Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : LC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 527

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelante : L. C.
Représentante : Ashley Silcock
Intimé : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 12 février 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Adam Picotte
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 5 mai 2022
Personnes présentes à l’audience :

Appelante
Représentante de l’appelante
Époux de l’appelante

Date de la décision : Le 8 mai 2022
Numéro de dossier : GP-20-664

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, L. C., a droit à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Les paiements prennent effet en février 2018. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante est âgée de 40 ans et a une année d’études collégiales. Elle a travaillé pour la dernière fois comme intervenante en soutien communautaire pour les personnes handicapées d’avril 2001 à octobre 2004. Elle a cessé de travailler parce qu’elle n’était plus en mesure de prodiguer des soins aux personnes dans le besoin.

[4] L’appelante affirme que la combinaison de son syndrome du côlon irritable et de son anxiété la rend incapable de fonctionner au travail de façon significative. La plupart du temps, elle ne peut s’éloigner de sa salle de bain, elle est fatiguée et elle ne peut se concentrer sur une tâche particulière assez longtemps pour accomplir un travail significatif.

[5] Le ministre convient que l’appelante a des limites. Cependant, son âge relativement jeune, jumelé à son expérience de travail et à ses études, lui a permis de développer des compétences transférables qui devraient lui permettre de trouver un emploiNote de bas de page 1.

Ce que l’appelante doit prouver

[6] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2014Note de bas de page 2. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 3.

[7] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[8] Une invalidité n’est grave que si elle rend une partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4.

[9] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle antérieure. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[10] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 5.

[11] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[12] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[13] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2014. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante était-elle grave?

[14] L’invalidité de l’appelante était grave. J’en suis arrivé à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante affectent sa capacité de travailler

[15] L’appelante souffre du syndrome du côlon irritable, d’anxiété généralisée et d’un trouble dépressif majeur. Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteNote de bas de page 6. Je dois plutôt me demander si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 7. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 8.

[16] Je juge que l’appelante a des limitations fonctionnelles.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[17] L’appelante affirme que ses troubles de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travailler. Elle affirme avoir les déficiences suivantes :

  • Accomplir des tâches difficiles – La concentration et l’anxiété de l’appelante sont vraiment mauvaises. Si elle est anxieuse, elle ne peut pas se concentrer et elle est toujours anxieuse. Elle va commencer les choses et ne pas les finir parce qu’elle est « écervelée ».
  • Réagir au stress – Elle a de la difficulté à tenir le coup. Elle ne peut pas respirer correctement. Elle a l’impression qu’elle va vomir et évite de se retrouver autour des gens et de quitter sa maison.
  • Contrôler son tempérament – L’appelante m’a dit qu’elle est impatiente. Elle ne s’en prend pas aux gens, mais elle devient irritable.
  • Suivre les instructions – L’appelante éprouve de grandes difficultés à suivre les instructions. Elle doit être constamment sollicitée et oublie quand même toujours les instructions.
  • Demander de l’aide – L’appelante préfère mourir dans un coin plutôt que de demander de l’aide. Elle est habituée à rester assise et à souffrir, ce qui fait qu’elle devient accablée.
  • Gérer son anxiété – L’appelante m’a dit qu’elle est incapable de gérer son anxiété. Elle a essayé des médicaments et rien ne semble fonctionner. Sa situation l’empêche d’accomplir bien des choses à cause de l’anxiété et du syndrome du côlon irritable. Les deux pris ensemble ont pour effet d’aggraver la situation. L’anxiété alimente le syndrome du côlon irritable, qui à son tour stimule l’anxiété.
  • Accomplir des tâches ménagères – L’appelante m’a dit qu’elle ne peut pas suivre le rythme et qu’elle est toujours en retard dans ses travaux ménagers. Elle est incapable d’embaucher une femme de ménage et se sent incapable de gérer son ménage par manque d’énergie. Elle ressent des douleurs, des ballonnements et de l’anxiété.
  • Prendre des décisions – L’appelante m’a dit qu’elle se remet constamment en question. Elle a l’impression de toujours prendre la mauvaise décision et ne peut pas se fier à son propre jugement.

