Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

Régime de pensions du Canada – invalidité – grave – traitement – explication raisonnable pour avoir refusé un traitement – erreur de fait – sans tenir compte de la preuve – réparation – trancher l’appel ou renvoyer l’affaire

La division générale (DG) a jugé que le requérant n’avait pas suivi les recommandations de traitement raisonnables qui auraient pu améliorer de manière importante son invalidité. Pour cette raison, la DG a conclu que le requérant n’avait pas démontré qu’il avait une invalidité grave. Le requérant a fait appel de cette décision à la division d’appel (DA) en faisant valoir que la DG avait commis des erreurs de droit et de fait en tirant cette conclusion. Le requérant a soutenu que la DG avait mal interprété ou ignoré certains éléments de preuve.

La DA a conclu que la DG a fait une déclaration excessive lorsqu’elle a dit que le requérant avait en fait essayé deux médicaments psychiatriques. Le requérant a indiqué qu’il ne voyait aucun avantage à prendre du Cipralex. Il a expliqué que, comme il avait éprouvé des effets secondaires en prenant de la rispéridone, il craignait les effets secondaires possibles de tout autre médicament psychotique. L’expérience du requérant avec la rispéridone aurait pu raisonnablement expliquer son refus de prendre d’autres médicaments psychiatriques. Sans reconnaître que le requérant avait essayé le Cipralex et la rispéridone, il y a beaucoup d’incertitude quant à savoir si la membre de la DG a considéré le caractère raisonnable des craintes du requérant. Cela était important puisque lorsque la membre de la DG a évalué le caractère raisonnable du refus du requérant de suivre les recommandations de traitement, elle a décidé que le caractère raisonnable des craintes du requérant devait être évalué par rapport à l’amélioration possible de son bien-être. Ainsi, si les craintes étaient considérées comme non fondées, sans aucune expérience réelle, alors la membre aurait pu conclure qu’elles étaient déraisonnables. Mais, si la membre de la DG était consciente du fait que le requérant avait des effets secondaires indésirables en prenant certains médicaments, alors elle aurait pu ou pourrait conclure qu’il y avait une explication réelle et légitime à ses craintes. La membre de la DG aurait alors pu conclure que ses craintes étaient raisonnables. Et, si ses craintes étaient raisonnables, alors son refus aurait pu être jugé raisonnable également. La DG aurait dû aborder explicitement l’explication du requérant concernant son refus de suivre les recommandations de traitement lorsqu’elle a évalué le caractère raisonnable de son refus de prendre d’autres médicaments psychiatriques.

La DA a accueilli l’appel et, étant donné qu’il peut y avoir des lacunes dans la preuve en ce qui concerne les effets secondaires potentiels des médicaments supplémentaires prescrits par le psychiatre au requérant, elle a renvoyé l’affaire à la DGpour réexamen.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : TB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 6

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : T. B.
Représentante : Therese Menard (parajuriste)
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Joshua Toews (avocat)

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 mai 2021 (GP-19-1091)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 novembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentante de la partie appelante
Représentant de la partie intimée
Date de la décision : Le 6 janvier 2022
Numéro de dossier : AD-21-268

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire sera renvoyée à la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] Le requérant, T. B., fait appel de la décision de la division générale. La division générale a conclu que le requérant n’a pas suivi les recommandations de traitement raisonnables qui auraient pu améliorer de manière importante son invalidité. Puisqu’il n’a pas suivi les options de traitement raisonnables, la division générale a conclu que le requérant n’a pas démontré qu’il avait une invalidité grave.

[3] Le requérant soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait en rendant sa décision. Le requérant a demandé à la division d’appel de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, étant donné les lacunes dans la preuve médicale et le besoin de clarifier certains éléments de preuve dont dispose déjà la division générale.

[4] La partie intimée, le ministre de l’Emploi et du Développement social, nie que la division générale a commis des erreurs susceptibles de révision. Le ministre demande à la division d’appel de rejeter l’appel. Mais si la division d’appel conclut que la division générale a commis une erreur susceptible de révision, le ministre demande à la division d’appel de substituer sa propre décision. Néanmoins, le ministre soutient que, même si elle substitue sa propre décision, la division d’appel devrait quand même rejeter l’appel, car la preuve ne permet pas de conclure que le requérant a une invalidité grave.

