Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

Régime de pensions du Canada – prestation d’enfant de cotisant invalide – garde et surveillance

L’appelant (M. M.) et la première partie intimée (K. M.) ont été mariés pendant 26 ans avant de divorcer en 2011. Ils ont eu quatre enfants. La deuxième partie intimée (le ministre) a accueilli la demande de pension d’invalidité de M. M. au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). En octobre 2018, M. M. a demandé des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de sa plus jeune fille. Le ministre a accueilli sa demande. K. M. a ensuite demandé des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de sa fille en juin 2020. Le ministre a rejeté sa demande parce qu’il avait déjà commencé à verser les prestations à M. M. et que sa politique consistait à verser les prestations d’enfant de cotisant invalide au cotisant invalide à condition que celui-ci ait au moins une partie de la garde et de la surveillance de l’enfant.

K. M. a fait appel du rejet du ministre devant la division générale (DG). Celle-ci a accueilli l’appel. Elle a convenu avec K. M. que c’était elle, et non M. M., qui avait la garde et la surveillance de l’enfant. La DG a conclu que la politique du ministre n’était pas conforme à la loi. M. M. a ensuite fait appel de la décision de la DG devant la division d’appel (DA).

Il existe une présomption en vertu de la loi selon laquelle le cotisant invalide a la garde et la surveillance de l’enfant, mais cette présomption ne s’applique pas lorsque l’enfant vit séparé du cotisant. Si l’enfant ne vit pas avec le cotisant, la question de savoir qui a la garde et la surveillance se résume à ce que la preuve montre dans l’ensemble.

En 2016, le ministre a émis une politique fournissant des instructions sur l’interprétation de l’article 75 du RPC et des instructions pour assurer le versement des prestations d’enfant de cotisant invalide à la bonne personne. La politique prévoyait qu’aux fins de l’administration de l’article 75, le lieu de résidence d’un enfant ne permettait pas de préciser qui avait « la garde et la surveillance ». Un parent invalide qui a la garde et la surveillance de son enfant, aussi minimes soient-elles, recevrait les prestations d’enfant de cotisant invalide. Cette politique est entrée en vigueur en août 2018.

Dans le cas présent, la DG a interprété la disposition législative régissant les prestations d’enfant de cotisant invalide et a notamment défini ce que signifiait avoir la garde et la surveillance d’un enfant. La DG a conclu que la politique du ministre ne correspondait pas au sens véritable de l’article. La DA était d’accord. Celle-ci a examiné les définitions de « garde » et de « surveillance » et a conclu qu’une personne ayant la garde et la surveillance d’un enfant doit veiller à son bien-être quotidien. Cela donne à penser que la personne entretient un lien de proximité physique avec l’enfant afin de comprendre ses besoins et d’y répondre. La DA a conclu que les prestations d’enfant de cotisant invalide visent à compenser les frais liés aux soins de l’enfant et à la perte de revenu lorsque le parent de l’enfant devient invalide. Si les prestations sont destinées à l’enfant, comme le législateur l’a voulu, il va de soi qu’elles devraient aller au parent qui élève réellement l’enfant, qui le nourrit, qui lui offre un toit, qui subvient à ses besoins quotidiens et qui assure son éducation. Ce parent est le mieux placé pour connaître les besoins de l’enfant. Il est logique que le législateur ait eu l’intention, dans la mesure du possible, d’orienter les prestations d’enfant de cotisant invalide vers le ménage où l’enfant réside principalement.

La DG a conclu que, même si M. M. faisait partie de la vie de sa fille et avait de bonnes raisons de ne pas s’engager davantage, ce qui importait en fin de compte était de savoir qui avait la responsabilité quotidienne du bien-être de l’enfant. La DG a conclu que la prépondérance de la preuve indiquait que K. M., et non M. M., avait la garde et la surveillance de l’enfant. Malgré certains éléments de preuve contradictoires, la DG a simplement décidé que la preuve de K. M. était plus convaincante.

La DA a conclu que la DG n’a pas fondé sa décision sur une erreur de droit ou de fait. La DG a offert une audience équitable. Elle a bien interprété le RPC et le règlement connexe. Elle s’est efforcée pleinement et sincèrement d’apprécier les éléments de preuve pertinents et d’appliquer la loi. L’appel a donc été rejeté.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MM c KM et Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 575

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : M. M.
Première partie intimée : K. M.
Deuxième partie intimée :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Représentante ou représentant : Ian McRobbie

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 28 octobre 2021 (GP‑20‑1428)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 26 avril 2022
Personnes présentes à l’audience :

Appelant
Première partie intimée
Représentant de la deuxième partie intimée

Date de la décision : Le 27 juin 2022
Numéro de dossier : AD‑22‑110

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale n’a pas commis d’erreur. Sa décision est maintenue.

Aperçu

[2] L’appelant (M. M.) et la première partie intimée (K. M.) ont été mariés pendant 26 ans avant de divorcer en 2011. Ils ont eu quatre enfants.

[3] La deuxième partie intimée (ministre de l’Emploi et du Développement social) a accueilli la demande de pension d’invalidité de M. M. au titre du Régime de pensions du Canada. En octobre 2018, M. M. a demandé des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de sa fille cadette, née en 2004. Le ministre a accueilli sa demande.

[4] K. M. a ensuite demandé des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de sa fille en juin 2020. Le ministre a rejeté sa demande parce qu’il avait déjà commencé à verser les prestations à M. M. Il a déclaré que sa politique consistait à verser les prestations d’enfant de cotisant invalide au cotisant invalide à condition que celui-ci ait au moins une partie de la garde et de la surveillance de l’enfant.

[5] K. M. a fait appel du rejet du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Elle a soutenu que M. M. n’avait ni la garde ni la surveillance de l’enfant.

[6] La division générale a tenu une audience par téléconférence et, dans une décision datée du 28 octobre 2021, elle a accueilli l’appel. Elle a convenu avec K. M. que c’était elle, et non M. M., qui avait la garde et la surveillance de l’enfant. La division générale a conclu que la politique du ministre n’était pas conforme à la loi.

