Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : DB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 90

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Jared Porter

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 octobre 2021 (GP-20-1225)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Sur la foi du dossier
Date de la décision : Le 18 février 2022
Numéro de dossier : AD-22-20

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la requérante n’avait pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). La pension de la requérante commencera à compter de juillet 2020.

Contexte

[2] La requérante est D. B. Elle est âgée de 50 ans et elle a déjà travaillé comme commis de cuisine, préposée à l’entretien et vendeuse. Elle a reçu des diagnostics pour diverses maladies, dont l’ostéoarthrite, la maladie de Crohn, l’apnée du sommeil et la dépression. Elle a également subi deux arthroplasties de la hanche.

[3] En octobre 2018, la requérante a demandé une pension d’invalidité du RPC. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait plus travailler en raison d’incontinence, de fatigue et de douleur généralisée.

[4] Le ministre a rejeté la demande parce qu’à son avis, la requérante n’avait pas démontré qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas page 1. Entre autres choses, le ministre a noté que la requérante continuait de travailler de 12 à 16 heures par semaineNote de bas page 2.

[5] La requérante a fait appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et a rejeté l’appel parce qu’elle n’a pas trouvé suffisamment d’éléments de preuve médicale démontrant que la requérante était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La division générale a reconnu que la requérante avait des limitations fonctionnelles, mais n’a rien vu qui montrait que celles-ci avaient une incidence sur sa capacité à travailler.

[6] La requérante a ensuite demandé la permission de faire appel de cette décision à la division d’appel. Elle a insisté sur le fait qu’elle est invalide et a soutenu que la division générale avait tiré la mauvaise conclusion de la preuve. Elle a reproché à la division générale d’avoir supposé que, parce qu’elle était retournée au travail après sa première arthroplastie de la hanche, elle aurait également dû être en mesure de retourner au travail après sa deuxième arthroplastie.

[7] Dans une décision datée du 18 janvier 2022, j’ai accordé à la requérante la permission de faire appel parce que j’estimais qu’elle avait une cause défendable. À la suggestion du représentant juridique du ministre, j’ai convoqué une conférence de règlement pour voir s’il y avait un terrain d’entente sur lequel les parties pourraient s’entendre.

[8] Les parties ont conclu une entente, dont les modalités ont été consignées au compte rendu à la fin de la conférence de règlementNote de bas page 3. Les parties m’ont demandé de préparer une décision qui reflète cette entente.

Entente

[9] À la conférence de règlement, le représentant du ministre a reconnu que la décision de la division générale contenait des erreurs de droit. Il a convenu que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis mars 2020, et il lui a offert une pension d’invalidité du RPC dont la date du premier versement était en juillet 2020. La requérante a accepté l’offre.

Analyse

[10] Pour les raisons qui suivent, j’accepte l’entente des parties.

La division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble des problèmes de santé de la requérante

[11] La requérante a signalé des symptômes de plusieurs problèmes de santé, dont les suivants :

  • Maladie de Crohn
  • Ostéoarthrite
  • Gastroparésie diabétique
  • Syndrome du canal carpien
  • Apnée du sommeil
  • Anxiété et dépression
  • Hypertension
  • Hémochromatose
  • Fibromes utérins

[12] La principale affaire de prestations d’invalidité du RPC est l’affaire Villani c CanadaNote de bas page 4, qui exige que le Tribunal considère les parties requérantes comme des personnes à part entière. Ce principe a été amplifié par une cause appelée Bungay, selon laquelle l’état de santé d’une partie requérante doit être évalué dans sa totalitéNote de bas page 5. Dans un certain nombre d’affaires, cela a été interprété comme signifiant que le Tribunal doit examiner l’effet cumulatif des diverses déficiences d’une partie requéranteNote de bas page 6.

[13] Dans sa décision, la division générale a tenu compte de l’affaire Bungay en disant :

Je ne peux cependant pas m’arrêter aux diagnostics de la requérante. En fait, je dois plutôt vérifier si des limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vie. Dans cette optique, je dois examiner tous ses problèmes de santé (pas seulement le plus important) et je dois évaluer leur incidence sur sa capacité à travaillerNote de bas page 7 [mis en évidence dans l’original].

[14] La division générale a ensuite examiné individuellement les problèmes de santé de la requérante, concluant qu’aucun d’entre eux ne constituait en soi un obstacle au travail pendant la période de couverture de la requérante. 

