Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : MC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 835

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : M. C.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social le 25 novembre 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 23 septembre 2021
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 1er octobre 2021
Numéro de dossier : GP-21-271

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] M. C., le requérant, n’a pas droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. La présente décision explique pourquoi je rends cette décision.

Aperçu

[3] Le requérant a 54 ans. Dans son dernier emploi, il travaillait à temps plein dans une usine. Sa dernière journée de travail était en septembre 2016. Dans sa plus récente demande de pension d’invalidité, il a déclaré qu’il n’était plus en mesure de travailler depuis le 16 septembre 2016 en raison de graves douleurs chroniques au dos. Il a également signalé des douleurs à la jambe et à l’arrière de la tête. Il a dit que ses douleurs sont apparues il y a une vingtaine d’années. Il affirme que les graves douleurs qu’il ressent tous les jours l’empêchent de s’asseoir, de se tenir debout, de se pencher ou de soulever des objets lourdsNote de bas page 1. À quelques occasions, il a aussi mentionné de l’anxiété.

[4] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 17 mars 2020. Il s’agissait de sa troisième demande. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. Le requérant a donc porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Selon le requérant, ses maux de dos sont apparus dès le début de 2002, l’année où il a quitté son emploi de chauffeur de taxi à Calgary. Il est grand et affirme que l’espace restreint à l’intérieur du taxi a aggravé ses douleurs au dos. À l’époque, il est retourné au Pakistan, son pays de naissance. Il y a géré une boutique de vêtements pendant 12 ans. Ses douleurs ont diminué quand il était au Pakistan, et ce, même s’il travaillait six jours par semaine, car il faisait plus chaud et le travail était moins exigeant sur le plan physique. Il est revenu au Canada en mai 2014 en raison de la détérioration des conditions de vie au Pakistan. Il a commencé à travailler à temps plein dans une usine en mars 2015. Cependant, vers la fin de 2015, le travail physique a aggravé ses maux de dos. Il travaillait alors de moins en moins. Il a finalement cessé de travailler en septembre 2016 après avoir subi un examen d’imagerie par résonance magnétique.

[6] Selon le ministre, le requérant prétend être invalide depuis septembre 2016, soit bien après le 31 décembre 2002 (date limite avant laquelle le requérant doit prouver qu’il est devenu invalide). Le ministre affirme que rien ne prouve l’existence de problèmes de santé invalidants avant la fin de 2002. Le ministre ajoute que le requérant était capable d’occuper un emploi convenable durant 12 ans au Pakistan, où il était travailleur autonome, et pendant au moins une partie de son emploi dans une usine au Canada. Le ministre fait valoir que le fait que l’état de santé du requérant se soit détérioré après le 31 décembre 2002 n’est pas pertinent.

Ce que la requérante doit prouver

[7] Pour gagner sa cause, le requérant doit prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2002. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’il a versées au Régime de pensions du CanadaNote de bas page 2.

[8] Le Régime de pensions du Canada définit les termes « grave » et « prolongée ».

[9] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas page 3.

[10] Autrement dit, je dois examiner tous les problèmes de santé du requérant pour évaluer leur effet global sur sa capacité de travail. Habituellement, je dois aussi examiner ses antécédents (y compris son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents de travail et son expérience de vie). Ces éléments dresseront un portrait réaliste de sa situation et me permettront de voir si son invalidité est grave. Si le requérant peut régulièrement faire un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, il n’a pas droit à la pension d’invalidité.

[11] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas page 4.

[12] Autrement dit, pour que l’invalidité du requérant soit prolongée, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il se rétablisse à une certaine date. Il faut plutôt s’attendre à ce que l’invalidité le tienne à l’écart du marché du travail pendant très longtemps.

[13] Le requérant doit prouver qu’il a une invalidité grave et prolongée. Il doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’il est invalide.

Question que je dois examiner en premier

J’ai accepté les documents soumis après l’audience

[14] Le 29 septembre 2021, le ministre a déposé des observations (document appelé « GD11 »). Le ministre a déposé ce document parce que, le 18 septembre 2021, le requérant a soumis un document en retard (appelé « GD7 »). J’ai accepté le document GD7 en preuve parce qu’il pouvait être pertinentNote de bas page 5. Cependant, comme il a été déposé seulement cinq jours avant l’audience, j’ai donné au ministre jusqu’au 13 octobre 2021 pour y répondreNote de bas page 6. Comme le ministre a respecté ce délai, j’ai également accepté le document GD11.

Motifs de ma décision

[15] Je juge que le requérant n’a pas prouvé qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2002.

L’invalidité était-elle grave?