[7] M. M. a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel du Tribunal. Il a affirmé que la division générale a commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a décidé que K. M. était admissible au bénéfice des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de l’enfant :

  • elle a mal compris le sens des termes « garde » et « surveillance », comme défini dans le Régime de pensions du Canada;
  • elle n’a pas respecté son droit d’être entendu en lui posant des questions dégradantes et non pertinentes qui l’ont laissé perplexe et incapable d’offrir une défense appropriée.

J’ai donné à M. M. la permission de faire appel parce que je pensais qu’il avait une cause défendable. En avril, j’ai tenu une audience par téléconférence pour discuter de l’ensemble de ses allégations.

Question en litige

[8] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. Une partie appelante doit démontrer que la division générale a commis au moins l’une des erreurs suivantes :

  • elle n’a pas offert un processus équitable;
  • elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[9] Mon travail consiste à vérifier si l’une ou l’autre des allégations de l’appelant correspond à au moins un des moyens d’appel prévus et, si c’est le cas, à décider si l’une d’entre elles est fondée.

Analyse

[10] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit applicable et la preuve utilisés pour rendre la présente décision. J’ai conclu qu’aucune des raisons invoquées par M. M. dans son appel ne justifie l’annulation de la décision de la division générale.

La division générale n’a pas refusé à M. M. le droit d’être entendu

[11] M. M. prétend que, pendant l’audience, le membre de la division générale lui a posé des questions dégradantes et non pertinentes qui l’ont laissé perplexe et incapable, comme il a dit, [traduction] « d’offrir une défense appropriée ». Il insiste sur le fait que la division générale l’a intimidé et dissuadé de plaider pleinement sa cause.

[12] L’équité exige qu’une partie soit entendue. Cela signifie que toute personne ayant un intérêt dans l’issue d’une procédure judiciaire a le droit de présenter le meilleur dossier possible. Après avoir écouté l’enregistrement complet de l’audience devant la division générale, je ne vois pas comment M. M. a été réduit au silence :

  • M. M. affirme que la division générale n’a pas compris que, comme il était atteint d’anxiété sévère, il était incapable de se défendre adéquatement. Je n’ai rien entendu dans l’enregistrement de l’audience qui porte à croire que M. M. était désavantagé. Il est vrai que la voix de M. M. s’est brisée à l’occasion lorsqu’il discutait de sa relation difficile avec sa fille, mais il a réussi à communiquer sa position sans grande difficultéNote de bas de page 2. Je ne doute pas que M. M. était nerveux, mais ce serait le cas de n’importe qui dans sa situation. Il n’est jamais facile pour une personne qui n’a pas de formation ou d’expérience en droit de se représenter devant un tribunal gouvernemental. Pourtant, M. M. a réussi à le faire efficacement.
  • M. M. est athée. Il dit avoir été offensé par la question du membre au sujet de la [traduction] « spiritualité » de sa fille. Encore une fois, je ne vois aucun manquement aux règles d’équité procédurale. M. M. ne croit peut-être pas en un être supérieur, mais la religion fait néanmoins partie de la vie de beaucoup de personnes. Dans une instance portant sur la garde et les soins, il s’agissait d’une question pertinente, posée avec d’autres questions visant à obtenir de l’information sur la vie quotidienne et la routine de l’enfant. Il était raisonnable pour la division générale de vouloir savoir qui, le cas échéant, assumait la responsabilité de façonner sa perception. En examinant le dossier, je n’ai rien vu ni entendu qui porte à croire que le membre a porté un jugement sur les croyances de M. M.
  • M. M. se plaint d’avoir été forcé à discuter de son invalidité devant son ex‑épouse. Il prétend que la division générale a permis à son ex-épouse de faire de fausses déclarations contre lui. Je peux comprendre pourquoi M. M. a trouvé le témoignage de K. M. bouleversant, mais je ne suis pas convaincu que la division générale ait commis une injustice en l’acceptant. Il s’agissait nécessairement d’une procédure contradictoire. Tout comme M. M. a été autorisé à faire valoir son point de vue, K. M. a été autorisée à faire valoir le sien. Elle avait un certain nombre de choses pénibles à dire au sujet de ce qu’elle considérait être de la négligence de M. M. à l’égard de leur fille, mais je n’ai trouvé aucun de ses commentaires gratuit ou non pertinent. Ils ont tous abordé la question clé dans la présente affaire, à savoir qui avait la garde et la surveillance de l’enfant. De plus, M. M. a eu amplement l’occasion de plaider sa cause pour réfuter les déclarations de K. M.

[13] Comme on pouvait s’y attendre, l’audience était parfois litigieuse, mais le membre contrôlait étroitement les délibérations, avertissant M. M. et K. M. à plusieurs reprises de s’en tenir à la question centrale de savoir qui avait la garde et la surveillance de l’enfant. Tout au long de l’audience, le membre a été ferme, mais poli. Il a posé de nombreuses questions aux parties, parfois gênantes, mais toutes pertinentes. Il n’a jamais été autoritaire. Il a souvent mis en garde M. M. et K. M. de ne pas s’attarder sur des détails non pertinents, mais leur a tout de même donné l’occasion de s’exprimer.

La division générale a bien interprété le sens des termes « garde » et « surveillance »

[14] Dans le cas présent, beaucoup de choses dépendent de ce que signifie avoir la garde et la surveillance d’un enfant qui est admissible au bénéfice des prestations d’enfant de cotisant invalide.

[15] Les prestations d’enfant de cotisant invalide sont des prestations mensuelles forfaitaires versées pour l’enfant d’une personne qui reçoit une pension d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 3. Le Régime de pensions du Canada précise que les prestations d’enfant de cotisant invalide doivent être versées à la personne ayant la garde et la surveillance de l’enfant. Si le cotisant invalide vit avec l’enfant, ce dernier est présumé en avoir la garde et la surveillanceNote de bas de page 4.

