Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : NH c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 667

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante (partie requérante) : N. H.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Joshua Toews

Décision portée en appel :

Décision de la division générale datée du 28 décembre 2021
(GP-21-826)


Membre du Tribunal : Kate Sellar
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 10 mai 2022
Personnes présentes à l’audience :

Appelant
Représentant de l’intimé

Date de la décision : Le 22 juillet 2022
Numéro de dossier : AD-22-109

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision qu’elle aurait dû rendre : le requérant a droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] N. H. (requérant) est arrivé au Canada à l’âge adulte en provenance du Bangladesh. Depuis son arrivée au Canada, il a travaillé dans des usines et des restaurants. Il a commencé à conduire un taxi en 2011. Il a eu un accident de voiture en 2015 et il a des douleurs au cou, au dos et à l’épaule. Il a des maux de tête chroniques, et il est diabétique.

[3] Après l’accident de voiture, il a commencé à travailler à temps partiel, ce qui lui a rapporté très peu. Il a complètement cessé de conduire un taxi en octobre 2019. À la fin de 2021, il a recommencé à travailler conducteur pour une application de covoiturage.

[4] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) le 11 octobre 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande initialement et après révision.

[5] Le requérant a fait appel au Tribunal. La division générale a décidé que le requérant n’était pas admissible à une pension d’invalidité parce que son invalidité n’était pas grave au sens du RPC.

[6] Je dois décider si la division générale a commis une erreur aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Si c’est le cas, je dois décider ce que je ferai pour corriger (réparer) cette erreur.

[7] La division générale a commis une erreur de droit en déclarant (sans explication suffisante) qu’elle n’avait pas à tenir compte des circonstances personnelles du requérant ayant une incidence sur son employabilité. Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre. Le requérant a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada.

Question en litige

[8] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’expliquant pas comment elle a interprété et appliqué la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Giannaros au requérantNote de bas de page 1? La division générale s’est appuyée sur Giannaros lorsqu’elle a décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles du requérant comme un obstacle possible à sa capacité de travailler dans le monde réelNote de bas de page 2.
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’incidence de l’ensemble des problèmes de santé du requérant sur sa capacité de travailler?
  3. c) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’évaluer si le travail à temps partiel effectué par le requérant était véritablement rémunérateur et d’en discuter?
  4. d) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’évaluer si le requérant était régulièrement incapable de détenir toute occupation véritablement rémunératrice, et d’en discuter?
  5. e) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait dans la conclusion qu’elle a tirée du fait que le requérant a reçu la Prestation canadienne d’urgence (PCU)?
  6. f) Si la division générale a commis une erreur, comment dois-je la corriger?

Analyse

Examen des décisions de la division générale

[9] La division d’appel révise la décision de la division générale pour décider si elle contient des erreurs. Je peux seulement traiter trois types d’erreurs :

  • les erreurs de fait,
  • les erreurs de droit;
  • les erreurs que la division générale a commises parce qu’elle n’a pas fourni un processus équitable (ou qu’elle a commis une erreur liée aux pouvoirs qui lui sont conférésNote de bas de page 3).

La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit

[10] La division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas comment elle a appliqué la décision de la Cour d’appel fédérale dans Giannaros pour décider qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles du requérant. La brève raison fournie par la division générale au sujet de Giannaros n’est pas suffisante compte tenu des différences entre les deux affaires. Dans l’affaire Villani, la Cour a discuté de la nécessité de tenir compte des circonstances personnelles dans les causes relatives à une demande de pension d’invalidité. Il faut fournir une explication lorsqu’on s’éloigne de cette approche en se fiant à GiannarosNote de bas de page 4.

[11] Dans cette section, je décrirai :

  • l’approche pour établir si une invalidité est grave au titre du Régime de pensions du Canada;
  • l’importance des circonstances personnelles pour cette approche;
  • ce qui se produit lorsqu’un décideur ne tient pas compte des circonstances personnelles;
  • en quoi le défaut de la division générale d’expliquer pourquoi elle s’est éloignée de cette approche est une erreur de droit.

L’approche : tenir compte des circonstances personnelles

[12] Le requérant devait démontrer qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2016Note de bas de page 5. L’invalidité d’une partie requérante est grave si celle-ci est régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateurNote de bas de page 6.

[13] Pour établir si une invalidité est grave, la division générale examinera deux chosesNote de bas de page 7 :

[14] Premièrement, y a-t-il un problème de santé grave qui a nui à la capacité de travail du requérant? Le requérant a-t-il une certaine capacité de travail? Pour répondre à cette question, la division générale tient compte de ce qui suit :

  • Si la nature des problèmes de santé et toutes les limitations fonctionnelles (choses que le requérant ne peut pas faire) ont une incidence sur sa capacité de travail.
  • Si le requérant a pris des mesures pour gérer ses problèmes de santé et s’il a refusé de façon déraisonnable un traitement qui pourrait avoir une incidence sur son invalidité.
  • Les circonstances personnelles du requérant, y compris des facteurs comme son âge, son niveau de scolarité, ses capacités linguistiques et son expérience de travail et de vie, ont-elles une incidence sur sa capacité de travailler dans un contexte réalisteNote de bas de page 8?

[15] Deuxièmement, s’il y a des preuves d’une capacité de travail, que nous apprennent les efforts du requérant en matière d’emploi pour établir s’il était, dans un contexte réaliste, incapable régulièrement d’occuper un emploi véritablement rémunérateur?

Les circonstances personnelles sont importantes

[16] La prise en compte des circonstances personnelles est un élément clé de l’évaluation de la gravité d’une invalidité.

[17] Le principal arrêt de la Cour sur la façon de décider si une invalidité est grave au titre du Régime de pensions du Canada est Villani. Selon cette affaire, la façon dont les décideurs appliquaient le critère de l’invalidité grave posait problème.