[15] Il était évident que la division générale était consciente de la nécessité de tenir compte de tous les problèmes de santé de la requérante. Cependant, la division générale n’a pas fait un effort véritable pour saisir leur effet cumulatif sur sa capacité à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il semble que la division générale se soit penchée sur les nombreux problèmes de santé de la requérante isolément les uns des autres, alors que la jurisprudence a à maintes reprises mis en garde les décideurs contre le fait d’examiner les déficiences d’une partie requérante séparément.

La division générale n’a pas tenu compte des antécédents ou des caractéristiques personnelles de la requérante.

[16] L’employabilité doit être évaluée dans un contexte réaliste. Villani exige que les décideurs considèrent les parties requérantes comme des personnes à part entière, en tenant compte de facteurs comme leur âge, leur niveau de scolarité, leurs compétences linguistiques et leur expérience de travail et de vieNote de bas page 8.

[17] Dans sa décision, la division générale a cité le critère dans Villani, mais elle n’a pas jugé nécessaire de l’appliquer :

Enfin, pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, il faut généralement tenir compte de ses caractéristiques personnelles. C’est ce qui permet d’évaluer sa capacité à travailler sous un angle réaliste. Toutefois, je n’ai pas à le faire dans la présente affaire parce que je ne crois pas que les limitations fonctionnelles de la requérante la rendent incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Autrement dit, elle n’a pas prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave au plus tard à cette dateNote de bas page 9.

[18] À l’appui de cette position, la division générale a cité l’affaire Giannaros, qui semble soulager les décideurs de la nécessité de faire une analyse dans un contexte réaliste dans certaines circonstancesNote de bas page 10. Toutefois, l’affaire Giannaros concernait un requérant dont on a conclu qu’il avait ignoré les recommandations de traitement. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire.

[19] Villani lui-même laisse entendre que l’analyse dans un contexte réaliste doit faire partie intégrante de l’évaluation de la gravité :

Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, […] les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vieNote de bas page 11 [mis en évidence par le soussigné].

[20] La requérante a seulement un diplôme d’études secondaires et elle est maintenant dans la cinquantaine avancée. Elle a de nombreuses années d’expérience de travail, mais seulement dans des emplois peu spécialisés. Néanmoins, la division générale n’a pas jugé nécessaire de tenir compte de l’âge, des études ou des antécédents professionnels de la requérante. Il s’agit là d’une erreur de droit.

[21] Même si la division générale considérait la preuve de la requérante comme étant faible, elle ne pouvait pas évaluer la gravité de son invalidité sans également tenir compte de l’incidence de ses antécédents et de ses caractéristiques personnelles sur son employabilité.

Réparation

[22] Lorsque la division générale commet une erreur, la division d’appel peut la corriger de deux façons : i) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience ou, ii) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas page 12.

[23] Le Tribunal est tenu de procéder aussi rapidement que l’équité le lui permet. Les parties ont convenu que la requérante est invalide, et il y a suffisamment de renseignements au dossier pour me permettre de confirmer cette évaluation.

[24] Après avoir examiné l’ensemble du dossier, je suis convaincu que la requérante est effectivement atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

[25] La requérante est atteinte de nombreux problèmes de santé physique et psychologique. Il en découle divers symptômes, dont une douleur articulaire généralisée, la fatigue, l’incontinence, l’anxiété et la dépression. La requérante a fait tout ce qui était raisonnablement possible pour améliorer son état, mais elle n’a plus les capacités qu’elle avait auparavant, surtout maintenant qu’elle a plus de 50 ans. Elle a subi deux arthroplasties de la hanche qui ont amélioré sa mobilité, mais qui n’ont pas vraiment rétabli sa fonctionnalité au travail. Des éléments de preuve démontrent que ses déficiences ont été un facteur dans son congédiement de son dernier emploi de caissière à temps partiel il y a deux ans. Bien qu’elle ait de longs antécédents professionnels, ses emplois ont toujours comporté du travail manuel ou à un comptoir. À ce stade, compte tenu de ses nombreuses affections persistantes, il est difficile de voir comment elle pourrait se recycler pour faire un travail de bureau.

[26] Pour ces motifs, je conclus que la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Elle est effectivement inapte au travail.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli conformément à l’entente des parties. La requérante est devenue invalide en mars 2020, le dernier mois où elle a travaillé. Sa pension d’invalidité du RPC commence donc en juillet 2020Note de bas page 13.

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