[16] La politique du ministre consiste à accorder les prestations d’enfant de cotisant invalide à un cotisant invalide s’il a au moins une partie de la garde ou de la surveillance d’un enfant. M. M., avec l’appui du ministre, soutient que cette politique reflète fidèlement le vrai sens du Régime de pensions du Canada. Il soutient que la division générale a commis une erreur de droit en se rangeant du côté de K. M. et en rejetant la politique du ministre. Il affirme que la division générale a miné l’objectif des prestations d’enfant de cotisant invalide en les accordant à la [traduction] « principale » fournisseuse de soins de l’enfant :

[traduction]
[L]’argent est destiné à l’enfant. Chez sa mère, rien n’a changé. Mon invalidité n’a causé aucune difficulté financière. Pourquoi alors [l’enfant] aurait-elle besoin de ces fonds là-bas? D’autre part, mon invalidité a causé et continue de causer des difficultés financières chez moi, dans le foyer de [l’enfant] […]. Mon ex‑épouse reçoit encore chaque sou que je suis tenu de lui verser. Cette somme n’a jamais été réduite. Pourquoi lui donner de l’argent supplémentaire alors qu’elle n’a pas de difficultés financières? Au contraire, je devrai maintenant vendre ma petite maison à cause des arriérés et du fait que j’ai perdu cette allocation. En quoi cela aide-t-il [l’enfant]Note de bas de page 5?

[17] Après avoir examiné attentivement le droit relatif à la garde et à la surveillance, j’ai conclu que la division générale n’avait commis aucune erreur.

Les prestations d’enfant de cotisant invalide sont d’abord versées à la personne ayant la garde et la surveillance de l’enfant

[18] L’article 75 du Régime de pensions du Canada précise qui reçoit les prestations d’enfant de cotisant invalide :

Lorsqu’une prestation d’enfant de cotisant invalide est payable à un enfant d’un cotisant invalide ou qu’une prestation d’orphelin est payable à un orphelin d’un cotisant, le paiement doit en être fait, si l’enfant ou l’orphelin n’a pas atteint l’âge de dix‑huit ans, à la personne ou à l’organisme qui a la garde et la surveillance de l’enfant ou de l’orphelin, ou, si aucune personne ou aucun organisme n’en a la garde et la surveillance, à la personne ou à l’organisme que le ministre peut désigner et, pour l’application de la présente partie :

  1. a) le cotisant, par rapport à un enfant de cotisant invalide, sauf si l’enfant vit séparé du cotisant;
  2. b) le survivant, s’il en est, du cotisant, par rapport à un orphelin, sauf si l’orphelin vit séparé du survivant,

est présumé, en l’absence de preuve contraire, la personne qui en a la garde et la surveillance.

[19] Par souci de clarté, j’ai mis en évidence certains mots de la disposition. Ils indiquent clairement que, d’abord et avant tout, les prestations d’enfant de cotisant invalide sont versées à une personne ou à un organisme ayant la garde et la surveillance de l’enfant. Il existe une présomption selon laquelle le cotisant invalide a la garde et la surveillance, mais celle-ci est réfutée lorsque l’enfant vit séparé du cotisant. Si le cotisant invalide ne vit pas avec l’enfant, comme dans le cas présent, la question de savoir qui a la garde et la surveillance se résume à ce que la preuve démontre, tout bien considéré.

La politique du ministre consiste à accorder les prestations d’enfant de cotisant invalide à un cotisant invalide ayant la garde et la surveillance de l’enfant

[20] La division générale a demandé aux parties de présenter des observations sur la bonne interprétation de l’article 75, plus précisément les informations concernant le contexte législatif de l’article. Le ministre a répondu par de brefs arguments écrits sur le sujet, des extraits des débats de la Chambre des communes, de la jurisprudence pertinente et des instructions du ministre sur le versement des prestations d’enfant de cotisant invalideNote de bas de page 6.

[21] Selon l’argument du ministre, l’article 75 est demeuré pratiquement inchangé depuis l’adoption du Régime de pensions du Canada en 1965Note de bas de page 7. Il semble que, pendant des décennies, la pratique du ministre consistait à verser les prestations d’enfant de cotisant invalide à la personne ayant la garde et la surveillance principales de l’enfant. Il y a plusieurs années, le ministre a revu cette pratique :

[traduction]
En 2014, le ministre a commencé à examiner la façon dont les demandes de prestations d’enfant de cotisant invalide étaient évaluées, et il a jugé que la pratique consistant à verser les prestations en fonction de la résidence principale de l’enfant ou du temps passé avec l’enfant n’était pas conforme à la loi ni à l’intention des prestations d’enfant de cotisant invalide. Celles-ci visent à couvrir les frais liés à l’éducation et aux soins d’un enfant, et ces frais demeurent même si le cotisant invalide a une garde et une surveillance minimes. Le cotisant invalide assume les coûts liés à la nourriture et au logement de l’enfant, que l’enfant réside avec lui tout le temps ou en partieNote de bas de page 8.

[22] Le ministre affirme que le changement de position a été confirmé par la décision GT, rendue par la division générale en 2015. Cette décision découlait de demandes concurrentes pour des prestations d’enfant de cotisant invalide entre la mère biologique et la belle-mère de jumeauxNote de bas de page 9. Le père des jumeaux et leur mère biologique, une cotisante invalide, partageaient la garde légale des enfants; la belle-mère, qui a épousé le père, a déclaré qu’elle était principalement responsable des soins des jumeaux.

[23] La division générale a accordé les prestations d’enfant de cotisant invalide à la belle-mère, faisant remarquer que plus d’une personne peut avoir la garde et la surveillance d’un enfantNote de bas de page 10. La division générale a déclaré que rien dans la loi n’exigeait qu’une personne bénéficiaire des prestations d’enfant de cotisant invalide prouve que les enfants résidaient avec elle plus de la moitié du tempsNote de bas de page 11.

[24] En 2016, le ministre a donné des instructions sur l’interprétation de l’article 75 et des instructions pour assurer le versement des prestations d’enfant de cotisant invalide à la bonne personne. La politique prévoyait qu’aux fins de l’application de l’article 75, le lieu de résidence d’un enfant ne permettait pas de préciser qui avait « la garde et la surveillance ». Un parent invalide qui a la garde et la surveillance de son enfant, aussi minimes soient-elles, recevrait les prestations d’enfant de cotisant invalideNote de bas de page 12. Cette politique est entrée en vigueur en août 2018.