[18] Certaines décisions de la Cour, comme l’arrêt Villani, sont particulièrement importantes parce qu’elles orientent les décideurs des tribunaux sur la façon de comprendre et d’appliquer correctement la loi. D’autres décisions de la Cour, même si les décideurs doivent tout de même les suivre, nous disent seulement si une décision particulière du tribunal était raisonnable (parce qu’à la Cour, la partie demande un « contrôle judiciaire » de la décision du tribunal).

[19] Dans l’affaire Villani, la Cour a orienté les décideurs sur la bonne approche à adopter pour le critère d’invalidité grave. La Cour a examiné :

  • le libellé du Régime de pensions du Canada;
  • le contexte de ce libellé;
  • la raison d’être du Régime de pensions du Canada en tant que loi visant à verser des prestations aux personnes admissibles. Ces types de lois (lois sur les prestations sociales) exigent une approche généreuse (large et libérale) pour comprendre ce qu’elles signifientNote de bas de page 9.

[20] La Cour a expliqué que pour décider si une invalidité est grave, il faut nécessairement se demander si une partie requérante est employable. L’employabilité comprend la prise en compte des circonstances particulières d’une partie requérante. L’évaluation de la gravité d’une incapacité doit être pratique et ne pas se limiter à une théorie sur la capacité de travail d’une partie requérante. Les parties requérantes doivent tout de même présenter des preuves médicales; ce ne sont pas toutes les personnes qui ont de la difficulté à obtenir et à conserver un emploi qui seront admissibles à une pension d’invaliditéNote de bas de page 10.

[21] Dix ans plus tard, la Cour a expressément désigné l’arrêt Villani comme l’arrêt de principe sur l’interprétation de la signification d’une invalidité graveNote de bas de page 11. Dans cette affaire, Bungay, la Cour a de nouveau confirmé que le décideur doit adopter une approche « réaliste » pour décider si une partie requérante, compte tenu de ses circonstances personnelles et de son état de santé, est employable. L’évaluation de l’employabilité n’est pas une chose abstraite. Elle est fondée sur les circonstances de la partie requéranteNote de bas de page 12.

[22] Bungay est une déclaration ferme de la Cour au sujet de la nécessité pour la Commission d’appel des pensions (CAP) d’appliquer l’approche que la Cour a établie dans Villani au critère d’invalidité graveNote de bas de page 13. Dans l’affaire Bungay, la Cour a renvoyé l’affaire à la CAP pour une nouvelle audience. La Cour a conclu que la première décision de la CAP était déraisonnable parce qu’elle n’avait pas adopté l’approche « réaliste » à l’appel du requérant que la Cour exigeait dans Villani.

[23] Dans les années qui ont suivi l’arrêt Villani, il y a eu des cas où la Cour a conclu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des circonstances personnelles de la partie requéranteNote de bas de page 14.

[24] Il y a aussi des cas individuels dans lesquels la Cour a conclu que la décision initiale du Tribunal était tout de même raisonnable, même si elle n’incluait pas une discussion des circonstances personnelles comme l’exigeait la Cour dans Villani et BungayNote de bas de page 15. Je vais donner quelques exemples ci-dessous.

[25] Dans Inclima, la Cour s’est concentrée sur le fait qu’il y avait beaucoup de preuves médicales démontrant que le requérant n’avait pas d’anomalies importantes. Le dossier comprenait trois rapports médicaux de médecins différents près de la date de fin de la PMA qui précisaient que le requérant pouvait retourner au travail léger. La division générale fait souvent référence à Inclima parce que le requérant n’a pas essayé de retourner au travail ou de se recycler dans cette affaire. La preuve médicale dans cette affaire est remarquable parce qu’elle recommandait activement que le requérant retourne au travail et qu’il n’a pas essayé de le faire.

[26] Dans l’affaire Doucette, les dossiers médicaux comprenaient une évaluation psychoprofessionnelle qui concluait que le requérant avait la capacité d’occuper d’autres emplois. Cette évaluation a tenu compte des circonstances personnelles du requérant pour recommander le type de travail que le requérant pouvait faire. Par conséquent, le décideur n’a pas eu à discuter en détail des circonstances personnelles du requérant. Le décideur a analysé l’évaluation, et celle-ci tenait déjà compte des circonstances personnelles du requérant.

[27] Dans l’affaire Kiriakidis, la Cour a souligné que, au cours de la dernière année de sa PMA, le requérant avait élargi son entreprise et embauché d’autres personnes pour travailler pour lui. Les notes du médecin mentionnent que le requérant [traduction] « souhaite continuer » et qu’il allait manifestement très bien. Le même médecin a noté, environ un an après la fin de la PMA, que le requérant travaillait toujours dans son entreprise, mais qu’il faisait lui-même le travail. Il marchait bien, arrivait bien à se lever d’une chaise et avait une bonne amplitude de mouvement. Il allait raisonnablement bien. Dans sa décision rendue à l’audience, la Cour a rejeté le contrôle judiciaire, citant les faits concernant la capacité de travailler du requérant, notée de façon assez détaillée par son médecin.

[28] Giannaros est la décision de contrôle judiciaire sur laquelle la division générale s’est fondée pour choisir de ne pas discuter des circonstances personnelles du requérant. Je vais donc en discuter plus en détailNote de bas de page 16.