[16] En date du 31 décembre 2002, l’invalidité du requérant n’était pas grave. J’ai tiré cette conclusion en examinant plusieurs éléments, que j’explique ci-dessous.

Les limitations fonctionnelles du requérant ne nuisaient pas à sa capacité de travail en date du 31 décembre 2002

[17] En mars 2021, la Dre Ismat-Raheem (médecin de famille) a déclaréNote de bas page 7 que le requérant présentait une hypothyroïdie (janvier 2017), une carence en vitamine D (octobre 2017), de l’anxiété (2018), une hyperlipidémie (2019) et une radiculopathie lombaire chronique (mai 2017). Cependant, je ne peux pas m’arrêter aux diagnostics du requérantNote de bas page 8. En fait, je dois surtout vérifier s’il avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas page 9. Dans cette optique, je dois examiner tous ses problèmes de santé (pas seulement le plus important) et je dois évaluer leurs effets sur sa capacité à travaillerNote de bas page 10.

[18] La Dre Ismat-Raheem a affirmé que le requérant présentait, entre autres, les symptômes suivants : de graves douleurs au dos (qui irradient dans la jambe gauche), une incapacité à se pencher et de l’anxiété. Il boitait et ne pouvait pas rester immobile. Il ne pouvait pas rester assis dans une voiture pendant des heures, et il lui était difficile de s’asseoir dans la voiture, puis d’en sortir. Elle a noté qu’il était incapable de travailler en raison de ces symptômes, qui persistaient depuis [traduction] « quelques annéesNote de bas page 11 ».

[19] Je n’ai aucune raison de douter des conclusions de la Dre Ismat-Raheem. J’admets qu’après son retour au Canada en 2014, le requérant avait des limitations fonctionnelles qui ont fini par nuire à sa capacité de travail. Toutefois, comme je l’explique plus loin, l’existence de ces limitations fonctionnelles avant le 31 décembre 2002 n’est pas démontrée.

Ce que le requérant dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[20] Selon le requérant, ses problèmes de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travail. Il explique que ses douleurs au dos sont apparues en 2002, car il est assez grand et ne pouvait pas ajuster le siège du conducteur dans son taxi. Par conséquent, une fois assis dans le taxi, il ne pouvait pas rester droit. Il devait se pencherNote de bas page 12.

[21] Au Pakistan, de 2002 à 2014, le requérant travaillait 6 jours par semaine, près de 10 heures par jourNote de bas page 13. Il a expliqué que ses graves maux de dos étaient réapparus à la fin de 2015, parce qu’il devait soulever des objets lourds dans le cadre de son travail à l’usine. Il soulevait des objets de 10 à 35 kg. Les douleurs irradiaient dans sa jambe gauche et vers l’arrière de sa tête. Il avait une sensation de brûlure dans le dos. Les épisodes de douleur intense pouvaient durer de 10 à 12 jours. Il était alors incapable de faire même un seul pas. Il ne pouvait pas entrer dans la voiture et en sortir sans aide.

[22] Même entre les épisodes de douleur intense, il n’arrivait pas à se pencher aisément pour prendre quelque chose dans le réfrigérateur. Il pouvait conduire seulement pendant de 15 à 20 minutes, et ce, en mettant son poids sur une seule cuisse. Il comptait sur son épouse pour l’aider à faire les choses de la vie quotidienne. Il affirme aussi faire plus d’anxiété, ce qui entraîne des problèmes de sommeil et de concentrationNote de bas page 14.

Ce que la preuve révèle sur les limitations fonctionnelles du requérant

[23] Le requérant croit sincèrement que ses limitations nuisent à sa capacité de travail. Il dit qu’il ne pouvait plus conduire un taxi en 2002 et que les douleurs l’ont empêché de travailler à l’usine avant la fin de 2015. En 2016, il a commencé à effectuer des travaux plus légers et il a fini par faire seulement deux ou trois quarts de travail par semaine. Toutefois, le requérant doit prouver qu’il a une invalidité grave au plus tard le 31 décembre 2002. Il doit fournir des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2002Note de bas page 15.

[24] La preuve médicale n’appuie pas la version des faits du requérant. Le premier document médical au dossier semble dater du 1er septembre 2016. Ce jour-là, l’imagerie par résonnance magnétique de sa colonne a révélé de petites lésions dégénératives aux vertèbres L4-L5 et L5-S1. Il avait une fissure annulaire aux vertèbres L4-L5, mais sans herniation focale, sténose spinale ou coincement des racines nerveuses. Ces éléments ne montrent pas l’existence de limitations fonctionnelles au plus tard le 31 décembre 2002.

