Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c HS, 2022 TSS 435

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Jessica Grant
Partie intimée : H. S. (requérant)
Représentante ou représentant : Ashwin Ramakrishnan

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 octobre 2021 (GP-20-1661)

Membre du Tribunal : Kate Sellar
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 27 avril 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelant
Intimé
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 30 mai 2022
Numéro de dossier : AD-22-67

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de fait. Je vais renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

Aperçu

[2] H. S. (requérant) a travaillé dans le secteur de la construction jusqu’en juin 2016. Il a cessé de travailler en raison de son arthrose aux genoux, et des douleurs, des enflures et des problèmes de mobilité qui en découlaient. Il n’a repris aucun emploi depuis.

[3] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 12 novembre 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. Le requérant a donc fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] La division générale a conclu que le requérant était atteint d’une invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada et qu’il était admissible à la pension d’invalidité à compter de décembre 2018.

[5] J’ai accordé au ministre la permission de faire appel de la décision de la division générale. J’ai conclu qu’il était possible que la division générale ait commis une erreur de fait en ignorant la preuve concernant la capacité de travail du requérant.

[6] Je dois décider si la division générale a commis une erreur au titre de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Si c’est le cas, je dois déterminer la réparation appropriée.

[7] La division générale a commis une erreur de fait. Je vais renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

Questions en litige

[8] Voici les questions en litige dans le cadre du présent appel :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en ignorant la preuve concernant la capacité de travail du requérant?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en ignorant la preuve concernant la question de savoir si le requérant a suivi les conseils médicaux?
  3. c) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère relatif aux efforts pour trouver du travail?
  4. d) Si la division générale a commis l’une de ces erreurs, quelle est la réparation appropriée?

Analyse

[9] Tout d’abord, je décrirai mon rôle à la division d’appel en ce qui a trait à l’examen des décisions de la division générale. Ensuite, j’expliquerai comment j’ai tiré la conclusion selon laquelle la division générale a commis une erreur de fait en ignorant certains éléments de preuve. Enfin, j’expliquerai la réparation appropriée.

Examen des décisions de la division générale

[10] La division d’appel n’offre pas aux parties la possibilité de défendre à nouveau leur position pleinement. J’ai plutôt examiné les arguments des parties et la décision de la division générale pour décider si la division générale a commis des erreurs.

[11] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énumère les seules erreurs dont je peux tenir compte, c’est-à-dire :

  • la division générale n’a pas agi de manière équitable;
  • la division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  • la division générale a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits au dossier;
  • la division générale a mal interprété ou mal appliqué la loiNote de bas de page 1.

Erreur de fait : ignorer la preuve de capacité de travail

[12] La division générale a commis une erreur de fait en omettant de tenir compte et de discuter de certains éléments de preuve concernant la capacité de travail du requérant. Ces éléments de preuve étaient assez importants pour que la division générale les aborde. La division générale a ignoré certains éléments de preuve.

Erreurs de fait

[13] Une erreur de fait survient lorsque la division générale ignore ou mal interprète un fait d’une manière importanteNote de bas de page 2. Une erreur de fait doit être grave au point où elle pourrait influer sur l’issue de l’appel.

[14] La division générale n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve dans sa décisionNote de bas de page 3. La division d’appel peut présumer que la division générale a tenu compte de l’ensemble de la preuve. Toutefois, le ministre peut renverser cette présomption en démontrant que les éléments de preuve que la division générale n’a pas mentionnés dans ses motifs étaient assez importants pour que celle-ci les abordeNote de bas de page 4.

[15] Autrement dit, je peux juger qu’une erreur de fait a été commise lorsque la division générale omet de mentionner des éléments de preuve pertinents dans ses motifs. Plus les éléments de preuve non mentionnés sont importants, plus ils donnent à penser que la division générale les a en fait ignorésNote de bas de page 5.