Le Tribunal est divisé sur la signification de la garde et de la surveillance

[25] Dans la décision faisant l’objet du présent appel, la division générale a précisé qu’une politique ministérielle n’a pas force de loi. Il a ensuite interprété la disposition législative régissant les prestations d’enfant de cotisant invalide, et a notamment défini ce que signifie avoir la garde et la surveillance d’un enfant. Ce faisant, la division générale a fait référence à ce qu’elle considérait comme une rupture au sein du Tribunal : dans une décision, la division d’appel a convenu avec le ministre que les prestations d’enfant de cotisant invalide sont payables à un cotisant invalide qui a au moins une partie de la garde et de la surveillance de l’enfantNote de bas de page 13, mais dans une autre décision, la division d’appel a rejeté la politique du ministreNote de bas de page 14.

La division générale a suivi les règles d’interprétation législative appropriées

[26] Pour comprendre une disposition législative complexe comme l’article 75 du Régime de pensions du Canada, les décideurs doivent suivre certains principes de base :

  • ils doivent examiner attentivement le texte, le contexte et l’objet de la dispositionNote de bas de page 15;
  • ils doivent accorder beaucoup de poids au sens ordinaire des mots de la dispositionNote de bas de page 16;
  • ils doivent interpréter la disposition avec générosité et de la façon la plus compatible avec ses objectifsNote de bas de page 17;
  • ils doivent accorder le même poids aux versions française et anglaise de la dispositionNote de bas de page 18.

[27] Dans le cas présent, je n’ai vu aucune indication que la division générale n’avait pas respecté les règles susmentionnées. Citant la décision Rizzo de la Cour suprême du Canada, la division générale a commencé son analyse en promettant d’appliquer le [traduction] « principe moderne » de l’interprétation législative : « [cela signifie qu’]il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas de page 19 ».

[28] En fin de compte, la division générale a conclu que la politique du ministre ne correspondait pas au sens véritable de l’article 75 du Régime de pensions du Canada. À cet égard, je suis d’accord avec la division générale.

Une simple lecture du texte de l’article 75 donne à penser que les prestations d’enfant de cotisant invalide ne sont pas automatiquement accordées au cotisant invalide

[29] À la lecture d’une loi, il faut présumer que « chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne “parle pas pour ne rien direNote de bas de page 20.” »

[30] L’article 75 accorde les prestations d’enfant de cotisant invalide à « la personne [...] ayant la garde et la surveillance de l’enfantNote de bas de page 21 » avant toute autre personne. La disposition ne précise pas que la personne doit être le cotisant invalide. Elle n’indique pas non plus que la personne doit être le parent de l’enfant. La disposition précise seulement qu’un décideur doit accorder les prestations d’enfant de cotisant invalide à la personne qui a la garde et la surveillance de l’enfant.

[31] Il y a deux choses à prendre en considération. Premièrement, la disposition utilise l’article défini : la personne, et non une personne. Deuxièmement, la disposition utilise un nom singulier : la personne, et non les personnes. Ces choix donnent à penser qu’aux fins du bénéfice des prestations d’enfant de cotisant invalide, une seule personne peut avoir la garde et la surveillance de l’enfantNote de bas de page 22.

[32] Je remarque également qu’il n’y a rien devant « la garde et la surveillance ». L’article 75 aurait pu préciser « toute forme de garde et de surveillance » ou bien « la garde et la surveillance principales », mais il n’indique rien de tel. De plus, la version anglaise emploie ce qu’on appelle un « null article » en grammaire. En anglais, un « null article » est employé pour désigner des marchandises, comme du sucre ou de l’huile, ou pour faire référence à quelque chose de générique, de conceptuel ou d’abstrait.

[33] Dans le cas présent, l’article 75 fait référence au concept abstrait de la garde et de la surveillance. Bien que les termes « garde » et « surveillance » sous une forme quelconque aient pu être reconnus auparavant à d’autres fins, il s’agit d’une reconnaissance implicite selon laquelle les termes doivent être établis de nouveau aux fins de l’attribution des prestations d’enfant de cotisant invalide. Comme je l’ai mentionné précédemment, la garde et la surveillance ne peuvent pas être partagées ou détenues conjointement. Elles ne peuvent revenir qu’à une seule personne, et il incombe au décideur, qu’il s’agisse du ministre ou de la division générale, d’examiner la preuve et de préciser qui est cette personne.

[34] L’article 75 établit une présomption selon laquelle le cotisant invalide touche les prestations d’enfant de cotisant invalide, mais cette présomption s’applique uniquement si « personne » n’a la garde et la surveillance de l’enfant. Si « personne » n’a la garde et la surveillance, ce n’est qu’alors que le ministre peut intervenir et exercer son pouvoir discrétionnaire pour orienter le versement des prestations d’enfant de cotisant invalide vers le cotisant invalideNote de bas de page 23.

[35] Dans le cas présent, il y a deux personnes crédibles qui affirment avoir la garde et la surveillance de l’enfant. Il y a K. M., qui fournit la plupart des soins à l’enfant et à qui une ordonnance du tribunal accorde la « garde » légaleNote de bas de page 24. Il y a aussi M. M., qui fait partie de la vie de l’enfant et à qui l’ordonnance du tribunal accorde des droits de visite.

[36] Selon une simple lecture de l’article 75, le décideur était tenu d’examiner la preuve à l’appui des allégations respectives de M. M. et de K. M. et de choisir la personne la mieux placée pour avoir la garde et la surveillance de l’enfant.

[37] Mais que signifient les termes « garde » et « surveillance » aux fins des prestations d’enfant de cotisant invalide? Tout d’abord, il serait judicieux de consulter un dictionnaire et d’examiner les définitions juridiques des termes.

