Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : DP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 843

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, Section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : D. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision du ministre de l’Emploi et du
Développement datée du 18 septembre 2020
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jackie Laidlaw
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 novembre 2021
Personnes participant à l’audience : Appelant
Témoin, T. G.
Date de la décision : Le 8 novembre 2021
Corrigendum : Le 10 décembre 2021
Numéro de dossier : GP-20-1755

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

[2] Le requérant, D. P., n’était pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en date du 31 décembre 2013.

[3] Le requérant est cependant admissible à une pension d’invalidité du RPC au terme de sa période minimale d’admissibilité (PMA) établie au prorata, soit en date d’avril 2019 du 31 mars 2020. Sa pension doit être versée à compter d’août 2019 de juillet 2020. La présente décision explique pourquoi j’accueille son appel.

Aperçu

[4] Le requérant a 58 ans et a occupé différents emplois. Son dernier emploi a duré de septembre 2017 à avril 2019. Il travaillait alors de garde comme facteur pour Postes Canada. Cet emploi a pris fin à cause d’une grave douleur au dos. Le requérant avait déjà présenté une demande de pension d’invalidité le 17 novembre 2016, mais pour un syndrome du canal carpien touchant ses deux mains. Cette demande a été rejetée en avril 2017. Il n’a jamais fait appel de cette décision.

[5] Le 3 décembre 2019, le requérant a à nouveau demandé une pension d’invalidité du RPC. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. Cette fois, le requérant a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] Le requérant dit s’être blessé au dos 13 fois depuis ses 16 ans. Il a essayé de prendre des médicaments contre la douleur névralgique, mais ses allergies l’en empêchent. Il a travaillé malgré la douleur presque toute sa vie, mais n’en est plus capable. Il a des picotements aux pieds et aux jambes et ne peut pas conduire. Il est sur une liste d’attente pour une opération qui, il l’espère, lui permettra de retravailler.

[7] Le ministre dit que le médecin de famille a recommandé au requérant d’arrêter de travailler en avril 2019, et qu’il s’attendait à ce qu’il reprenne le travail. La preuve ne laisse entrevoir aucun élément déclencheur précis.

Ce que le requérant doit prouver

[8] Pour gagner son appel, le requérant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2013. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’il a versées au RPCNote de bas de page 1.

[9] Le requérant a aussi cotisé au RPC en 2018 et en 2019, ainsi qu’en 2020. Grâce à ces cotisations, il aura droit à une pension d’invalidité s’il est devenu invalide entre janvier 2014 2020 et le 31 mars 2020Note de bas de page 2.

[10] Le Régime de pensions du Canada définit les adjectifs « grave » et « prolongée ».

[11] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.

[12] Pour décider si l’invalidité du requérant est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travail. Je dois aussi tenir compte de facteurs, incluant son âge, son niveau d’éducation, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs me font voir sa situation de façon réaliste. Ils m’aident à décider si son invalidité est grave. Si le requérant est régulièrement capable de faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie, il n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[13] Une invalidité est prolongée si elle doit durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 4.

[14] Autrement dit, aucun rétablissement ne doit être prévu. Pour être prolongée, l’invalidité du requérant doit l’obliger à s'absenter du marché du travail pendant très longtemps.

[15] Le requérant doit prouver qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, il doit me convaincre qu’il est probable à plus de 50 % qu’il est invalide.

Questions que je dois examiner en premier

Le ministre a demandé un ajournement

[16] Compte tenu du changement à la PMA établie au prorata, le ministre m’a demandé d’ajourner l’audience, c’est-à-dire de la reporter. Il avait besoin de plus de temps pour formuler des observations par rapport à la nouvelle date.

[17] J’ai consenti à cet ajournement.

Motifs de ma décision

[18] Je conclus que le requérant n’a pas prouvé qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2013.

Le requérant est-il atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2013?

[19] Le requérant n’était pas atteint d’une invalidité grave. J’ai basé ma conclusion sur plusieurs facteurs. Les voici.

[20] Le rapport médical joint à sa première demandeNote de bas de page 5 indique un diagnostic de syndrome du canal carpien aux deux mains. Il date du 23 novembre 2016, soit trois ans après sa PMA. Le requérant avait été dirigé vers un chirurgien plasticien, le docteur CarletonNote de bas de page 6. Celui-ci a noté que le requérant était en bonne santé, mis à part pour la goutte et le syndrome du canal carpien.

[21] Dans cette demande, le requérant a noté qu’il avait cessé de travailler le 29 août 2016 à cause d’un engourdissement aux mainsNote de bas de page 7. Je souligne que cet arrêt de travail est survenu près de trois ans après sa PMA.

