Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

La requérante a contracté la polio lorsqu’elle avait deux ans. Une fois adulte, elle a occupé une série d’emplois dans des restaurants à service rapide, mais a cessé de travailler en raison d’une fatigue croissante et de douleurs à la jambe.

En 2005, la requérante a fait une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Le ministre a rejeté sa demande. La requérante a fait appel de cette décision auprès du tribunal de révision du RPC, le prédécesseur de la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale. Le tribunal de révision a rejeté l’appel. En 2008, la requérante a fait une deuxième demande de pension d’invalidité du RPC. Le ministre a de nouveau rejeté la demande, et le tribunal de révision a, une fois encore, rejeté l’appel. Le tribunal de révision a conclu que la requérante n’avait pas développé d’invalidité grave et prolongée entre la dernière fois qu’il a examiné sa demande et la date de fin de sa période d’admissibilité aux prestations d’invalidité. En mai 2021, la requérante a fait une troisième demande de pension d’invalidité du RPC. Le ministre a de nouveau rejeté la demande, puis la DG a rejeté l’appel, en concluant que la requérante avait soulevé exactement les mêmes questions que le tribunal de révision avait examinées 10 ans auparavant. La DG a déclaré qu’il lui était interdit de décider d’une chose qui avait déjà été jugée. La requérante a demandé la permission de faire appel devant la division d’appel (DA).

La doctrine de la chose jugée (res judicata) empêche les décideurs de réexaminer des questions qu’ils ont déjà tranchées. Selon la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Danyluk, 2001 CSC 44, les décideurs doivent tenir compte des trois critères suivants pour décider si la doctrine de la chose jugée s’applique :
• L’instance antérieure impliquait-elle les mêmes parties que l’instance actuelle?
• A-t-elle porté sur les mêmes questions?
• A-t-elle abouti à une décision finale?
Même si ses trois critères sont remplis, la décision Danyluk laisse aux décideurs une certaine discrétion quant à l’application de la doctrine de la chose jugée. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en tenant compte de facteurs comme le libellé (les mots) et l’objet de la loi qui établit le pouvoir administratif, les circonstances ayant mené à l’instance antérieure et, surtout, le risque d’injustice.

La DA a conclu que la requérante n’avait soulevé aucun moyen d’appel qui confèrerait à son appel une chance raisonnable de succès. La doctrine de la chose jugée empêchait la DG d’examiner l’appel de 2021 de la requérante portant sur des faits et des questions identiques à ceux de son appel de 2011. La permission de faire appel a été refusée.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 183

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission d’en appeler

Partie demanderesse : K. R.
Partie défenderesse : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 décembre 2021 (GP-21-1597)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 18 mars 2022
Numéro de dossier : AD-22-112

Sur cette page

Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. Je ne vois rien qui permette à cet appel d’aller de l’avant.

Aperçu

[2] La requérante, K. R., a contracté la poliomyélite à l’âge de deux ans. À l’âge adulte, elle a occupé plusieurs emplois dans des restaurants rapides, mais elle a cessé de travailler en raison d’une fatigue croissante et de douleurs aux jambes. Elle a maintenant 51 ans.

[3] En octobre 2005, la requérante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’agent du ministre, Service Canada, a rejeté sa demande. La requérante a fait appel de ce refus devant le tribunal de révision, prédécesseur de la division générale du Tribunal. Le tribunal de révision a tenu une audience le 15 août 2007 et a ensuite rejeté l’appel.

[4] En 2008, la requérante a présenté une deuxième demande de pension d’invalidité du Régime. Encore une fois, le ministre a rejeté sa demande et le tribunal de révision a rejeté l’appel. Dans une décision datée du 4 août 2011, le tribunal de révision a conclu que la requérante n’avait pas développé une invalidité grave et prolongée entre le 15 août 2007, date à laquelle il a examiné sa première demande, et le 31 décembre 2009, date à laquelle sa période de couverture d’invalidité du Régime a pris fin.

[5] En mai 2021, la requérante a présenté une troisième demande de pension d’invalidité du Régime. Encore une fois, le ministre a rejeté sa demande et, encore une fois, la division générale a rejeté l’appel. La division générale a conclu que la requérante avait soulevé exactement les mêmes questions que le tribunal de révision avait examinées dix ans plus tôt. La division générale a affirmé qu’il lui était interdit de réexaminer des questions déjà tranchées.

[6] La requérante demande maintenant à la division d’appel la permission d’en appeler. Elle allègue que la division générale a commis une erreur de compétence en tranchant son appel sans tenir compte de son invalidité.

Question en litige

[7] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. Une partie appelante doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon inéquitable;
  • a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[8] Un appel peut seulement aller de l’avant si la division d’appel accord d’abord la permission d’en appelerNote de bas de page 2. À cette étape, la division d’appel doit être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Il s’agit d’un critère relativement facile à satisfaire, et cela signifie que la partie demanderesse doit présenter au moins un argument défendableNote de bas de page 4.

[9] La question en litige dans le présent appel est de savoir s’il est possible de soutenir que la division générale a mal appliqué la règle interdisant de réexaminer une question déjà tranchée.