Les définitions de « garde » et de « surveillance » font référence à la proximité et à la responsabilité

[38] Comme l’a fait remarquer la division générale, ni le Régime de pensions du Canada ni le Règlement sur le Régime de pensions du Canada ne définissent la garde et la surveillance. Les décideurs doivent tenir compte du sens ordinaire de ces mots, de la jurisprudence qui les a définis dans d’autres contextes et des dispositions législatives connexes qui peuvent fournir des indices sur le sens des mots.

[39] La garde signifie la protection ou la tutelle des personnes qui ne peuvent pas s’occuper d’elles-mêmesNote de bas de page 25. Elle est également définie comme la responsabilité et la surveillance immédiates (comme une pupille) détenues par une personne ou une autoritéNote de bas de page 26.

[40] La Cour suprême de la Colombie-Britannique a défini la garde comme suit :

Au sens restreint du mot, « garde » signifie la surveillance et les soins physiques, ou la surveillance et les soins quotidiens d’un enfant. Pris au sens large, « garde » signifie tous les droits et toutes les obligations associées à la surveillance et aux soins physiques et quotidiens d’un enfant, ainsi que les droits et obligations de l’élever en veillant à sa santé physique et émotive, à son éducation, à son développement religieux ou spirituel, et à toutes les autres sphères qui ont une incidence sur son bien-être, tout en prenant des décisions à cette finNote de bas de page 27.

[41] Bien que cette définition ait été conçue dans le contexte du droit de la famille, elle s’applique à la garde et à la surveillance en ce qui a trait aux prestations d’enfant de cotisant invalide. Elle a été adoptée par le Tribunal dans de nombreuses décisionsNote de bas de page 28.

[42] La surveillance est un terme connexe qui englobe le droit de superviser, de réglementer, d’inciter ou, potentiellement, de forcer. Elle décrit le fait d’avoir du pouvoir sur une personne, de la restreindre ou de la dirigerNote de bas de page 29. Dans l’affaire Warren, la Commission d’appel des pensions a conclu que le parent qui s’occupait de l’entretien, de l’éducation et de la participation à des sports de l’enfant et qui était financièrement responsable de son bien-être détenait sa « surveillance »Note de bas de page 30.

[43] La responsabilité est un élément commun de ces définitions. Une personne qui a la garde et la surveillance d’un enfant doit veiller à son bien-être quotidien. Cela donne à penser que la personne entretient un lien de proximité physique avec l’enfant afin de comprendre ses besoins et d’y répondre.

L’article 75 apparaît dans un contexte qui va à l’encontre de la politique du ministre

[44] Comme je l’ai mentionné, les éléments essentiels de la garde et de la surveillance sont la proximité de l’enfant et la responsabilité à son égard. Cette interprétation est renforcée par le contexte dans lequel apparaissent les dispositions régissant les prestations d’enfant de cotisant invalide :

  • En vertu de l’article 75 du Régime de pensions du Canada, le cotisant invalide est présumé avoir la garde et la surveillance, mais même dans ce cas, le Régime de pensions du Canada donne à penser que la proximité de l’enfant est un facteur important dans l’attribution des prestations d’enfant de cotisant invalide. La disposition prévoit une présomption en faveur du cotisant invalide sauf (i) lorsque l’enfant vit séparé du cotisant ou (ii) lorsqu’il y a une autre preuve du contraire. Ces conditions ont pour effet d’obliger le ministre (ou, le cas échéant, le Tribunal) à décider si l’enfant vit effectivement avec le cotisant. Si ce n’est pas le cas, le décideur doit examiner l’ensemble de la preuve et préciser qui, tout bien considéré, a la garde et la surveillance.
  • L’article 74 précise à qui s’adressent les prestations d’enfant de cotisant invalide et qui peut en faire la demande. Comme le nom l’indique clairement, les prestations d’enfant de cotisant invalide sont les prestations de l’enfantNote de bas de page 31. Elles n’appartiennent pas au parent qui est invalide et de qui proviennent les prestations. On peut donc supposer que les prestations d’enfant de cotisant invalide sont structurées de manière à maximiser les chances que l’enfant en profite réellement. L’article 74 précise aussi qu’une demande de prestations d’enfant de cotisant invalide peut être faite « par [l’]enfant [...], ou par toute autre personne ou tout autre organisme à qui la prestation serait, si la demande était approuvée, payable [...] ». Ce qui est remarquable ici, c’est que n’importe qui peut présenter une demande au nom de l’enfant, pas seulement le cotisant invalide ou une personne autorisée à agir en son nom. Abstraction faite de la présomption, le fait que les cotisants invalides ne soient pas favorisés lorsqu’il s’agit de présenter une demande de prestations d’enfant de cotisant invalide donne à penser qu’ils ne sont pas favorisés de la même façon lorsqu’il s’agit de verser les prestations d’enfant de cotisant invalide.
  • L’article 76 du Régime de pensions du Canada, qui décrit les circonstances dans lesquelles les prestations d’enfant de cotisant invalide cessent d’être payables, donne un aperçu limité de la signification exacte de la garde et de la surveillance. Évidemment, la disposition met l’accent sur le statut du cotisant invalide, puisque c’est son invalidité qui est la source ultime des prestations d’enfant de cotisant invalide. Entre autres, l’article 76(1)(e) précise que les prestations d’enfant de cotisant invalide cessent de s’appliquer lorsqu’un cotisant invalide n’a plus la garde et la surveillance de l’enfant. Le ministre fait valoir que cette disposition est conforme à sa politique, car lorsqu’un cotisant invalide reçoit les prestations d’enfant de cotisant invalide, le versement des prestations peut prendre fin uniquement si le cotisant n’a pas la garde et la surveillance de l’enfantNote de bas de page 32. Je ne vois pas les choses de cette façon. Contrairement aux autres articles de la disposition, l’article 76(1)(e) s’applique précisément à un enfant au sens de l’article 42(1). Cette définition inclut spécifiquement un « particulier » de moins de 21 ans, dont le cotisant décédé avait, légalement ou de fait, la garde et la surveillance. Cela donne à penser que l’article 76(1)(e) vise une situation particulière où un cotisant invalide a pris en charge la garde et la surveillance d’un enfant, peut-être à titre de beau-parent, mais cesse plus tard d’avoir la garde et la surveillance pour une raison quelconque, comme la rupture de la relation parentale ou l’enfant qui atteint l’âge de 21 ans. Puisqu’il présuppose que la garde et la surveillance existent déjà, l’article ne précise pas ce qu’il faut pour obtenir la garde et la surveillance.
  • Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada énonce les renseignements qu’il faut fournir au ministre, s’il l’exige, lors de la présentation d’une demande de prestations d’enfant de cotisant invalide. Cela comprend des informations sur la question de savoir si l’enfant est légalement ou en fait sous la garde ou la surveillance de la partie demanderesse ou du cotisant invalide et si l’enfant vit séparé du cotisant invalideNote de bas de page 33. Cela comprend aussi des informations sur la mesure dans laquelle l’enfant est ou était entretenu par le cotisant invalideNote de bas de page 34, le montant de l’entretien étant précisément défini comme n’étant pas inférieur au montant payable des prestations d’enfant de cotisant invalideNote de bas de page 35. Ces dispositions, dans leur ensemble, donnent à penser que le Régime de pensions du Canada exige que les cotisants invalides prouvent qu’ils ont plus qu’une [traduction] « partie » de la garde et de la surveillance avant de devenir admissibles aux prestations d’enfant de cotisant invalide.