[22] Le requérant a affirmé qu’il avait subi une opération du canal carpien à la main gauche en septembre 2017, et qu’il était tout de suite allé travailler chez Postes Canada. Il a dit que ses mains vont bien maintenant, même si sa main droite n’a toujours pas été opérée.

[23] L’épouse du requérant a déclaré qu’il n’était pas invalide en 2013.

[24] Le registre des gains du requérantNote de bas de page 8 montre un revenu véritablement rémunérateurNote de bas de page 9 en 2018 et 2019.

[25] Je conclus que le requérant n’était pas, en date du 31 décembre 2013, atteint d’une invalidité grave qu’il le rendait régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Étant donné que l’invalidité doit obligatoirement être grave et prolongée, il ne sert à rien de décider si son invalidité était prolongée en date du 31 décembre 2013.

[26] À présent, je dois décider si le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 mars 2020.

Le requérant est-il atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 mars 2020?

[27] Le requérant était atteint d’une invalidité grave. Voici les différents facteurs sur lesquels j’ai basé ma conclusion.

Les limitations fonctionnelles du requérant nuisent à sa capacité de travail

[28] Le requérant présente une douleur chronique au dos à cause du pincement d’un nerf et d’une sténose de son canal rachidienNote de bas de page 10. Toutefois, un diagnostic ne suffit pas à régler la question de son invaliditéNote de bas de page 11. Je dois plutôt voir si des limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 12. Dans cette optique, je dois tenir compte de tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité à travaillerNote de bas de page 13.

[29] Je conclus que le requérant a effectivement des limitations fonctionnelles.

Ce que le requérant dit de ses limitations fonctionnelles

[30] Le requérant affirme que les limitations fonctionnelles causées par ses problèmes de santé nuisent à sa capacité de travailler. Il explique avoir eu mal au dos toute sa vie en travaillant à cause de multiples blessures.

[31] Le requérant a dit qu'il avait parlé pour la première fois de son dos en 2017 à sa médecin de famille, la docteure Melissa Fransky. Elle lui a dit de prendre un congé de six semaines. Après une deuxième imagerie par résonance magnétique (IRM) en 2019, la docteure Fransky lui a dit en avril 2019 de ne plus travailler.

[32] Le requérant a cessé de travailler le 8 avril 2019 comme facteur pour Postes Canada.

[33] Le requérant attend maintenant de subir une décompression chirurgicale. Il a dit qu’il devra attendre au moins six mois et demi avant l’opération. En 2019, le docteur Cook, neurologue, lui a dit qu’il avait besoin de cette opération. Il ne pouvait cependant pas l’opérer lui-même, parce qu’il déménageait. Le requérant a donc été dirigé vers un autre neurochirurgien, le docteur Haji. Il a aussi dit que le requérant avait besoin d’être opéré. Il a cependant voulu commencer par des injections tronculaires; celles-ci n’ont pas porté leurs fruits. Il a alors appelé la docteure Fransky pour trouver un autre chirurgien. Il a récemment été recommandé auprès d’une nouvelle neurochirurgienne, la docteure Stiver.

[34] Le requérant a dit que la docteure Stiver avait confiance que la décompression chirurgicale fonctionne. Une période de rétablissement de six à huit semaines serait nécessaire.

[35] En attendant son opération, le requérant prend deux Tylenol 3 chaque matin, et deux autres en après-midi. Il fait autant de choses que possible. Il va promener le chien. Ses médecins veulent qu’il demeure actif, et il fait de son mieux. Il se déplace en utilisant un cadre de marche ou une canne depuis 2019, selon où il va.

[36] Il espère recommencer à travailler après l’opération. Le docteur Cook lui a dit qu’il le pourrait. La docteure Fransky a dit qu’il ne le pourrait pas.

[37] Le requérant ne touche aucune prestation de son employeur, Postes Canada. Il a bénéficié des prestations de maladie de l’assurance-emploi après avoir arrêté de travailler. Il y a un mois, Postes Canada lui a demandé de démissionner. Il a dit à Postes Canada qu’il reviendrait après l’opération, et l’employeur lui a dit qu’il serait le bienvenu.

Ce que la preuve médicale révèle sur les limitations fonctionnelles du requérant

[38] Le requérant doit soumettre des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler en date du 31 mars 2020Note de bas de page 14.

[39] La preuve médicale confirme la version des faits du requérant.

[40] La docteure Franksy a noté qu’elle lui avait recommandé de cesser de travailler en avril 2019. Selon elle, un retour au travail éventuel était incertainNote de bas de page 15.

