement depuis 2010 ou 2011. Toutefois, il y a peu d’éléments de preuve médicale à l’appui de cette affirmation.

[109] La requérante a demandé des prestations d’invalidité du RPC en mai 2019. Elle a rempli un questionnaire pour accompagner sa demandeNote de bas de page 85 . Elle a écrit qu’elle avait de la difficulté à travailler en 2015 et en 2016. Elle a précisé à l’époque qu’elle ne pouvait plus travailler depuis 2017.

[110] En effet, la requérante a déclaré à l’audience de la division générale que sa fibromyalgie s’est [traduction] « énormément aggravée », à tel point qu’elle ne peut plus sortir du lit. Elle a besoin d’aide pour se lever. En 2016, par exemple, elle pouvait prendre sa douche assise sur une chaise, mais [traduction] « maintenant, [elle] ne peut rien faireNote de bas de page 86  ».

[111] Bien que la requérante ait travaillé après 2016, j’estime que cela ne démontre pas nécessairement qu’elle était régulièrement capable ou incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Ses revenus de 2017 étaient inférieurs au montant véritablement rémunérateur. Toutefois, les gains concordaient avec ses revenus habituels.

[112] La requérante travaillait seule comme préposée aux soins à domicile, sans aucune surveillance sur place. Elle a déclaré qu’elle prenait fréquemment des pauses. Elle rentrait aussi chez elle entre ses quarts de travail. Elle se reposait à la maison et prenait périodiquement des analgésiques avant de retourner au travail.

[113] La requérante affirme qu’elle était incapable de continuer à travailler en raison de la fibromyalgie, de l’arthrose au genou gauche, des crises de panique, de l’anxiété et de la dépression. C’est peut-être le cas, mais la requérante doit démontrer qu’elle était atteinte d’une invalidité grave avant de cesser de travailler en mai 2017. Elle doit démontrer qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée avant le 31 décembre 2015 ou la date calculée au prorata du 31 juillet 2016.

[114] Les dossiers montrent que la requérante a des douleurs chroniques généralisées, plus précisément au dos et au cou. Elle a reçu un diagnostic de fibromyalgie. Le diagnostic est apparu pour la première fois dans les dossiers en décembre 2015, lorsque la requérante s’est présentée à l’urgence en raison d’une blessure au bras gauche après avoir soulevé une personne. Le dossier n’est pas entièrement lisible, de sorte qu’il n’est pas clair pour quelles raisons l’urgentiste a établi un diagnostic provisoire de [traduction] « nerf pincé ou [de] fibromyalgieNote de bas de page 87  ».

[115] Toutefois, avant 2017, la requérante n’avait pas de douleurs récurrentes ou chroniques au bas du dos ou au cou, sauf en avril et en mai 2016. À l’époque, elle avait des douleurs abdominales et au bas du dos. Les douleurs duraient environ une semaine chaque fois.

[116] Les dossiers montrent que les douleurs au bas du dos et au cou de la requérante se sont aggravées au fil du temps. Toutefois, j’estime que la requérante n’a pas signalé ou n’a pas eu de douleurs chroniques au bas du dos ou au cou avant la fin de sa PMA, le 31 décembre 2015, ou avant la date calculée au prorata, le 31 juillet 2016. Rien n’indique que les douleurs au bas du dos ou au cou de la requérante aient nui à ses fonctions ou à sa capacité.

[117] Il n’y a tout simplement pas assez d’éléments de preuve dans les dossiers médicaux pour démontrer que la requérante avait des douleurs chroniques généralisées. Il n’y a pas non plus assez d’éléments de preuve indiquant que la fibromyalgie a eu une incidence importante ou un effet contributif sur la capacité de la requérante avant le 31 décembre 2015 ou le 31 juillet 2016.

[118] La requérante prétend que les crises de panique, l’anxiété et la dépression l’ont aussi rendue incapable de travailler. Toutefois, il n’y a aucune référence aux crises de panique, à l’anxiété ou à la dépression dans les dossiers médicaux de 2015 ou de 2016. La première mention de l’anxiété et de la dépression dans les dossiers remonte à décembre 2017, lorsque le médecin a noté que la requérante prenait de l’amitriptyline. La requérante avait commencé à prendre ce médicament le mois précédent. L’infirmière praticienne a déclaré que l’anxiété était apparue en septembre 2017, mais cette date est encore bien après la fin de la PMA ou la date calculée au prorata.

[119] Autrement dit, rien dans les dossiers n’indique que la requérante était atteinte de dépression ou d’anxiété à la fin de sa PMA ou de la date calculée au prorata. De même, il n’y a aucune mention de crises de panique dans les dossiers médicaux de 2015 à 2016.

[120] J’estime que la preuve montre que les crises de panique, l’anxiété et la dépression sont apparues quelque temps après le 31 juillet 2016.