Question en litige

[5] La question est de savoir si la division générale a omis de tenir compte de certains éléments de preuve lorsqu’elle a conclu que le requérant n’a pas suivi les recommandations de traitement raisonnables, que son refus était déraisonnable et que le traitement aurait pu améliorer son état de santé, ainsi que sa capacité à travailler.

Analyse

[6] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale s’il y a des erreurs de fait ou de droit, des questions d’équité procédurale ou si elle a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétenceNote de bas de page 1 .

Est-ce que la division générale a omis de tenir compte de certains éléments de preuve concernant le respect des recommandations de traitement du requérant?  

Contexte — aperçu des dossiers médicaux

[7] Le requérant a des antécédents médicaux de longue date, plus précisément un trouble d’anxiété généralisée et un trouble d’anxiété sociale. Le requérant souffre également de douleurs inguinales bilatérales depuis 2016, pour lesquelles il a subi des examens approfondis, y compris une laparoscopie exploratoire.

[8] L’ancien médecin de famille du requérant a préparé un rapport médical du Régime de pensions du Canada daté du 18 septembre 2018. Elle était d’avis que le requérant avait de nombreuses limitations fonctionnelles. Il évitait les autres, était anxieux de quitter sa maison et avait de la difficulté à s’asseoir et à se tenir debout longtemps en raison de sa douleur. Le requérant venait de commencer à prendre des médicaments et une consultation psychiatrique était prévue.

[9] Le médecin de famille estimait que le pronostic du requérant était inconnu, et a signalé que son trouble d’anxiété généralisée et son trouble d’anxiété sociale de longue date pourraient être difficiles à traiter. Elle a noté qu’il avait été également atteint de douleur chronique pendant plus de deux ans, malgré la physiothérapie. Le pronostic était réservé en ce qui concerne l’amélioration de sa douleur chroniqueNote de bas de page 2 .

[10] Le requérant a vu un psychiatre à plusieurs reprises entre octobre 2018 et avril 2019. Le psychiatre a diagnostiqué chez le requérant un trouble d’anxiété généralisée, un trouble d’anxiété sociale et un trouble délirant de type somatique.

[11] D’abord, le requérant a affirmé qu’il accepterait de prendre des médicaments. Le psychiatre a commencé à lui faire prendre les médicaments Cipralex et Seroquel, deux médicaments psychiatriquesNote de bas de page 3 . Lors d’une consultation le 9 novembre 2018, le psychiatre a noté que le requérant n’adhérait pas à la prise de ces médicaments. Le requérant s’est abstenu de les prendre parce qu’il voulait les revoir avec son médecin de famille. Le psychiatre a conseillé au requérant de prendre du Cipralex pour son anxiété et de la rispéridone pour son trouble délirantNote de bas de page 4 .

[12] En décembre 2018, le requérant a commencé à prendre du Cipralex et de la rispéridone. Le psychiatre a noté que son état de santé s’était quelque peu amélioré grâce aux médicaments. Il a conseillé au requérant de continuer à prendre ces médicaments, et il a augmenté le dosage de la rispéridoneNote de bas de page 5 .

[13] Toutefois, au début janvier 2019, le requérant a arrêté de prendre la rispéridone. Il estimait aussi que le Cipralex n’avait aucun effetNote de bas de page 6 . Le requérant estimait que le psychiatre se concentrait trop sur le traitement pharmacologique. Le requérant voulait un deuxième avis, tandis que son médecin de famille a essayé de l’encourager à prendre de la rispéridone. Le médecin de famille ne l’a pas aiguillé vers un autre psychiatrique.  

[14] Le 22 février 2019, le requérant est retourné voir le psychiatre. Il a déclaré que la rispéridone lui donnait sommeil, faisait en sorte qu’il se sentait différent, querelleur et agressifNote de bas de page 7 . Le psychiatre lui a conseillé d’arrêter progressivement de prendre le Cipralex et de commencer à prendre une série d’autres médicamentsNote de bas de page 8 .

[15] Lors de sa dernière consultation avec le psychiatre le 5 avril 2019, le requérant a affirmé qu’il se sentait mieux et plus calme depuis qu’il prenait de l’huile CBD. Il n’avait pas pris les médicaments que le psychiatre lui avait prescrits lors de leur dernière consultation. Le psychiatre a noté que le requérant a dit qu’il ne prendrait jamais des médicaments psychiatriques puisqu’il craignait les effets secondaires. Il a refusé d’essayer tout autre médicament psychiatrique. Les notes du psychiatre signalent que [traduction] « [le requérant] ne veut même pas essayer de les prendre pendant quelques jours »Note de bas de page 9 . Il ne voulait que prendre la marijuana que quelqu’un lui avait prescrite.