L’inconvénient de suivre Giannaros pour s’éloigner de Villani

[29] À mon avis, les décideurs devraient faire preuve de prudence lorsqu’ils utilisent le résultat des contrôles judiciaires de la Cour, comme dans l’affaire Giannaros, pour s’éloigner de l’approche globale du droit sur laquelle la Cour s’est précisément prononcée dans l’affaire Villani pour deux raisons :

  1. Il s’agit de décisions découlant du contrôle judiciaire de décisions originales comportant des faits uniques dont la Cour ne discute pas toujours (ou dont elle n’a pas besoin de discuter) dans le cadre du contrôle judiciaire. Certains des faits de ces affaires font ressortir d’autres problèmes plus importants dans la demande de pension d’invalidité du requérant (comme je l’ai expliqué dans les exemples ci-dessus).
  2. Il est facile de mal interpréter ce que certaines de ces affaires peuvent vraiment nous apprendre au sujet de Villani.

[30] Premièrement, Giannaros est l’une de ces affaires de contrôle judiciaire qui comporte des faits uniques et d’autres problèmes plus importants en ce qui concerne l’appel du requérant.

[31] Le pronostic de Giannaros était juste : la preuve médicale montrait qu’elle avait été avisée à deux reprises de retourner au travail. Elle n’a pas non plus fait d’efforts raisonnables pour suivre les traitements recommandésNote de bas de page 17. La CAP n’a pas tenu compte des circonstances personnelles de Giannaros. La Cour a décidé que la décision était tout de même raisonnable.

[32] L’affaire du requérant est très différente de celle de Giannaros.

[33] Dans la présente affaire, la division générale n’a pas conclu que le requérant avait été avisé de retourner au travail après son accident. La division générale n’a pas conclu que le requérant avait omis de suivre les recommandations de traitement après son accident.

[34] En revanche, la division générale a conclu que le requérant n’avait pas de limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de travailler, et qu’il avait travaillé à temps partiel après son accident, de sorte que son invalidité n’était pas grave.

[35] Sans explication, il n’est pas clair ce qu’il y a dans les faits et l’analyse dans Giannaros qui s’applique à l’appel du requérant. Ils semblent se concentrer sur différents aspects du critère d’invalidité grave.

[36] Deuxièmement, ce que Giannaros nous dit au sujet de la prise en compte des circonstances personnelles en général n’est pas clair.

[37] Dans Giannaros, la Cour décrit Villani comme suit :

  • [traduction] Villani dit clairement qu’une partie requérante doit toujours être en mesure de démontrer qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée qui l’empêche de travailler. Si elle ne peut pas le démontrer, il n’est pas nécessaire de tenir compte de ses circonstances personnellesNote de bas de page 18.

[38] La division d’appel a examiné l’arrêt Giannaros et a décidé qu’il signifiait que l’évaluation des circonstances personnelles serait « inutile […] s’il n’exist[ait] pas au moins certains éléments de preuve médicale donnant lieu de croire [que la personne était] d’abord atteint[e] d’une invalidité graveNote de bas de page 19 ». Cette compréhension de Giannaros fait ressortir le fait que les preuves médicales ont conseillé à Giannaros :

  • de prendre des mesures de traitement qu’elle n’a pas prises;
  • retourner au travail, ce qu’elle n’a pas fait.

[39] De cette façon, dans l’affaire Giannaros, il n’y avait même pas quelques preuves médicales qui portaient à croire à l’existence d’une invalidité grave, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles. Les lacunes des preuves médicales ne sont pas toutes aussi flagrantes qu’elles l’étaient dans l’affaire Giannaros.

La division générale n’a pas suffisamment expliqué comment ni pourquoi elle avait suivi Giannaros.

[40] La division générale a commis une erreur de droit. La division générale s’est appuyée sur Giannaros pour dire qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles parce que les « limitations fonctionnelles du requérant n’ont pas nui à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2016. Autrement dit, il n’a pas prouvé qu’il était atteint d’une invalidité grave à cette époque-làNote de bas de page 20 ».

[41] L’omission de fournir des motifs sur une question clé dans des circonstances qui exigent une explication peut constituer une erreur de droitNote de bas de page 21.

[42] Villani est une affaire importante, et on y dit qu’il est important de tenir compte des circonstances personnelles. Giannaros est une décision découlant d’un contrôle judiciaire où la Cour n’a pas trouvé d’erreur lorsque la CAP a omis d’analyser des circonstances personnelles où la preuve médicale a montré qu’on avait conseillé à la requérante de retourner au travail et qu’elle avait refusé de se faire traiter.

[43] Le ministre soutient que la division générale n’a commis aucune erreur en suivant Giannaros. La division générale a décidé que le requérant n’était pas invalide à la fin de sa PMA parce qu’il n’avait pas suffisamment de limitations fonctionnelles et parce qu’il continuait de travailler à temps partiel comme chauffeur de taxi.

[44] À mon avis, sauter l’analyse des circonstances personnelles parce que le requérant n’a pas démontré de limitations fonctionnelles qui ont nui à sa capacité de travailler n’est pas nécessairement « suivre » Giannaros sans autre explication. Giannaros ne semble pas dire qu’il faut oublier les circonstances personnelles chaque fois que les preuves médicales sont insuffisantes d’une façon ou d’une autre.

[45] Lorsque la preuve médicale documente des problèmes de santé graves, la partie requérante fournit des preuves concernant des limitations fonctionnelles et tente de faire un certain travail, une analyse complète visant à établir s’il existe une certaine capacité de travailler doit être réalisée pour trancher l’appel. Une partie de l’analyse de la capacité au travail consiste à examiner les circonstances personnelles.