Analyse

[10] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve sur lesquels la division générale s’est fondée pour en arriver à sa décision. Je conclus que la requérante n’a pas présenté d’argument défendable.

[11] La requérante a été déboutée en 2021 parce que la division générale a décidé qu’elle faisait valoir essentiellement les mêmes arguments qu’elle avait présentés en 2011. Pour les motifs suivants, j’estime qu’on ne pas peut soutenir que la division générale a mal appliqué la loi en arrivant à cette conclusion.

Le principe de la chose jugée empêche que des affaires soient entendues à plusieurs reprises

[12] Comme la division générale l’a fait remarquer à juste titre, une doctrine juridique appelée le principe de la chose jugée empêche les personnes qui doivent rendre une décision de réexaminer des questions qu’elles ont déjà tranchées. L’affaire DanylukNote de bas de page 5 a établi que les personnes qui rendent une décision doivent tenir compte de trois critères pour décider si le principe de la chose jugée s’applique :

  • L’instance antérieure impliquait-elle les mêmes parties que l’instance actuelle?
  • L’instance antérieure abordait-elle les mêmes questions?
  • L’instance antérieure a-t-elle mené à une décision définitive?

[13] Dans la décision Danyluk, la Cour suprême du Canada a confirmé que le principe de la chose jugée repose sur des motifs d’intérêt public qui sont judicieux :

Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évitésNote de bas de page 6.

[14] La Cour fédérale a déclaré que le principe de la chose jugée s’applique spécifiquement aux décisions du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 7. La Cour a également conclu que le législateur voulait que la division générale du Tribunal remplace le tribunal de révisionNote de bas de page 8.

La deuxième demande de la requérante recoupe sa première demande sur tous les points importants

[15] La division générale a décidé que le principe de la chose jugée l’empêchait d’examiner l’appel de la requérante pour les motifs suivants :

  • les parties à ses appels de 2011 et de 2021 étaient les mêmes, soit la requérante et le ministre;
  • la question principale dans les deux appels était la même, à savoir si les symptômes liés à la poliomyélite de la requérante ont fait en sorte qu’elle a développé une invalidité grave et prolongée entre le 15 août 2007 et le 31 décembre 2009Note de bas de page 9;
  • la décision du tribunal de révision du 4 août 2011 était définitive parce que la requérante n’a pas exercé son droit d’appel dans le délai prescrit.

[16] Le dossier médical que la requérante a présenté à l’appui de son troisième appel contient les mêmes documents qui appuyaient ses demandes de 2005 et de 2008. La requérante a fourni des rapports médicaux supplémentaires pour le présent appel, mais :

  • soit ils se rapportent à la période antérieure au 31 décembre 2009 et ne contiennent aucun nouveau renseignement;
  • soit ils se rapportent à la période postérieure au 31 décembre 2009 et contiennent donc des renseignements non pertinents.

[17] Dans les deux cas, la plus récente demande de pension d’invalidité de la requérante ne soulève aucune question qui n’a pas déjà été tranchée. J’estime qu’on ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit ou de fait en arrivant à la même conclusion.

La division générale a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée en décidant de ne pas réexaminer l’affaire de la requérante

[18] Même si les trois critères mentionnés ci-dessus sont respectés, la décision Danyluk donne aux personnes qui doivent rendre une décision un certain pouvoir discrétionnaire quant à l’application du principe de la chose jugée. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en tenant compte de facteurs tels que le libellé et l’objet de la loi établissant le pouvoir administratif, les circonstances ayant donné lieu à l’instance initiale, et, surtout, le risque d’injustice.

[19] La division générale a considéré ces facteurs, mais elle a jugé qu’il n’y avait aucune raison de renoncer à l’application du principe de la chose jugée et de réexaminer sa décision antérieure. En particulier, la division générale a estimé que la requérante avait déjà eu toutes les occasions de fournir des éléments de preuve datant de la période pertinente. Surtout, la division générale n’a vu aucun risque d’injustice si elle refusait d’examiner le deuxième appel de la requérante :

Aucune question d’injustice ou de justice naturelle n’a été soulevée ni n’est apparente relativement à la présente affaire. Les objectifs et les enjeux des deux instances sont les mêmes. Le principe de la chose jugée sert précisément à éviter que des questions déjà tranchées de manière définitive soient remises en causeNote de bas de page 10.

[20] À mon avis, la division générale a exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a examiné de bonne foi les facteurs énoncés dans la décision Danyluk. Je n’ai rien vu qui indique qu’elle a ignoré des facteurs pertinents ou considéré des facteurs non pertinents. Je rien vu non plus qui laisse croire qu’elle ait été partiale ou qu’elle ait agi de façon inappropriéeNote de bas de page 11.

Conclusion

[21] La requérante n’a invoqué aucun moyen d’appel qui aurait pu conférer à l’appel une chance raisonnable de succès. Le principe de la chose jugée a empêché la division générale d’instruire son appel de 2021, qui soulevait les mêmes questions et les mêmes faits que son appel de 2011.

[22] La permission d’en appeler est donc refusée.

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