[16] Le psychiatre était d’avis que le requérant était toujours aux prises avec des symptômes d’anxiété généralisée et d’anxiété sociale. Le psychiatre a noté que le requérant ne voulait pas du tout prendre de médicaments psychiatriques. Le psychiatre a mis fin aux suivis du requérant.  

[17] Le requérant a déménagé à l’autre bout de la province. Il s’est donc retrouvé sans médecin de famille régulier. Par conséquent, il y a une lacune dans les dossiers médicaux entre mai 2019 et mai 2020.

[18] Vers le milieu de l’année 2020, le requérant a eu recours aux soins d’urgence de son hôpital local en raison d’une douleur inguinale. Il a été aiguillé vers un chirurgien qui a noté que le trouble d’anxiété généralisée du requérant était [traduction] « un élément important de [son] problème actuel »Note de bas de page 10 .

[19] Le requérant a assisté à 15 sessions avec un psychothérapeute autorisé du 21 octobre 2020 au 26 avril 2021. Il a manifesté un trouble fonctionnel important et des symptômes importants d’anxiétéNote de bas de page 11 .

[20] Depuis août 2020, le requérant participe aussi activement à un programme de gestion de cas à l’Association canadienne pour la santé mentale. Sa participation implique un soutien pour faire face à l’anxiété, aux symptômes dépressifs et à d’autres problèmes de santé tels que la douleur chronique. Il y a eu plusieurs aiguillages, notamment pour une évaluation psychiatrique, un programme de soins primaires, un counseling familial et un soutien aux fins d’employabilitéNote de bas de page 12 .

Les arguments du requérant

[21] Le requérant soutient que la division générale a commis des erreurs de droit et de fait lorsqu’elle a conclu qu’il ne prenait pas les médicaments recommandés et que son refus était déraisonnable. Le requérant soutient que la division générale a mal interprété ou ignoré certains éléments de preuve.  

[22] Aux paragraphes 24 à 26 de sa décision, le membre de la division générale a écrit ce qui suit :

[24] Les notes du [psychiatre] indiquent constamment que le requérant ne prenait pas les médicaments recommandés. Finalement, en avril 2019, le requérant a dit au [psychiatre] qu’il ne prendrait jamais des médicaments psychiatriques, même pas pendant quelques jours, puisqu’il craignait les effets secondaires. Le requérant avait commencé à prendre de l’huile de CBD que son cousin lui avait donnée. Il a refusé de prendre autre chose même s’il avait toujours des symptômes d’anxiété. [Le psychiatre] a dit : « J’ai passé du temps à essayer de convaincre le patient à prendre des médicaments psychiatriques. Il a toujours affirmé qu’il ne voulait pas. » Puisque le requérant a refusé de prendre des médicaments, [le psychiatre] a mis fin au suivi du patient.

[25] Le médecin de famille du requérant manifestement ne croyait pas que ce refus de prendre des médicaments était raisonnable. En janvier 2019, [le médecin de famille] a signalé que le requérant souhaitait obtenir un aiguillage vers un autre psychiatre puisque [son psychiatre] voulait seulement qu’il prenne des médicaments. [Le médecin de famille] a expliqué que les médicaments constituent une partie importante du traitement. Si l’état de santé du requérant ne s’améliorait pas, il devait peut-être essayer de prendre des médicaments. Le fait de ne pas prendre de médicaments n’a aucunement amélioré son état de santé. Elle l’a encouragé à commencer à prendre le médicament Risperidone (un médicament antipsychotique), comme l’avait recommandé [le psychiatre].

[26] [Le psychiatre et le médecin de famille] croyaient évidemment que les médicaments psychiatriques pouvaient améliorer la santé mentale du requérant — qu’ils seraient susceptibles d’avoir une incidence importante sur son invalidité.    

[23] Le requérant soutient que la division générale a omis de tenir compte de ce qui suit :

  • Il avait en effet essayé un peu des médicaments psychiatriques que son psychiatre lui avait prescrits. Plus précisément, il avait pris 15 mg de Cipralex et 1 mg de la rispéridone. 
  • Certains des médicaments n’avaient aucun effet. Il a déclaré à son médecin de famille qu’il croyait que [traduction] « Cipralex n’avait aucun effet »Note de bas de page 13 .
  • Bien qu’il y ait eu des avantages initiaux, le requérant a subi des effets secondaires indésirables suite à la prise de médicaments psychiatriquesNote de bas de page 14 . Il estimait que la rispéridone lui donnait sommeil, le rendait querelleur et agressifNote de bas de page 15 .
  • Il a cherché d’autres options en demandant un aiguillage à son médecin de famille vers un autre psychiatreNote de bas de page 16 . Le requérant dit que cela démontre qu’il faisait des efforts raisonnables pour entamer un traitement.