[121] Il faut donc tenir compte de l’arthrose du genou gauche de la requérante, car elle affirme qu’elle n’était pas en mesure de travailler notamment en raison de son genou gauche. La requérante a déclaré que son genou était devenu problématique en 2010 ou en 2011. Elle a reçu une injection de cortisone, mais cela n’a pas soulagé les douleurs. Ses douleurs ont progressivement empiréNote de bas de page 88 .

[122] La première mention des douleurs au genou gauche de la requérante se trouve dans un dossier des services d’urgence daté de décembre 2015Note de bas de page 89 . La requérante voulait principalement faire soigner son bras gauche, mais elle a aussi déclaré qu’elle avait des douleurs au genou depuis les six derniers mois.

[123] Il est clair que les problèmes de genou de la requérante se sont poursuivis après décembre 2015. Son médecin de famille l’a orientée vers un chirurgien orthopédiste. La requérante a vu le chirurgien orthopédiste en mai 2016. Celui-ci a noté que la requérante avait eu des injections au genou avant sa visite en mai 2016Note de bas de page 90 .

[124] La requérante a ensuite vu le chirurgien orthopédiste en août 2016. Les injections n’avaient pas vraiment permis de soulager ses douleurs au genou. Les radiographies ont révélé qu’il y avait pratiquement os sur os. Le chirurgien a placé la requérante sur une liste d’attente pour une arthroplastie totale du genou, malgré son âge. Le chirurgien pensait qu’une arthroplastie totale du genou était raisonnable.

[125] Il est évident que la requérante n’avait pas d’autres options pour son genou, puisque même le chirurgien a fait allusion au fait que de telles interventions sont habituellement réservées aux personnes plus âgées. Si le seul traitement pour le genou gauche de la requérante était un remplacement total, il est clair que les douleurs de la requérante devaient être graves et devaient probablement nuire à ses activités quotidiennes.

[126] La visite de la requérante chez le chirurgien orthopédiste en août 2016 a eu lieu trois jours après la date calculée au prorata. Malgré cela, j’estime que l’état du genou de la requérante ne se serait pas considérablement détérioré au cours de ces trois jours. La présentation de la requérante le 3 août 2016 aurait été semblable à son état du 31 juillet 2016.

[127] La requérante était également aux prises avec d’autres problèmes de santé en 2015 et en 2016. Elle avait des douleurs abdominales et pelviennes récurrentes. Elle s’est présentée à l’urgence en avril 2015, se plaignant de douleurs aiguës et lancinantes. Elle a choisi de se faire opérer pour enlever ses ovaires, car elle croyait que cela soulagerait ses douleurs.

[128] Je reconnais que la requérante est retournée au travail pendant qu’elle attendait une intervention chirurgicale. Il y avait un élément physique dans son travail. Les dossiers médicaux indiquent qu’elle a soulevé la personne dont elle prenait soin. Il n’y a pas d’éléments de preuve indiquant à quel point la requérante travaillait, si elle avait besoin de mesures d’adaptation ou si elle s’absentait du travail en raison de ses douleurs.

[129] Malgré cela, j’estime que les douleurs abdominales et pelviennes de la requérante devaient être persistantes et graves si elle s’était fait opérer en novembre 2015. La requérante a continué d’avoir des douleurs abdominales et pelviennes après l’intervention chirurgicale.

[130] Je conclus que la requérante était atteinte d’une invalidité grave le 31 décembre 2015. Aucun des éléments de preuve médicale de 2015 ou de 2016 ne porte sur la question de la capacité régulière de la requérante à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Toutefois, il ne fait aucun doute que la requérante avait d’importantes douleurs persistantes au genou gauche en 2015. Celles-ci étaient suffisamment graves pour mener à une arthroplastie totale du genou. La gravité de ses douleurs au genou gauche aurait sans doute nui à sa capacité de se tenir debout, de marcher et de travailler comme préposée aux soins à domicile.

[131] La requérante venait aussi d’avoir une intervention chirurgicale à la fin de 2015 pour tenter de soulager ses douleurs abdominales et pelviennes. Par la suite, elle a éprouvé des douleurs intermittentes résiduelles à l’abdomen et au pelvis. Les éléments de preuve montrent moins clairement quel effet fonctionnel les douleurs abdominales et pelviennes ont eu sur la requérante, le cas échéant, le 31 décembre 2015.

[132] Il est clair que le travail exigeant sur le plan physique et qui consistait à rester debout ou à marcher longtemps ne convenait plus à la requérante le 31 décembre 2015. Reste à savoir si elle était régulièrement capable d’occuper un travail sédentaire ou un autre type d’emploi véritablement rémunérateur avant la fin de 2015.

[133] La requérante a précisé dans son questionnaire qu’elle ne pouvait pas rester assise plus de 10 à 15 minutesNote de bas de page 91 . Elle a toutefois rempli le questionnaire en 2019. On ne sait pas trop si elle avait les mêmes limitations jusqu’à la fin de 2015.

Le critère établi dans la décision Villani

[134] Pour décider si une invalidité est grave, le décideur doit adopter une approche « réaliste ». Autrement dit, je dois décider si, compte tenu des antécédents et de l’état de santé de la requérante, celle-ci est régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Par conséquent, des facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de la vie sont pertinents.