[45] L’approche du Régime de pensions du Canada à l’égard de la garde et de la surveillance peut aussi être perçue dans la façon dont, jusqu’à récemment, elle s’adressait aux conjoints survivants qui se retrouvent avec des personnes à charge mineures. Avant 2019, l’article 44(1)(d) accordait une pension de survivant au conjoint veuf d’un cotisant décédé, mais seulement si ce conjoint était âgé de 35 ans ou plusNote de bas de page 36. Toutefois, une exception à l’exigence relative à l’âge minimal a été faite si, au moment du décès, le conjoint veuf était un « survivant avec enfant à charge ». Ce terme est précisément défini comme étant une personne qui « subvient entièrement ou dans une large mesure aux besoins d’un ou de plusieurs enfants à chargeNote de bas de page 37 ». Le terme « entièrement ou dans une large mesure » est défini plus loin comme « plus de 50 pour cent de l’entretien assuré à ces enfantsNote de bas de page 38 ». Les prestations, à l’instar des prestations d’enfant de cotisant invalide, visent à aider les enfants qui ont perdu un revenu parental et sont versées à la personne qui fournit déjà un soutien important (« entièrement ou dans une large mesure ») à l’enfant ou aux enfants. Ce faisant, le Régime de pensions du Canada favorise encore une fois la personne qui est en fait responsable de l’enfant et dont les liens avec cet enfant sont vraisemblablement les plus forts.

[46] Le résultat net de ces dispositions est un régime qui vise avant tout à faire en sorte que les fonds destinés aux enfants soient dirigés vers le foyer où l’enfant reçoit la majorité des soins. On peut le constater dans l’ensemble du Régime de pensions du Canada, pas seulement dans un aspect de la pension de survivant, et cela doit éclairer toute lecture des dispositions régissant les prestations d’enfant de cotisant invalide.

L’objectif des prestations d’enfant de cotisant invalide donne à penser que le législateur voulait que les prestations soient versées à la personne ayant la garde réelle

[47] La Cour suprême du Canada a déclaré que les lois doivent être interprétées en tenant compte de l’intention du législateurNote de bas de page 39. Cela signifie que je dois prendre en considération l’objectif des prestations d’enfant de cotisant invalide et éviter les interprétations qui vont à l’encontre de cet objectif.

[48] Le ministre soutient que l’objectif des prestations d’enfant de cotisant invalide est d’offrir une aide financière aux enfants à charge d’un cotisant invalide que le cotisant aurait autrement fournie s’il avait été en mesure de travaillerNote de bas de page 40. Je suis d’accord. Toutefois, cela ne signifie pas que le Régime de pensions du Canada désigne par défaut le cotisant invalide comme étant la personne appropriée pour recevoir les prestations d’enfant de cotisant invalide.

[49] Comme je l’ai mentionné précédemment, les prestations d’enfant de cotisant invalide appartiennent à l’enfant, et non au cotisant invalide ou à toute autre personne. Les prestations d’enfant de cotisant invalide visent à compenser les frais liés aux soins de l’enfant et à la perte de revenu lorsque le parent de l’enfant devient invalideNote de bas de page 41.

[50] Si les prestations sont destinées à l’enfant, comme le législateur l’a voulu, il va de soi qu’elles devraient être versées au parent qui élève réellement l’enfant, qui le nourrit, qui lui offre un toit, qui subvient à ses besoins quotidiens et qui assure son éducation. Ce parent est le mieux placé pour connaître les besoins de l’enfant et le plus susceptible de dépenser les prestations pour l’enfant. Il n’est pas logique de verser les prestations à un parent qui détient le droit minimal de garde, puis d’espérer qu’il ferait ce qu’il faut pour son enfant.

[51] Le ministre a admis très franchement que sa politique est surtout motivée par l’opportunisme. Il affirme qu’il n’a pas le mandat de faire des [traduction] « évaluations complexes » de qui a la garde et la surveillance [traduction] « principales » d’un enfant. Il soutient que l’obliger à faire autrement [traduction] « créerait de la confusion en remettant en question le droit d’une personne de recevoir des prestations d’enfant de cotisant invalide pendant des années avant que les prestations puissent être versées sous réserve d’appels devant la division générale et la division d’appel du Tribunal, et plus tard sous réserve d’un contrôle judiciaire devant les cours fédéralesNote de bas de page 42 ».

[52] Je ne vois pas les choses de cette façon. Il ne fait aucun doute que la politique du ministre facilite le choix de la personne qui obtiendra les prestations d’enfant de cotisant invalide. Un cotisant invalide doit seulement démontrer qu’il a au moins une partie de la garde et de la surveillance d’un enfant, par opposition à la garde et à la surveillance principales ou réelles. La Cour suprême du Canada a statué que, même si « l’intérêt supérieur de l’enfant » ne constitue pas un principe de justice fondamental, il s’agit d’un principe juridique important qui a beaucoup de pouvoir dans de nombreux contextesNote de bas de page 43. À mon avis, l’intérêt de l’enfant est au moins aussi important que le désir d’efficacité administrative du ministre.