[24] Le requérant soutient que, compte tenu de son expérience personnelle, il était raisonnable de refuser de prendre des médicaments. Il soutient que, dans le contexte réaliste, si un médicament entraîne un comportement agressif, il serait raisonnable que cette personne développe une peur de prendre toute autre forme de médicament. Le requérant soutient que la division générale n’a pas tenu compte du fait qu’il a éprouvé ces effets secondaires particuliers lorsqu’il a pris la rispéridone.

[25] Le requérant soutient également que la division générale n’a pas bien appliqué les principes juridiques énoncés dans les décisions intitulées LalondeNote de bas de page 17 et SharmaNote de bas de page 18 . Dans l’affaire Lalonde, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une partie requérante doit suivre les recommandations de traitement raisonnables. Et,si les conseils médicaux n’ont pas été suivis, le décideur doit décider si le refus de la partie requérante est raisonnable et quelle incidence ce refus pourrait avoir sur son invalidité s’il était jugé déraisonnable.

[26] Dans l’affaire Sharma, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la partie demanderesse a l’obligation de limiter le préjudice. Si la partie demanderesse ne respecte pas son obligation de limiter le préjudice, elle n’établit pas l’existence d’une invalidité graveNote de bas de page 19 . La Cour a fait référence à l’approche de la division d’appel. La division d’appel a écrit :

[16] La division d’appel ne devrait pas réaliser sa propre évaluation afin de déterminer si la non-conformité de l’appelant aux instructions était raisonnable, étant donné que la division générale est chargée de déterminer s’il est raisonnable pour un appelant de ne pas suivre les traitements recommandés et d’évaluer l’incidence de ce refus sur leur invalidité. 

[27] Dans la présente affaire, le requérant soutient qu’il a respecté son obligation de limiter le préjudice. Il note qu’il s’est conformé à la prise de médicaments et qu’il avait une excuse raisonnable pour ne pas prendre d’autres médicaments : un médicament ne fonctionnait pas et l’autre le mettait en colère. Il a également noté qu’il a suivi des sessions de physiothérapie, comme cela lui avait été recommandé, pour sa douleur inguinale chronique. Il a également cherché un autre traitement en demandant un deuxième avis à une personne qui, selon lui, serait plus attentive.

[28] À cet égard, le requérant soutient que la division générale a commis des erreurs de fait lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas suivi les options de traitement raisonnables et qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour son refus.

Les arguments du ministre

[29] Le ministre soutient que la division générale n’a pas commis d’erreurs susceptibles de révision lorsqu’elle décidait si le requérant avait suivi les recommandations de traitement raisonnables et si son refus était raisonnable compte tenu des circonstances.

[30] Le ministre soutient que la division générale a tenu compte du fait que le requérant a brièvement pris de la rispéridone et a arrêté en raison des effets secondaires. Le ministre soutient que la division générale a conclu que le requérant n’a pas suivi les recommandations de traitement raisonnables en raison de sa tendance générale à résister aux médicaments prescrits, qui s’est cristallisée en un refus total de prendre des médicaments psychiatriques en avril 2019. Le ministre soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas de refus de la rispéridone en raison d’effets secondaires spécifiques, mais d’un cas de refus de tous les médicaments psychiatriques en raison d’effets secondaires.

Analyse et résumé de la question du respect des recommandations de traitement du requérant  

[31] La division générale a fait une déclaration excessive lorsqu’elle a dit que le requérant a omis de prendre des médicaments contre l’anxiété. Cela a laissé entendre que le requérant n’avait pas essayé de prendre des médicaments psychiatriques. La division générale a ajouté à cette impression lorsqu’elle a écrit qu’il se peut que le requérant « ait craint les effets secondaires des médicaments (pas à base d’opioïdes) au point de ne pas vouloir les essayerNote de bas de page 20 . »  

[32] Le requérant soutient que, si la division générale avait été au courant du fait qu’il avait pris des médicaments psychiatriques, mais qu’il avait subi des effets secondaires, elle aurait probablement conclu qu’il avait une explication raisonnable pour refuser de prendre d’autres médicaments psychiatriques.