[46] Le ministre affirme que, puisque le requérant n’était pas atteint d’une invalidité grave, la division générale n’avait pas besoin d’analyser ses circonstances personnelles; aucune analyse de sa situation personnelle ne pouvait changer le fait que la preuve médicale du requérant et son travail à temps partiel montraient qu’il était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[47] Il n’est pas tout à fait clair pour moi, d’après les motifs, quelles limitations fonctionnelles la division générale a décidé que le requérant avait en réalité en fonction de la preuve médicale et du témoignage du requérant. Le requérant a témoigné que, à première vue, il décrivait des limitations fonctionnelles qui avaient une incidence sur le travail, notamment des maux de tête quotidiens chroniques, des preuves de la façon dont la douleur qu’il ressentait faisait en sorte qu’il était difficile de tenir le volant et de regarder par-dessus son épaule pour conduire, ainsi que le temps dont il avait besoin pour se reposer. Il est possible que la division générale s’attendait à ce que les documents médicaux à eux seuls démontrent que le requérant avait des limitations fonctionnelles qui ont nui à sa capacité d’effectuer un travail véritablement rémunérateur. La loi ne l’exige pas.

[48] Le ministre qualifie de pratique l’approche de la division générale qui consiste à ne pas examiner les circonstances personnelles, car lorsque le requérant était chauffeur de taxi à temps plein avant l’accident, cela lui permettait de gagner sa vie. Les circonstances personnelles du requérant étaient les mêmes avant l’accident et après, de sorte que la seule chose qui a changé pour lui après l’accident était son état de santé. La division générale a analysé l’état de santé du requérant et a conclu qu’il ne créait pas de limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie à la fin de la PMA, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de ses circonstances personnelles.

[49] L’utilisation de l’approche consistant à établir ce qui a changé pour analyser la gravité d’une invalidité semble relever du bon sens. Cependant, je ne suis pas convaincue par cet argument parce que ce n’est pas parce qu’il y a un changement dans les circonstances personnelles que celles-ci sont pertinentes. Si les circonstances personnelles devaient changer après le début de l’invalidité pour être pertinentes, elles ne le seraient presque jamais.

[50] Avant son accident, le requérant conduisait un taxi à temps plein. Certains faits au sujet de sa vie (ses circonstances personnelles) signifiaient qu’il avait fait ce travail plutôt qu’un travail sédentaire différent qui aurait pu nécessiter un ensemble de compétences différent. Après son accident, ces mêmes circonstances personnelles sont pertinentes lorsqu’on pense à son employabilité. Son employabilité était déjà limitée avant son accident de voiture, et c’est aussi pertinent lorsqu’on pense à son employabilité après l’accident.

[51] Il existe des preuves médicales des problèmes de santé du requérant après l’accident de voiture. Elles n’établissent pas nécessairement l’existence d’une invalidité grave à elles seules, mais pour décider si le requérant avait une certaine capacité de travail à la lumière de ces preuves, la division générale doit tenir compte de ses circonstances personnelles. Après l’accident, le requérant était-il employable dans un contexte réaliste? Le fait que le requérant n’ait peut-être pas été particulièrement apte au travail dans d’autres types d’emplois qui respectaient ses limitations physiques fait une différence ici. Ses circonstances personnelles ont peut-être été précisément la raison pour laquelle il est retourné à son emploi initial à temps partiel, même s’il ne travaillait pas suffisamment d’heures pour gagner sa vie. L’employabilité est un élément important, et les limitations fonctionnelles ne sont pas les seules choses qu’il faut prendre en compte.

[52] Il doit y avoir des preuves objectives d’un problème de santé graveNote de bas de page 22. Cependant, les preuves médicales à elles seules n’ont pas à démontrer l’existence d’une invalidité grave. Les preuves médicales pourraient démontrer une certaine capacité de travail. Dans ce cas, le décideur doit tenir compte des circonstances personnelles de la partie requérante. Dans certains cas, des preuves médicales indiqueront un problème de santé, mais l’incidence de celui-ci sur la capacité de travailler pourrait bien provenir du témoignage de la partie requérante au sujet de ses efforts de travail et des limitations fonctionnelles qu’elle a constatées dans le cadre de ces efforts.

[53] La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’expliquer comment ou pourquoi Giannaros signifie qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles dans la présente affaire. Les faits dans Giannaros diffèrent des faits de l’affaire qui nous occupe. Peut-être que la division générale croyait que Giannaros justifie d’ignorer les circonstances personnelles chaque fois qu’il y a des obstacles à la preuve d’une invalidité grave exposée par la preuve médicale ou par le fait que le requérant a fait du travail. Toutefois, pour s’appuyer de cette façon sur Giannaros, la division générale devait expliquer son interprétation.

[54] Je n’aborderai pas les autres erreurs possibles dans la présente décision. L’erreur dont j’ai parlé concerne l’approche globale du critère d’invalidité grave, qui était l’élément clé de l’appel du requérant, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de corriger chaque erreur individuelle avant de passer à la réparation.

Correction de l’erreur

[55] Après avoir constaté que la division générale a commis une erreur, j’ai un choix à faire sur la façon de la corriger.

[56] Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 23. Je peux trancher toute question de droit pour rendre une décision dans un appelNote de bas de page 24.

[57] Le requérant et le ministre ont tous deux convenu que, si je constatais une erreur, je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[58] Rendre la décision que la division générale aurait dû rendre est une façon efficace d’aller de l’avant dans de nombreuses affaires. Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre. J’ai écouté l’audience de la division générale et examiné les documents au dossier. J’ai les renseignements dont j’ai besoin pour décider si le requérant a droit à une pension d’invalidité. Rendre la décision que la division générale aurait dû rendre est la solution qui est juste, rapide et équitable dans les circonstances.

Le requérant est atteint d’une invalidité grave.

[59] Pour être admissible à une pension d’invalidité, le requérant doit êre atteint d’une invalidité grave au sens du RPC. Une personne atteinte d’une invalidité grave est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 25 ».

[60] Chaque élément de cette définition a un sens. Dans le contexte du RPC, une invalidité grave concerne ce qu’une personne peut et ne peut pas faire (lorsqu’il s’agit de travailler). Les choses qu’une personne ne peut pas faire à cause d’une invalidité sont des limitations fonctionnelles.

