Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : HL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 584

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : H. L.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 15 décembre 2021 (GP-21-1653)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 juin 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Intimé
Représentante de l’intimé
Date de la décision : Le 4 juillet 2022
Numéro de dossier : AD-22-167

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] La requérante est une ancienne commis aux comptes clients âgée de 56 ans. Elle a subi une série de blessures au dos dans les années 1990 et a depuis reçu divers diagnostics de problèmes de santé. Elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en février 2019. Le ministre a approuvé la demande à compter de mars 2018, soit 11 mois avant la date de la demande. Cela représente le paiement rétroactif maximal normalement permis par la loi.

[3] Cependant, la requérante croyait que sa pension d’invalidité aurait dû commencer plus tôt. Elle a donc fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, affirmant qu’elle n’avait pas pu faire sa demande avant parce qu’elle était atteinte d’une incapacité. En particulier, elle a affirmé avoir été atteinte d’une incapacité à partir d’octobre 2014, la dernière fois où elle a travaillé, jusqu’à février 2019, où elle a enfin fait sa demande. Elle a mentionné des douleurs au dos et à l’abdomen comme cause de son incapacité, en plus d’un diagnostic de cancer et d’une opération subséquente. Elle a aussi mentionné les effets des médicaments qu’elle prenait pour ces problèmes de santéNote de bas de page 1.

[4] La division générale a décidé que l’appel de la requérante n’avait aucune chance raisonnable de succès. Elle a rejeté sommairement son appel parce qu’elle n’a trouvé aucune preuve la portant à croire que la requérante était « incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demandeNote de bas de page 2 » durant la période de presque quatre ans entre octobre 2014 et février 2019Note de bas de page 3.

[5] La requérante fait maintenant appel du rejet sommaire devant la division d’appel du Tribunal. Elle reproche à la division générale de ne pas avoir tenu d’audience pour son appel. Elle prétend également que la division générale a mal appliqué la disposition sur l’incapacité du Régime de pensions du Canada.

[6] Le mois dernier, j’ai tenu une audience par téléconférence pour discuter des allégations de la requérante. Maintenant que j’ai pris en considération les observations des deux parties, je conclus que les allégations de la requérante ne justifient pas d'infirmer la décision de la division générale.

Questions en litige

[7] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. La partie requérante doit démontrer que la division générale a agi de l’une ou l’autre des façons suivantes :

  • elle n’a pas procédé de manière équitable;
  • elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 4.

[8] Voici les questions en litige telles que je les conçois :

  • La division générale a-t-elle appliqué le bon critère juridique pour un rejet sommaire?
  • La division générale a-t-elle mal interprété la disposition sur l’incapacité?
  • La division générale a-t-elle fourni suffisamment de motifs pour justifier sa décision?

[9] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que la preuve et le droit sur lesquels elle s’est appuyée pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que la division générale n’a pas commis d’erreur.

Analyse

La division générale a appliqué le bon critère juridique pour un rejet sommaire

[10] La division générale a tranché l’appel de la requérante de la façon appropriée. Dans sa décision, elle a affirmé à juste titre qu’elle peut rejeter sommairement un appel s’il n’a aucune chance raisonnable de succèsNote de bas de page 5. Je suis convaincu que la division générale a compris le critère juridique et qu’elle l’a appliqué correctement aux faits.

[11] Le seuil relatif aux rejets sommaires est élevéNote de bas de page 6. Il ne suffit pas de prendre en considération le fondement d’une affaire en l’absence des parties et ensuite de décider que l’appel n’a aucune chance de succès. Le décideur doit établir s’il est clair et évident sur la foi du dossier que l’appel est voué à l’échecNote de bas de page 7. La question n’est pas de savoir si le décideur doit rejeter l’appel après avoir examiné tous les faits, la jurisprudence, et les arguments des parties. Il s’agit plutôt de décider si l’appel est voué à l’échec, en dépit des preuves ou arguments qui pourraient être présentés lors de l’audience.

[12] Dans la présente affaire, l’appel de la requérante a été rejeté pour les raisons suivantes :

  • le critère relatif à l’incapacité concerne l’état mental d’une partie requérante et non son état physique; et
  • aucun des problèmes de santé de la requérante n’a nui à son fonctionnement mental.

[13] Par conséquent, la division générale a eu raison d’appliquer un seuil élevé pour conclure que l’appel n’avait « aucune chance raisonnable de succès ». Pour des raisons que j’expliquerai en plus de détail, il était clair et évident sur la foi du dossier que l’appel de la requérante était voué à l’échec.