[33] La division générale a omis de mentionner que le requérant avait en fait essayé deux médicaments psychiatriques. Le requérant a indiqué qu’il ne voyait aucun avantage à prendre du Cipralex. Il a expliqué que, comme il avait éprouvé des effets secondaires en prenant de la rispéridone, il craignait les effets secondaires possibles de tout autre médicament psychotique. L’expérience du requérant avec la rispéridone aurait pu raisonnablement expliquer son refus de prendre d’autres médicaments psychiatriques.    

[34] Le ministre soutient qu’il n’est pas nécessaire pour un décideur de faire référence à tous les éléments de preuve qui lui sont présentés, car il existe une présomption générale en droit qu’il a tout considéréNote de bas de page 21 . Ainsi, le ministre soutient que, même si la division générale n’a peut-être pas mentionné spécifiquement que le requérant avait essayé le Cipralex et la rispéridone, ou qu’il avait subi des effets secondaires de la rispéridone, elle était au courant de cet élément de preuve. 

[35] De plus, le ministre soutient que la conclusion de la division générale selon laquelle le requérant n’avait pas essayé de médicaments psychiatriques n’était pas, de quelque façon que ce soit, fondée sur le fait qu’il avait cessé de prendre la rispéridone. Après tout, le psychiatre et le médecin de famille avaient tous deux recommandé d’autres médicaments au requérant, qu’il a refusé d’essayer. Par exemple, au cours de l’une des dernières visites du requérant, le psychiatre a recommandé trois autres médicaments. Au cours de la dernière visite chez le psychiatre, le requérant a confirmé qu’il n’avait pas essayé ces médicaments parce qu’il craignait les effets secondaires.

[36] En ce qui concerne la rispéridone, le ministre soutient qu’en effet, la division générale a reconnu qu’il était raisonnable que le requérant ait cessé de le prendre en raison des effets secondaires qu’il provoquait.

[37] Lors de l’audience, le membre de la division générale a précédé l’une de ses questions au requérant de la manière suivante [traduction] :

Ensuite [le psychiatre] a suggéré que tu prennes du Cipralex et de la rispéridone, c’était en décembre 2018, et tu as remarqué une différence, mais tu as arrêté de prendre la rispéridone après Noël, en 2019, parce qu’il te donnait sommeil. Et tu faisais de la physiothérapie. Et, peu de temps plus tard, il a recommandé la paroxétine au lieu de Cipralex, mais aussi Abilify, et tu n’as pas pris ceux-là. Donc, la rispéridone, qui te donnait sommeil, c’est logique de ne pas continuer de prendre cela. Mais suggérer que tu essaies Abilify, Seroquel, la trazodone, pour ton sommeil, la rispéridone—et certains de ceux-là tu n’as pas commencé à les prendre, tu n’as pas commencé à prendre la plupartNote de bas de page 22 .

(je souligne)

[38] Le membre a demandé au requérant pourquoi il ne prenait pas [traduction] « ces médicaments-làNote de bas de page 23  ». Le requérant a répondu qu’il a pris des médicaments que le psychiatre lui a donnés au début, qu’il a eu sommeil et qu’il a supporté cela pendant un certain temps, mais avec son fils qui le réveillait après son retour de l’école, le requérant a trouvé que c’était [traduction] « trop, c’était tous les jours ... et [il] a essayé différentes concoctionsNote de bas de page 24 . »

[39] Le ministre s’appuie sur cet échange pour démontrer que la division générale était au courant et avait tenu compte du fait que le requérant avait des effets secondaires en prenant la rispéridone. Mais surtout, le ministre soutient que cet échange montre que la division générale a conclu qu’il était raisonnable pour le requérant de cesser de prendre la rispéridone. En d’autres mots, ayant déjà décidé qu’il était raisonnable pour le requérant de cesser de prendre la rispéridone, le ministre affirme que la décision de la division générale portait sur la question de savoir si le requérant refusait de prendre d’autres médicaments.   

[40] Bien que la question du membre ne fasse pas partie de sa décision en soi, elle fournit un certain contexte. La question suggère que le membre estimait que cet élément de preuve était essentiel pour évaluer l’étendue du respect des recommandations de traitement du requérant. Dans cette optique, il semblerait que le membre n’a pas commis d’erreur de fait lorsqu’elle a écrit que le requérant n’avait pas pris de médicaments pour son anxiété. Après tout, les remarques du membre suggèrent qu’au moment de l’audience, elle s’est concentrée sur le refus du requérant de prendre des médicaments autres que le Cipralex et la rispéridone.