[61] À mon avis, le requérant a prouvé qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Il n’a pas la capacité de gagner sa vie.

[62] Voici les éléments dont j’ai tenu compte :

  • les problèmes de santé du requérant (ce qui comprend la prise en compte de tous les problèmes de santé du requérant et de toutes les limitations possibles pouvant avoir une incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 26);
  • les circonstances personnelles du requérant (ce qui comprend son âge, son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques, ses antécédents professionnels et son expérience de vieNote de bas de page 27);
  • ce que le requérant a fait pour améliorer son état de santé et s’il a refusé un traitement de façon déraisonnableNote de bas de page 28.

[63] À la lumière de ces trois éléments, je crois que le requérant n’avait pas la moindre capacité de travail résiduelle. Il a des limitations fonctionnelles, comprenant des douleurs et des maux de tête qui, lorsque je les prends en considération dans un contexte réaliste et à la lumière de toutes les preuves, l’empêchent de gagner sa vie. Ses compétences linguistiques et son manque de compétences transférables au sein de la population active canadienne entraînent des difficultés ou des obstacles supplémentaires à l’emploi. Il a pris des mesures pour améliorer son état de santé, mais il est encore régulièrement incapable de détenir toute occupation véritablement rémunératrice.

[64] Comme j’ai conclu qu’il n’a pas la capacité de travailler, le requérant n’a pas à démontrer que ses efforts pour obtenir et garder du travail ont échoué en raison de ses problèmes de santé.

Problèmes de santé et limitations fonctionnelles du requérant

[65] La preuve médicale du requérant ainsi que le témoignage de l’audience devant la division générale montrent que le requérant a de réelles limitations en raison de ses problèmes de santé, qui nuisent à sa capacité de travailler.

Problèmes de santé graves

[66] Le requérant a des problèmes de santé graves. Le rapport médical du RPC précise que le requérant est atteint de diabète, de discopathie dégénérative (DD) du cou, d’hypertension, de tendinite de l’épaule droite et d’ulcère gastroduodénal. Le requérant ressent de la faiblesse, de l’inconfort abdominal et des raideurs à la région lombaire. Il avait de la douleur au bas du dos, au cou et à l’épaule droite. Le médecin du requérant n’a pas énuméré les maux de tête séparément dans ce formulaire, bien qu’il y ait des notes d’un neurologue au sujet de ceux-ci.

[67] À mon avis, ce sont les maux de tête et la dégénérescence du cou du requérant qui ont nui le plus à sa capacité de travailler avant la fin de sa PMA. Son diabète n’était pas bien contrôlé avant la fin de sa PMA, mais il est moins clair que le requérant était limité dans ce qu’il pouvait faire au travail en raison de son diabète.

[68] Dans le rapport médical du RPC, le médecin du requérant a déclaré qu’il avait commencé à le traiter pour son problème de santé principal en février 2015. Il a déclaré qu’il avait recommandé que le requérant cesse de travailler, mais il n’a pas fourni la date à laquelle il avait fait cette recommandation.

Maux de tête

[69] Le requérant a eu un accident de voiture en février 2015. Après l’accident de voiture, son médecin de famille l’a aiguillé vers un neurologue. Le neurologue a déclaré que les résultats de l’examen étaient normaux. Il a conclu que les problèmes du requérant étaient musculosquelettiques avec un certain degré d’anxiété. Le neurologue a déclaré que le requérant était atteint de maux de tête, d’étourdissements et d’inconfort au cou, aux épaules et au dosNote de bas de page 29. Il a déclaré que le requérant [traduction] « n’avait pas vraiment été en mesure de travailler depuis l’accident ». Il a également signalé que le requérant avait essayé la physiothérapie et qu’il avait remarqué une certaine amélioration. Il lui a prescrit des médicaments pour l’aider à dormir.

[70] Le requérant a témoigné au sujet des maux de tête qui ont commencé après l’accident de voiture et qui l’empêchaient de travailler. Il a expliqué qu’ils étaient tellement intenses qu’il n’arrivait pas à lever la tête. Il a dit qu’il continue d’avoir ces maux de tête. Lorsqu’il a des maux de tête, il dit qu’il ne peut pas quitter son lit et il ne voit pas bien.

[71] Le requérant a témoigné avoir vu le neurologue après l’accident de voiture au sujet de ses maux de tête. En plus du rapport du neurologue de quelques semaines à peine après l’accident, un dossier médical daté du 22 mai 2019 confirme qu’il a vu le requérant [traduction] « auparavant » et qu’il a continué d’avoir des maux de tête semblables à de la pression. Le neurologue a établi que le requérant était atteint de maux de tête quotidiens chroniques et que le traitement indiqué consistait à réduire le niveau d’anxiété du requérant, mais il a noté que les médicaments ne seraient probablement pas utilesNote de bas de page 30.

Douleurs au cou, au dos et aux épaules

[72] Dans les mois qui ont suivi l’accident de voiture et la consultation avec le neurologue, le requérant a eu une radiographie du cou (juin 2015), suivie d’une IRM du cou et du dos en novembre 2015 parce qu’il avait encore de la douleur persistante. L’IRM a révélé une dégénérescence légère à modérée dans le cou et le pincement possible d’un nerfNote de bas de page 31.

[73] Au cours d’un suivi effectué des années après la fin de la PMA en mai 2018, il y avait toujours une dégénérescence légère à modérée dans le cou du requérant, avec rétrécissement foraminal aux vertèbres C5 et C6, et C6 et C7 des deux côtés (lorsque les foraminas rétrécissent, le problème devient l’incidence sur les racines nerveuses). Le requérant a subi une échographie de l’épaule en mai 2018 qui n’a révélé aucun problèmeNote de bas de page 32. Cependant, plus tard, on a laissé entendre que sa douleur à l’épaule était en fait le résultat de son problème au cou. En juillet 2018, il a subi une IRM de l’épaule qui a révélé une légère dégénérescenceNote de bas de page 33.