La division générale n’a pas mal interprété la disposition relative à la capacité

Le critère relatif à l’incapacité est strict

[14] Au titre du Régime de pensions du Canada, l’invalidité et l’incapacité sont deux notions différentes. L’une est l’incapacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, alors que l’autre est l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations d’invalidité. La deuxième est généralement beaucoup plus difficile à prouver que la première. 

[15] La disposition du Régime de pensions du Canada relative à l’incapacité est précise et ciblée. Elle n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations, mais seulement la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 8. La capacité doit être considérée à la lumière du sens ordinaire du terme puis établie en fonction de la preuve médicale et des activités de la partie requérante. Cette capacité est semblable à la capacité de former ou d’exprimer une intention par rapport à d’autres choix de vie qui se présentent à une partie requéranteNote de bas de page 9.

L’affaire Blue ne s’applique pas à la requérante

[16] À l’audience, nous avons discuté d’une récente affaire de la Cour d’appel fédérale intitulée Blue, qui concernait une requérante fonctionnelle de bien des façons (par exemple, elle élevait sa jeune fille en tant que mère monoparentale) qui a pourtant été reconnue comme étant atteinte d’une incapacité au sens du RPCNote de bas de page 10. La requérante a soutenu qu’elle était toute aussi incapable que Mme Blue, mais selon moi, les deux affaires diffèrent sur un élément clé. Mme Blue a présenté certains éléments de preuve psychiatrique selon lesquels la seule pensée d’avoir à documenter ses problèmes de santé mentale devant une autorité gouvernementale la mettait dans un état de dissociation paralysant. La requérante dans la présente affaire n’a présenté aucun élément de preuve comparable.

[17] La Cour a clairement indiqué que l’affaire Blue était exceptionnelle :

[traduction]

Avant de conclure, il faut noter qu’il s’agit d’un cas très inhabituel. Dans de nombreux cas, la capacité d’une personne de poursuivre les activités ordinaires de la vie peut indiquer sa capacité de formuler ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité. Toutefois, dans la présente affaire, l’invalidité de Mme Blue, bien que grave, est étroitement ciblée, car son traumatisme et ses problèmes de santé mentale découlent de ses rapports avec les hôpitaux, la profession médicale et les personnes en position d’autoritéNote de bas de page 11.

[18] Comme pour renforcer ce point, la Cour d’appel fédérale a récemment rendu une décision dans une affaire intitulée Walls qui a confirmé une conclusion de capacité même si le requérant avait des déficiences physiques et mentales qui le plaçaient dans un [traduction] « état mental végétatif semblable à celui d’un zombieNote de bas de page 12 ». Dans cette affaire, la Cour a conclu que M. Walls, contrairement à Mme Blue, n’avait pas produit le type de preuve psychologique nécessaire pour ignorer ses activités quotidiennes durant la période d’incapacité invoquée.

[19] Selon moi, l’affaire Blue ne s’applique pas à l’affaire de la requérante.

Il n’y avait aucune preuve que l’un ou l’autre des problèmes de santé de la requérante avait une incidence sur son fonctionnement mental

[20] Il incombait à la requérante de prouver qu’elle était atteinte d’une incapacitéNote de bas de page 13. Elle devait également démontrer que la période d’incapacité invoquée était continueNote de bas de page 14. La demande initiale d’invalidité de la requéranteNote de bas de page 15, préparée avant que la date de début de sa pension ne devienne un problème, en dit long sur sa capacité à former ou à exprimer une intention de faire une demande. Dans la demande, la requérante a déclaré qu’elle était incapable de travailler en raison des problèmes de santé suivants :

  • discopathie dégénérative, provoquant des douleurs au cou et au dos;
  • douleur pelvienne;
  • maladie de Crohn;
  • endométriose;
  • hernie de l’estomac;
  • hypertrophie du foie; et
  • cancer de l’utérus.

[21] En novembre 2017, la requérante a reçu un diagnostic d’adénocarcinome de l’endomètre de stade 1A, pour lequel elle a subi une hystérectomie. Un cancer est un diagnostic grave, mais comme les autres problèmes de santé énumérés dans la demande de la requérante, il est essentiellement physique. Il n’a pas en soi d’incidence sur le fonctionnement mental, et certainement pas au point d’empêcher une personne de former l’intention de demander des prestations gouvernementales. Il existe une vaste jurisprudence qui laisse entendre que l’incapacité est fortement associée à un état mental ou à un trouble psychiatriqueNote de bas de page 16.