[135] La requérante avait 40 ans à la fin de sa PMA. Elle a terminé sa 12e année. Elle n’a suivi aucune autre formation officielle.

[136] J’ai décrit son expérience de la vie ci-dessus. La requérante était une mère monoparentale avec trois enfants. Elle se concentrait sur l’éducation de ses enfants plutôt que sur sa carrière. Cela se reflète dans son cheminement professionnel.

[137] La requérante a occupé des emplois atypiques, d’abord comme cuisinière dans des comptoirs de mets à emporter. Elle a ensuite travaillé comme répartitrice pour l’entreprise de taxi de son frère. Enfin, elle a travaillé pendant environ deux ans comme préposée aux soins à domicile.

[138] L’emploi le plus sédentaire de la requérante était lorsqu’elle travaillait pour l’entreprise de taxi de son frère. C’était avant le début de sa fibromyalgie. Elle avait toutefois besoin de mesures d’adaptation en raison de son obésité. La requérante a eu un pontage gastrique. Son frère l’a remplacée pendant son absence, mais ne l’a pas réembauchée par la suite.

[139] Entre 2015 et 2017, la requérante n’avait plus besoin des mêmes mesures d’adaptation qu’elle avait lorsqu’elle travaillait comme répartitrice de taxi. Elle a perdu beaucoup de poids, mais elle demeure obèse.

[140] Le travail de la requérante était satisfaisant comme préposée aux soins à domicile. Elle était en mesure d’accomplir ses tâches, malgré ses douleurs abdominales, pelviennes et au genou gauche. Elle a toutefois déclaré qu’elle prenait fréquemment des pauses au travail. Elle pouvait prendre des pauses parce que son employeur n’était pas présent. De plus, comme elle l’a dit dans son témoignage, la personne dont elle s’occupait était sympathique.

[141] La requérante faisait aussi des quarts de travail fractionnés. Elle travaillait, tout au plus, une à deux heures à la fois. Elle rentrait ensuite chez elle, où elle pouvait se coucher et se reposer.

[142] Bien que la requérante ait travaillé entre 2015 et 2017, et qu’elle aurait probablement continué de travailler si la personne dont elle prenait soin n’était pas décédée, j’estime qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[143] Bien qu’elle pouvait surmonter ses douleurs, la requérante prenait des pauses fréquentes. Elle ne travaillait pas pendant de longues périodes et pouvait se reposer entre de courts quarts de travail d’une à deux heures. Elle s’absentait également pour des raisons médicales. La requérante n’a pas demandé d’autre travail après le décès de la personne dont elle s’occupait, et l’employeur ne lui a pas offert plus de travail.

[144] De plus, compte tenu de son expérience de la vie, de son niveau d’instruction, de ses antécédents de travail limités et du type d’expérience professionnelle qu’elle a acquise, j’estime que la requérante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[145] Pour tirer cette conclusion, je tiens également compte du fait que la Cour d’appel fédérale a statué que l’article 42(2)(a)(i) du RPC, qui définit le moment où une personne est réputée invalide, doit être interprété de façon généreuseNote de bas de page 92 . La Cour d’appel a jugé que le sens des mots utilisés dans cet article doit être interprété d’une façon large et libérale, et que toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur de la personne qui demande des prestations d’invalidité.

Invalidité prolongée

[146] La preuve montre également que l’invalidité de la requérante est prolongée. Son état général s’est constamment détérioré depuis 2015 et 2016. Bien qu’elle ait eu une arthroplastie totale du genou en janvier 2018 qui semble avoir grandement atténué ses douleurs au genou gauche, la requérante a développé une fibromyalgie et est atteinte d’anxiété, de crises de panique et de dépression depuis 2016 ou 2017.

[147] Bien que l’infirmière praticienne ait orienté la requérante vers une clinique de traitement de la douleur, elle était d’avis que la fibromyalgie de la requérante allait probablement rester la même ou se détériorer. Le pronostic pour l’anxiété et les crises de panique de la requérante est inconnu. La requérante a toujours des douleurs abdominales, même après de multiples interventions. Elle a aussi des douleurs occasionnelles au genou.

[148] La requérante a également déclaré que son état s’est [traduction] « considérablement détérioré ».

Versement d’une pension d’invalidité du RPC

[149] Comme la requérante a fait sa demande en décembre 2019, on peut considérer qu’elle est devenue invalide au plus tôt en septembre 2018, conformément à l’article 42(2)(b) du RPC.

[150] Si la date réputée de l’invalidité est en septembre 2018, la pension d’invalidité est payable quatre mois plus tard, c’est-à-dire à compter de janvier 2019, en vertu de l’article 69 du RPC.

Conclusion

[151] L’appel est accueilli. La requérante est admissible à une pension d’invalidité du RPC parce qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis la fin de sa PMA. Sa pension est payable à compter de janvier 2019.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.