[18] Le mari de l’appelante a assisté à l’audience et a témoigné sur ce qu’il a observé chez l’appelante. Il a noté des déficiences dans trois domaines précis :

  • Suivre les instructions – L’appelante essaie de s’acquitter d’une tâche, mais c’est comme si elle ne comprenait pas les instructions qu’elle lit. Ce qui se passe, c’est que le mari traduit les instructions d’une recette ou modifie les instructions pour qu’elle puisse comprendre.
  • Accomplir des tâches ménagères – lorsqu’elle effectue des tâches ménagères, elle progresse lentement. Elle se retrouve aux toilettes chaque jour une demi-douzaine de fois pendant 30 à 40 minutes chaque fois. Par conséquent, les tâches ménagères sont très longues. C’est comme si elle ne faisait qu’effleurer les choses tout au long de la journée. Rien n’est terminé avant la fin de la journée.
  • Demander de l’aide – Elle éprouve de la difficulté à demander de l’aide. C’est quelque chose qui est souvent soulevé entre eux dans leur relation. C’est un problème permanent pour eux. Elle se laissera submerger et ne demandera d’aide à personne.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[19] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travailler au 31 décembre 2014Note de bas de page 9.

[20] La preuve médicale étaye les propos de l’appelante. Son anxiété, son trouble dépressif majeur et son syndrome du côlon irritable l’ont empêchée d’accomplir quelque travail que ce soit au 31 décembre 2014.

[21] Dans une demande de crédit d’impôt pour personnes handicapées datée du 7 décembre 2018, le médecin de famille de l’appelante, le Dr Loewen, a écrit que depuis 1998, elle a pris un temps excessif pour s’occuper personnellement de son transit intestinalNote de bas de page 10.

[22] Le Dr Loewen a également fait remarquer que l’appelante souffrait d’une combinaison de problèmes de santé mentale et d’affections intestinales qui limitaient beaucoup ses activités quotidiennes, et ce depuis 1998Note de bas de page 11.

[23] Il a noté que l’appelante lui avait signalé que le syndrome du côlon irritable avait compliqué la vie de l’appelante depuis l’âge de 18 ans. En plus d’une version sévère du syndrome du côlon irritable, elle était devenue dépendante physiquement et psychologiquement de fortes doses de laxatifs pour gérer sa constipation. Cela a entraîné une évacuation des selles avec incontinence.

[24] Elle a donc dû porter une grande serviette et apporter des vêtements de rechange. Le Dr Loewen a souligné qu’elle doit garer sa voiture pour déféquer sur le bord de la routeNote de bas de page 12. Cela arrive assez souvent pour qu’elle ait en sa possession une lettre du Dr Loewen expliquant son état de santé.

[25] Le Dr Loewen a noté que la santé mentale de l’appelante était également mauvaise. Elle souffrait d’humeur maussade, d’irritabilité, d’hypervigilance, de pensées obsessives et d’isolement social. Elle est demeurée sous les soins d’un psychiatre et prenait trois médicaments pour troubles psychiatriquesNote de bas de page 13.

[26] Dans un rapport médical daté du 30 août 2019, le Dr Loewen a écrit que l’appelante était sa patiente depuis 2007. Il a écrit qu’elle souffrait d’un certain nombre de problèmes de santé, dont un trouble dépressif majeur et le syndrome du côlon irritable.

[27] Il a écrit que ces conditions avaient entraîné une humeur maussade, de l’isolement social, de l’irritabilité, de l’hypervigilance, des pensées obsessives, une faible tolérance au stress, des comportements impulsifs autodestructeurs et de la fatigueNote de bas de page 14.

[28] Son syndrome du côlon irritable avait causé de la constipation. Après être allée à la selle, elle avait des ballonnements et des crampes. Elle prenait alors des laxatifs qui la confinaient à la maisonNote de bas de page 15. Cela crée un processus cyclique pour l’appelante. Elle ressentait du soulagement, mais le soulagement conduirait à plus de ballonnements. Les ballonnements nécessitaient l’utilisation de laxatifs, et ainsi de suite.

[29] Le Dr Loewen a également fait remarquer que l’appelante est incapable de répondre aux exigences de l’emploi, notamment en interagissant en collégialité avec ses collègues, en respectant les échéances de travail et en exécutant plusieurs tâches. Étant donné ses habitudes intestinales intermittentes et imprévisibles, elle est incapable de se présenter régulièrement au travail d’une manière acceptable pour un employeurNote de bas de page 16.

[30] En mai 2013, le Dr Loewen a noté que l’appelante souffrait d’un trouble de somatisation. Elle était hyper concentrée sur ses intestins et a abusé de laxatifs au point de souffrir de diarrhée chronique et d’incontinence fécaleNote de bas de page 17.

[31] En octobre 2013, le Dr Loewen a noté que l’appelante souffrait d’un trouble dépressif majeur, qui causait des problèmes de mémoire. Elle oubliait de prendre ses médicamentsNote de bas de page 18.