[22] La requérante a dit à la division générale qu’elle était atteinte d’une incapacité en raison de l’anxiété et du stress liés à ses problèmes de santé, particulièrement à son cancer. Elle a aussi dit que les médicaments qu’elle prenait nuisaient à sa capacité de se concentrerNote de bas de page 17. Cependant, rien de tout cela ne prouve qu’elle était atteinte d’une incapacité. La requérante a peut-être subi un traumatisme psychologique en raison de ses problèmes de santé et des effets secondaires liés à ses médicaments, mais la division générale avait de bonnes raisons de douter qu’ils l’aient continuellement empêchée de former ou d’exprimer une intention de demander des prestations du mois d’octobre 2014 au mois de février 2019.

[23] Dans sa demande de prestations, la requérante a révélé qu’elle avait suivi des cours à l’université aussi récemment qu’en mai 2017Note de bas de page 18. Ses dossiers médicaux ne portent aucunement à croire qu’elle a déjà été atteinte de déficits cognitifs. Elle a consulté de nombreux médecins spécialistes au fil des ans, mais n’a jamais vu de psychiatre ou de neurologueNote de bas de page 19. Sa médecin de famille, la Dre Toor, a préparé un résumé de ses antécédents médicaux, mais elle n’a pas mentionné de problèmes psychologiques ou de santé mentaleNote de bas de page 20.

[24] Les notes de la Dre Toor fournissent un récit détaillé des symptômes, des diagnostics et des traitements de la requérante en 2016 et en 2017, mais elles ne contiennent aucune information laissant croire à l’existence d’une incapacité au sens du Régime de pensions du Canada. En avril 2016, la Dre Toor a noté que la requérante [traduction] « n’avait aucune difficulté à se repérer dans le temps et l'espace Note de bas de page 21 ». En août 2016, la Dre Toor a noté que la requérante était [traduction] « fatiguée » et qu’elle n’avait « pas d’énergie », mais elle n’a rien dit au sujet de son niveau de stress et n’a pas laissé entendre qu’elle était incapable de gérer ses affairesNote de bas de page 22. Les dossiers de la Dre Toor contiennent également une lettre d’un chirurgien général dans laquelle il dit clairement que la requérante a consenti à une procédure médicale invasive : [traduction] « les risques habituels d’infection, d’hémorragie et de cicatrisation ont été abordésNote de bas de page 23. »

[25] De plus, la requérante n’a jamais expliqué comment, si elle était atteinte d’une incapacité, sa période d’incapacité a pris fin. La requérante a fini par présenter une demande de prestations d’invalidité, mais son dossier médical ne précise pas ce qui a mené à son rétablissement. A-t-elle connu une soudaine amélioration de son état mental? Si oui, pourquoi? Compte tenu des antécédents médicaux de la requérante, il est beaucoup plus probable qu’elle n’était pas atteinte d’une incapacité, et qu’elle a seulement appris l’existence de la pension d’invalidité du RPC en février 2019.

La division générale a fourni suffisamment de motifs pour appuyer sa décision

[26] Il est vrai que les motifs de la division générale sont brefs. Malgré cela, j’estime qu’ils expliquent suffisamment pourquoi la division générale en est arrivée à sa conclusion.

[27] Selon la Cour suprême du Canada, une décision doit être (i) fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et (ii) justifiée au regard des contraintes juridiques et factuellesNote de bas de page 24. Dans la présente affaire, la division générale a correctement énoncé le critère relatif à l’incapacité (« incapacité de former ou exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 25 ») et a ensuite souligné deux points essentiels :

  • La capacité concerne un critère juridique beaucoup plus rigoureux que celui relatif à l’invalidité.
  • Le critère concerne la capacité mentale, et non la capacité physique, de faire une demande.

[28] Les problèmes de santé de la requérante étaient presque entièrement physiques. Il n’y avait aucune preuve médicale traitant de problèmes psychiatriques ou de santé mentale. Ainsi, le raisonnement ayant mené à la décision de la division générale peut être aisément déduit du dossierNote de bas de page 26. La division générale n’avait pas besoin d’analyser de façon détaillée la preuve médicale disponible parce que la majorité de celle-ci avait peu d’incidence sur la question à trancher. Pour cette raison, les motifs de la division générale n’étaient pas plus longs que nécessaire.

Conclusion

[29] La requérante n’a pas su démontrer que la division générale avait commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas atteinte d’une incapacité d’octobre 2014 à février 2019.

[30] L’appel est donc rejeté.

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