[41] Le docteur Cook, neurologue, croyait qu’une décompression chirurgicale serait bénéfique au requérant. Il lui avait recommandé de rester actif et d’utiliser un cadre de marcheNote de bas de page 16.

[42] Une IRM réalisée en 2018 a révélé un bombement discal et une grave sténose du canal rachidien comprenant un nerf pincéNote de bas de page 17. Une IRM faite en 2019Note de bas de page 18 a conclu à une dégénérescence pluriétagée persistante ainsi qu’à une sténose persistante du canal rachidien, accompagnée d’un rétrécissement foraminal.

[43] Le docteur HajiNote de bas de page 19, neurochirurgien, a constaté que la douleur constante avait aggravé l’état de son dos durant les dernières années. Selon lui, la physiothérapie, l’aquathérapie et des injections de cortisone pourraient s'avérer bénéfiques.

[44] En 2021, la docteure Shirley Stiver, neurochirurgienne, a confirmé que le requérant présentait toujours une sténose du canal rachidien. Elle a recommandé qu’il considère une laminectomie, soit une opération de décompressionNote de bas de page 20. La docteure Stiver n’a pas précisé s’il devait ou non reprendre le travail en attendant cette opération.

[45] La preuve médicale confirme que le requérant était incapable de travailler en date du 31 mars 2020 à cause de son dos.

[46] À présent, je dois chercher à savoir si le requérant est régulièrement capable d’occuper d’autres types d’emplois. Pour être graves, ses limitations fonctionnelles doivent l’empêcher de gagner sa vie, peu importe l’emploi, et pas seulement le rendre incapable d’occuper son emploi habituelNote de bas de page 21.

Le requérant est incapable de travailler dans un contexte réaliste

[47] Mon analyse ne peut pas s’arrêter aux problèmes médicaux et à leur effet fonctionnel. Pour décider si le requérant est capable de travailler, je dois aussi tenir compte des facteurs suivants :

  • son âge;
  • son niveau d’éducation;
  • ses aptitudes linguistiques;
  • son expérience de travail et de vie.

[48] Ces facteurs m’aident à savoir si le requérant est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, est-il réaliste de dire qu’il peut travaillerNote de bas de page 22?

[49] Je conclus que le requérant est incapable de travailler dans un contexte réaliste.

[50] Le requérant a 58 ans. S’il parvient à être opéré au cours de la prochaine année, et que l’opération est un succès, il aura franchi le cap de la soixantaine durant son rétablissement. Trois ou quatre ans se seront alors déjà écoulés depuis son arrêt de travail, et il lui restera peu d’années avant l’âge de la retraite. Même si son employeur a récemment dit qu’il pourra reprendre son poste, il lui avait aussi été demandé de prendre sa retraite. Il est peu probable qu’il aura cet emploi ou qu’il soit capable de faire le travail physique nécessaire à la distribution de courrier dans plus d’un an, au terme du rétablissement suivant son opération.

[51] Compte tenu de son âge, il est improbable que le requérant soit capable de trouver un emploi convenable.

[52] Je conclus que le requérant était atteint d’une invalidité grave en date du 31 mars 2020.

L’invalidité du requérant était-elle prolongée?

[53] Le requérant est atteint d’une invalidité prolongée.

[54] Le requérant dit que ses problèmes ont commencé avec sa première blessure au dos, à l’âge de 16 ans. Il avait finalement parlé de ses limitations et de sa douleur à sa médecin de famille en 2017. En 2019, une intervention chirurgicale lui était recommandée.

[55] Le requérant n’a toujours pas été opéré. Même s’il espère que l’opération permettra d’éliminer sa douleur au dos, elle ne s’était toujours pas concrétisée en date du 31 mars 2020, et son dos était dans un état encore pire.

[56] Je conclus que le requérant était atteint d’une invalidité prolongée en date du 31 mars 2020.

Début du versement de la pension

[57] L’invalidité du requérant est devenue grave en avril 2019, quand il a cessé de travailler sur l’avis de son médecin. En mars 2020, il demeurait incapable de reprendre le travail. Il attendait toujours une opération, et son état s’était aggravé. Le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en mars 2020.

[58] La loi impose un délai d’attente de quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 23. Sa pension est donc versée à partir d’août 2019 de juillet 2020.

Conclusion

[59] Je conclus que le requérant n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2013. Je conclus toutefois qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 mars 2020 et qu’il est donc admissible à une pension d'invalidité du RPC sur la base de sa PMA établie au prorata.

[60] Par conséquent, l’appel est accueilli en partie.

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