[74] Le requérant a pris du Tylenol sur ordonnance et en vente libre pour la douleur au cou et aux épaules, et après la fin de sa PMA, il a également essayé des injections pour soulager la douleur.

[75] Lorsque la division générale a demandé au requérant comment ses douleurs à l’épaule et au dos causées par l’accident de voiture l’avaient empêché de travailler, il a déclaré qu’après l’accident, il a essayé de travailler lorsqu’il le pouvait (à temps partiel), mais il était difficile et douloureux de regarder par-dessus son épaule et de tenir le volant. Le requérant a précisé clairement dans son témoignage que son dos n’était pas aussi douloureux en 2015 qu’il l’a été plus tard.

Diabète et ulcère gastroduodénal

[76] Le requérant a été consulté en avril 2015Note de bas de page 34 au sujet de son diabète de type 2. Au cours de cette consultation, le médecin a confirmé que le requérant avait un ulcère gastroduodénal. Il a reçu un diagnostic en 2000, et le médecin a confirmé que, malgré les médicaments qu’il prenait, sa glycémie était mal contrôlée et a établi un plan standard pour mieux gérer son diabète, qui consistait à changer certains de ses médicaments.

[77] En novembre 2016, le requérant a consulté un spécialiste de la gastroentérologie et des maladies du foie qui a noté qu’il avait des douleurs intermittentes dans la partie supérieure de l’abdomen (dans la région épigastrique et le quadrant supérieur droit), ainsi que de certains symptômes de reflux gastroœsophagien pathologique (GERD)Note de bas de page 35.

[78] Lorsque je considère l’ensemble des problèmes de santé du requérant, l’incidence sur sa capacité de travailler devient évidente. Les maux de tête du requérant, conjugués aux douleurs au cou en particulier, mais aussi dans une moindre mesure au dos et aux épaules, signifient qu’il a des limitations fonctionnelles qui ont une incidence sur sa capacité de travailler, même lorsque le travail exige qu’il soit assis (comme lorsqu’il conduit un taxi).

Aucune capacité à travailler

[79] À mon avis, le requérant n’a pas la capacité de travailler. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai rendu cette décision à la lumière non seulement de sa situation médicale telle que je l’ai décrite, mais aussi de la preuve concernant ses circonstances personnelles, les mesures qu’il a prises pour améliorer son état de santé (efforts de traitement), et ses démarches pour obtenir et conserver un emploi.

Circonstances personnelles

[80] Je dois évaluer le degré d’employabilité du requérant dans le monde réel, étant donné :

  • son âge;
  • son niveau d’éducation;
  • son aptitude à parler, à lire et à écrire l’anglais;
  • son expérience de travail et de vieNote de bas de page 36

[81] Lorsque sa PMA a pris fin le 31 décembre 2016, il avait 45 ans. Il aurait 20 ans de vie active jusqu’à l’âge de la retraite au titre du Régime de pensions du Canada. Il n’est pas trop tard à l’âge de 45 ans pour se perfectionner en anglais ou se recycler pour un autre emploi, compte tenu du temps qu’il reste avant la retraite ou même la retraite anticipée. Toutefois, l’âge n’est pas le plus grand obstacle à la capacité du requérant de se recycler. Il s’agit plutôt de ses limitations physiques. Le fait que le requérant ait des maux de tête et de la douleur même en étant assis dans un taxi signifie qu’il ne serait pas régulièrement capable de suivre une formation linguistique ou de se recycler pour un travail sédentaire.

[82] Le requérant a déclaré qu’il est venu au Canada en provenance du Bangladesh en 2000 alors qu’il avait environ 30 ans (je soupçonne qu’il avait probablement 28 ans, selon la date à laquelle il est arrivé en 2000). Il parle le bengali. Il est titulaire d’une maîtrise en sociologie du Bangladesh. Les études du requérant montrent qu’il a des aptitudes scolaires dans sa langue maternelle.

[83] Le requérant parle et comprend un peu l’anglais. À l’audience, la membre de la division générale a constaté que le requérant parle et comprend l’anglais et il a répondu [traduction] « un peu, oui ». Il a demandé à l’interprète de traduire tout ce que la membre de la division générale a dit, y compris ce qu’elle a dit au début de l’audience. L’interprète a traduit toutes les questions qui lui ont été posées, et il a répondu dans sa langue maternelle, le bengali.

[84] Le requérant a expliqué qu’il était étudiant au Bangladesh et qu’il n’a pas d’antécédents de travail là-bas. Au Canada, il a travaillé dans des restaurants et des usines. Il a aussi fait du travail de livraison. Il ne se rappelait pas exactement quand il avait commencé à conduire un taxi, mais il a dit que c’était peut-être entre 2011 et 2013.

[85] J’estime que le requérant a une certaine capacité de parler et de comprendre l’anglais, mais il y a des limites à sa capacité de parler, de lire et d’écrire l’anglais, comme en témoigne son recours à l’interprète aux audiences et sa propre description de ses capacités. Je ne peux conclure que le requérant [traduction] « parle couramment » l’anglais d’après le dossier dont je dispose. La capacité du requérant à s’exprimer en anglais restreint davantage le genre de travail que les employeurs lui confieraient.

[86] Son manque d’expérience de travail en dehors du travail manuel au Canada limite davantage le genre de travail pour lequel il est employable dans un contexte réaliste. Il ne possède pas de compétences transférables tirées de son expérience de travail au Canada qui l’aideraient à occuper un emploi sédentaire.