[53] Curieusement, le ministre reconnaît que, jusqu’à tout récemment, il interprétait et appliquait l’article 75 exactement comme je le recommande. Les prestations d’enfant de cotisant invalide existent depuis l’adoption du Régime de pensions du Canada en 1965. Elles n’ont pas beaucoup changé depuis. La politique du ministre est seulement entrée en vigueur en août 2018. Avant août 2018, le ministre prenait en considération le parent qui passait le plus de temps avec l’enfant ainsi que la résidence de l’enfant. Il versait les prestations d’enfant de cotisant invalide au parent qui n’était pas invalide s’il jugeait qu’il passait plus de temps avec l’enfant ou si la résidence principale de l’enfant était avec luiNote de bas de page 44. À part une référence à la décision GT, rendue par la division générale en 2015Note de bas de page 45, le ministre n’a jamais bien expliqué pourquoi, après 53 ans, il a adopté un changement aussi soudain et radical dans sa politique.

[54] Les débats parlementaires qui ont mené à l’adoption du Régime de pensions du Canada sont instructifs. Ils montrent que le libellé de l’article 75 a été modifié pour inclure les termes « personne » et « organisme », en reconnaissance du fait que les enfants peuvent être confiés aux autorités institutionnelles même lorsque leurs parents conservent la tutelle légaleNote de bas de page 46. Cela donne à penser que le législateur voulait que la garde réelle, plutôt que la garde légale, soit le facteur essentiel pour décider qui devait recevoir les prestations d’enfant de cotisant invalide.

[55] Dans le cas présent, la preuve indique que M. M. ne réside pas avec sa fille. Il n’en a même pas la garde légale, mais seulement le droit de visite. Pourtant, le ministre considère cet engagement marginal comme « la garde et la surveillance », lui confiant la totalité du montant des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de sa fille. Je n’ai aucune raison de douter que M. M. est un père responsable qui fait de son mieux pour contribuer au bien-être de sa fille en assurant un montant égal ou supérieur à celui qu’il reçoit des prestations d’enfant de cotisant invalide. Toutefois, il est vrai que certains parents ne sont pas aussi consciencieux. Bon nombre d’entre eux n’entretiennent pas de lien de proximité avec leurs enfants et pourraient être tentés d’empocher le montant. En vertu de la politique du ministre, il est possible pour un cotisant invalide de faire une demande et de se voir accorder les prestations d’enfant de cotisant invalide sans que le parent ayant la garde soit au courant que le gouvernement versait depuis des années des prestations mensuelles au nom de son enfant. Il ne s’agit pas d’un scénario hypothétique; en fait, cette situation a fait l’objet d’une affaire dont la division d’appel a été saisie l’an dernierNote de bas de page 47.

[56] Pour cette raison, il est logique que le législateur ait eu l’intention, dans la mesure du possible, d’orienter les prestations d’enfant de cotisant invalide vers le foyer où réside principalement l’enfant. L’objectif des prestations d’enfant de cotisant invalide donne à penser que la personne ayant « la garde et la surveillance » devrait être la personne qui connaît le mieux les besoins de l’enfant. Si le législateur avait voulu verser les prestations au cotisant invalide ayant au moins une partie de la garde et de la surveillance, il aurait pu le dire directement. Il aurait pu simplement dire que les prestations d’enfant de cotisant invalide sont versées au cotisant invalide à moins qu’il y ait une preuve qu’il vit séparé de l’enfant.

La prépondérance de la jurisprudence n’appuie pas l’interprétation du ministre

[57] À ce jour, les tribunaux n’ont fourni aucune directive sur la façon d’interpréter l’article 75 ni sur ce que signifie « garde » et « surveillance » dans le contexte du Régime de pensions du Canada. Bien sûr, il y a eu beaucoup de décisions sur ces questions, mais elles sont toutes venues de la division générale et de la division d’appel du Tribunal ou de l’ancienne Commission d’appel des pensions, qui a été abolie en 2013. Bien que ces décisions n’ont pas force exécutoire sur moi, elles sont convaincantes et m’aident à comprendre la nature et l’objectif des prestations d’enfant de cotisant invalide.

[58] Presque toutes les décisions que j’ai examinées tenaient pour acquis que l’article 75 exigeait une enquête pour décider qui, en fait, avait la garde et la surveillance de l’enfantNote de bas de page 48. Elles ont toutes tenu compte de ce que signifie le fait d’assumer la responsabilité d’un enfant. Elles ont également pris en considération les éléments de preuve pour savoir s’il s’agissait du cotisant invalide, de l’autre parent ou d’une autre personne qui hébergeait l’enfant, le nourrissait, l’habillait et l’éduquait. Aucune des affaires que j’ai consultées n’a choisi l’approche que le ministre a adoptée par la suite en attribuant la garde et la surveillance au bien‑être de l’enfant selon des contributions minimales. Le ministre lui-même n’a cité aucune décision qui aurait explicitement adopté cette approche.

[59] Je ne vois pas l’importance de la décision GT, que le ministre attribue au fait de le pousser à modifier sa politiqueNote de bas de page 49. Dans cette affaire, comme je l’ai mentionné, la division générale a accordé les prestations d’enfant de cotisant invalide à la belle-mère des enfants plutôt qu’à leur mère biologique, c’est-à-dire la cotisante invalide, parce que « le fait de vivre séparé du cotisant permet de réfuter la présomption de garde et de surveillance, mais n’empêche pas de démontrer qu’une personne a la garde et la surveillance d’un enfant qui ne réside pas avec elleNote de bas de page 50 ». Cependant, la preuve dans la décision GT a bien démontré que les enfants résidaient en fait avec leur belle-mère et qu’elle était leur principale fournisseuse de soinsNote de bas de page 51. Le ministre affirme que la décision GT a confirmé son interprétation de l’article 75, mais la partie qui a eu gain de cause dans cette affaire a été jugée avoir beaucoup plus qu’une « partie » de la garde et de la surveillance des enfantsNote de bas de page 52.