[32] Une note au dossier datée de février 2014 indiquait que l’appelante souffrait d’un trouble dépressif majeur. Elle avait consulté le Dr Arojojoye, psychiatre, et avait reçu des ordonnances pour le Wellbutrin et le Seroquel. Il a aussi déclaré qu’elle souffrait d’un trouble d’anxiété généraliséeNote de bas de page 19.

[33] J’examinerai ensuite si l’appelante a suivi les conseils médicaux.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[34] L’appelante a suivi les conseils médicaux.

[35] Pour recevoir une pension d’invalidité, une appelante doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 20. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur son invaliditéNote de bas de page 21.

[36] L’appelante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 22. Elle a maintenu ses liens avec son médecin de famille et son psychiatre. Elle a suivi leurs recommandations médicales. Lorsqu’elle ne l’a pas fait, c’est pour des raisons religieusesNote de bas de page 23.

[37] Lorsqu’elle n’a pas pris ses médicaments, c’est en raison de sa déficience psychologique et non en raison d’une intention d’éviter un traitement médical.

[38] Je dois maintenant décider si l’appelante peut effectuer sur une base régulière d’autres types de travail. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 24.

L’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel

[39] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[40] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans le monde réel, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 25.

[41] Je conclus que l’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel.

[42] L’appelante est assez jeune. Elle n’a que 40 ans et elle avait 32 ans au moment de sa PMA. Elle a une certaine éducation et des compétences transférables. Ces facteurs favorisent une conclusion de capacité de travailler. Toutefois, quand je pense à ses déficiences fonctionnelles et à leur impact sur sa vie quotidienne, je suis certain qu’elle ne peut travailler à quelque titre que ce soit.

[43] Je note d’abord que les problèmes de santé de l’appelante sont en grande partie demeurés inchangés au cours des années qui ont suivi sa PMA. Elle a continué d’éprouver les mêmes limitations fonctionnelles en ce qui concerne son syndrome du côlon irritable et son anxiété.

[44] L’appelante a peu ou pas de contrôle sur ses intestins. Lorsqu’elle a envie, elle doit vider immédiatement ses intestins.

[45] Elle est constamment anxieuse, incapable de dormir et incapable d’utiliser la salle de bain avec régularité. Elle prend une quantité importante de laxatifs pour l’aider à vider ses intestins. Si elle ne le fait pas, elle peut passer deux semaines sans aller à la selle. Cela cause de la tension, des ballonnements et une augmentation importante de son anxiété.

[46] L’appelante m’a dit qu’elle ne peut prévoir quand elle ira à la selle. Elle s’est souillée en conduisant et se retrouve souvent à la salle de bain chez elle de 6 à 7 fois par jour. Lorsque cela se produit, elle peut rester aux toilettes de 30 à 40 minutes chaque fois.

[47] De plus, il ressort clairement de la preuve médicale que ces problèmes donnent lieu à une déficience grave pour l’appelante. Le Dr Loewen a noté que l’appelante souffre d’irritabilité, d’hypervigilance, de pensées obsessives, d’isolement social, de comportement impulsif autodestructeur et de fatigue.

[48] Étant donné l’imprévisibilité de son syndrome du côlon irritable, conjuguée à son anxiété généralisée, à sa fatigue et à sa mauvaise humeur, je ne vois pas comment cette appelante pourrait conserver une forme d’emploi dans le monde réel. Elle a une déficience considérable et est incapable de faire face aux rigueurs de la vie.

[49] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave en octobre 2004 lorsqu’elle a cessé d’occuper un poste de travailleuse de soutien communautaire.

L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

[50] L’invalidité de l’appelante était prolongée.

[51] Les affections de l’appelante ont commencé en 1998. Elle est incapable de travailler depuis octobre 2004 en raison de ces affections. Elles se poursuivront probablement indéfinimentNote de bas de page 26.

[52] Le Dr Loewen a écrit qu’étant donné la nature persistante de son syndrome du côlon irritable avec troubles psychiatriques, elle était susceptible de présenter des symptômes persistants qui altéreraient sa vie dans un avenir prévisibleNote de bas de page 27.

[53] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée en octobre 2004.

Début des paiements

[54] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en octobre 2004, lorsqu’elle n’était plus en mesure de continuer à occuper un poste de travailleuse de soutien communautaire.

[55] Toutefois, en vertu du Régime de pensions du Canada, une appelante ou un appelant ne peut être considéré comme invalide plus de 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de pension d’invalidité. Par la suite, il y a une période d’attente de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 28.

[56] Le ministre a reçu la demande de l’appelante en janvier 2019. Cela signifie qu’elle est considérée comme devenue invalide en octobre 2017.

[57] Le paiement de sa pension prend effet en février 2018.

Conclusion

[58] Je conclus que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité est grave et prolongée.

[59] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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