[25] J’ai examiné les plus vieux documents médicaux pour voir s’ils appuyaient ce que le requérant avait dit au sujet de ses problèmes de santé avant la fin de 2002. Toutefois, la première référence remonte à 2014 : en janvier 2018, la Dre Lilani (médecin de famille) a déclaré qu’elle avait commencé à traiter le principal problème de santé du requérant en janvier 2014Note de bas page 16. Non seulement cet élément de preuve arrive plus de 10 ans trop tard, mais il n’est pas fiable. En juin 2018, la Dre Lilani a affirmé qu’elle connaissait le requérant seulement depuis octobre 2015Note de bas page 17. De plus, le requérant a dit à maintes reprises ne pas être revenu au Canada avant mai 2014Note de bas page 18.

[26] J’ai demandé au requérant s’il avait cherché à obtenir un traitement médical pour ses problèmes de santé avant de retourner au Pakistan en 2002. Il a répondu qu’il n’avait pas cherché à se faire traiter parce qu’il [traduction] « savai[t] que la douleur était due au fait de rester assis dans un espace restreint ». Il a ajouté : [traduction] « Je savais que si je partais, je me sentirais mieux. » Ces éléments de preuve ne sont pas convaincants, surtout sans l’appui de documents médicaux.

[27] Les éléments de preuve ne démontrent pas que le requérant avait des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2002. Par conséquent, il n’a pas prouvé qu’il avait une invalidité grave.

[28] Cette constatation repose sur de multiples références à la date du début de l’invalidité en 2015 ou en 2016. Par exemple, lorsque le requérant a demandé la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2020, il a précisé que son problème de santé l’empêchait de travailler dès septembre 2016Note de bas page 19. La Dre Ismat-Raheem et lui ont dit que ses douleurs sont apparues en décembre 2015, quand il travaillait à l’usineNote de bas page 20. Le requérant a également déclaré que [traduction] « tout cela ne serait pas arrivé [et qu’il] ne souffrirai[t] pas d’un tel mal de dos aujourd’hui » s’il n’avait pas eu à attendre de février 2016 à septembre 2016 pour passer une imagerie par résonance magnétiqueNote de bas page 21. Au Canada, son travail à l’usine consistait à charger et à décharger de lourdes palettes de produits alimentaires.

[29] Pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, il faut généralement tenir compte de ses caractéristiques personnelles. Ainsi, je peux évaluer sa capacité de travail sous un angle réalisteNote de bas page 22. Par contre, dans cette affaire-ci, je n’ai pas à faire cette analyse parce que j’ai constaté que les limitations fonctionnelles du requérant n’ont pas nui à sa capacité de travail en date du 31 décembre 2002. Autrement dit, il n’a pas prouvé qu’il était atteint d’une invalidité grave à cette époque-làNote de bas page 23.

Commentaires supplémentaires

[30] Même si je ne suis pas obligé d’analyser la question plus en détail, j’aimerais commenter brièvement la situation du requérant. Les questions suivantes auraient pu être pertinentes si des éléments de preuve médicale datant de 2002 (ou d’avant) avaient été déposés.

[31] Il se peut le requérant ait été incapable de continuer à conduire son taxi en 2002. Mais le fait d’être incapable de faire son travail habituel n’est pas, à lui seul, la preuve d’une invalidité grave. Le requérant a mentionné à maintes reprises que le siège du conducteur était inadéquat, ce qui lui causait des problèmesNote de bas page 24. Cependant, il aurait peut-être pu conduire un taxi avec un meilleur siège ou même faire un autre travail.

[32] De 2002 à 2014, au Pakistan, le requérant faisait beaucoup plus de 50 heures de travail par semaine. Ce fait est une bonne indication que les limitations qu’il avait en 2002 se rapportaient seulement à certains emplois. Ses limitations ne l’ont pas empêché de gagner sa vie en achetant et en vendant des vêtements. Il a dit qu’il n’avait pas de difficulté à travailler à cette époque-là parce que soulever des objets lourds ou se pencher ne faisait pas partie de ses tâchesNote de bas page 25. À l’audience, il a dit qu’il n’avait pas de difficulté à marcher, à s’asseoir et à se tenir debout dans le cadre de son emploi au Pakistan. Il a ajouté qu’à son retour au Canada en 2014, il avait cherché un emploi semblable, mais qu’il estimait que lancer sa propre entreprise aurait été trop coûteux.

Conclusion

[33] Je conclus que le requérant n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, car il n’est pas atteint d’une invalidité grave. Étant donné ma conclusion sur la gravité de l’invalidité, je n’ai pas à évaluer si elle était prolongée.

[34] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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