[41] Dans ce contexte, il semble que le membre de la division générale ait mis l’accent dans sa décision sur le refus du requérant de prendre d’autres médicaments, comme l’a documenté le psychiatre.

[42] Toutefois, je n’ai pas connaissance d’une autorité qui soutienne l’argument du ministre selon lequel les commentaires du membre lors de l’audience font partie de la preuve.

[43] Le ministre soutient également qu’un décideur n’est pas tenu de citer tous les éléments de preuve qui lui sont présentés. Mais, si un élément de preuve est d’une importance telle qu’il pourrait avoir une incidence sur le résultat, un décideur devrait aborder directement cet élément de preuve dans son analyse.

[44] Sans faire directement référence à l’échange entre le membre et le requérant lors de l’audience de la division générale, la décision seule ne permet pas de savoir si le membre était effectivement conscient que le requérant avait essayé le Cipralex et la rispéridone.

[45] Le membre a indiqué qu’elle a tenu compte de la preuve du requérant lorsqu’elle a écrit « qu’il se peut qu’il ait craint les effets secondaires des médicaments (pas à base d’opioïdes) Note de bas de page 25 », mais elle a aussi affirmé qu’« il ne voulait même pas essayer » de prendre ces médicaments.

[46] Sans reconnaître que le requérant avait essayé le Cipralex et la rispéridone, il y a beaucoup d’incertitude quant à savoir si le membre a tenu compte du caractère raisonnable des craintes du requérant. Cela était important puisque lorsque le membre a évalué le caractère raisonnable du refus du requérant de suivre les recommandations de traitement, elle a décidé que le caractère raisonnable des craintes du requérant devait être évalué par rapport à l’amélioration possible de son bien-être.

[47] Ainsi, si les craintes étaient considérées comme non fondées, sans aucune expérience réelle, alors le membre aurait pu conclure que ces craintes étaient déraisonnables. Mais, si le membre était conscient du fait que le requérant avait des effets secondaires indésirables en prenant certains médicaments, alors le membre aurait pu ou pourrait conclure qu’il y avait une explication réelle et légitime derrière ses craintes. Le membre aurait alors pu conclure que ses craintes étaient raisonnables. Et, si ses craintes étaient raisonnables, alors son refus aurait pu être jugé raisonnable également.

[48] Cela ne veut pas dire que la division générale aurait nécessairement conclu que, si le membre avait directement abordé la prise du Cipralex et de la rispéridone par le requérant, elle aurait nécessairement conclu que son refus de suivre les recommandations de traitement était raisonnable.

[49] Mais, la division générale aurait dû aborder explicitement l’explication du requérant concernant son refus de suivre les recommandations de traitement lorsqu’elle a évalué le caractère raisonnable de son refus de prendre d’autres médicaments psychiatriques.

Réparation

[50] Comment puis-je réparer l’erreur de la division générale? Deux options s’offrent à moiNote de bas de page 26 . Je peux remplacer la décision de la division générale par ma propre décision ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamen. Si je substitue ma décision à la place de la décision de la division générale, je peux tirer des conclusions de faitNote de bas de page 27 .

[51] Le requérant a demandé à la division d’appel de renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamen. Il demande un réexamen parce qu’il dit qu’il y a des lacunes dans la preuve. Il dit également qu’il est nécessaire de clarifier certains éléments de preuve existants.

[52] Le ministre, d’autre part, affirme qu’il y a suffisamment de preuves pour me permettre de prendre une décision finale. Le ministre soutient que la preuve permet de conclure que le refus du requérant était déraisonnable et que, s’il s’était conformé, il aurait constaté une amélioration de son état de santé et de sa fonctionnalité en général.

[53] Je conviens qu’il se peut qu’il ait des lacunes dans la preuve. Par exemple, je ne vois aucun élément de preuve qui indique quels auraient pu être les effets secondaires potentiels des médicaments supplémentaires que le psychiatre a prescrits au requérant. Cet élément de preuve aurait pu appuyer (ou non) le caractère raisonnable du refus du requérant de prendre ces médicaments.    Pour cette raison, je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.

Conclusion

[54] L’appel est accueilli. L’affaire sera renvoyée à la division générale pour réexamen.

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