[87] Le ministre soutient que deux aspects des antécédents de travail du requérant démontrent sa capacité de travaillerNote de bas de page 37. Je vais maintenant examiner chacun de ces arguments.

Travail à temps partiel après l’accident de voiture

[88] Premièrement, le ministre soutient que le fait que le requérant ait travaillé à temps partiel à la fin de sa PMA et après celle-ci montre qu’il avait une capacité de travailler.

[89] La preuve qu’une partie requérante a travaillé après la fin de sa PMA peut démontrer qu’elle a une certaine capacité à travailler, mais pas dans tous les casNote de bas de page 38.

[90] Par exemple, un travail effectué par une partie requérante peut être une [traduction] « tentative ratée » qui ne démontre aucune capacité de travail. La Cour fédérale a conclu qu’il n’y a pas de ligne de démarcation ferme entre le travail qui établit la capacité et le travail qui est une tentative ratée. Un retour au travail qui dure seulement quelques jours serait considéré comme une tentative ratée, mais la Cour fédérale a déjà déclaré que deux années de rémunération correspondant à ce que la partie requérante gagnait auparavant ne le serait pas.

[91] Au moment d’examiner ce que le travail effectué après la période pertinente nous apprend sur la question de savoir si une partie requérante était régulièrement incapable de détenir un emploi véritablement rémunérateur, il faut se poser certaines questions :

  • Le requérant a-t-il été en mesure de trouver et de conserver un emploi, d’aller au travail régulièrement et d’être fiable? (Il s’agit de la partie « incapable régulièrement » de la définition d’une invalidité grave.)
  • Le requérant était-il capable de faire suffisamment de travail pour gagner sa vie? (Il s’agit de la partie « véritablement rémunératrice » de la définition d’une invalidité grave.)
  • Le requérant travaillait-il pour un employeur bienveillant? (La partie « travail » de la définition d’une invalidité grave couvre cela.)

[92] Si une partie requérante a une certaine capacité de travailler pendant la période pertinente, elle doit alors démontrer que ses efforts pour trouver et conserver un emploi ont échoué en raison de son état de santéNote de bas de page 39.

[93] Le requérant a déclaré que, de 2016 à 2019, il a seulement travaillé à temps partiel, à raison de quelques heures par quart de travail. Il a expliqué que lorsqu’il s’en sentait capable, il travaillait. S’il ne se sentait pas bien, il ne travaillait pas. Il a expliqué qu’il travaillait de deux à trois jours, et qu’il restait ensuite à la maison trois ou quatre jours. Il a dit que s’il travaillait plus que cela, il ressentirait un stress physique et il serait malade et devrait rester à la maisonNote de bas de page 40. Un rapport daté du 12 novembre 2018Note de bas de page 41 confirme que le requérant travaillait de trois à quatre heures par quart comme chauffeur de taxi, mais qu’il ne travaillait plus à temps plein.

[94] À mon avis, le travail du requérant n’était pas un travail autonome, mais était semblable en ce sens qu’il pouvait établir ses propres heures. Il travaillait quand il se sentait physiquement capable, et il ne travaillait pas quand il n’allait pas assez bien. Sa capacité de travailler n’était pas suffisamment prévisible ou fiable pour lui permettre de gagner sa vie. Les heures que le requérant faisait comme chauffeur de taxi lorsqu’il se sentait assez bien n’équivalaient pas à des heures à temps plein.

[95] De plus, ce travail ne permettait pas au requérant de gagner sa vie. Même s’il s’agissait du même type de travail qu’il faisait avant l’accident (conduire un taxi), il travaillait seulement lorsqu’il se sentait bien. Malgré l’extrême souplesse qu’il avait de travailler seulement lorsqu’il se sentait bien, ses heures ne correspondaient pas à ce que le Régime de pensions du Canada appelle un emploi véritablement rémunérateur.

[96] Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada définit les gains véritablement rémunérateurs. Une partie requérante gagne un montant véritablement rémunérateur si elle touche un montant égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne peut recevoir en prestations d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 42. Les gains véritablement rémunérateurs sont calculés en ajoutant un montant de base à un montant calculé à partir des cotisations de la partie requérante au Régime de pensions du Canada.

[97] Les gains du requérant après son accident sont loin d’être véritablement rémunérateurs. Le relevé des cotisations du requérant montre que celui-ci n’a pas gagné plus de 5 216 $ en gains non ajustés ouvrant droit à pension pour une année quelconque entre 2015 et 2019Note de bas de page 43.

[98] Je ne considère pas que le travail accompli par le requérant était un travail bénévole. Conduire un taxi était quand même un travail, et je n’ai aucune preuve au dossier qui permettrait de comparer le rendement du requérant à celui d’autres chauffeurs de taxi qui font des heures irrégulières pour diverses raisons.

[99] Compte tenu de tous ces facteurs, je ne peux pas conclure que les efforts du requérant pour gagner sa vie constituent une preuve d’une capacité de travailler. J’accepte son témoignage selon lequel il conduisait un taxi lorsqu’il se sentait assez bien pour le faire. Cela représentait un effort maximal de la part du requérant, mais celui-ci n’était tout de même pas régulièrement capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur.

PCU

[100] Deuxièmement, le ministre soutient que le fait que le requérant ait reçu la PCU est la preuve qu’il était en mesure de travailler.

[101] À mon avis, le fait de recevoir la PCU ne prouve pas la capacité du requérant à travailler. J’accepte le témoignage du requérant concernant la raison pour laquelle il a demandé la PCU. Il a présenté une demande parce que son revenu était inférieur au seuil requis en 2019. Il ne semblait pas connaître ou comprendre les exigences de ce programme même des années plus tard lorsque la membre de la division générale l’a interrogé à ce sujet.