Preuve que la division générale a ignorée selon le ministre

[16] Le ministre soutient que la division générale a commis une erreur de fait en ignorant la preuve médicale concernant la capacité du requérant à occuper régulièrement un autre emploi. Le ministre soutient que la division générale a ignoré les éléments suivants :

  • L’avis du médecin de famille et du chirurgien orthopédiste voulant que le requérant ne puisse pas reprendre son emploi exigeant sur le plan physique, mais qu’il bénéficie de tâches plus légères, et qu’il soit recommandé de trouver un autre travailNote de bas de page 6.
  • Le rapport de l’évaluation des capacités fonctionnelles de deux jours que la compagnie d’assurance du requérant a demandé en octobre 2016Note de bas de page 7.
  • Les notes de la compagnie d’assurance au sujet du requérant indiquant que celui-ci pensait qu’il pouvait occuper le poste de camionneur tant que le véhicule était à transmission automatique. La compagnie d’assurance a jugé que le requérant satisfaisait aux exigences pour être répartiteur (je ferai référence à ces documents comme étant les documents de la compagnie d’assurance)Note de bas de page 8.
  • Le formulaire de restrictions à la participation de l’Ontario rempli par le médecin de famille faisant état des limitations du requérant. Ce formulaire n’énumérait aucune limitation concernant la position assise, la conduite, l’utilisation de machines, la capacité de concentration, l’énergie et l’endurance ou la motricité fineNote de bas de page 9.

Le requérant soutient que la division générale n’a pas ignoré d’éléments de preuve

[17] Le requérant a fait valoir qu’il n’était pas capable de travailler et que, par conséquent, la division générale n’avait pas commis d’erreur de droit en ignorant cet élément de preuve. Le requérant soutient qu’il était clair qu’il ne pouvait même pas occuper un travail sédentaire et que la division générale n’avait pas ignoré d’éléments de preuve.

La division générale a ignoré certains éléments de preuve concernant la capacité de travail

[18] Selon moi, la division générale a ignoré certains éléments de preuve lorsqu’elle a examiné la capacité du requérant à exercer un autre emploi. Elle a tenu compte de certains éléments de preuve médicale liés aux limitations du requérant, mais elle en a aussi ignoré d’autres à ce sujetNote de bas de page 10.

[19] La division générale a conclu que le requérant ne peut pas exercer d’emplois comme ceux qu’il a occupés dans le passé ou tout emploi comportant des tâches physiques, « même légères, à cause de ses importantes restrictions de mobilitéNote de bas de page 11 ». La division générale a noté que le requérant n’avait jamais occupé d’emploi sédentaire. Compte tenu de son âge, de son niveau d’instruction et de ses antécédents professionnels, il est peu probable qu’il obtienne un travail sédentaire.

[20] La division générale a expressément abordé certains éléments de preuve qui, selon le ministre, auraient été ignorés. Par exemple, la division générale a examiné la lettre du chirurgien orthopédiste adressée au médecin de famille datant de décembre 2016Note de bas de page 12. Dans le même ordre d’idées, la division générale a abordé l’évaluation des capacités fonctionnelles d’octobre 2016 dans sa décisionNote de bas de page 13. Dans les deux cas, la division générale a expliqué avoir accordé peu de poids à ces rapports parce que l’état de santé du requérant s’est détérioré après que les experts les ont rédigés.

[21] Toutefois, j’estime que la division générale a ignoré d’autres documents qui décrivaient la capacité de travail du requérant. Plus précisément, elle n’a pas abordé les documents de la compagnie d’assurance et le formulaire de restrictions à la participation de l’Ontario. Ces documents sont importants parce qu’ils contiennent de l’information sur la capacité du requérant à occuper un autre emploi qui soit compatible avec ses limitations.

[22] Il y a deux raisons pour lesquelles ces documents sont importants.

[23] Premièrement, certains de ces documents datent de 2017, ce qui les rend particulièrement importants étant donné que la division générale a accordé moins de poids aux documents de 2016 indiquant que l’état de santé du requérant s’était détérioré après 2016.