[60] Le ministre souligne aussi une autre décision de la division d’appel qui, selon lui, appuie son interprétation de l’article 75. L’affaire LS était semblable au cas présent, sauf que c’était la mère de l’enfant qui était la cotisante invalide, et non le père, comme dans la présente affaireNote de bas de page 53. En fin de compte, la division d’appel a accordé les prestations d’enfant de cotisant invalide à la cotisante invalide après avoir conclu qu’elle avait la garde et la surveillance de l’enfant, mais elle ne l’a pas fait parce qu’elle suivait la politique du ministreNote de bas de page 54. La division d’appel n’a pas présumé que la cotisante invalide avait la garde et la surveillance de l’enfant, mais a plutôt procédé à une évaluation des éléments de preuve disponibles. Elle a finalement décidé que la cotisante invalide avait droit aux prestations d’enfant de cotisant invalide, non pas parce qu’elle avait « la garde et la surveillance » de l’enfant, mais parce qu’elle en avait la garde et la surveillance réelles et légales. En bref, la division d’appel a conclu que les allégations de garde et de surveillance de la cotisante invalide l’emportaient, tout bien considéré, sur celles du père. Sur le plan fonctionnel, cette approche n’est pas différente de ce qu’exige mon interprétation de l’article 75.

La division générale a le droit d’apprécier la preuve

[61] Je suis convaincu que la division générale a bien interprété la loi régissant les prestations d’enfant de cotisant invalide. Je suis également convaincu que, ce faisant, la division générale n’a pas commis d’erreur dans sa façon d’évaluer les éléments de preuve disponibles. La division générale a conclu que l’enfant ne vivait pas avec M. M. Elle a aussi jugé que l’enfant était sous la garde et la surveillance de K. M. en se fondant sur les conclusions suivantes :

  • K. M. a fourni à l’enfant son domicile principal;
  • une ordonnance du tribunal a accordé la garde légale de l’enfant à K. M., comparativement à deux jours par semaine de visite pour M. M.;
  • M. M. a passé de longues périodes sans voir l’enfant ni payer sa pension alimentaire;
  • K. M. a consacré plus de temps que M. M. aux tâches liées à l’éducation de l’enfant, comme préparer ses repas, acheter ses vêtements, établir les règles et l’aider à faire ses devoirs.

[62] La division générale a aussi tenu compte du témoignage de M. M. au sujet de ses allégations de garde et de surveillance :

  • K. M. et lui ont pris des décisions conjointes au sujet de la vie de l’enfant;
  • il n’a pas vu sa fille pendant un certain temps en raison de ses problèmes de santé mentale et de l’hostilité continue de son ex-épouse à son égard;
  • il a participé aux activités parascolaires de l’enfant lorsqu’il était en assez bonne santé pour le faire;
  • il part en vacances avec l’enfant et lui achète des cadeaux de Noël et d’anniversaire chaque année;
  • il n’a plus de pension alimentaire en souffrance.

[63] La division générale a conclu que, même si M. M. faisait partie de la vie de sa fille et avait de bonnes raisons de ne pas s’engager davantage, ce qui comptait en fin de compte était de savoir qui avait en fait la responsabilité quotidienne du bien-être de l’enfant. La division générale a conclu que la prépondérance de la preuve indiquait que K. M., et non M. M., avait la garde et la surveillance de l’enfant.

[64] Malgré certains éléments de preuve contradictoires, la division générale a simplement décidé que la preuve de K. M. était plus convaincante. Je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rendant cette décision.

[65] L’un des rôles de la division générale est d’établir les faits. Ce faisant, elle a droit à une certaine latitude dans sa façon d’apprécier la preuve. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur cette question dans l’affaire SimpsonNote de bas de page 55. Dans cette affaire, la requérante faisait valoir que le tribunal avait accordé trop de poids à certains rapports médicaux. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire et a affirmé ceci :

[…] le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[66] Dans la présente affaire, la division générale a fait ce qui me semble être un effort véritable et complet pour trier les éléments de preuve pertinents selon leur qualité. Je ne vois aucune raison de remettre en question ses conclusions, d’autant plus qu’elle a fourni une explication réfléchie sur la façon dont elle en est arrivée à ces conclusions.

M. M. peut demander au ministre de renoncer au trop-payé

[67] Je comprends pourquoi M. M. est frustré. Il est invalide. Il a demandé des prestations d’enfant de cotisant invalide de bonne foi. Lorsque le ministre a accueilli sa demande, il a supposé, à juste titre, que le ministre s’était conformé à la loi. On lui dit maintenant que le ministre a suivi une politique erronée et qu’il devra peut-être rembourser près de deux ans de prestations auxquelles il croyait avoir droit.

[68] Bien que je compatisse avec M. M., je dois aussi interpréter la loi de la façon qui me semble correcte. À mon avis, la politique du ministre ne reflète pas le sens véritable de l’article 75. Cela signifie que M. M. a accepté de recevoir les prestations d’enfant de cotisant invalide en fonction d’une mauvaise interprétation de la loi.

[69] Si, à la suite de la présente décision, le ministre décide d’imposer un trop‑payé à M. M., celui-ci peut demander au ministre d’y renoncer. En vertu de l’article 66(3) du Régime de pensions du Canada, le ministre peut annuler l’ensemble ou une partie d’une dette envers la Couronne s’il est convaincu que le remboursement causerait un préjudice abusif au débiteur. L’annulation de cette dette serait une question discrétionnaire pour le ministre et le ministre seulement.

Conclusion

[70] En résumé, la division générale n’a pas fondé sa décision sur une erreur de droit ou de fait. Elle a offert une audience équitable. Elle a bien interprété le Régime de pensions du Canada et la réglementation connexe. Elle a fait l’effort véritable et complet de soupeser les éléments de preuve pertinents et d’appliquer la loi. Je ne vois aucune raison de remettre en question ses conclusions.

[71] L’appel est donc rejeté.

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