[102] Le requérant a déclaré avoir demandé et reçu la PCU. Il a affirmé avoir fait une demande parce que sa déclaration de revenus indiquait qu’il avait gagné moins de 5 000 $ en 2019. La division générale a déclaré que pour recevoir la prestation, il devait être en mesure de travailler, et que la prestation était destinée aux personnes qui ont perdu leur emploi en raison de la COVID-19. Le requérant n’a pas reconnu qu’il comprenait cela et a dit de nouveau qu’il avait présenté une demande en raison de son revenu en 2019.

[103] Dans l’ensemble, je conclus que les circonstances personnelles du requérant créent des obstacles supplémentaires à son employabilité, en plus de ses douleurs au cou et aux épaules, et de ses maux de tête. Bien que le requérant ne soit pas trop âgé pour se recycler et qu’il soit bien instruit à l’extérieur du Canada, ses capacités actuelles en anglais et plusieurs aspects de ses antécédents professionnels au Canada constituent des obstacles supplémentaires à l’emploi.

Efforts pour améliorer son état de santé

[104] Le requérant a fait des efforts pour améliorer son état de santé et il n’a refusé aucun avis médical de manière déraisonnable.

[105] Le requérant s’est acquitté de son obligation de démontrer qu’il a fait des efforts pour améliorer son état de santéNote de bas de page 44. Il n’a pas non plus refusé un traitement déraisonnablementNote de bas de page 45. Le requérant a fourni des preuves montrant qu’en plus d’avoir consulté son médecin et des spécialistes (comme le neurologue), il a essayé des massages, des soins chiropratiques, de l’acupuncture et des soins naturopathiques, tout cela depuis l’accident de février 2015Note de bas de page 46. Le rapport médical du RPC du médecin du requérant confirme les médicaments et la physiothérapie que le requérant a essayésNote de bas de page 47.

[106] Le requérant a déclaré qu’il continue de voir des spécialistes au sujet de ses blessures. Il reçoit des injections chaque mois pour soulager la douleur. Il a témoigné avoir pris [traduction] « beaucoup » de Tylenol 2 et de Tylenol 3 pour ses maux de tête, puis du Tylenol régulier, et maintenant du Tylenol 2 et du Tylenol régulier.

[107] Un rapport de juin 2019 confirme que le requérant a de la douleur à l’épaule droite malgré le fait qu’il reçoit des injections de cortisone et qu’il fait de la physiothérapieNote de bas de page 48.

[108] Le requérant a eu de la difficulté à gérer son diabète, mais les symptômes du diabète qui lui ont causé les plus grandes difficultés pour ce qui est de travailler se sont manifestés après la fin de sa PMA, alors ils ne sont pas aussi importants lorsqu’il s’agit de décider s’il a droit à la pension d’invalidité.

Efforts pour obtenir et conserver un emploi

[109] À mon avis, le requérant n’avait pas la capacité de travailler. Il n’a pas à démontrer que ses efforts pour obtenir et garder un emploi ont échoué en raison de ses problèmes de santé.

[110] Si je me trompe, et que le requérant a une certaine capacité de travailler, il est clair, à la lumière de tous les faits, qu’il a fait suffisamment d’efforts pour obtenir et conserver un emploi, et que ces efforts ont échoué en raison de son état de santé.

[111] Après son accident de voiture, il a essayé de continuer à travailler à un emploi sédentaire pour lequel il est qualifié compte tenu de ses circonstances personnelles (conduire un taxi). Il n’a pas été en mesure de faire plus que des heures à temps partiel ou de gagner un salaire véritablement rémunérateur. Ce travail lui donnait plus de flexibilité que d’autres types d’emplois sédentaires, parce que quand il se sentait assez bien, il travaillait et quand il ne se sentait pas bien, il ne travaillait pas.

[112] Cet emploi très flexible et respectant ses capacités physiques (et que ses circonstances personnelles lui permettaient d’occuper) n’était quand même pas viable. Il a complètement cessé de travailler et a fini par demander une pension d’invalidité. Il ne gagnait pas assez d’argent malgré son travail à temps partiel pour gagner sa vie de toute façon.

L’invalidité est prolongée

[113] L’invalidité du requérant doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie. Ainsi, l’invalidité est prolongée au sens du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 49.

[114] L’invalidité du requérant est devenue grave lorsqu’il a eu son accident de voiture en 2015. Ses douleurs au dos, au cou et aux épaules se sont aggravées en 2018. Son médecin a confirmé qu’il avait recommandé que le requérant cesse de travailler et qu’il ne savait pas si le requérant pourrait un jour retourner au travail. Le médecin a déclaré que le requérant [traduction] « n’est pas en mesure de travailler pour le moment et pour une période indéterminée ». Le médecin a écrit que, à son avis, le requérant [traduction] « ne sera[it] pas en mesure de faire un travail rémunérateur à l’avenir » et qu’il lui [traduction] « recommand[ait] une invalidité permanenteNote de bas de page 50 ». L’invalidité du requérant est prolongée.

[115] Je suis convaincue que le requérant a démontré qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au moment de son accident de voiture en 2015 (avant la fin de sa période minimale d’admissibilité le 31 décembre 2016). Il a présenté une demande de pension d’invalidité en octobre 2019. La date la plus rapprochée à laquelle une invalidité peut être considérée comme ayant commencé aux fins de la pension d’invalidité est 15 mois avant la date de la demande de la partie requéranteNote de bas de page 51. Dans le cas du requérant, cela correspond à juillet 2018. Le versement de la pension commence quatre mois après cela, ce qui correspond à novembre 2018Note de bas de page 52.

Conclusion

[116] J’ai accueilli l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre : le requérant a droit à une pension d’invalidité.

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