[24] Deuxièmement, ces documents sont importants parce qu’ils expriment des opinions professionnelles sur la capacité du requérant à exercer un autre emploi. La division générale a conclu que le requérant était régulièrement incapable d’occuper tout emploi véritablement rémunérateur au plus tard le 31 décembre 2017.

[25] Selon moi, le fait que la division générale n’a pas abordé ces documents signifie qu’elle les a ignorés. La division générale a commis une erreur de fait.

Le ministre n’a pas prouvé qu’une erreur de fait a été commise concernant le suivi des conseils médicaux

[26] Je ne peux pas conclure que la division générale a commis une erreur de fait en ignorant des éléments de preuve concernant la question de savoir si le requérant a suivi les conseils médicaux.

[27] Le ministre soutient que la division générale a commis une erreur en omettant d’examiner et d’aborder le fait de savoir si le requérant a refusé déraisonnablement un traitement. Le dossier médical du requérant contient plusieurs documents qui donnent à penser que le requérant peut avoir refusé déraisonnablement un traitement.

[28] Le ministre précise que la division générale n’a pas abordé ni examiné la question de savoir si, avant la fin de la période minimale d’admissibilité, le requérant a refusé déraisonnablement les traitements chirurgicaux et non chirurgicaux suivants que ses médecins lui ont recommandés :

  • une arthroplastie totale du genou droit;
  • une attelle de genou et de la physiothérapie.

[29] La preuve montre que le requérant a annulé son arthroplastie totale du genou à deux reprises avant la fin de la période minimale d’admissibilitéNote de bas de page 14. La décision de la division générale évoque les retards liés à la planification d’une arthroplastie totale du genou. Le requérant a déclaré « qu’il ne connaît toujours pas la date de son intervention, en partie à cause des retards liés à la pandémie de la COVID-19Note de bas de page 15 ».

[30] La décision de la division générale n’aborde pas la question de savoir si le requérant a refusé déraisonnablement l’intervention chirurgicale durant la période minimale d’admissibilité en l’annulant. Dans le même ordre d’idées, la décision n’aborde pas non plus la question de savoir si le requérant a refusé déraisonnablement le traitement non chirurgical recommandé, comme l’attelle et la physiothérapie.

[31] Le requérant soutient que si la division d’appel avait accès à son témoignage, elle pourrait constater pourquoi la division générale n’a pas abordé le fait de savoir s’il avait refusé déraisonnablement de se faire opérer durant la période minimale d’admissibilité.

[32] Selon moi, le ministre n’a pas prouvé que la division générale a commis une erreur de fait.

[33] Dans sa décision, la division générale aborde le traitement du requérant. Elle décrit les aspects du traitement auxquels le requérant a pleinement participé. La division générale n’aborde pas les recommandations liées à l’attelle et à la physiothérapie. Toutefois, elle mentionne les retards liés à l’arthroplastie totale du genou causés par la pandémie de la COVID-19 (après la fin de la période minimale d’admissibilité).

[34] Compte tenu de l’information dont je dispose, je ne suis pas en mesure de rendre une décision juste quant au fait de savoir si les éléments de preuve concernant les interventions reportées durant la période minimale d’admissibilité et les recommandations liées à l’attelle et à la physiothérapie étaient assez importants pour que la division générale les aborde.

[35] Je déduirais seulement que le silence de la division générale au sujet de ces questions signifie qu’elle a ignoré les éléments de preuve, si ceux-ci étaient assez importants pour qu’elle les aborde.

[36] Malheureusement, la division générale n’a pas fourni un enregistrement complet de l’audience. Je ne peux donc pas examiner l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Je ne peux pas dire si le requérant a clairement expliqué pourquoi il avait reporté ses interventions chirurgicales de telle sorte que ce n’était pas assez important pour en discuter.

[37] Peut-être qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, il était clair pour la division générale que le requérant n’avait pas refusé le traitement et l’avait seulement retardé, auquel cas il se peut que la preuve écrite concernant l’annulation des dates de l’intervention n'ait pas été assez importante pour que la division générale l’aborde.

[38] Dans le même ordre d’idées, je ne sais pas ce que le requérant a dit dans son témoignage à propos de la physiothérapie ou de l’attelle. Dans une autre partie de sa décision portant sur les éléments de preuve médicale importants, la division générale aborde les traitements non chirurgicaux recommandésNote de bas de page 16. La division générale semble avoir été sensible à ces éléments de preuve. Ceux-ci n’ont peut-être pas été assez importants pour en discuter avec le suivi des conseils médicaux.

[39] Le ministre n’a pas prouvé que la division générale a commis une erreur de fait. Je ne peux pas conclure qu’une erreur de fait a été commise dans ces circonstances sans avoir accès au dossier complet.

Aucune conclusion sur la présumée erreur de droit : critère relatif aux efforts pour trouver du travail

[40] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la division générale a ignoré la preuve de capacité de travail, je n’ai pas besoin de décider si la division générale a commis une erreur en n’appliquant pas le critère relatif aux efforts pour trouver du travail.

[41] La Cour d’appel fédérale affirme que si une partie requérante a une certaine preuve de capacité de travail, la division générale doit examiner si ses efforts pour obtenir et conserver un emploi ont échoué en raison de ses problèmes de santéNote de bas de page 17. Je fais référence à cela comme étant le critère relatif aux efforts pour trouver du travail.

[42] Le ministre soutient que la division générale a commis une erreur en omettant d’examiner et d’appliquer ce critère.

[43] Le requérant soutient que la division générale n’avait pas besoin de trancher cette question puisqu’il n’y avait aucune preuve de capacité de travail.

[44] Je ne tirerai pas de conclusion quant au fait de savoir si la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère relatif aux efforts pour trouver du travail à l’appel du requérant. La division générale a conclu qu’il n’y avait pas de preuve de capacité de travail. Dans une telle situation, la loi n’exige pas que la division générale applique le critère.

[45] Dans la présente décision, j’ai conclu que la division générale a commis une erreur de fait en ignorant la preuve concernant la capacité de travail du requérant. Cette erreur nécessite une réparation, et le critère relatif aux efforts pour trouver du travail ne devient pertinent que lorsqu’il y a une conclusion sur la capacité de travail.

Réparation

[46] Comme j’ai conclu que la division générale a commis une erreur, je peux déterminer la réparation appropriée. Voici les deux options possibles :

  • rendre la décision que la division générale aurait dû rendre;
  • renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamenNote de bas de page 18.

[47] Je peux trancher toute question de droit ou de fait nécessaire pour statuer sur un appelNote de bas de page 19.

[48] En raison de ce qui semble être une erreur technique, la division générale a seulement enregistré une partie de l’audience. Elle n’a donc pas enregistré la preuve du requérant dans son ensemble.

[49] Selon le ministre, si je conclus que la division générale a commis une erreur de fait en ignorant la preuve de capacité de travail, je dois rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Dans de nombreux cas, il est préférable de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre pour faire avancer l’affaireNote de bas de page 20.

[50] Toutefois, dans le cas présent, je ne dispose pas d’un dossier complet. Si je rendais la décision que la division générale aurait dû rendre, je devrais tirer une conclusion sur la capacité de travail du requérant. Pour parvenir à une décision sur la grande question de savoir si le requérant est admissible à une pension d’invalidité, je dois être convaincue d’avoir examiné la preuve médicale ainsi que le témoignage livré à l’audience. Ce n’est pas juste pour les parties que je tire cette conclusion alors que je n’ai pas entendu l’ensemble du témoignage du requérant concernant les questions en litige.

[51] Par conséquent, je vais renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen. Le requérant a droit à une nouvelle audience afin qu’il y ait un dossier complet à l’appui de toute conclusion à laquelle la division générale arrivera concernant les questions en litige, y compris la capacité de travail du requérant et ses efforts concernant le traitementNote de bas de page 21.

Conclusion

[52] J’ai accueilli l’appel. La division générale a commis une erreur de fait. Je renvoie donc l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.